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JOGUES, ISAAC, prêtre, jésuite, missionnaire chez les Hurons puis chez les Iroquois, ambassadeur de la paix auprès des Iroquois, né le 10 janvier 1607 à Orléans (France), assassiné par les Iroquois à Ossernenon (Auriesville, N.Y.) le 18 octobre 1646, canonisé le 29 juin 1930 avec sept de ses compagnons martyrs.
Cinquième de neuf enfants, il était né dans une famille à l’aise qui comptait des notaires, des avocats, des apothicaires et des marchands. Jogues commença ses études à la maison paternelle, sous la direction d’un maître privé, et les poursuivit au collège des Jésuites qui venait d’être fondé à Orléans en septembre 1617. Il termina ses cours à 17 ans. Il aurait pu prendre en main le commerce prospère laissé par son père ou encore, comme ses oncles, opter pour le droit où le fonctionnarisme. Mais il préféra suivre ses maîtres, les Jésuites, et en octobre 1624, il fut le premier jésuite orléanais à entrer au noviciat de Rouen, où il se mit à l’école du père Louis Lallemant, auteur spirituel et maître de novices réputé. Il prononça ses premiers vœux deux ans plus tard et entreprit ses études philosophiques au collège de La Flèche, où survivait encore l’intense esprit missionnaire qu’y avait implanté en 1613 le père Énemond Massé.
En 1634, Jogues commença d’étudier la théologie à Clermont (Paris), institution renommée qui comptait alors 2 000 élèves. Il était en même temps préfet de discipline des étudiants laïcs. Pour des raisons mystérieuses, il ne voulut point continuer les études théologiques que ses aptitudes intellectuelles lui auraient aisément permis de poursuivre. En effet, il avait toujours été studieux, avait une connaissance approfondie du latin et du grec, s’exprimait dans un style coulant et fleuri qui correspondait fort bien à ses manières courtoises et raffinées de gentilhomme de la Renaissance. Pourtant, il demanda d’être dispensé du reste de ses études. Peut-être était-il impatient de se rendre dans les missions d’Amérique que la lecture des Relations des Jésuites lui avaient fait connaître ?
L’ordination sacerdotale, qui fut conférée à Jogues dès la fin de janvier 1636 dans la chapelle de Clermont, avançait d’autant son départ pour les missions. Sa première messe, dite dans l’église d’Orléans le Premier dimanche du carême, fut un mélange de joie et de tristesse pour sa famille. Sa mère se consola en préparant des vêtements sacerdotaux et quelques accessoires, les seuls cadeaux que le missionnaire accepta pour sa traversée dans le Nouveau Monde. Le jeune prêtre, qui achevait sa formation, se sentait de plus en plus engagé dans sa vocation religieuse et missionnaire. Il se détachait de toute préoccupation terrestre, même de sa famille, mais avec beaucoup de délicatesse et d’affection. Les lettres qu’il écrivit à sa mère à cette époque et durant les années suivantes nous le montrent sous son vrai jour.
Le départ, plusieurs fois remis, eut lieu le 8 avril 1636. Dans le convoi des huit navires, Jogues prit place avec le père Georges d’Endemare sur le vaisseau qui devait faire escale à l’île de Miscou, près de la baie des Chaleurs. Après huit semaines de navigation, le missionnaire arriva à ce poste de traite qui comptait 25 Français et 2 jésuites. Une semaine plus tard, il reprit la route, passa deux jours à Tadoussac où il prît contact avec les Indiens, puis continua vers Québec, d’où il repartit immédiatement pour Trois-Rivières. La vue de ses confrères Ambroise Davost et Antoine Daniel, amaigris et terriblement vieillis après quelques années de vie missionnaire, l’impressionna fortement. Il assista au supplice d’un prisonnier iroquois aux mains des guerriers hurons. Malgré le fameux « avertissement d’importance » du père de Brébeuf, il ne put rester indifférent. Ses lettres ne portent pourtant aucun signe d’effroi ; elles ne respirent que zèle et force d’âme. Il débarqua à Ihonatiria (Saint-Joseph I) le 11 septembre après 16 jours de voyage ; on lui donna le surnom d’Ondessonk (oiseau de proie).
