VANIER, JOSEPH-ÉMILE (baptisé Émilien), ingénieur civil, arpenteur, professeur et architecte, né le 20 janvier 1858 à Saint-Louis-de-Terrebonne (Terrebonne, Québec), fils d’Émilien Vanier, boulanger, et de Lucie Soucisse (Soucie) ; le 11 juillet 1881, il épousa dans la paroisse Saint-Jean-Baptiste, Montréal, Olivine Pariseau (décédée le 29 juillet 1929), et ils eurent deux enfants, puis le 4 novembre 1929, dans la paroisse Saint-Jacques-le-Majeur, à Montréal, Marie-Adrienne Trottier ; décédé le 11 octobre 1934 à Montréal.
Joseph-Émile Vanier est le fils d’un boulanger devenu négociant de grains plutôt prospère, ce qui lui permet de s’inscrire à l’école normale Jacques-Cartier et à l’académie commerciale catholique de Montréal. Au moment où il la fréquente, au début des années 1870, l’académie connaît un développement remarquable. Petite école du Bureau des commissaires d’écoles catholiques romaines de la cité de Montréal, elle se transforme, sous la gouverne de son directeur Urgel-Eugène Archambeault*, en l’un des établissements scolaires les plus prisés par les bonnes familles de la région montréalaise. Un nouvel édifice ouvre ses portes en 1872 et, deux ans plus tard, une école scientifique et industrielle est inaugurée en son sein grâce à une subvention du gouvernement provincial. En 1876, l’académie prend le nom d’École polytechnique de Montréal et devient le premier établissement d’enseignement pour les ingénieurs au Canada français. Vanier est de la cohorte initiale et, avec son diplôme obtenu en 1877, fait partie de la première promotion. L’émergence de nouveaux lieux de formation, dans la foulée du processus d’urbanisation qui touche Montréal dans la deuxième moitié du xixe siècle, a certes été déterminante dans sa décision d’exercer le métier d’ingénieur. L’urbanisation, qui s’accentue dans le dernier quart du siècle, jouera d’ailleurs un rôle de premier plan dans sa carrière et, surtout, lui permettra de s’imposer comme un acteur important dans la mise en place des infrastructures et des réseaux d’égouts et de distribution d’eau de la région montréalaise.
À ses débuts, l’École polytechnique, à peine connue des Montréalais, peut tout de même se targuer d’avoir un bienfaiteur en la personne de Prudent Beaudry. Frère de Jean-Louis*, entrepreneur et maire de Montréal (1862–1866, 1877–1878, 1881–1885), Prudent est un promoteur et constructeur influent de Los Angeles. Après avoir été conseiller municipal de la ville californienne, il en est maire de 1874 à 1876. Il a sûrement entendu parler de l’inauguration de l’École polytechnique par son frère puisque, en 1875, il donne 2 000 $ pour la fondation d’une bourse annuelle de 150 $ dans cet établissement. Deux ans plus tard, Prudent Beaudry informe Archambeault qu’il a besoin d’un ingénieur pour de grands travaux d’infrastructures à Los Angeles ; ce dernier recommande Vanier, élève brillant. Après avoir occupé pendant quelques mois le poste d’aide-ingénieur à Hochelaga (Montréal), Vanier part pour la Californie. Il n’y chôme pas. En tant qu’aide-ingénieur, il voit à la mise en place du réseau de distribution d’eau de Los Angeles en effectuant, notamment, des essais de rendement des pompes à vapeur. De plus, il est affecté à la construction du tunnel du Rancho San Rafael. De retour à Montréal en 1879, il est reçu arpenteur provincial. Fort de son expérience acquise sur le terrain, particulièrement dans le domaine du génie hydraulique, il décroche ses premières commandes des villes de la banlieue montréalaise. En 1880, il fonde un bureau de génie-conseil qui deviendra rapidement l’un des plus importants dans le secteur du génie municipal au Canada et qui emploiera, en 1893, 16 ou 17 personnes. En 1891, tout en continuant de diriger son entreprise, il est engagé comme ingénieur à la Montreal Water and Power Company (MWPC).
Le développement spectaculaire de Montréal dans la seconde moitié du xixe siècle n’est pas étranger au succès de la firme de Vanier. La construction du grand réseau de distribution d’eau dans les années 1850 et d’un premier réseau d’égouts collecteurs dans la décennie suivante a doté les Montréalais de services urbains que réclameront bientôt les citadins des petites villes qui composent la banlieue de la métropole. Entre 1880 et 1915, le bureau d’ingénieurs-conseils de Vanier dirige et réalise de nombreux travaux de génie civil, de réseaux d’égouts et de distribution d’eau à Côte Saint-Louis (Montréal), Sainte-Cunégonde (Montréal), Saint-Henri (Montréal) et Maisonneuve (Montréal). À titre d’ingénieur de la MWPC, Vanier conçoit les réseaux de distribution d’eau de Côte-Saint-Antoine (Westmount), Côte-des-Neiges (Montréal), Côte Saint-Paul (Montréal), Saint-Louis (Montréal), Outremont (Montréal) et Lachine (Montréal). Il supervise aussi la mise en place des réseaux de distribution d’eau de Beauharnois et de Salaberry-de-Valleyfield.
