LE MOYNE, SIMON, prêtre, jésuite, missionnaire chez les Hurons, ambassadeur de la paix chez les Iroquois, né à Beauvais le 22 octobre 1604, décédé au Cap-de-la-Madeleine le 24 novembre 1665.

Simon Le Moyne entre au noviciat des Jésuites, à Rouen, le 10 décembre 1622. Il étudie la philosophie au collège de Clermont, à Paris (1624–1627), enseigne au collège de Rouen (1627–1632), suit les cours de théologie à La Flèche (1632–1636) ; il est de nouveau professeur au collège de Rouen (1636–1637) ; c’est là également qu’il fait sa troisième année de probation. Le 30 juin 1638, il arrive à Québec et à la fin de septembre il est en Huronie.

Une lettre de son confrère, le père François Du Peron, nous apprend que le père Le Moyne fut abandonné en route par ses guides hurons. Pendant 15 jours, isolé dans la vaste forêt, il dut vivre du produit de la chasse de son compagnon, un jeune Français. Grâce au passage surprise du père Du Peron, il put se rendre enfin à destination. Jusqu’en 1649 il se dépense en Huronie, et il est de la même stature intellectuelle et apostolique que ses compagnons, Jean de Brébeuf, Isaac Jogues, Jérôme Lalemant, Paul Ragueneau, Antoine Daniel, Charles Garnier, etc. Après la destruction de la Huronie, il revient à Québec, en 1650, et il partage les travaux de ses confrères à Sillery, à l’île d’Orléans, à Trois-Rivières. Seul le père Chaumonot parlait mieux que lui le huron et l’algonquin. Les Hurons l’avaient surnommé Ouane. Pendant la période iroquoise de sa vie, il s’appelait Ondessonk, nom qui avait été celui de Jogues.

C’est surtout comme ambassadeur de la paix auprès des Iroquois que le père Simon Le Moyne appartient à l’histoire. En 1653, une paix – de courte durée – avait été signée entre les Iroquois et les Français. À la suite de ce traité chancelant et souvent rompu, le père Le Moyne a fait six fois, de 1654 à 1662, le voyage d’Iroquoisie, toujours en ambassade de paix, toujours au péril de sa vie. Cet envoyé officiel d’Onontio [le gouverneur] a été lui-même retenu comme captif, il est monté sur les échafauds ennemis, il a été plus d’une fois menacé par la hache d’un Iroquois ivre ou qui se croyait tenu de l’abattre en accomplissement d’un songe. Et après tout cela, il regardait comme le plus beau jour de sa vie celui ou, en 1661, il entreprenait son dernier voyage au pays des Iroquois.

Rien ne nous révèle mieux l’âme si riche et si sympathique du père Le Moyne que le journal de son premier voyage en Iroquoisie. Parti de Québec le 2 juillet 1654, il s’adjoignit comme compagnon un jeune Français de Montréal ; et il était de retour à Québec le 11 septembre. Voyage épuisant, rendu plus pénible encore par des pluies abondantes. Le père Le Moyne décrit les accidents et les beautés du pays, la chaude sympathie que lui manifestent les Iroquois, l’indicible consolation qu’il éprouve en revoyant là-bas des Hurons captifs, restés fidèles à leur foi et avides d’entendre la Robe Noire leur parler de Dieu. Mais cela n’empêche pas l’homme pratique qu’il est de constater, près de Syracuse (N.Y.), l’existence d’une source d’eau saline. Il écrit le 16 août : « Nous arrivons à l’entrée d’un petit lac dans un grand bassin à demy seché, nous goustons de l’eau d’une source qu’ils [les Iroquois] n’osent boire, disants qu’il y a dedans un demon qui la rend puante ; en ayant gousté, je trouvay que c’estoit une fontaine d’eau salée ; et en effet nous en fismes du sel, aussi naturel que celuy de la mer ; dont nous portons une monstre [un échantillon] à Québec ».