Jogues, qui avait échappé à toutes les indispositions durant la traversée, fut le premier atteint par la fièvre en septembre. Les épidémies qui sévissaient à cette époque parmi les Hurons mettaient la vie des missionnaires en danger, car les Indiens en attribuaient la cause à la présence des religieux. En 1637, la situation devint si critique que la mort des pères fut décidée par le grand conseil huron. C’est cette année-là que les missionnaires se réunirent à Ossossané pour un festin d’adieu à la mode huronne et que Brébeuf rédigea la célèbre lettre – testament que tous les Jésuites présents signèrent. L’épidémie cessa sans que l’arrêt de mort fût exécuté. Auparavant, le 16 août, avait été conféré le premier baptême à un Huron, Joseph Chihouatenha, une âme d’élite dont l’esprit profondément chrétien devait favoriser le travail apostolique. Toute sa famille suivit son exemple le 19 mars 1638.
En août suivant, la supériorité de la mission huronne passait du père de Brébeuf au père Jérôme Lalemant. Le nouveau supérieur, procédant à une réorganisation de la mission huronne, décida d’établir une résidence centrale pour les missionnaires. La construction du fort Sainte-Marie fut confiée au père Jogues. Dans la suite, celui-ci fut envoyé avec le père Garnier vers la nation du Pétun. En septembre 1641, Jogues et Charles Raymbaut se rendaient chez les Sauteux (Chippewas). Ils poussèrent assez loin vers l’Ouest jusqu’au saut Sainte-Marie. L’accueil fut chaleureux, la rencontre profitable, et les pères durent promettre de revenir prêcher l’Évangile.
En juin 1642, les Hurons préparaient une expédition commerciale vers les établissements français, mais le Saint-Laurent était continuellement surveillé par les Iroquois entre Ville-Marie et Trois-Rivières. Il fallait d’autre part que les missionnaires se réapprovisionnent et échangent des nouvelles avec l’Europe. De plus, le père Raymbaut, gravement malade, devait être hospitalisé. Jogues fut désigné par Lalemant pour accompagner le convoi, qui se rendit à Québec. Une fois leurs affaires réglées, les voyageurs s’embarquèrent pour le retour. Ils parvinrent à Trois-Rivières dans les derniers jours de juillet. En plus de Jogues, le groupe comprenait Guillaume Couture*, le donné René Goupil, un autre Français et des Hurons, dont Ahatsistari : en tout une quarantaine de personnes réparties dans 12 canots. La troupe s’ébranla définitivement le 1er août 1642. Le lendemain du départ, les canots furent attaqués sournoisement par des Iroquois en embuscade. Les historiens ne s’accordent pas tout à fait sur l’endroit où se fit l’assaut. Quoi qu’il en soit, il a dû avoir lieu dans la région de Sorel, de Berthier ou, plus vraisemblablement, de Lanoraie. Après une courte fusillade, Jogues, Goupil, Couture et une partie des Hurons furent emmenés en captivité chez les Agniers et soumis aux plus effroyables tortures : bastonnade, morsures, mutilations, dénuement, marches forcées, injures.
Les souffrances morales, pires encore que la torture physique, Jogues les supporta avec une extraordinaire force d’âme. Il les endurait avec d’autant plus d’amour qu’il les avait recherchées. Car, comme il nous le déclare lui-même, c’est volontairement qu’il s’était jeté dans les mains des Iroquois : « Je contemplois ce desastre [...] d’un lieu fort advantageux pour me desrober de la veuë de l’ennemy, me pouvant cacher dans des haliers & dans des roseaux fort grands & fort espais ; mais ceste pensée ne pût jamais entrer dans mon esprit. Pourrois-je bien, disois-je à par moi, abandonner nos François, & quitter ces bons Neophytes, & ces pauvres Catechumenes, sans leur donner le secours que l’Eglise de mon Dieu m’a confié. La fuite me sembloit horrible, il faut disois-je en mon cœur, que mon corps souffre le feu de la terre, pour delivrer ces pauvres ames des flammes de l’Enfer, il faut qu’il meure d’une mort passagere, pour leur procurer une vie eternelle, ma conclusion prise sans grandes oppositions de mon esprit, j’appelle l’un des Hiroquois qui estoient restez à la garde des prisonniers. »
René Goupil fut assassiné (29 septembre 1642) par un Iroquois, à la vue de Jogues, qui fut gardé captif jusqu’en novembre 1643 sous la menace constante de la mort. Une vieille Iroquoise l’avait adopté et il servait de domestique. Il avait été tellement affaibli par les coups et les privations que le seul travail qu’il pouvait accomplir était une tâche réservée aux femmes : cueillir le bois pour alimenter le feu dans la cabane, à la chasse.
