CHARON DE LA BARRE, FRANÇOIS (baptisé Jean-François, il signait : fs Charon), marchand, fondateur des frères Hospitaliers de la Croix et de Saint-Joseph, ainsi que de l’Hôpital Général de Montréal, né à Québec le 7 septembre 1654 du mariage de Claude Charron* et de Claude Camus (Le Camus), décédé en mer à bord de la flûte du roi le Chameau peu après le 9 juillet 1719.
La mère Jeanne-Françoise Juchereau de Saint-Ignace rapporte que les parents de François Charon l’envoyèrent étudier en France, ce qui expliquerait sa belle calligraphie. Fils d’un riche notable de Québec, il opta pour Montréal, carrefour du commerce des pelleteries, où il devint bailleur de fonds des trafiquants de fourrures. Son père dut l’aider car, peu après le décès de sa mère, au partage des biens de la communauté le 25 octobre 1684, François reconnaissait devoir à son père la somme de 10 000# en argent de France, par une promesse datée du 30 octobre 1683. En août 1683, Charon était l’un des quatre marchands montréalais qui faisaient saisir les fourrures de Cavelier* de La Salle au fort Frontenac. Associé avec Charles Catignon, garde-magasin du roi à Québec, François prospérait. Durant le seul été de 1688, les associés avancèrent au-delà de 40 000# en argent et en marchandises aux détenteurs de congés de traite. Au bas des obligations notariées, on trouve les noms des plus grands trafiquants de l’époque.
Le 4 août 1687, François était élu tuteur des enfants mineurs de son père et de sa deuxième épouse, Élisabeth Damours. Le 27 avril précédent, François avait passé un acte devant le notaire Gilles Rageot* en vertu d’une procuration de son père. Claude Charron serait donc décédé entre ces deux dates.
D’après divers baux, François Charon habita à Montréal dans des maisons louées rue Saint-Paul, et c’est dans celle de Jean-Vincent Philippe de Hautmesnil qu’à l’automne de 1687 il tomba si gravement malade qu’il dut dicter son testament le 26 novembre. Ce testament fut révoqué le 12 mars 1688 ; cette fois, Charon demeurait dans la maison de la veuve Le Moyne [Thierry], sise Place du Marché. Dans son testament, François Charon laissait la plus grande partie de ses biens aux pauvres de la ville et, s’il le révoque, ce n’est pas pour les frustrer, mais pour les secourir plus efficacement. Il semble que, face à la mort, la vie lui était apparue dans une optique nouvelle. Revenu à la santé, il résolut de suivre désormais les conseils évangéliques par l’exercice de la charité. Dans cet état d’esprit, il voulut fonder une maison de charité à Montréal pour les vieillards nécessiteux.
L’esprit de religion qui avait présidé à la fondation de Ville-Marie y était encore vivace. Les frères Pierre Le Ber et Jean-Vincent Le Ber Du Chesne ainsi que Jean Fredin se joignirent à Charon pour la réalisation de son pieux projet qui, solidement appuyé sur la fortune et l’honnêteté des associés, inspira confiance aux Montréalais. Ces derniers se montrèrent généreux en donations, legs, rentes et prêts avantageux. Les bienfaits de la maison de charité étaient si évidents que M. Dollier de Casson, représentant des seigneurs de l’île de Montréal, concéda aux associés, dès le 28 octobre 1688, neuf arpents de terre à la Pointe-à-Callières. Le but des associés est clairement énoncé dans le contrat de concession – « s’unir pour fonder un hôpital d’hommes en ce lieu, et [...] faire un établissement pour cela d’une espèce de Frères de la Charité ». Le 3 octobre 1689, Charon dissout sa société avec Charles Catignon et se démet de la tutelle de son frère consanguin, le 25 mai 1691, afin de se consacrer plus librement à la construction de son hospice. Il obtient du Conseil souverain, le 31 août 1692, l’autorisation de commencer les travaux. Dès le 17 octobre de la même année, devant le notaire Antoine Adhémar, Charon signe un premier contrat avec Jean Tessier dit Lavigne, pour que ce dernier lui fournisse la chaux, à 60 sous la barrique, la pierre de taille et coings nécessaires à la construction du bâtiment.
Bientôt on vit s’élever, hors les murs de la ville, un bel édifice de pierre à trois étages au toit d’ardoise – le futur Hôpital Général – mesurant 90 pieds de front sur 30 de profondeur, flanqué de deux ailes de 30 pieds chacune. Il contenait 24 chambres, outre les offices. La sœur Marie Morin, annaliste de l’Hôtel-Dieu, écrit qu’il « surpasse déjà tous les autres en grandeur de logement ». Le 1er juin 1694, on accueille le premier nécessiteux, Pierre Chevalier, un homme ayant des problèmes de santé mentale et âgé de 40 ans environ.
