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Barrett, John Kelly, enseignant, fonctionnaire et rédacteur en chef, né le 6 juin 1850 à Hamilton, Haut-Canada, fils de Charles Barrett et de Bridget Kelly ; le 17 mai 1875, il épousa dans la même ville Sarah Maria O’Brien (décédée en 1929), et ils eurent au moins huit enfants ; décédé le 1er octobre 1938 à San Diego, Californie.
Élevé à Hamilton dans une famille irlando-catholique conservatrice, John Kelly Barrett fit ses études primaires à l’école publique locale, où il reçut un certificat de première classe. Il enseigna quelque temps, puis fréquenta le Holy Cross College de Worcester, au Massachusetts. Peu après l’obtention de son diplôme en 1872, on le nomma directeur de la St Mary’s Model School, dans sa ville natale.
L’année suivante, le département fédéral du Revenu de l’intérieur à Hamilton engagea Barrett comme percepteur, ce qui marqua le début d’une longue carrière dans la fonction publique. Muté à Belleville en septembre 1876, il y travailla en qualité de comptable. Deux années plus tard, on le promut agent de recouvrement adjoint à St Catharines, où il servit aussi localement à titre d’administrateur en chef et inspecteur des écoles publiques. En 1885, il s’installa avec les siens à Winnipeg. Il y avait accepté un poste d’inspecteur et prit en charge la région qui s’étendait de Port Arthur (Thunder Bay, Ontario) jusqu’à la Colombie-Britannique. La famille Barrett passait ses étés à Rat Portage (Kenora, Ontario).
Fervent catholique, Barrett s’établit et joua un rôle actif à Sainte-Marie, paroisse pour les catholiques anglophones, la plupart d’origine irlandaise et natifs de l’Ontario. Il devint membre de l’Association catholique de bienfaisance mutuelle, de la section catholique du bureau d’Éducation de Manitoba et des Chevaliers de Colomb. Il représenta le collège de Saint-Boniface au conseil d’administration de l’université de Manitoba ; ses filles reçurent une instruction catholique à l’académie Sainte-Marie.
Barrett travailla étroitement avec l’archevêque francophone de Saint-Boniface, Alexandre-Antonin Taché*, qui le recruta en 1890 pour remplacer Nicholas Du Bois Dominic Beck* à titre de rédacteur en chef et directeur général du Northwest Review, hebdomadaire catholique de langue anglaise publié à Winnipeg. Lewis Henry Drummond* lui succéderait environ deux ans plus tard comme rédacteur en chef, mais Barrett demeurerait directeur général jusqu’en 1894 et continuerait de rédiger des articles. Dans sa jeune carrière, il profita de l’influence grandissante des colons irlando-catholiques de l’Ontario dans la presse et en politique. On voyait rarement un fonctionnaire occuper une telle position. Le « journalisme militant » de Barrett – comme on le décrirait dans sa nécrologie parue dans le Northwest Review – provoqua une certaine controverse parmi les lecteurs. Les critiques le menèrent à regretter, dans une lettre de 1893 écrite à Taché, de ne pas être « plus patient et diplomate ». Même s’il avait la réputation d’être un bon administrateur, Barrett crut souvent, au cours de sa carrière, que les obstacles rencontrés provenaient de préjugés contre les catholiques et d’antipathie à son égard.
En 1890, le gouvernement libéral de Thomas Greenway* au Manitoba avait dissous le double système d’enseignement catholique et protestant en faveur d’une seule et nouvelle organisation des écoles publiques, et retiré au français son statut de langue officielle. Le changement démographique observé au Manitoba avait grandement influencé ces décisions. En 1870, année de création de la province, il y avait à peu près autant de protestants que de catholiques et autant d’anglophones que de francophones. Cependant, des colons protestants de langue anglaise, ontariens pour la plupart, vinrent s’y établir en masse ; selon le recensement de 1891, les catholiques ne représentaient plus que 13 % de la population et les Canadiens français, un maigre 7 %. Barrett et beaucoup d’autres paroissiens de Sainte-Marie, venus aussi de l’Ontario, étaient toutefois davantage marqués par leur expérience d’Irlandais catholiques dans une province où régnait souvent un grand sentiment d’hostilité à leur égard. Ils formaient un petit groupe au sein d’une minorité religieuse au Manitoba, où l’on associait fréquemment le catholicisme aux origines françaises.
