MARGANE DE LAVALTRIE, PIERRE-PAUL, officier dans l’armée et dans la milice, seigneur, fonctionnaire et homme politique, né le 13 août 1743 à Montréal, fils de Pierre-Paul Margane de Lavaltrie et de Louise-Charlotte d’Ailleboust d’Argenteuil ; décédé le 10 septembre 1810 à Lavaltrie, Bas-Canada.
Pierre-Paul Margane de Lavaltrie appartenait à une famille de militaires. Son grand-père, Séraphin Margane de Lavaltrie, était venu en Nouvelle-France en 1665 avec le régiment de Carignan-Salières et son père fit carrière dans les troupes de la Marine, atteignant le grade de capitaine et devenant chevalier de Saint-Louis. Pierre-Paul étudia probablement pendant quelque temps à Montréal avant d’être admis, à l’âge de 13 ans, comme cadet dans les troupes de la Marine. Le 25 juillet 1758, il fut promu lieutenant dans le régiment du Languedoc. L’année suivante, il prit part à la bataille des plaines d’Abraham et, après la capitulation de Montréal, le 8 septembre 1760, il suivit son régiment en France.
À la demande de son père, dont il était l’unique fils, Lavaltrie revint au Canada après avoir servi pendant quelques années dans l’armée française. À son arrivée, en septembre 1765, il fut reçu assez froidement par le gouverneur Murray* qui soupçonnait les officiers de l’armée française rentrant au Canada d’être autant d’espions à la solde de la cour de France.
La mort de son père, survenue le 1er janvier 1766, ne fut sans doute pas étrangère à la décision prise par Lavaltrie de s’établir au Canada plutôt que de retourner en France poursuivre une carrière militaire déjà bien amorcée. Héritier de la seigneurie de Lavaltrie, il assista, le 21 février suivant, à la réunion des seigneurs du district de Montréal convoquée par le gouverneur et son conseil, réunion qui attisa l’ire des marchands britanniques de Montréal contre Murray. Un mois plus tard, à Terrebonne, Lavaltrie épousa Marie-Angélique de La Corne, fille de Louis de La Corne, dit La Corne l’aîné, et d’Élisabeth de Ramezay, s’alliant par le fait même à d’importantes familles de la noblesse canadienne. À l’automne de 1769, il fit construire un manoir à Lavaltrie, où il alla s’établir à demeure. Il se consacra dès lors à la mise en valeur de sa seigneurie, y faisant notamment ériger une scierie et obtenant l’accord de ses censitaires pour la construction d’une église.
Lors de l’invasion de la province de Québec par les Américains en 1775 [V. Benedict Arnold ; Richard Montgomery*], Lavaltrie se porta à la défense du fort Saint-Jean, sur le Richelieu, comme bon nombre d’autres seigneurs. Le gouverneur Guy Carleton songea à lui confier la tâche de lever un corps de Canadiens pour assurer la défense de Montréal, mais la capitulation du fort Saint-Jean, au début de novembre 1775, incita Carleton à se replier plutôt sur Québec. Pour échapper aux Américains lancés à sa poursuite, le gouverneur dut recourir à un déguisement ; il put ainsi gagner Québec grâce notamment au concours de Lavaltrie. Le printemps suivant, ce dernier contribua indirectement au succès des troupes britanniques assemblées à Oswegatchie (Ogdensburg, New York) en leur faisant parvenir des munitions et des provisions. Mis au courant, les Américains tentèrent de le faire arrêter ; il dut se réfugier à Québec où il se joignit à l’armée et servit jusqu’à la retraite des envahisseurs.
À la fin des hostilités, Lavaltrie regagna sa seigneurie. Des héritages provenant de sa propre famille et de celle de son épouse lui conférèrent des droits de propriété totaux ou partiels sur les seigneuries de Terrebonne, d’Argenteuil et de Monnoir, appelée aussi Ramezay, mais il préféra s’en départir pour se consacrer exclusivement â la mise en valeur de la seigneurie de Lavaltrie.