Le recrutement des frères Hospitaliers se fit tant bien que mal, malgré la mort de Jean-Vincent Le Ber Du Chesne, tué par une flèche iroquoise (haudenosaunee) le 31 août 1691. Ce dernier avait légué sa succession de la Pointe Saint-Charles aux associés. Quand Jean Fredin passa en France en 1700, pour ne plus en revenir, les fondateurs furent réduits à deux. Mais déjà quelques recrues s’étaient jointes à ce noyau et, dès le 2 octobre 1694, Mgr de Saint-Vallier [La Croix] leur accordait la permission de vivre en communauté, de faire les fonctions d’hospitaliers, d’élever un petit clocher pour sonner les observances, de faire dire la messe et de garder le saint Sacrement. Muni des autorisations locales, Charon sollicita la sanction royale sans laquelle aucun établissement n’était viable en Nouvelle-France. Les lettres Patentes signées de Louis XIV le 15 avril 1694 stipulent que « cette Maison de Charité est autorisée pour y recevoir les pauvres enfants orphelins, [les] estropiés, vieillards, infirmes et autres nécessiteux de leur sexe [...] pour apprendre des métiers aux dits enfants et leur donner la meilleure éducation que faire se pourra, le tout sous la juridiction des chefs de la colonie ». Dans leur lettre commune du 20 octobre 1699, Louis-Hector de Callière et Jean Bochart de Champigny, respectivement gouverneur et intendant de la Nouvelle-France, écrivent : « Une Maison qui sera fort utile à la colonie est celle des Frères Hospitaliers établis à Montréal. Elle n’a encore rien coûté au pays, cependant elle fait beaucoup de bien. Il y a une salle remplie de pauvres Ils y sont bien soignés ».
Mgr de Laval écrivant en 1699 à l’abbé Tremblay* à Paris dit : « Rendez à M. Charon tous les services comme aux missionnaires même. C’est un véritable serviteur de Dieu ». Charon venait en effet de prêter deux de ses frères aux missionnaires du séminaire de Québec pour leurs missions des Tamarois. L’un d’entre eux, le frère Alexandre Turpin, y demeura durant deux ans, et François de Montigny* fit ainsi son éloge : « le frère alexandre, hospitalier de Montréal, qui nous avoit accompagné dans ce voyage et qui dans toute La route nous avoit édifié par sa bonne conduite et principalement par sa charité envers nos malades, y estant allé Le baptiza sans aucune difficulté La mere n’ayant aucune peur de Luy ». Les femmes autochtones se sauvaient à l’approche des robes noires de sorte que les prêtres ne pouvaient administrer le baptême aux enfants moribonds. Le frère Alexandre se substitua au missionnaire en cette occasion et peut-être en d’autres aussi.
L’œuvre de Charon reçut aussi l’encouragement de Louis XIV. En effet, le 5 mai 1700, le roi accorda une gratification annuelle de 1 000# pour l’œuvre de l’Hôpital Général de Montréal. Mgr de Saint-Vallier délégua alors son grand vicaire, Joseph de La Colombière, pour établir les associés en communauté religieuse selon les règles canoniques. La communauté des frères Hospitaliers de la Croix et de saint Joseph acquérait ainsi une existence officielle. Notons que les documents émanant de la cour ne la désignent pas autrement que comme les Hospitaliers de Montréal ou les associés de Charon. Le peuple disait : les frères Charon.
Le 25 avril 1701, les frères revêtirent un habit uniforme que les constitutions décrivent ainsi : « Les habits des frères sont simples et modestes à peu près comme la soutanelle des ecclésiastiques. La veste, les culottes et les bas seront de couleur noire aussi bien que l’habit. Les frères profès seront distingués des novices par une croix de laine qu’ils porteront sur la poitrine par-dessus leur habit et [qui] leur descendra sur la poitrine par-dessus la veste. Les rabats et manchettes pourront être de batiste pourvu qu’elle ne soit pas de trop grand prix ». Le 17 mai 1702, six frères, François Charon en tête, émettaient les vœux simples temporaires de religion, selon la règle de saint Augustin, entre les mains de Joseph de La Colombière assisté de François Vachon de Belmont. Cependant, Pierre Le Ber ne voulut pas prononcer de vœux ni porter l’habit uniforme quoiqu’il continuât d’habiter la maison jusqu’à sa mort, survenue le 11 mars 1707.
