ABBOTT, WILSON RUFFIN, homme d’affaires, né en 1801 à Richmond, Virginie, d’un père irlando-écossais et d’une mère noire affranchie ; décédé le 6 novembre 1876 à Toronto.

Durant sa jeunesse Wilson Ruffin Abbott fut apprenti chez un charpentier, mais il quitta la maison familiale à l’âge de 15 ans pour s’engager comme steward sur un bateau à vapeur du Mississippi. Grièvement blessé par un chargement de bois qui s’était renversé sur lui, il fut soigné par la servante d’un voyageur de Boston, Ellen Toyer, qui allait devenir son épouse. Par la suite il alla s’installer à Mobile (Alabama), où il ouvrit une épicerie. Les Abbott s’indignèrent lorsque la ville exigea de tous les Noirs affranchis qu’ils fournissent un certificat de bonne conduite signé par deux Blancs. En 1834, ayant été prévenu anonymement que son magasin allait être pillé, Wilson Ruffin retira ses économies, mit sa femme et ses deux enfants sur un bateau à vapeur à destination de la Nouvelle-Orléans et s’esquiva seul la nuit où son magasin fut saccagé. Après un bref séjour à New York, les Abbott s’installèrent à Toronto à la fin de 1835 ou au début de 1836, comme des centaines de familles noires américaines qui, à cette époque, venaient chercher une plus grande liberté dans le Haut-Canada.

Abbott commença par être marchand de tabac puis, très vite, devint agent immobilier et se tailla peu à peu une solide réputation dans ce domaine. Ignorant la lecture, du moins jusqu’à ce qu’il l’ait apprise de sa femme, il était toutefois connu pour sa facilité peu commune de réussir des calculs mentaux compliqués. En 1871, Abbott possédait 42 maisons, cinq terrains et un entrepôt, principalement à Toronto, mais aussi à Hamilton et à Owen Sound. Il contribua financièrement à l’affranchissement des esclaves fugitifs, prit la sœur de sa femme, Mary, comme domestique à gages et vint en aide à une autre de ses belles-sœurs, Jane, qui épousa Adolphus H. Judah à Toronto.

Les Abbott s’enrichirent et la famille s’intéressa de plus en plus aux affaires publiques. Abbott servit dans la milice lors de l’insurrection de 1837 ; plus tard, il jouerait un rôle actif dans le Parti réformiste de George Brown. En 1847, il se porta candidat comme conseiller municipal dans le quartier St Patrick, mais perdit les élections au profit de Robert Brittain Denison. Le 25 octobre 1858, il représenta le quartier St John à la réunion de la Municipal Reform Association de la ville et approuva la nomination d’Adam Wilson* comme candidat à la mairie.

Les Abbott consacrèrent une partie de leur énergie et de leur influence à l’amélioration de la condition des Noirs. En 1838, Wilson Ruffin, l’un des six fondateurs de l’Église méthodiste wesleyenne noire, fournit une aide financière à cette dernière pour l’établissement d’un lieu de culte. Il soutint l’Anti-Slavery Society of Canada dirigée par le révérend Michael Willis et siégea à son conseil d’administration. Il se présenta comme un important opposant au Common Schools Act, projet de loi préparé en 1849 par Malcolm Cameron qui proposait de permettre la ségrégation raciale dans les écoles du Canada-Ouest. Dix ans plus tard, son nom figurait dans la liste des membres du conseil d’administration de l’Association for the Education and Elevation of the Coloured People of Canada, au moment où l’organisation demandait son incorporation légale. En 1840, Ellen Abbott contribua à l’organisation de la Queen Victoria Benevolent Society destinée à venir en aide aux Noires indigentes ; plus tard, elle fut très active au sein de l’Église épiscopale méthodiste britannique.

