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BREWSTER, HARLAN CAREY, conserveur de saumon et homme politique, né le 10 novembre 1870 à Harvey, comté d’Albert, Nouveau-Brunswick, fils de Gilbert Brewster et d’Amelia Wells, et neveu de James Edward Wells* ; le 19 décembre 1892, il épousa Annie Lucinda Downie, de Harvey Bank, Nouveau-Brunswick, et ils eurent un fils et trois filles ; décédé le 1er mars 1918 à Calgary.
Harlan Carey Brewster s’initia au « métier de marin » au chantier naval de son père. Il fut aussi apprenti typographe au Weekly Observer de Harvey dans les années 1880 et travailla trois ans au Boston Herald. Obligé d’abandonner la typographie à cause de troubles oculaires, il partit s’installer à Victoria, en Colombie-Britannique. Dès 1899, il était commissaire de bord sur un caboteur à vapeur. Puis, après avoir dirigé les comptoirs de traite de Thomas Earle et, durant une courte période, une conserverie de saumon à la rivière Skeena, il s’établit à Clayoquot, dans l’île Meares, à titre de maître de poste et de tenancier du magasin général de la Clayoquot Fishing and Trading Company Limited. En 1902, il participa à la mise sur pied de la Clayoquot Sound Canning Company Limited, dont il devint directeur et copropriétaire.
Bien connu et estimé sur la côte ouest de l’île de Vancouver, Brewster fut élu député d’Alberni à l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique sous la bannière libérale en février 1907 et fut le seul « libéral bon teint » à remporter un siège en 1909. Au cours de son premier mandat, il s’occupa surtout des questions intéressant sa circonscription ; une fois « chef du Parti libéral à membre unique », il participa à la plupart des débats de l’Assemblée législative. Au cours d’un congrès libéral tenu en mars 1912, il fut choisi à l’unanimité président et chef du parti provincial. Cependant, aux élections générales, quelques semaines plus tard, les libéraux, Brewster compris, subirent une cuisante défaite au profit des conservateurs de Richard McBride. En 1913, une fois son leadership reconfirmé à l’occasion d’un congrès libéral, Brewster se relança dans la bataille et parcourut la province. Il critiqua la mauvaise administration des conservateurs et prôna une série de réformes : nationalisation des chemins de fer, soutien de l’agriculture, interruption de l’immigration japonaise, fin de la dilapidation des richesses de la province, adoption d’une politique foncière favorable aux colons plutôt qu’aux spéculateurs.
Brewster fit campagne à l’occasion de l’élection complémentaire tenue le 4 mars 1916 à Victoria à cause de la démission de McBride, et il promit alors d’autres réformes. Il s’engagea notamment à améliorer les lois sur le travail et l’indemnisation des ouvriers, à tenir des consultations populaires, à instaurer le suffrage féminin et à mettre fin au contrôle exercé par le parti et au favoritisme dans la fonction publique. Réélu à l’Assemblée, il reprocha particulièrement aux conservateurs d’avoir versé sans autorisation des paiements aux entrepreneurs du Pacific Great Eastern Railway et de continuer à faire siéger la Chambre même si, semble-t-il, le mandat de celle-ci était échu. En demandant une enquête judiciaire sur la légalité des lois adoptées après le 14 mars 1916, il se plaça lui-même dans l’embarras, car il semait le doute sur la légitimité d’une Assemblée dans laquelle il continuait de siéger et sur la validité de certaines lois dont, bientôt, il devrait assurer l’application.
Pendant la campagne qui se déroula cet été-là en prévision des élections générales, Brewster ajouta peu de chose à son programme et à ses critiques contre le gouvernement sortant. Pourtant, par suite d’un retournement spectaculaire, les libéraux remportèrent 50 % du suffrage populaire et 36 des 45 sièges. En attendant le décompte officiel du vote des soldats et la démission du premier ministre William John Bowser*, Brewster fit témoigner le commissaire de la fonction publique fédérale Adam Shortt* à propos de la création d’une commission provinciale, confia l’examen des finances de la province à une entreprise comptable, lança l’idée d’une réduction des dépenses et d’une hausse des impôts, et invita les femmes à contribuer à l’assainissement de la vie politique. Premier ministre à compter du 23 novembre, il se considérait comme un « directeur administratif » du gouvernement ; les détails du fonctionnement des départements ne retenaient pas son attention. Son cabinet était solide. Trois membres, John Oliver*, John Duncan MacLean* et Thomas Dufferin Pattullo*, deviendraient aussi premiers ministres provinciaux. Hélas, en nommant procureur général Malcolm Archibald Macdonald, qui avait été accusé d’avoir commis des irrégularités au cours d’une élection complémentaire en février, il s’attira les foudres de la « brigade des mœurs » de Vancouver, ces libéraux qui se donnaient pour mission de réformer la vie politique. À peine une commission royale avait-elle exonéré Macdonald qu’un député libéral d’arrière-ban de Vancouver accusait ce même Macdonald d’avoir accepté des fonds de la Canadian Northern Railway Company au cours de la même élection partielle. Macdonald démentit cette accusation, mais démissionna pour éviter d’autres embarras à Brewster. De graves dissensions subsistèrent cependant au sein de la Vancouver Liberal Association.