François Charon avait franchi toutes les étapes de sa fondation assez aisément, mais dès qu’il voulut en faire une communauté religieuse il se heurta à maintes difficultés, surtout à l’opposition du roi. Dans une lettre datée du 30 juin 1707, Pontchartrain [Jérôme Phélypeaux] indiqua clairement les défenses du roi, déjà exprimées dans plusieurs lettres depuis 1700. Louis XIV défendait aux frères de faire des vœux de religion, de porter un habit uniforme, et de s’appeler frères. Cette défense de faire des vœux de religion mina l’enthousiasme ; certains frères quittèrent la communauté et nul ne se présentait pour combler les vides. Aucun maître en spiritualité ne voulut assumer la responsabilité de mouler ces bonnes volontés en un corps unifié. Charon, qui avait été réélu supérieur en 1704, le comprenait bien puisqu’il tenta, mais vainement, d’unir sa communauté à celle de Saint-Sulpice ou au séminaire de Québec. Le 6 juin 1708, le roi réitéra ses ordres, mais Charon de La Barre s’était déjà embarqué pour la France à l’automne de 1707 pour plaider sa cause auprès de la cour. François-Madeleine-Fortuné Ruette d’Auteuil, ancien procureur du Conseil souverain de Québec, prétend, dans son mémoire de 1712, que Charon faisait encore antichambre chez le ministre : « Charon, homme d’esprit, capable de bien observer tout et de donner de bons mémoires, languit à Paris depuis cinq ans à solliciter en vain la permission de retourner en Canada soutenir son établissement qui achève de tomber ».
En conformité avec les lettres patentes de fondation qui enjoignaient d’enseigner des métiers aux orphelins, et après s’être assuré des lettres patentes particulières à cette fin, datées du 30 mai 1699, Charon fit plusieurs tentatives de créer quelques petites industries. Il avait installé trois métiers à l’Hôpital Général et, en 1719, lors de son dernier voyage en France, il engagea « les sieurs Darles et Souste, ouvriers et fabricants de bas de soie et laine » pour l’établissement d’une manufacture. Il fit une autre tentative, celle d’établir une brasserie. Cette opération lucrative devint bientôt source d’ennuis et même, occasionnellement, de désordres. Ayant perdu grains et bière faute de mouture appropriée, il décida de se construire un moulin sur le terrain de l’hôpital. L’exploitation des moulins étant le privilège exclusif des seigneurs, il s’ensuivit à partir du 14 février 1705 des démêlés obstinément longs entre les Sulpiciens, seigneurs de l’île de Montréal, et les hospitaliers. Charon de La Barre menait de front toutes ces tentatives. En 1700, il avait demandé la permission d’ouvrir un hôpital pour les malades au poste du Détroit que Cadillac [Laumet] se proposait d’établir. La cour avait repoussé le projet sur un rapport du sieur Clairambault d’Aigremont.
Charon, enfin, voulut réaliser plus que ne requéraient les lettres patentes du 15 avril 1694. Il y avait déjà une école primaire à l’Hôpital Général, mais Charon essayait en vain, depuis 1708 environ, d’étendre l’enseignement dans les campagnes. Ce n’est qu’en 1717 que Bégon* endossa cette initiative et que Charon passa en France pour obtenir l’approbation royale. Au printemps de 1718, muni de ses lettres patentes, Charon revint au pays avec six maîtres d’école. Le roi lui accordait une gratification annuelle de 3 000# à la condition expresse qu’on entretînt au moins six maîtres pour l’enseignement gratuit aux garçons dans les campagnes. Les maîtres d’école si péniblement recrutés ici et là en France, une fois rendus au Canada, ne persévéraient pas longtemps dans l’enseignement. Le tenace Charon entreprit en 1719 une autre tournée de recrutement en terre française. Il revenait avec six autres maîtres d’école à bord du Chameau, lorsque la mort le surprit le dix-septième jour de la traversée. Pour exécuter son testament, dicté le 9 juillet 1719 à une heure de relevée au sieur de Saint-Eugène, greffier du roi, il avait nommé Louis Turc* de Castelveyre, l’un des six maîtres d’école.
