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WISE, JUPITER, ouvrier et domestique ; circa 1783–1786.
La première mention connue du nom de Jupiter Wise provient du « Book of Negroes ». Ce registre naval recense les loyalistes noirs, anciens esclaves pour la plupart, qui partirent de New York après la guerre d’Indépendance américaine, au moment de l’évacuation des Britanniques. Le 8 juillet 1783, un fonctionnaire britannique le décrivit comme un homme « robuste » de 25 ans se trouvant à bord de l’Apollo, navire à destination de Port Roseway (Shelburne), en Nouvelle-Écosse.
Dans le « Book of Negroes » figurent souvent les « [n]oms des personnes qui en sont [alors] propriétaires », c’est-à-dire les noms des loyalistes blancs auxquels on associait les migrants noirs. Wise était la propriété de « Henry Hotchinson », probablement Henry Hodgkinson, officier militaire et coiffeur de New York inscrit sur la liste des passagers de l’Apollo avec une femme et un domestique. Le mot « propriété », ambigu, pouvait signifier un statut de protégé, d’engagé ou d’esclave. Qu’importe le lien précis entre les deux hommes, Wise fut « [c]ertifié libre par le commandant », le brigadier-général Samuel Birch, qui délivrait des certificats d’affranchissement aux loyalistes noirs quittant New York.
En Nouvelle-Écosse, Wise s’établit à Birchtown, colonie de loyalistes noirs située en bordure de Shelburne [V. Boston King*]. Selon un rôle d’appel de 1784, il travaillait comme ouvrier et s’occupait des provisions depuis le 24 novembre 1783 à titre de membre de la « compagnie du capitaine [Nathaniel] Snowball ». Ce document lui donne 49 ans, âge potentiellement plus exact que celui indiqué dans le « Book of Negroes », connu pour contenir des estimations grossières. À Birchtown, Wise vivait avec une femme de 45 ans nommée Hannah Wise. Qualifiée de personne à charge, elle était vraisemblablement son épouse (on enregistrait comme « chefs de famille » les femmes célibataires ou qui arrivaient sans leur mari pour une raison quelconque). Le « Book of Negroes » ne recense pas de Hannah Wise, mais cette personne s’y trouve peut-être sous un nom de jeune fille ou sans patronyme. Le mariage, s’il y en eut un, se déroula probablement en Nouvelle-Écosse. Le nom de Jupiter semble avoir été rayé ultérieurement du rôle d’appel, ce qui suggère qu’il quitta Birchtown alors qu’on utilisait toujours ce document.
Wise partit sans doute de la Nouvelle-Écosse au printemps de 1784. Une liste de recensement établie à Charlottetown en juin de la même année comprend le capitaine George Burns, installé sur l’île Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard) avec une femme, deux enfants et deux domestiques dont on ne précise pas les noms. Ces derniers étaient probablement Wise et un homme noir prénommé Joe, car, selon des dossiers judiciaires ultérieurs, ils travaillaient pour Burns peu après son arrivée. On ne sait ni pourquoi ni dans quelles circonstances Wise quitta Birchtown et Hannah. Vivant dans des conditions misérables en Nouvelle-Écosse, de nombreux loyalistes noirs se liaient par contrat à des loyalistes blancs ; certains retournaient à l’esclavage. Une situation financière désespérée força peut-être Wise à conclure une telle entente avec Burns.
Wise résidait chez les Burns, rue Euston, à Charlottetown. Les renseignements subséquents à son sujet proviennent de ses démêlés avec le système judiciaire de l’île. Vers la fin de 1785, on l’accusa de deux agressions et d’un vol. Les dossiers de ces affaires fournissent des détails fascinants sur ses amitiés et ses conflits, ainsi qu’un aperçu du quotidien des domestiques et des esclaves.