L’ambassade de paix du père Le Moyne se révélait un succès. Au nom du supérieur des Jésuites de Québec, il avait promis que des missionnaires viendraient s’établir chez les Oriontagués en 1655. Et c’est pourquoi, le 19 septembre de cette année-là, les pères Chaumonot et Dablon se mettaient en route pour le canton des Onontagués. Le 30 mars 1656, le père Dablon revenait à Montréal porteur de bonnes nouvelles. L’heure étant à l’optimisme et à l’héroïsme, Québec assistait, le 17 mai 1656, à un départ missionnaire de grande envergure. Le père François Le Mercier, supérieur des Jésuites de Québec, les pères René Ménard, Claude Dablon, Jacques Frémin, les frères Ambroise Brouet et Joseph Boursier allaient, rejoindre le père Chaumonot. Ils étaient accompagnés d’une cinquantaine d’ouvriers français. Il s’agissait de faire surgir du soi, en un temps record, une résidence centrale, Sainte-Marie de Gannentaha, qui serait pour les Iroquois ce qu’avait été autrefois la résidence Sainte-Marie pour les Hurons. Les travaux de construction commencèrent le 17 juillet, et se poursuivirent, non sans quelques difficultés. Les missionnaires se rendirent compte toutefois qu’on les avait attirés dans un guet-apens, qu’on ne songeait rien moins qu’à massacrer tous les Français et leurs alliés. C’est pourquoi on décida d’abandonner Gannentaha. Le 20 mars 1658, pères et ouvriers partaient secrètement et arrivaient à Montréal le 23 avril. L’ambassade du père Le Moyne et sa conséquence, c’est-à-dire l’établissement de Sainte-Marie de Gannentaha, étaient frappés d’un vice d’origine. L’une et l’autre s’étaient faites à l’insu des Agniers, sans leur participation, et à l’avantage des Onontagués. Les Agniers, qui se considéraient comme la première des nations iroquoises en prirent ombrage ; de plus, ils craignaient que cette alliance des Français avec les Onontagués ne nuisît à leur commerce avec les Hollandais. Ils devinrent plus arrogants et plus menaçants que jamais ; et affectant des sentiments pacifiques, ils voulaient, eux aussi, des Robes Noires. La paix était plus compromise que jamais, si on n’accédait à leurs désirs.

Pour le bien général de la colonie, quatre fois le père Le Moyne se rendra comme ambassadeur de la paix au pays des Agniers : du 17 août au début de novembre 1655 ; du début de septembre au 5 novembre 1656 ; du 27 août 1657 au 21 mai 1658 et du 7 mai au 3 juillet 1659. Ces ambassades répétées prouvent qu’aucune ne fut pleinement couronnée de succès ; mais elles prouvent aussi en quelle estime le père Le Moyne était tenu tant par les Français que par les Iroquois. En ces années tragiques, il incarnait l’espérance des autorités civiles et religieuses contre le péril iroquois.

Pendant son séjour de 1657–1658, où il était considéré comme captif et tenu en liberté surveillée, le père Le Moyne fit le voyage d’Ossernenon (Auriesville, N.Y.) à New Amsterdam (New York). Il voulait remercier le ministre Jan Megapolensis de la charité qu’il avait autrefois manifestée au père Isaac Jogues. Il fut reçu avec la plus grande cordialité. Il parla à son hôte de la source saline du lac Onondaga. On disputa aussi de religion ; car le ministre hollandais écrit que, en retournant à Ossernenon, le missionnaire lui adressa trois documents : le premier sur la succession des papes ; le second sur les conciles ; le troisième sur les hérésies. Le père Le Moyne, tout en se dirigeant vers Ossernenon par des chemins pénibles, avait rédigé de sa main ces leçons de théologie à l’adresse de Megapolensis. Le Journal des Jésuites signale l’arrivée du père Le Moyne à Québec le 21 mai 1658.

