SAINT-ÉTIENNE DE LA TOUR, CLAUDE DE (il utilisa souvent le patronyme de son père, Turgis, et parfois le prénom Nicolas), trafiquant de fourrures et colon éminent de l’Acadie, père de Charles de Saint-Étienne de La Tour ; né vers 1570 dans la province de Champagne, en France, fils de Guyon Turgis, maçon, et de Marie Condor ; il épousa Marie de Salazar, contracta un deuxième mariage le 2 septembre 1615 avec Marie Guedon, et épousa troisièmement une dame de compagnie de la reine Henriette-Marie ; mort après 1636.

Claude de La Tour commanda un vaisseau pendant les guerres de religion et il subit alors de lourdes pertes financières. Il séjourna vraisemblablement en Nouvelle-France vers 1601. Chose certaine, en 1609, il accepta de Jean de Biencourt de Poutrincourt une invitation à se rendre en Acadie pour l’aider à établir une colonie permanente à Port-Royal (Annapolis Royal, N.-É.), établissement qui avait été abandonné deux ans auparavant. Il partit de Dieppe avec Poutrincourt le 25 février 1610 et, après une traversée qui dura plusieurs mois, atteignit Port-Royal. La Tour y aida à surveiller les travaux de construction et les labours, et il se familiarisa avec la traite des fourrures. Après la destruction de Port-Royal par Samuel Argall en 1613, il semble s’être consacré à la traite des fourrures dans la région de la Penobscot, où il finit par bâtir le fort Pentagouet, à la fois poste de traite fortifié et station de pêche. Ce poste, qui passe pour avoir été le premier établissement permanent en Nouvelle-Angleterre, se révéla être un excellent débouché pour la traite des fourrures.

Vers 1626, la colonie de Plymouth chassa Claude de La Tour du fort Pentagouet. Il rentra alors en France, où il vendit une partie de ses terres champenoises ; en outre, il présenta une requête au nom de son fils Charles, gouverneur suppléant de l’Acadie, qui réclamait une commission et des approvisionnements. La Compagnie de la Nouvelle-France l’assigna alors à un navire ravitailleur qui, sous le commandement du père Philibert Noyrot, semble-t-il, se rendait au poste de Charles, au cap de Sable, au printemps de 1628. Ce vaisseau et d’autres qui allaient à Québec sous la direction de Claude Roquemont furent capturés par une escadre anglaise que commandait Sir David Kirke. Claude de La Tour fut fait prisonnier et emmené en Angleterre.

Présenté à la cour, il y rencontra un bon nombre de parents et d’amis. La Tour était évidemment un homme très souple et il estima sans doute que ses chances étaient meilleures du côté de l’Angleterre. Les Anglais étaient alors les maîtres de toute l’Acadie, sauf du poste de Charles de La Tour au cap de Sable, et il se dit probablement que le pays était perdu à jamais pour la France. D’ailleurs, depuis de nombreuses années, le gouvernement français se désintéressait à peu près complètement de l’Acadie et la situation de son fils dans cette province était à la fois irrégulière et incertaine. Les Anglais voyaient en Claude une prise intéressante, car il avait apparemment exagéré l’importance de son rôle en Acadie et sa connaissance profonde du pays pouvait leur être précieuse. Claude, de son côté, était habile et ambitieux ; il n’était pas porté, semble-t-il, à pleurer les causes perdues et les Anglais eurent tôt fait de le gagner à la leur. Il s’éprit d’une des dames de compagnie de la reine Henriette-Marie et l’épousa. Selon un historien, cette dame était parente de Sir William Alexander père, à qui le roi Jacques avait concédé l’Acadie. Ce détail influa-t-il sur le choix de son épouse ? On l’ignore, mais il reste que La Tour y trouva son compte.

Déjà Alexander avait conçu un ambitieux projet de colonisation de l’Acadie, en vertu duquel des participants recevraient de grandes étendues de terre et le titre de « baronnets de la Nouvelle-Ecosse ». Claude de La Tour semble avoir impressionné Alexander par sa connaissance de l’Acadie et, apparemment, il se déclara prêt à prendre part à cette entreprise de colonisation.

On possède peu de renseignements sur cette époque de sa vie, mais il aurait consenti, semble-t-il, à être l’adjoint de Sir William Alexander fils, lors d’une expédition qui partit vers l’Acadie au printemps de 1629. Il passa, croit-on, presque tout l’été à faire connaître le pays aux Écossais et à amasser une cargaison de fourrures dans la région de la baie Française (baie de Fundy). Le 6 octobre, il signa, semble-t-il, au fort Charles, l’ébauche d’un accord avec Alexander fils. En tout cas, il rentra en Angleterre et, le 30 novembre, on le créait baronnet de la Nouvelle-Écosse en reconnaissance de son précieux apport à l’exploration du pays. Il aurait même promis de mettre les Alexander en possession de toute l’Acadie en persuadant son fils de céder son fort du cap de Sable et de jurer fidélité à l’Angleterre. Le 12 mai 1630, à l’insu de Charles de La Tour, il accepta pour celui-ci le titre de baronnet. Ces titres s’accompagnaient de vastes concessions dans la partie méridionale de la Nouvelle-Écosse.