Plus tôt, le 2 février 1710, dans un acte solennel, François Charon avait abandonné aux pauvres de l’Hôpital Général toutes les sommes d’argent qu’il avait personnellement payées pour la construction de l’hôpital, dont la chapelle seule avait coûté 49 414#. Il avait doté Montréal de son premier hospice pour vieillards au coût total de 23 010. Mgr de Saint-Vallier, déplorant sa perte, écrit : « ce qui nous console tous c’est que sa mort a été aussi sainte que sa vie ». À Montréal, des prières publiques marquèrent ce deuil.
Mgr de Saint-Vallier, croyant entrer dans les vues du fondateur, nomma Louis Turc (qui prit le nom en religion de frère Chrétien) supérieur de la communauté qui ne se composait alors que de cinq hospitaliers de la première heure quoique l’on en eût admis 22 depuis le début. Avant de prendre possession de sa charge, frère Chrétien fit dresser un inventaire des biens de la communauté par le notaire Antoine Adhémar le 25 octobre 1719.
Cependant, frère Chrétien n’avait pas le sens des affaires que possédait François Charon et, durant son administration, de 1720 à 1735, la communauté connut des déboires. En 1731, faute de maître d’école, le roi retira aux Hospitaliers la gratification annuelle de 3 000#, et Mgr Pierre-Herman Dosquet* interdit aux frères de recevoir d’autres sujets. De plus, à la suite d’un procès de cinq ans, ils furent obligés de payer à leurs créanciers la somme de 24 400# 19s. 10d. Cette dette, ajoutée à celles déjà considérables de l’hôpital, avança la ruine de la communauté. Le jugement rendu en avril 1735 reconnut la probité du frère Chrétien, mais aussi sa déplorable incompétence. En 1747, il ne restait à l’hospice que trois frères octogénaires qui suppliaient les gouvernants de les décharger de l’administration de ce vaste édifice délabré et du soin de quatre vieillards. L’œuvre hospitalière de François Charon avait duré 53 ans lorsqu’elle passa aux mains habiles de Mme d’Youville [Dufrost*].
AJM, Greffe d’Antoine Adhémar, passim ; Greffe de Bénigne Basset, 26 nov. 1687, 3 oct. 1689 ; Greffe de Pierre Raimbault, passim.— AN, Col., B, 29, ff.194, 374 ; Col., B, 40 ; Col., C11A, 39, ff.391, 393 ; Col., C11A, 40, f.23 ; Col., C11A, 41, f.170 ; Col., C11A, 82 ; Col., F3, 7, f.1.— ANDQ, Registres des baptêmes, mariages et sépultures, 9 sept. 1654.— ASGM, Concession par M. Dollier de Casson à M. Charon, 28 oct. 1688 ; Constitution pour les frères Hospitaliers de la Croix et de Saint-Joseph, observantins de la règle de saint Augustin ; Lettres patentes de confirmation de l’Hôpital Général de Montréal et Maîtres d’école, 1er févr. 1718 ; Lettres patentes pour l’établissement d’un hôpital à Ville-Marie dans l’île de Montréal, 15 avril 1694 ; Lettres patentes pour l’établissement des manufactures d’arts et métiers à l’Hôpital Général de Montréal, 30 mai 1699 ; Registre de l’admission des pauvres et des sépultures ; Registre des vêtures, professions, sépultures et visites canoniques des frères Hospitaliers, 1701–1748 ; Testament de frère Charon de La Barre, 9 juill. 1719.— ASQ, Fonds Verreau, Ma Saberdache ; Lettres, R, 41–73.— Juchereau, Annales (Jamet), passim.— Lettres et mémoires de Ruette d’Auteuil, RAPQ, 1922–23 : 1–114.— É.-Z. Massicotte, Inventaire des documents et des imprimés concernant la communauté des frères Charon et l’Hôpital Général de Montréal sous le régime français, RAPQ, 1923–24 : 163–201.— [Étienne-Michel Faillon], Vie de Mme d’Youville, fondatrice des Sœurs de la Charité de Villemarie dans l’Île de Montréal en Canada (Ville-Marie [Montréal], 1852).— Gosselin, L’Église du Canada.— Camille Bertrand, Histoire de Montréal (2 vol., Paris et Montréal, 1935, 1942).
en collaboration avec Albertine Ferland-Angers, « CHARON DE LA BARRE, FRANÇOIS (fs Charon) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 10 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/charon_de_la_barre_francois_2F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/charon_de_la_barre_francois_2F.html |
Auteur de l'article: | en collaboration avec Albertine Ferland-Angers |
Titre de l'article: | CHARON DE LA BARRE, FRANÇOIS (fs Charon) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1969 |
Année de la révision: | 2024 |
Date de consultation: | 10 oct. 2024 |