Deux déclarations sous serment faites au cours de l’affaire R. c. Wise présentent des preuves contre Wise. Le 28 novembre, un juge de paix recueillit du menuisier et tavernier John Clark de l’« information contre Jupiter Wise, pour agression ». Le lendemain, Silvester Petty, soldat et domestique blanc, fournit sa propre mise en accusation. Selon ces témoignages, Petty se rendit chez Clark le soir du 26 novembre, complètement affolé : il craignait d’« être fouetté à mort » pour la disparition d’objets dans la maison de son maître, alors que Thomas Williams, domestique noir de Clark, les avait en fait dérobés. Les deux hommes se lancèrent à sa recherche et passèrent devant la résidence de Burns, où Clark aperçut « plusieurs Noirs, ce qui lui fit penser que ledit Thomas Williams était peut-être parmi eux ». Ils trouvèrent Williams et Wise dans la cuisine, « assis sur un banc en train de jouer aux cartes, avec un gobelet en étain posé sur quelques cahiers de papier à lettres (apparemment endommagés) ». Clark ramassa les objets volés et ordonna à Williams de rentrer chez lui. Alors que Petty s’en allait, Wise lui donna un coup de pied et lui dit de « sortir de ladite cuisine en le traitant de sale gredin ». Clark demanda à Wise de s’expliquer ; celui-ci lui répondit que ni lui ni Petty « n’avaient le droit d’entrer dans la maison de son maître ». Wise continua de protester malgré un avertissement de Clark, qui le frappa ensuite avec un bâton.
En partant, Petty et Clark repassèrent devant la résidence ; Mme Burns invita ce dernier à l’intérieur et lui exprima son regret « de ne pas avoir de Blanc chez elle pour le raccompagner, car elle craignait que les Noirs aient manigancé quelque chose contre lui ». Presque aussitôt, Petty, resté à l’extérieur, « fut projeté au sol par deux Noirs », dont Wise. Quand Clark se porta à son secours, un autre domestique noir, prénommé James, se joignit à l’altercation, et les trois hommes noirs se retournèrent contre Clark. Wise le frappa au-dessus de l’œil gauche avec un bâton. La déclaration de Petty se terminait là, mais Clark affirma qu’il lui rendit son coup. Wise se précipita à l’intérieur et réapparut armé d’un sabre d’abordage. Il tenta d’atteindre Clark à la tête, qui bloqua le coutelas avec son bâton. Au pas de la porte d’entrée, Thomas Hazard (Haszard), invité de Mme Burns, éclaira ensuite la scène avec une chandelle, ce qui « incita les Noirs en question à se disperser » et mit fin à la bagarre.
Le 30 novembre, un « homme noir libre » du nom de James Stevens (presque assurément le James qui avait participé à l’échauffourée du 26 novembre) témoigna dans une affaire de vol, Macdonald c. Wise, sans doute pour obtenir une certaine clémence. Curieusement, il commença sa déclaration en parlant d’un projet avorté, qu’il avait entrepris l’été précédent avec trois autres esclaves pour s’échapper de l’île en s’armant et en s’emparant du sloop du gouverneur Walter Patterson. Wise ne faisait cependant pas partie du plan. Une fois sa digression terminée, Stevens accusa Wise d’avoir pénétré par effraction chez Michael McDonald (Macdonald) peu après l’arrivée de Burns à Charlottetown. Wise avait demandé à Stevens de lui fournir une vrille et une chandelle, en lui promettant de « lui rincer le gosier avec du rhum qui n’appartenait pas à son maître [Burns] ». Il cacha dans une cour deux gallons de spiritueux (plus tard évalués à 7 shillings) qu’il avait volés. Il partagea le rhum avec d’autres domestiques et esclaves de l’île dans une hutte que possédaient M. et Mme Rainey, où, avec un prénommé Guy (esclave de Phillips Callbeck), il prépara une grande fête pour la nuit suivante. Wise demanda au fils des Burns d’écrire des cartes d’invitation, « qui furent distribuées ce soir-là aux Noirs de leur entourage ainsi qu’à Mme Pollard, la bonne du capitaine Gores ». Dans ce récit, Mme Pollard ne figure pas parmi les amis noirs de Wise ; elle était donc probablement blanche. Son inclusion à la liste de convives peut signifier que Wise entretenait un cercle social interracial. Wise et Guy se procurèrent de la volaille, du bœuf, des pommes de terre, de la farine, du beurre et du rhum pour la fête. Repas, danse et boisson composèrent les réjouissances. Le rassemblement prit toutefois fin quand Callbeck vint chercher Guy.