Claude de La Tour et sa femme partirent pour l’Acadie au mois de mai 1630 avec un groupe de colons et deux navires de guerre anglais. Les vaisseaux jetèrent l’ancre au cap de Sable et Claude s’empressa de mettre son fils au courant de tout, y compris les titres et les honneurs qui l’attendaient au service du roi d’Angleterre. Charles refusa de tenir les promesses faites par son père et annonça sa ferme résolution de rester fidèle à la France. Claude, qui avait juré de gagner son fils à la cause de l’Angleterre, eut recours aux supplications, puis aux menaces, mais en vain ; Charles résista à toutes ses interventions. Finalement, le père déclara qu’il allait être contraint de traiter son fils comme un ennemi. À la tête d’un groupe mixte de soldats et de matelots, il attaqua le fort du cap de Sable. Ce combat entre père et fils, qui dura deux jours et une nuit, est sans pareil dans l’histoire du Nouveau Monde. Cette bataille étrange se termina par la retraite des Anglais devant la résistance opiniâtre de Charles. Il ne restait plus à Claude, qui avait uni son sort à celui des Anglais, qu’à les accompagner à Port-Royal. Alors, dans un geste de noblesse touchant, il dit à sa femme que l’avenir lui paraissait si sombre qu’il la laissait libre de retourner en Angleterre. Elle refusa, préférant partager le sort de son mari. On pourrait croire que, ayant perdu sa réputation et ses biens, Claude aurait alors sombré dans l’oubli, mais il n’en fut rien. Il écrivit à son fils pour lui demander la permission de retourner au cap de Sable comme fidèle sujet de la France. Sur l’avis de représentants de la Compagnie de la Nouvelle-France, qui venaient d’arriver avec des provisions et une commission de gouverneur à son intention, Charles agréa enfin la requête de son père. Mais connaissant ses façons d’agir, le fils exigea qu’il demeurât avec sa femme dans une maison voisine, sans entrer dans l’enceinte même du fort.

Lorsque Claude arriva au cap de Sable, il annonça que la garnison de Port-Royal avait reçu des renforts et qu’un détachement allait être chargé de s’emparer du fort du cap de Sable afin d’étendre l’hégémonie de l’Angleterre sur toute l’Acadie. L’attaque n’eut pas lieu ; elle n’était peut-être d’ailleurs que le fruit de l’imagination fertile de Claude.

Celui-ci était un trafiquant de fourrures compétent et habile ; la preuve en est que lorsque la Compagnie de la Nouvelle-France décida, l’année suivante, de construire un nouveau poste à l’embouchure de la rivière Saint-Jean, la plus riche région de toute l’Acadie pour la traite des fourrures, on résolut de lui en confier le commandement. Cependant, il resta au cap de Sable et Jean-Daniel Chaline fut nommé à sa place.

Lorsque les Français eurent repris le fort de Pentagouet, le souverain le concéda à Claude avec une certaine étendue de terres « en reconnaissance d’un service récemment rendu au roi ». On ignore la nature exacte de ce service. Il est peu probable, toutefois, que Claude se soit installé au fort Pentagouet, car, à partir de 1631, il semble avoir vécu une retraite paisible au cap de Sable. C’est là que Nicolas Denys, autre figure éminente de l’Acadie à cette époque, le découvrit en 1635. Selon Denys, il était l’image même du bonheur domestique, un hôte toujours de bonne humeur et qui ne tarissait pas d’enthousiasme lorsqu’il vantait les beautés de son vaste jardin. Il mourut quelque temps après 1636. S’il fut un renégat, un opportuniste et peut-être même un chenapan, il demeure néanmoins un personnage pittoresque de l’histoire des débuts de l’Acadie.

George MacBeath

D’après les recherches de M. Robert Le Blant : Du nouveau sur les La Tour, MSGCF, XI (1960) : 21–23, Claude de La Tour signait habituellement « de Saint-Étienne », mais deux actes notariés le nomment « Turgis, dit Saint-Étienne, écuyer, sieur de La Tour » et « Claude Turgis, dit Saint-Étienne et de La Tour. » Il semble donc que le patronyme des La Tour fut « Turgis » et que la famille fut de petite noblesse.

Pour les sources documentaires, V. RAC, 1883 ; 1894 ; 1912, 18, 23–24.— Champlain, Œuvres (Biggar), V, VI.— Coll. de manuscrits relatifs à la Nouv.-France, I : 439 ; II : 351–380.— Denys, Description and natural history (Ganong).— Royal letters, charters, and tracts (Laing).— Couillard-Després, Saint-Étienne de La Tour.— Huguet, Poutrincourt.— Insh, Scottish colonial schemes.— McGrail, Alexander.— G. A. Wheeler, Fort Pentagoet and the French occupation of Castine, Maine Hist. Soc. Coll. and Proc., 2e série, IV (1893) : 113–123.— V. aussi la bibliographie de Charles de Saint-Étienne de La Tour.

Bibliographie de la version modifiée :
Des recherches subséquentes de Robert Le Blant ont permis d’établir la filiation de Claude, parfois appelé Nicolas, avec Guyon Turgis, maçon. Claude ne serait donc pas issu de la petite noblesse, tel que le laissaient penser les premières recherches de Le Blant, mais d’une famille d’artisans. Le nom de La Tour change souvent d’un document à l’autre, ce qui contribue au caractère énigmatique du personnage. V. Robert Le Blant, « l’Ascension sociale d’un aventurier champenois : Claude Turgis (xviexviie siècles) », dans Actes du 95e Congrès national des sociétés savantes (2 vol., Paris, 1974) 2 : 171–185, et Michel Turquois, « le Point sur les origines de Claude Turgis, sieur de La Tour », MSGCF, XXXVIII (1987) : 269–288.

Arch. nationales (Paris, Fontainebleau et Pierrefitte-sur-Seine), MC/ET/XXIV/127, 2 sept. 1615 ; MC/ET/XXXV/231, 22 avril 1609.

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George MacBeath, « SAINT-ÉTIENNE DE LA TOUR (Turgis), CLAUDE DE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 13 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/saint_etienne_de_la_tour_claude_de_1F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1966
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