Le 21 juillet 1661, le père Le Moyne se mettait de nouveau en route pour le pays des Iroquois, afin de travailler à la délivrance des captifs français. Quand il revint à Montréal, le 31 août 1662, il en ramena 19. Enfin, le Journal des Jésuites nous apprend que, le 31 juillet 1663, il se rendait à Montréal, afin de profiter de la première occasion pour retourner chez les Iroquois ; mais il ne semble pas s’être rendu plus loin que Montréal.

Il n’avait pas travaillé en vain à promouvoir la paix. Un capitaine onontagué de grand renom et qui allait bientôt prendre le devant de la scène, Garakontié, avait été gagné, dès la première heure, à la personne et à la mission pacifique du père Le Moyne. En 1658, il ramenait à Montréal deux Français captifs. En 1661, il hébergeait chez lui le père Le Moyne, lui construisait une chapelle, le protégeait, favorisait son apostolat religieux, bien que, lui-même, il fût encore païen.

Quand le père Le Moyne s’éteignit au Cap-de-la-Madeleine, le 24 novembre 1665, quatre des cinq cantons iroquois recherchaient la paix avec les Français. Garakontié, ambassadeur des Onontagués, assistait au conseil qui se tenait alors à Québec. Et voici les paroles qu’il prononçait en apprenant la mort de son vieil ami : « Ondessonk, m’enten-tu du païs des morts, où tu es passé si vite ? C’est toi qui as porté tant de fois la teste sur les echafaux des Agniehronnons : c’est toi qui as esté courageusement jusques dans leurs feux, en arracher tant de François : c’est toi qui as mené la paix et la tranquillité par tout où tu passois, et qui as fait des fideles, par tout où tu demeurois. Nous t’avons veu sur nos nattes de conseil, decider les affaires de la paix et de la guerre ; nos cabannes se sont trouvées trop petites quand tu y es entré, et nos villages mesme estoient trop étroits, quand tu t’y trouvois ; tant la foule du peuple que tu y attirois par tes paroles, estoit grande. Mais je trouble ton repos, par ces discours importuns. Tu nous as si souvent enseigné que cette vie de misere, estoit suivie d’une vie eternellement bienheureuse ; puis donc que tu la possedes à present ; quel sujet avons-nous de te regretter ? Mais nous te pleurons, parce qu’en te perdant, nous avons perdu nostre Pere et nostre Protecteur. Nous nous consolerons neantmoins sur ce que tu continues de l’estre au Ciel, et que tu as trouvé dans ce sejour de repos, la joye, infinie, dont tu nous as tant parlé. »

Dans l’Oriontagué d’autrefois, aujourd’hui Syracuse, et centre de l’apostolat pacifique du missionnaire, le Le Moyne College, dirigé par les Jésuites américains, rappelle le souvenir et honore la mémoire du grand jésuite français.

Léon Pouliot

JR (Thwaites), passim.— Traduction anglaise d’une lettre de Megapolensis à ses chefs religieux d’Amsterdam, 28 septembre 1658, publiée dans Narratives of New Netherlands (Jameson), 403–405, dans Original narratives (Jameson).— Les lettres de Megapolensis au père Le Moyne que signale, le 15 août 1658, JJ (Laverdière et Casgrain), 239, (JR (Thwaites), XLIV : 105), semblent perdues.— Campbell, Pioneer priests, I : 75–100.— Rochemonteix, Les Jésuites et la N.-F. au XVIIe siècle, I.— II semble que l’étude la plus complète consacrée au père Le Moyne soit celle d’Alexandre M. Stewart, Le Moyne, the peacemaker, dans Annual Diocesan Review (1938), Supplement of the Catholic Courier, newspaper of the Rochester diocese, X (1939) : 4, 6–8, 10–44, 19. L’auteur corrige certaines erreurs de l’ouvrage, par ailleurs remarquable, de Charles Hawley, Early chapters of Seneca History, (Auburn, New York, 1884).

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Léon Pouliot, « LE MOYNE, SIMON », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/le_moyne_simon_1F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1966
Année de la révision:    1986
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