Avec la complicité des Hollandais, Jogues s’embarqua, au début de novembre 1643, sur un navire qui toucha l’Angleterre à la fin de décembre. Il prit un autre bateau et, le lendemain, jour de Noël, il descendit sur la côte de la Bretagne. Enfin, le 5 janvier 1644, il arriva à la plus proche maison des Jésuites, le collège de Rennes. Ses supérieurs ne purent le reconnaître, tellement les souffrances et les mutilations l’avaient transformé. Il prit du repos pour se remettre de ses fatigues et de ses souffrances, tâchant de se dissimuler à l’admiration dont on voulait l’entourer. Il dut céder aux instances de la reine régente, Anne d’Autriche, qui voulait absolument contempler ce martyr. Auprès d’elle, de Mazarin et des directeurs de la Compagnie des Cent-Associés, il apporta le témoignage de la misère et des besoins de la Nouvelle-France.
Pendant qu’il était en France, des démarches furent entreprises pour solliciter du pape un indult qui permettrait à Jogues de célébrer la messe malgré la mutilation de ses doigts. Le souverain pontife lui accorda volontiers cette faveur, jugeant qu’il n’était pas convenable qu’un martyr du Christ ne puisse offrir le sang du Christ (« Indignum esset Christi martyrern Christi non bibere sanguinem »).
Dans la colonie, on ignorait encore tout sur Jogues et on n’apprit sa libération que lorsqu’il descendit à Québec au début de juillet 1644. Malgré le supplice qu’il avait subi, il demanda vivement à ses supérieurs la faveur de se consacrer à l’évangélisation des Iroquois. Mais la paix n’était pas revenue chez les Agniers et le père Vimont préféra assigner le père Jogues au poste de Ville-Marie, fondé deux ans plus tôt. Cette période allait être plus calme pour Jogues et lui permettre de rédiger divers textes importants pour la postérité : le récit de sa captivité, de la mort de son compagnon Goupil et ce qu’on peut considérer comme la plus ancienne description de New York.
La paix, qui ne s’annonçait toujours pas du côté iroquois, finit par poindre au lendemain de la libération du père Bressani, en août 1644. Des échanges de prisonniers, proposés par le gouverneur Huault de Montmagny, favorisèrent les pourparlers. Jogues devint un personnage important devant le conseil tenu par le gouverneur à Trois-Rivières, le 12 juillet 1645, et lors duquel l’orateur agnier Kiotseaeton joua un rôle de premier plan. Du 15 au 25 septembre, un nouveau conseil vint confirmer les intentions pacifiques des Iroquois, mais les Français conservaient des doutes sérieux sur leur sincérité.
Dès que le père Jérôme Lalemant fut nommé supérieur général des Jésuites de la Nouvelle-France, Jogues exprima à nouveau son désir d’aller travailler à l’évangélisation des Iroquois. Mais les garanties de paix n’étaient pas encore assez sûres et ne s’accumulèrent que progressivement avec les conseils du 22 février et du 13 mai 1646. Jogues fut alors accepté par le père Lalemant et par le gouverneur comme ambassadeur de paix auprès des Agniers. C’est avec une joie mêlée d’une appréhension bien légitime que Jogues reçut la nouvelle de sa nomination. Au père Jérôme Lalemant, il répondit : « croiriez-vous bien qu’à l’ouverture des lettres de votre R[évérence] mon cœur à esté comme saisi de crainte au commencement apprehendant que ce que je souhaite & que mon esprit doit extremément priser n’arrivast. La pauvre nature qui s’est souvenuë du Passé à tremblé, mais nostre Seigneur par sa bonté y a mis & mettra le calme encore davantage. Ouy mon Pere, je veux tout ce que nostre Seigneur veut au peril de mille vies, ô que j’aurois de regret de manquer à une si belle occasion, pourrois-je, souffrir qu’il tint à moy que quelque ame ne fut sauvée, j’espere que sa bonté qui ne m’a pas abandonné dans les rencontres m’assistera encore, luy & moy sommes capables de passer sur le ventre de toutes les difficultez qui se pourroient apposer. » Le missionnaire songea à préparer immédiatement son futur apostolat en apportant une caisse de vêtements chauds pour l’hiver, le nécessaire de la messe et des cadeaux pour les Indiens.