Les pétitions et les lettres d’évêques et de catholiques laïques ne parvinrent pas à faire rétablir les lois sur les écoles ou l’usage du français. La population catholique francophone se concentrait le long de la rivière Rouge et prédominait dans les districts scolaires du secteur. Une grande partie des écoles de langue française décidèrent de rejoindre le nouveau système d’enseignement public non confessionnel pour échapper à la privatisation ; des francophones continuèrent de diriger ces établissements, qui offraient quelques cours de religion après les heures de classe. Les catholiques anglophones de la province étaient néanmoins dispersés dans des régions où les protestants formaient la majorité ; l’académie Sainte-Marie, qui accueillait les catholiques de langue anglaise de Winnipeg, devint une école privée. Cette situation mena Barrett à contester la loi sur les écoles dans le procès type Barrett c. la ville de Winnipeg, représentée en partie par Joseph Martin*, procureur général du Manitoba. Barrett soutenait que la nouvelle loi provinciale, sur laquelle se basaient les règlements municipaux de Winnipeg concernant les taxes scolaires, violait son droit aux écoles confessionnelles, garanti par le paragraphe 1 de l’article 22 de l’Acte du Manitoba. La loi l’obligeait à contribuer financièrement aux écoles publiques et privées afin de pouvoir offrir à ses enfants une éducation qu’il estimait convenable en tant que pieux catholique. Dans cette affaire, l’archevêque Taché déclara sous serment que l’enseignement religieux devait imprégner toutes les autres matières.
Barrett vit sa demande rejetée en 1890 par le juge Albert Clements Killam*, puis une autre fois au début de l’année suivante par la Cour d’appel du Manitoba, où seul Joseph Dubuc* exprima son désaccord. À ces deux occasions, les juges affirmèrent que les droits religieux de Barrett n’avaient pas été bafoués puisque la fréquentation d’une école publique n’était pas obligatoire et qu’il demeurait libre de financer des écoles privées confessionnelles et d’y envoyer ses enfants. La Cour suprême du Canada entendit son appel les 27 et 29 mai.
La cause suscita un intérêt national et la population fit pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il intervienne. Préférant laisser les tribunaux trancher cette question plutôt que de révoquer la loi lui-même, ce qui aurait entraîné des conséquences politiques, le gouvernement conservateur de sir John Alexander Macdonald* promit à Barrett de payer ses frais juridiques. Le 28 octobre 1891, la Cour suprême, présidée par le juge en chef sir William Johnston Ritchie*, conclut à l’unanimité que la loi brimait les droits garantis à Barrett par l’Acte du Manitoba. On porta ensuite l’affaire devant le comité judiciaire du Conseil privé en Angleterre. Dans un effort pour miner la poursuite de Barrett, le procureur général du Manitoba, Clifford Sifton*, organisa une contestation anglicane de la loi (Logan c. la ville de Winnipeg) [V. Robert Machray*]. Le comité judiciaire du Conseil privé entendit conjointement les deux causes et, le 30 juillet 1892, se rangea du côté de la province en proclamant que la loi porterait atteinte aux droits et privilèges religieux seulement si on obligeait les enfants à fréquenter l’école publique.
Au début de 1893, la minorité catholique du Manitoba lança une autre contestation judiciaire, connue sous le nom de Brophy et al. c. le procureur général du Manitoba [V. Sifton]. Le comité judiciaire du Conseil privé entendit la cause au début de 1895 et déclara que le gouvernement fédéral, s’il le désirait, pouvait invalider la loi abolissant le système d’écoles confessionnelles. La question des écoles du Manitoba, comme on la nommerait, constitua l’enjeu majeur des élections fédérales de juin 1896. Le chef libéral Wilfrid Laurier* se présenta avec succès à titre de défenseur des droits des provinces et des minorités, ce qui l’aida à former un gouvernement majoritaire. Dans les mois suivants, il conclut avec Greenway, premier ministre du Manitoba nouvellement réélu, ce que l’on désignerait le compromis Laurier-Greenway. L’accord prévoyait 30 minutes d’enseignement religieux à la fin de la journée scolaire et permettait l’embauche d’un enseignant catholique dans les écoles urbaines de plus de 40 élèves catholiques et dans les écoles rurales en comptant au moins 25. Dans les endroits où dix élèves ou plus utilisaient une langue maternelle autre que l’anglais, ceux-ci pouvaient recevoir une instruction « en français ou [dans une] autre langue et en anglais, selon le système bilingue ».
Lié au parti conservateur dans sa jeunesse, Barrett devint un fervent partisan de Laurier et des libéraux. En 1903, ce dernier le récompensa en lui confiant l’inspectorat des malteries et des brasseries du dominion. En 1912, des rumeurs selon lesquelles le premier ministre conservateur Robert Laird Borden le nommerait sous-ministre du Revenu de l’intérieur circuleraient, mais s’avéreraient infondées.
En 1910, la plupart des catholiques anglophones étaient prêts à accepter le système des écoles publiques à condition qu’on le place sur le même pied d’égalité que ceux des nouvelles provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan, bien que l’archevêque de Saint-Boniface, Adélard Langevin*, ardent défenseur de l’enseignement catholique, s’y opposât.