Bien qu’il eût signé, en 1788, une pétition au roi pour s’opposer à tout changement constitutionnel, Lavaltrie ne s’en porta pas moins candidat dans la circonscription de Warwick à l’été de 1792, lors des premières élections à la chambre d’Assemblée du Bas-Canada. Le soir de sa victoire, il déclara à ses électeurs, qui étaient aussi ses censitaires : « Mes chers enfants [...] je vous abandonne les lods et ventes, le droit de retrait, les journées de corvées, le May, etc., etc., et je vous en donnerai un acte passé par devant notaire quand vous voudrez. » Il concrétisa cette promesse dès la semaine suivante, geste inusité de la part d’un seigneur à cette époque.
Lavaltrie joua toutefois un rôle effacé à titre de député. Au début de la première session, il appuya le choix de Jean-Antoine Panet comme président de l’Assemblée et il s’opposa à ce que seul le texte anglais des lois et des débats parlementaires fût légalement reconnu, à l’instar de la majorité des députés d’origine canadienne. Mais il ne siégea plus par la suite et ne se représenta pas aux élections suivantes, en 1796, cédant la place à son gendre Charles-Gaspard Tarieu de Lanaudière qui fut d’ailleurs élu.
L’absentéisme de Lavaltrie à l’Assemblée peut sans doute s’expliquer par l’attitude de son adversaire défait aux élections de juin 1792, James Cuthbert*. Ce dernier tenta pendant plusieurs années de faire invalider l’élection de Lavaltrie, prétextant que celui-ci ne pouvait être élu puisqu’il n’était pas sujet britannique. En acceptant de donner suite à une telle demande, les autorités auraient pu être amenées â invalider non seulement l’élection de Lavaltrie, mais aussi celle d’autres Canadiens. Cuthbert alla même jusqu’à insinuer que Lavaltrie n’était pas loyal envers la couronne britannique, car il aurait refusé de prêter le serment d’usage lors de sa nomination comme juge de paix en 1788. Les allégations de Cuthbert ne semblent cependant pas avoir ému outre mesure les autorités tant métropolitaines que coloniales, puisque Lavaltrie obtint le grade de colonel de milice le 13 mai 1794. En outre, il vit sa commission de juge de paix renouvelée en 1799, et le gouverneur sir Robert Shore Milnes* lui octroya en juin 1803, selon le système des chefs et associés de canton [V. James Caldwell], 11 486 acres de terre dans le canton de Kildare, situé au nord de la seigneurie de Lavaltrie.
Pierre-Paul Margane de Lavaltrie s’éteignit à son manoir le 10 septembre 1810 et fut inhumé, trois jours plus tard, sous son banc dans l’église de Lavaltrie. Ses biens passèrent, par l’entremise de son unique fille, Suzanne-Antoinette, dans la famille Lanaudière. Les efforts qu’il avait déployés pour développer son domaine avaient porté fruit. Lorsqu’il était devenu seigneur, la population de Lavaltrie ne se chiffrait qu’à 327 âmes ; mais vers 1810, elle avait grimpé à plus d’un millier d’habitants et celle de la paroisse Saint-Paul, fondée au milieu des années 1780, en comptait plus de 2 500. Dotée d’un très bon réseau routier, la seigneurie produisait alors du blé et d’autres céréales ainsi que du foin en abondance ; elle recelait aussi une des forêts du Bas-Canada les plus riches en différents bois de construction. Dès 1794, l’évêque anglican Jacob Mountain* avait noté dans son journal : « La Valtrie est la plus belle seigneurie entre Québec et Montréal. »
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Pierre Dufour et Gérard Goyer, « MARGANE DE LAVALTRIE, PIERRE-PAUL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/margane_de_lavaltrie_pierre_paul_5F.html.
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Auteur de l'article: | Pierre Dufour et Gérard Goyer |
Titre de l'article: | MARGANE DE LAVALTRIE, PIERRE-PAUL |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 1 nov. 2024 |