Le 3 février 1786, un jury entendit les accusations contre Wise pour deux agressions et pour vol. Il le reconnut coupable d’acte délictueux grave. Le lendemain, on le condamna à mort. Si, au xviiie siècle, le système légal britannique imposait la peine capitale à des sujets de tout rang pour des méfaits – même pour des crimes mineurs –, la couleur de peau et la classe de Wise nourrirent vraisemblablement l’inquiétude des insulaires blancs à l’égard de ses délits, manifestations d’un comportement qui menaçait les rapports sociaux établis. Wise assura lui-même sa défense et devint la première personne sur l’île à revendiquer avec succès le privilège de clergie, mécanisme juridique permettant dans certains cas aux délinquants primaires d’échapper à la peine de mort. Il reçut la sentence suivante : « être envoyé pendant sept ans dans l’une des îles de Sa Majesté aux Antilles ». Les prisonniers dans toutes les régions de l’Atlantique vivaient dans des conditions déplorables. Wise avait évité la pendaison, mais cela ne signifiait pas qu’on le traiterait avec clémence. Il s’évada avec un autre détenu ; les fugitifs, interceptés en juin à Pictou, en Nouvelle-Écosse, furent rendus aux autorités de l’île. Le sort de Wise, qui se joua probablement dans les Caraïbes, demeure inconnu.
Afin de comprendre les activités criminelles de Jupiter Wise, il faut les replacer dans le contexte de son expérience de migrant, d’ouvrier et de domestique. Les éléments de preuves amassés contre lui révèlent sa manière de composer avec sa situation : il cultiva des amitiés, défendit son espace, organisa des fêtes, se montra généreux et rassembla sa communauté. Par ces efforts, il essaya de mener une vie enrichissante malgré des circonstances difficiles.
Bibliothèque et Arch. Canada (Ottawa), MG9-B9-14 (Shelburne hist. records coll., Muster book of free Black settlement of Birchtown, 1784, p.7 ; copie numérisée accessible à heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_ reel_h984, image 83) ; MG23-D1, sér. 1, vol. 24 (Ward Chipman fonds (senior and junior)), Lawrence coll., Muster master’s office, Muster roll of the following disbanded officers, discharged and disbanded soldiers and other loyalists with their respective families that are now settled and preparing to settle at the Island of Saint John, taken by order of Major General Campbell at Charlottetown this 12th June 1784, p.100 (copie numérisée accessible à heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_reel_c9818, image 65) ; R2946-0-9 (Robert Wilkins coll.), Returns of men, women, children and servants in Captain Wilkins Company of loyalists on board of the ship Apollo […], 8th June 1783 (transcript. accessible à immigrantships.net/1700/apollo17830608.html).— National Arch. (Londres), PRO 30/55/100, Book of Negroes, Jupiter Wise (copie numérisée accessible à archives.novascotia.ca/africanns/book-of-negroes/page/?ID=38&Name=Jupiter%20Wise).— Public Arch. and Records Office of P.E.I. (Charlottetown), RG5, sér. 1 (P.E.I. Executive Council fonds, Minutes and orders-in-council), vol. 1, p.95 (1er juill. 1786) ; RG6.1, sér. 1, sous-sér. 1 (Supreme Court fonds, Minutes), vol. 2, pp.2–3 ; RG6.1, sér. 5, sous-sér. 1 (Supreme Court fonds, Case files 1770–1899), 157 (R. v. Wise (1785)) ; 219 (McDonald [Macdonald] v. Wise (1786)).— L. C. Callbeck, The cradle of confederation : a brief history of Prince Edward Island from its discovery in 1534 to the present time (Fredericton, 1964).— H. T. Holman, « Slaves and servants on Prince Edward Island : the case of Jupiter Wise », Acadiensis, 12 (1982–1983), no 1 : 100–104.— Jim Hornby, Black Islanders : Prince Edward Island’s historical Black community (Charlottetown, 1991) ; In the shadow of the gallows : criminal law and capital punishment in Prince Edward Island, 1769–1941 (Charlottetown, 1998).— J. A. Mathieson, « Bench and bar », dans Past and present of Prince Edward Island […], D. A. MacKinnon et A. B. Warburton, édit. (Charlottetown, [1906]), 121–142.— Lorenzo Sabine, Biographical sketches of loyalists of the American revolution, with an historical essay (2 vol., Boston, 1864 ; réimpr. Port Washington, N.Y., 1966), 1.— J. W. St G. Walker, The Black loyalists : the search for a promised land in Nova Scotia and Sierra Leone, 1783–1870 (Londres, 1976).— H. A. Whitfield, « Wise, Jupiter », dans Biographical dictionary of enslaved Black people in the Maritimes (Toronto et Buffalo, N.Y., 2022), 235–236.
Sarah Elizabeth Chute, « WISE, JUPITER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/wise_jupiter_4F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/wise_jupiter_4F.html |
Auteur de l'article: | Sarah Elizabeth Chute |
Titre de l'article: | WISE, JUPITER |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2024 |
Année de la révision: | 2024 |
Date de consultation: | 2 oct. 2024 |