On retrouve également Vanier en Ontario, à Brockville et dans le comté de Prescott, où il effectue des travaux de génie civil, et du côté des Maritimes, notamment au Nouveau-Brunswick. En tant qu’ingénieur en chef, il participe aux travaux préliminaires à la construction du chemin de fer de Montréal et Occidental qui dessert le nord de la région métropolitaine. Ingénieur polyvalent, il prépare aussi les plans pour le réseau de tramways de Montréal et s’occupe de l’installation et de la distribution de l’éclairage électrique à Salaberry-de-Valleyfield. Il touche également à l’architecture. Il dresse les plans de plusieurs édifices publics, dont les hôtels de ville de Saint-Louis et de Côte Saint-Paul, tout comme de nombreuses églises, dont l’église Saint-Jean-Baptiste à Montréal.
La carrière de Vanier est exceptionnelle à bien des égards. Peu d’ingénieurs francophones réussissent à cette époque à connaître autant de succès, notamment dans le secteur privé. En effet, les principaux ingénieurs canadiens sont presque tous des anglophones. Dans le dernier quart du xixe siècle, le gouvernement fédéral constitue d’ailleurs le premier lieu d’exercice de la profession chez les diplômés de l’École polytechnique, contrairement à ceux de la faculté des sciences appliquées de la McGill University qui œuvrent, pour la plupart, dans les grandes industries. À la tête d’un bureau d’ingénieurs-conseils, Vanier entretient cependant des liens étroits avec les acteurs de la scène politique et son entreprise négocie plusieurs contrats avec des élus municipaux. Comme ingénieur à la MWPC, il est également souvent sollicité par des comités municipaux. Il est aussi ingénieur des villes de Saint-Louis et de Lachine vers la fin du xixe siècle. Sa position n’est donc pas celle d’un professionnel complètement indépendant. Son engagement dans la mise en place des infrastructures urbaines l’a amené à développer des relations privilégiées avec les élus municipaux et les entreprises privées pourvoyeuses de services publics. Ses origines canadiennes-françaises, son statut d’ingénieur diplômé (plutôt rare pour cette génération d’ingénieurs) et son expérience acquise aux États-Unis représentent alors des atouts dans le marché en expansion qu’est celui des infrastructures et des services urbains.
Au Canada français, la réussite de Vanier comme ingénieur et entrepreneur a des effets non négligeables sur le développement du nouveau groupe social que sont les ingénieurs. Conscient qu’il doit beaucoup à son alma mater et à la profession à laquelle elle l’a destiné, l’ingénieur prospère est dévoué tout entier à l’École polytechnique et ne manquera pas une occasion de favoriser ses diplômés. D’abord, de 1879 à 1896, il y enseigne la topographie et la géodésie. Il fait ainsi profiter de sa riche expérience les élèves d’un établissement qui peine à survivre. À la fin des années 1880, Vanier a également appuyé une modification à l’Acte concernant les arpenteurs de la province de Québec et les arpentages (sanctionné en 1882) selon lequel les diplômés de l’École polytechnique pourraient être reconnus comme ingénieurs et arpenteurs sans avoir à passer un examen d’admission. Malgré ses efforts, le changement ne fait pas partie de l’Acte amendant la loi relative aux arpenteurs et arpentages sanctionné en 1889. De plus, son bureau d’ingénieurs-conseils procure un emploi à bon nombre de diplômés. À titre d’exemple, en 1895, Vanier embauche, pour une période plus ou moins longue, 44 des 71 diplômés de l’école. Bien des ingénieurs-conseils et ingénieurs municipaux lui doivent aussi l’origine de leur carrière. Vanier offre gratuitement ses services pour dresser les plans du nouvel édifice de l’école, inauguré en 1905. Cette année-là, il aide la Corporation de l’École polytechnique avec un don de dernière minute de 1 500 $. En 1909, il résout plusieurs problèmes financiers d’un regroupement d’anciens élèves de l’école. Par conséquent, l’Association des anciens élèves de l’École polytechnique de Montréal peut s’organiser et obtenir sa charte l’année suivante. Vanier préside l’association en 1913. Au début des années 1920, afin d’assurer le développement de l’année de cours de spécialisation en chimie industrielle [V. Alfred Fyen], il remet 25 000 $ à la Corporation de l’École polytechnique, dont il fait partie depuis plusieurs années comme représentant des diplômés. En 1923, il y propose la nomination d’Augustin Frigon* à la direction de l’École polytechnique qui, sous les commandes de ce dernier, connaîtra un essor sans précédent.