Abbott agit également en qualité de directeur de l’Elgin Association. La colonie d’Elgin (aussi connue sous le nom de Buxton), établie par le ministre presbytérien William King* afin de fournir des terres et un accompagnement religieux aux Noirs qui fuyaient l’esclavage aux États-Unis, était l’une de quatre communautés similaires dans le sud-ouest de la région qui servaient de terminaux au « chemin de fer clandestin » [V. Harriet Ross*]. Abbott assuma une position de chef de file parmi les actionnaires noirs de l’association, qui s’occupait des affaires séculières de la communauté, produisait des rapports annuels et menait des actions de lobbyisme auprès de membres de l’Assemblée législative.

Les Abbott eurent cinq filles et quatre fils dont l’un, Anderson Ruffin*, deviendrait le premier Noir d’origine canadienne à pouvoir exercer la médecine. Par lui, les Abbott seraient liés aux Hubbard, autre famille noire connue de Toronto, et ce fut Anderson qui, se souvenant de la candidature de son père au conseil municipal, poussa William Peyton Hubbard* à se lancer en politique.

Wilson Ruffin Abbott fut l’un des rares Noirs de la fin du xixe siècle à réussir dans les affaires. Toronto et l’Ontario avaient eu une population noire assez considérable, mais celle-ci avait diminué après la guerre de Sécession. Toronto ne comptait alors sans doute guère plus de 2 000 résidents noirs, soit trois fois moins qu’auparavant. À la fin du xixe siècle, les préjugés raciaux s’étaient manifestés de différentes façons dans la province et la plupart des Noirs devaient fréquenter des écoles et des églises séparées. La ville de Toronto fut toutefois moins profondément touchée par ces préjugés : elle n’eut jamais d’écoles séparées, la Knox Presbyterian Church invitait volontiers un prédicateur noir et des Noirs connurent à l’occasion du succès, à tout le moins modeste, dans les affaires. La réussite professionnelle d’Abbott laisse supposer qu’il fut moins souvent victime de ségrégation que d’autres hommes d’affaires noirs de la province, mais son parcours demeure atypique.

Robin W. Winks

MTCL, Hubbard-Abbott collection.— Evening Telegram (Toronto), 17 mai 1911.— Globe (Toronto), 11 déc. 1847.— D. G. Hill, Negroes in Toronto ; a sociological study of a minority group (thèse de ph.d., University of Toronto, 1960).— R. W. Winks, The blacks in Canada ; a history (Montréal, 1971).— D. G. Hill, Negroes in Toronto, 1793–1865, Ont. Hist., LV (1963) : 73–92.

Bibliographie de la version modifiée :
Dans la version originale de cette biographie, nous soulignions que Wilson Ruffin Abbott avait été élu conseiller municipal du quartier St Patrick, comme mentionné dans diverses sources secondaires. Cependant, selon plusieurs articles de journaux contemporains, Abbott perdit les élections de 1847. Nous tenons à remercier Mark Maloney de nous avoir indiqué cette erreur et Karolyn Smardz Frost de nous avoir fourni de l’information sur les sources pertinentes.

Ancestry.com, « Décès de l’Ontario et décès à l’étranger, Ontario, Canada, 1869 à 1948 » : www.ancestry.ca (consulté le 11 févr. 2022).— Bibliothèque et Arch. Canada (Ottawa), R233-35-2, Ontario, dist. Toronto (134), sous-dist. St Patrick Ward (H), div. 1 : 120.— British colonist (Toronto), 14 janv. 1848.— Globe, 12, 14–15 janv. 1848 ; 13 nov. 1849 ; 25 juin 1850 ; 27 févr. 1851 ; 26 oct. 1858 ; 9 nov. 1859.— London Enquirer (London, [Ontario]), 12 janv. 1850.— Documentary history of education in Upper Canada (Hodgins), XIV : 149.— Elgin Assoc., Annual report (Toronto), 1851.

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Robin W. Winks, « ABBOTT, WILSON RUFFIN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 9 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/abbott_wilson_ruffin_10F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1972
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