Partie le 16 mai 1646 de Trois-Rivières, l’expédition remonta le Richelieu et traversa le lac Champlain. Jogues fut le premier Blanc à voir le lac Georges, qu’il nomma Saint-Sacrement, comme le nota son compagnon Jean Bourdon sur sa carte. Les Agniers furent intrigués par la mystérieuse caisse que Jogues voulait laisser chez eux. Une fois les pourparlers terminés, les diplomates prirent le chemin du retour le 16 juin, passèrent au fort Richelieu le 27, à Trois-Rivières le 29 et arrivèrent à Québec le 3 juillet. Jogues fit part de sa mission aux autorités, qui refusèrent une autre fois de le laisser partir pour hiverner chez les Iroquois. De retour à Montréal, Jogues fut, en fin d’août, rappelé à Trois-Rivières où le conseil de paix l’autorisa à participer à une nouvelle ambassade que les Hurons projetaient. Cette fois, Jogues avait décidé d’hiverner. Il partit avec Jean de La Lande, le 24 septembre, et avec les Hurons, qui les abandonnèrent au fort Richelieu. Les deux Français continuèrent avec un seul Huron. L’accueil fut hostile ; vers la mi-octobre, ils furent faits prisonniers. L’esprit des Iroquois avait complètement tourné parce que, mystifiés par le coffret laissé par Jogues au village agnier, ils voyaient une confirmation de leurs doutes sur la cause de l’épidémie, de la sécheresse et de la disette qui avaient suivi son ambassade d’été. Le 18 octobre, à Ossernenon, Jogues fut assassiné d’un coup de hache à la tête. La Lande périt de la même façon, probablement le lendemain.
Parkman a affirmé que Jogues aurait pu véritablement aspirer à une renommée littéraire. On à même ajouté que, chez lui, l’humaniste ne pouvait mourir qu’avec le saint, tellement les qualités d’esprit complétaient celles de l’âme pour lui donner sa pleine valeur d’écrivain. Comme plusieurs de ses confrères missionnaires de la Nouvelle-France, il était mystique, mais, en un sens, il les surpassa tous parce qu’il savait exprimer l’expérience qu’il avait comme eux d’abord vécue. Ses écrits spirituels, tout aussi limpides que ceux du père de Brébeuf, les déclassent par un lyrisme qui s’épanouit dans une grande perfection littéraire. Il domine sa plume comme il maîtrise sa sensibilité, sa mémoire et toutes ses facultés. Même dans la plus forte douleur, jamais il n’explose, mais on sent qu’il est conscient de vivre une aventure qui le dépasse sans l’écraser. C’est que, sous des dehors timides et frêles, il cachait une force d’âme et une liberté spirituelle étonnantes. C’était un sensible, un passionné d’amour dont la joie intérieure ne cédait jamais à la douleur. L’amour divin avait définitivement envahi tout son être.
ACSM, Mémoires touchant la mort et les vertus des pères Isaac Jogues, etc. (Ragueneau), repr. RAPQ, 1924–25 : 3–41 ; divers écrits autographes et apographes de Jogues dont une notice sur René Goupil (mai 1646) et quelques lettres.— JR (Thwaites), source imprimée importante ; information bibliographique.— Lettre du père Jogues, captif chez les Iroquois, au gouverneur de Montmagny, BRH, XXXVI (1930) : 48s.— Positio causae.— John Joseph Birch, The saint of the wilderness : St Isaac Jogues (New York, 1936).— BRH, V (1899) : 88–90 ; XVIII (1912) : 91.— Lucien Campeau, Un site historique retrouvé, RHAF, VI (1952) : 31–41.— Charlevoix, Histoire de la N.-F., I : 232–277.— Daniel-Rops, Les Aventuriers de Dieu (Paris, 1951) : 121–142.— N.-E. Dionne, Le Père Jogues et les Hollandais, BRH, X (1904) : 60–64.— Jésuites de la N.-F. (Roustang),.— Louis-Raoul de Lorimier, Jogues (en marge de l’histoire, 1607–1646), RC, XIX (1917) : 336–351.— Lucien Lusignan, Essai sur les écrits de deux martyrs canadiens, BRH, L (1944) : 174–192.— Félix Martin, Le R. P. Isaac Jogues de la Compagnie de Jésus, premier apôtre des Iroquois (Paris, 1873).— Rochemonteix, Les Jésuites et la N.-F. au XVIIe siècle, I : 11, 429–443.— Francis Talbot, Saint among savages (New York & London, 1935) ; Un saint parmi les sauvages (Paris, 1937).— W. H. Withrow, The Adventures of Isaac Jogues, S.J., MSRC, III (1885), sect. ii : 45–53.
En collaboration avec Georges-Émile Giguère, « JOGUES, ISAAC », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 4 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/jogues_isaac_1F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/jogues_isaac_1F.html |
Auteur de l'article: | En collaboration avec Georges-Émile Giguère |
Titre de l'article: | JOGUES, ISAAC |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1966 |
Année de la révision: | 1986 |
Date de consultation: | 4 déc. 2024 |