Après la mort du ministre des Finances Ralph Smith, le 12 février 1917, Brewster prit ce portefeuille. Pour équilibrer le budget, il sabra dans les sommes allouées aux départements, augmenta les impôts et en instaura de nouveaux. La presse jugea qu’il faisait preuve d’efficacité en recourant à l’imposition plutôt qu’aux emprunts pour augmenter les recettes ; les contribuables, par contre, maugréèrent. Conformément à des promesses faites dans l’opposition, le gouvernement Brewster adopta des lois pour promouvoir l’agriculture et taxer les spéculateurs de concessions forestières. En outre, il créa un département du Travail pour améliorer les relations entre le capital et la main-d’œuvre et les conditions de travail des ouvriers. Brewster chercha également à faire des économies administratives en remplaçant par exemple le vérificateur général par un contrôleur général.
Deux référendums tenus au moment du scrutin général donnèrent lieu à des réformes importantes. Après que l’Assemblée législative eut donné le droit de vote aux femmes, le 5 avril 1917, Brewster présenta l’Equal Guardianship of Infants Act et nomma quelques femmes à des postes de fonctionnaire, dont Helen Emma Gregory* MacGill, qui devint juge au tribunal de la jeunesse. L’entrée en vigueur de la prohibition fut retardée parce qu’il fallut enquêter sur des irrégularités dans le vote des soldats, mais, en août, une fois les accusations prouvées, le Parlement se réunit en session spéciale et adopta la loi sur la prohibition, qui avait obtenu l’aval des électeurs civils et que Brewster prônait depuis longtemps.
Tout compte fait, lorsque vint l’automne, environ 80 projets de loi avaient été présentés. Certains avaient été rédigés ou débattus à la hâte, mais le gouvernement Brewster avait honoré bon nombre des promesses qu’il avait faites dans le discours du trône. Il y avait quand même des problèmes : dissensions dans le caucus et au cabinet, scandales électoraux, enquêtes en cours sur les relations entre l’ancien gouvernement et le Pacific Great Eastern Railway, en difficulté financière. Le chemin de fer était encore en piètre état même si, à la suite d’une tournée d’été dans le district de la rivière de la Paix, Brewster s’était enthousiasmé pour l’extension de la ligne vers le nord. En outre, rien n’avait été fait pour le développement de l’industrie minière. Le gouvernement avait légiféré sur la fonction publique, mais il n’avait pas nommé de commissaire, et le favoritisme régnait toujours, même si le nombre de fonctionnaires conservateurs remplacés n’était pas assez élevé au gré de certains libéraux. Les anciennes lois foncières demeuraient en vigueur, et le cabinet semblait incertain quant aux nouveaux impôts. Enfin, la population était mécontente. À l’occasion des quatre élections complémentaires de janvier 1918, les libéraux ne purent revendiquer qu’une victoire partielle, celle de Mary Ellen Smith [Spear*], veuve de Ralph Smith, qui s’était présentée dans Vancouver comme indépendante avec l’appui des libéraux. Avant le début de la deuxième session, Brewster fit circuler un avant projet de loi visant à éliminer la corruption électorale, mais le discours du trône de février 1918 suscita des réactions diverses.
Aussi absorbé qu’il ait été par les affaires provinciales, Brewster ne pouvait se tenir à l’écart des débats à l’échelle nationale sur la participation du Canada à la Première Guerre mondiale. Il réclama que l’on réquisitionne la main-d’œuvre et le capital. Il appuya la résolution adoptée en août 1917 à Winnipeg au congrès des libéraux de l’Ouest, résolution qui signifiait, croyait-il, « la conscription – si nécessaire ». Néanmoins, il semblait réticent à prendre part à la campagne en faveur d’une participation accrue à la guerre. Son apparente irrésolution et sa peur de susciter des problèmes nuisaient à son image de chef. Il joua un rôle assez mineur dans la politique libérale fédérale. Bien qu’il ait admiré sir Wilfrid Laurier et ait divergé d’opinion avec lui uniquement sur la question de la conscription, il voulait entrer au cabinet de coalition de sir Robert Laird Borden*. Cependant, les conservateurs de l’Ouest s’y opposèrent. Il consacra peu d’énergie à la campagne électorale du gouvernement de coalition à la fin de 1917, mais cette inertie peut s’expliquer aussi bien par la maladie que par sa déception d’avoir été exclu du cabinet.