Dans les années 1920, Vanier a accédé au poste de président de la Laurin and Leitch Engineering and Construction Company, Limited, propriétaire, depuis 1915, de terrains à Saint-Vincent-de-Paul (Laval), sur l’île Jésus, près de Montréal. La compagnie obtient alors du conseil municipal un permis pour exploiter une carrière. L’année suivante, elle cède ses droits et ses terrains à la Montreal Crushed Stone Company, Limited, dont Vanier devient le secrétaire-trésorier en 1922. Vanier y investit son temps et son argent. La dépression économique ralentit cependant beaucoup les activités de la firme qui, en 1931, est remise à ses créanciers. La faillite est en vigueur l’année suivante. En 1932, Vanier ouvre un bureau d’ingénieurs-conseils, mais sa santé commence à décliner, ce qui n’augure rien de bon pour son entreprise.
Sur le plan national, Vanier a été, en 1887, l’un des premiers membres de la Société canadienne des ingénieurs civils. Il fait partie de plusieurs associations professionnelles à travers le monde. Il se tient ainsi au courant des travaux sur la production et la diffusion de l’électricité (notamment ceux de Thomas Alva Edison, George Westinghouse, Nikola Tesla, Zénobe Gramme et Antonio Pacinotti), qui marquent alors les pays industrialisés. Il ne manque cependant pas de s’intéresser au milieu culturel qui l’entoure. Il est un des premiers directeurs de l’Opéra français, fondé à Montréal en 1893. En politique, Vanier appuie le Parti conservateur, tant au fédéral qu’au provincial.
Sur le plan personnel, Vanier a épousé Olivine Pariseau le 11 juillet 1881. Deux enfants sont nés de cette union, dont un fils qui a suivi les traces de son père. George a en effet fait partie de la promotion de 1910 de l’École polytechnique. Il a poursuivi ses études en France, à l’École nationale des beaux-arts, puis mené une carrière d’ingénieur et d’architecte dans l’Hexagone. En 1927, il est devenu vice-président de la Montreal Crushed Stone Company, Limited. Joseph-Émile Vanier est mort à Montréal le 11 octobre 1934, à l’âge de 76 ans.
Par son implication dans la Corporation de l’École polytechnique, dans l’Association des anciens élèves de l’École polytechnique de Montréal et dans la Société canadienne des ingénieurs civils, Joseph-Émile Vanier a joué un rôle important dans la promotion de l’identité de l’ingénieur. C’est cependant par la supervision de grands travaux publics dans la région de Montréal qu’il a contribué à marquer l’histoire du Canada et du Québec moderne.
Arch. de l’École polytechnique de Montréal, Lettre de J.-Émile Vanier à U.-E. Archambault, 9 nov. 1895 ; Travaux de génie civil exécutés par J.-Émile Vanier, février 1889.— BAnQ-CAM, CE601-S35, 11 juill. 1881 ; CE606-S24, 22 janv. 1858.— FD, Saint-Jacques, cathédrale de Montréal [Saint-Jacques-le-Majeur], 4 nov. 1929.— VM-SA, P49.— Le Devoir, 12 oct. 1934.— BCF, 1920 : 166.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1898).— Robert Gagnon, Histoire de l’école Le Plateau (1856–1996) ([Montréal], 1997) ; Questions d’égouts : santé publique, infrastructures et urbanisation à Montréal au xixe siècle ([Montréal], 2006).— Robert Gagnon et A.-J. Ross, Histoire de l’École polytechnique, 1873–1990 : la montée des ingénieurs francophones (Montréal, 1991).— Montreal illustrated, 1894 [...] (Montréal, [1894]), 132.— Claire Poitras, « Construire les infrastructures d’approvisionnement en eau en banlieue montréalaise au tournant du xxe siècle : le cas de Saint-Louis », RHAF, 52 (1998–1999) : 507–531.— Vieux-Rouge [P.-A.-J. Voyer], les Contemporains : série de biographies des hommes du jour (2 vol., Montréal, 1898–1899), 1.
Robert Gagnon, « VANIER, JOSEPH-ÉMILE (baptisé Émilien) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 10 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/vanier_joseph_emile_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/vanier_joseph_emile_16F.html |
Auteur de l'article: | Robert Gagnon |
Titre de l'article: | VANIER, JOSEPH-ÉMILE (baptisé Émilien) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2018 |
Année de la révision: | 2018 |
Date de consultation: | 10 déc. 2024 |