Barrett et Langevin divergeaient fortement sur maintes questions. Langevin accusait Barrett de critiquer ouvertement ses supérieurs ecclésiastiques, de refuser de contribuer à la nouvelle académie Sainte-Marie et d’insulter le comité d’école à l’église. En 1907, Barrett se joignit à plusieurs autres paroissiens de Sainte-Marie pour demander à Langevin un prêtre anglophone à l’église ainsi qu’une nouvelle paroisse de langue anglaise dans le district de Fort Rouge à Winnipeg. Il souhaitait également un évêque anglophone. Sa querelle avec Langevin devint de plus en plus personnelle : l’évêque vilipenda Barrett sur sa vie de famille, et ce dernier exprima publiquement ses opinions négatives sur l’archevêque. Après la mort de Langevin en 1915, le Vatican scinda l’archidiocèse de Saint-Boniface pour créer, sur la rive ouest de la rivière Rouge, l’archidiocèse de Winnipeg. Barrett figura parmi les dignitaires qui saluèrent l’arrivée du premier archevêque du nouvel archidiocèse, Alfred Arthur Sinnott*. En 1916, le gouvernement libéral de Tobias Crawford Norris abrogea la disposition permettant aux écoles publiques du Manitoba d’offrir un enseignement bilingue.
Barrett et de nombreux autres catholiques de langue anglaise de Winnipeg voulaient la création d’un collège catholique à prédominance anglophone, relié au campus de l’université de Manitoba. Ils considéraient que l’enseignement donné au collège de Saint-Boniface, qui menaçait de se retirer de l’université, ne répondait pas aux besoins de leurs enfants. En 1911, frustré par l’inaction dans ce dossier, Barrett quitta son poste de représentant du collège au conseil universitaire. Le St Paul’s College, établissement de langue anglaise, ouvrit ses portes en 1926 et s’affilia à l’université cinq ans plus tard.
John Kelly Barrett prit sa retraite de la fonction publique en 1917, sous les pressions de la « clique nationaliste » à Ottawa, comme il l’expliquerait dans une lettre à Laurier. En 1892, pour sa défense notoire du droit à un enseignement catholique, Barrett avait reçu des doctorats honorifiques en droit du collège d’Ottawa et de son alma mater, le Holy Cross College. En 1920, le Vatican lui octroya le titre de chevalier de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand. Plus tard dans l’année, Barrett partit vivre en Californie où, au début du xxe siècle, sa femme et leurs enfants avaient passé leurs hivers pour des raisons de santé. Il mourut à San Diego en 1938.
BAC, R5240-0-1 ; R10383-0-6 ; R10811-0-X ; R11336-0-7 ; R14424-0-3.— Centre du Patrimoine (Winnipeg), 0075 (Corporation archiépiscopale catholique romaine de Saint-Boniface), Corr. de J. K. Barrett avec Alexandre Taché et Adélard Langevin.— Manitoba Free Press, 21 oct. 1891, 22 déc. 1902, 15 déc. 1910, 13 avril 1911, 25 déc. 1916, 19 mars 1920.— Northwest Rev. (Winnipeg), 6 juill. 1912, 18 déc. 1920, 20 oct. 1938.— Winnipeg Telegram, 29 juin 1912.— Gordon Bale, « Law, politics and the Manitoba school question : Supreme Court and Privy Council », Canadian Bar Rev. (Ottawa), 63 (1985) : 461–518.— Claude Bélanger, « Quebecers, the Roman Catholic Church and the Manitoba school question : a chronology » : faculty.marianopolis.edu/c.belanger/quebechistory/chronos/manitoba.pdf (consulté le 23 janv. 2019).— Canada, Chambre des communes, Doc. de la session (liste du service civil, 1873–1917) ; Dép. du Secrétariat d’État, Documents relatifs à l’abolition des écoles séparées dans la province du Manitoba (Ottawa, 1891).— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1898).— The Manitoba school question : majority rule or minority rights ?, L. [C.] Clark, édit. (Toronto, [1968]).— H. B. Neatby, « The Manitoba school question », dans son ouvrage Laurier and a Liberal Quebec : a study in political management, R. T. Clippingdale, édit. (Toronto, 1973), 52–81.— Nelson Wiseman, « The questionable relevance of the constitution in advancing minority cultural rights in Manitoba », Rev. canadienne de science politique (Ottawa), 25 (1992) : 697–721.
Martha McCarthy, « BARRETT, JOHN KELLY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 4 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/barrett_john_kelly_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/barrett_john_kelly_16F.html |
Auteur de l'article: | Martha McCarthy |
Titre de l'article: | BARRETT, JOHN KELLY |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2022 |
Année de la révision: | 2022 |
Date de consultation: | 4 déc. 2024 |