Brewster s’était rendu à Ottawa pendant la formation du gouvernement de coalition. Il y retourna deux fois pour discuter de l’effort de guerre et de projets d’après-guerre avec ses homologues provinciaux et Borden. Les trois fois, il fit également valoir les intérêts provinciaux. En revenant de la troisième rencontre, il contracta une pneumonie lobaire. On le descendit du train pour le transporter dans un hôpital de Calgary, où il mourut.
Brewster n’étalait pas sa vie privée. Lui-même et sa femme, Annie Lucinda Downie, avaient été actifs à l’église First (Calvary) Baptist. Cette dernière mourut en 1912, trois semaines après avoir donné naissance à leur quatrième enfant. Brewster, dit-on, ne s’en consola jamais. Lorsqu’il mourut, son fils combattait outre-mer, une de ses filles était au collège à Toronto et les deux autres étaient à la maison. Sa succession, estimée à 22 775 $, se composait principalement de la maison familiale et d’actions de la conserverie.
Harlan Carey Brewster, dont la calvitie et la corpulence faisaient la joie des caricaturistes, est l’un des moins connus des premiers ministres de la Colombie-Britannique. L’historienne Margaret A. Ormsby a écrit qu’il « inspirait le respect à tous [en raison de] son intégrité et de son impartialité ». Ce commentaire reflète les sentiments des nécrologues qui notèrent avec délicatesse que son mandat de premier ministre « avait été trop court pour lui permettre de mettre en œuvre les idées qu’il avait en tête ». Ses contemporains le décrivaient comme un « ami fidèle » et le disaient « [du] type de l’homme d’affaires tranquille, accommodant et honnête ». Sa principale contribution à l’histoire de la Colombie-Britannique consista à cristalliser l’opposition au gouvernement McBride-Bowser. Il n’avait pas assez de volonté, de talent ni d’énergie pour s’affirmer en tant que premier ministre. On l’accusait de manquer d’autorité, et la grogne régnait au cabinet, dans le caucus et dans les circonscriptions, Vancouver surtout. Régulièrement, on murmurait que tel ou tel de ses collègues prendrait bientôt la relève. Pourtant, même un journal aussi mal disposé envers lui que le Kamloops Standard-Sentinel ne put trouver « rien qui entachait son nom », que ce soit dans sa vie privée, dans ses relations d’affaires ou dans sa carrière publique. Vu l’époque, l’indocilité de ses collègues et les scandales qui entouraient la politique provinciale, c’était tout un éloge.
H. C. Brewster n’avait auparavant fait l’objet d’aucune biographie et son nom figure rarement dans les ouvrages d’histoire générale. Il subsiste à son sujet certains documents de correspondance officielle dans les papiers des premiers ministres aux BCARS, GR 441, mais il n’existe pas de papiers personnels Brewster. Pour examiner sa carrière, il faut donc consulter la documentation sur d’autres hommes politiques, notamment sir Richard McBride, sir Wilfrid Laurier et sir Robert Borden. Les papiers McBride sont conservés aux BCARS, Add. mss 347, et les papiers Laurier et Borden se trouvent aux AN, MG 26, dans les séries G et H respectivement.
Les débuts de la carrière politique de Brewster en Colombie-Britannique sont relatés dans les journaux de Port Alberni, entre autres dans l’Alberni Pioneer News, le Port Alberni News (le journal qui a pris sa relève), et l’Alberni Advocate. Après que Brewster eut acquis de la notoriété, son nom commença aussi à figurer dans les journaux des plus grands centres urbains. La presse n’était cependant pas impartiale sur le plan politique. Le Victoria Daily Times et le Vancouver Daily Sun étaient d’allégeance libérale ; le Daily Colonist, de Victoria, était fortement conservateur (il faisait référence à ses rivaux libéraux en parlant de « l’organe de McBride »), et le Vancouver Daily Province était indépendant, mais se montrait sympathique envers les conservateurs. [p. e. r.]
Patricia E. Roy, « BREWSTER, HARLAN CAREY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 9 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/brewster_harlan_carey_14F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/brewster_harlan_carey_14F.html |
Auteur de l'article: | Patricia E. Roy |
Titre de l'article: | BREWSTER, HARLAN CAREY |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 9 déc. 2024 |