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Norris, Tobias Crawford, ouvrier, fermier, propriétaire d’une écurie de louage, encanteur, homme politique et fonctionnaire, né le 5 septembre 1861 dans le comté de Peel, près de Brampton, Haut-Canada, fils d’Arthur Norris et de Phoebe Crawford ; décédé célibataire le 29 octobre 1936 à Toronto.

Tobias Crawford Norris était le troisième des six enfants de méthodistes irlandais agriculteurs dans le canton de Chinguacousy, dans le Haut-Canada. Il fréquenta des écoles locales. Adolescent, il travailla dans la ferme de ses parents, peut-être aussi dans des fermes avoisinantes, et comme ouvrier. Au milieu des années 1880, il était employé dans la construction de chemins de fer en Ontario lorsqu’il entendit parler des possibilités qu’offrait l’Ouest canadien.

Norris s’installa au Manitoba probablement à la fin des années 1880, ou peut-être au début des années 1890. Peu après, il acheta des terres près de Griswold, petit village situé à 26 milles à l’ouest de Brandon. Il continuerait à exploiter ou à posséder des fermes jusqu’aux années 1920. De 1892 à 1898 environ, il fut aussi copropriétaire d’une écurie de louage à Griswold, puis son associé et lui laissèrent ce commerce pour se concentrer sur la vente aux enchères. Norris avait commencé à diriger des encans au milieu des années 1890 ; au début du xxe siècle, il était déjà un des meilleurs encanteurs de la province. Ses services étaient demandés dans toutes les Prairies, en particulier pour les ventes de bétail, et il continuerait à animer des encans, au moins à temps partiel, jusqu’aux années 1920.

Norris eut du succès comme fermier et comme homme d’affaires de petit village pour plusieurs raisons. Sa familiarité avec les prix des produits et des services en milieu rural lui fut utile dans ces deux emplois. De plus, il possédait des qualités physiques et personnelles qui étaient des atouts dans son travail, ainsi qu’en politique. Mince dans sa jeunesse, il était un bel homme de bien plus de six pieds. Il était aussi exceptionnellement affable. Il avait un excellent sens de l’humour et plaisantait souvent au sujet de ses propres défauts. Pour plaire à ses interlocuteurs, jeunes ou vieux, frustes ou cultivés, hommes ou femmes, il adaptait aisément ses histoires ou ses sujets de conversation.

Peu après son arrivée au Manitoba, Norris avait choisi de se ranger du côté des libéraux. Le Parti libéral, associé aux bas tarifs douaniers et aux droits des provinces, était soutenu par des protestants britanniques qui vivaient dans les milieux ruraux du sud et de l’ouest du Manitoba ; son choix n’était donc guère étonnant. Aux élections provinciales de janvier 1896, il fut élu dans la circonscription de Lansdowne, où il habitait, en tant que partisan du premier ministre Thomas Greenway*. Il fut réélu en décembre 1899, même si les libéraux furent vaincus par les conservateurs de Hugh John Macdonald*. (Les conservateurs resteraient au pouvoir jusqu’en 1915, en grande partie sous la direction de Rodmond Palen Roblin, qui succéda à Macdonald comme chef du parti et comme premier ministre en 1900.) Aux élections générales de juillet 1903, Norris fut défait par 16 voix, mais il regagna son siège en mars 1907.

À ce moment-là, Norris était bien connu de beaucoup de libéraux. En 1909, il fut choisi comme suppléant pour le parti à l’Assemblée en l’absence du chef officiel, Edward Brown, de Portage-la-Prairie, qui n’avait pas réussi à se faire élire en 1907, et du leader parlementaire de 1907 à 1909, Charles Julius Mickle, qui avait accepté une nomination judiciaire. Norris s’acquitta admirablement bien de ses fonctions et montra, comme il l’avait fait précédemment à l’Assemblée législative et à des réunions politiques partout dans la province, qu’il était un orateur jovial, mais concentré et efficace. En avril 1910, à un congrès provincial, lui seul fut nommé pour remplacer Brown comme chef du parti, poste qu’il accepta.

Aux élections du 11 juin 1910, qui se tinrent peu après l’arrivée de Norris à la tête du parti, les libéraux remportèrent 13 des 41 sièges. Au cours des années qui suivirent, le parti établit plus fermement ses objectifs et devint plus populaire. Il s’allia avec des gens qui encourageaient diverses mesures : le droit de vote des femmes, la législation directe, la réforme fiscale et électorale, la prohibition, la fréquentation scolaire obligatoire et l’instruction unilingue, par exemple. La force croissante du parti se révéla aux élections du 10 juillet 1914 : il gagna 21 des 49 sièges.

Moins d’un mois après les élections, le Canada était en guerre. Une courte session d’automne de l’Assemblée fut convoquée afin de donner au gouvernement conservateur l’autorité de prendre les décisions nécessaires dans les premiers stades du conflit. Au cours de la session, Walter Humphries Montague, ministre des Travaux publics, annonça discrètement que la construction du nouvel édifice du Parlement, commencée en 1913 et supervisée par l’architecte provincial Victor William Horwood, coûterait 1,75 million de dollars de plus que prévu. Les libéraux croyaient depuis un certain temps déjà que les pratiques et les procédures du gouvernement de Roblin en matière d’attribution de contrats de travaux publics étaient louches, sinon illégales. La déclaration de Montague les rendit plutôt méfiants.

Lorsque s’ouvrit la session suivante, le 10 février 1915, les libéraux demandèrent des détails sur les contrats, mais n’obtinrent pas ce qu’ils souhaitaient. Ils persuadèrent le lieutenant-gouverneur sir Douglas Colin Cameron de ne pas proroger l’Assemblée tant qu’une commission d’enquête parlementaire n’aurait pas été nommée afin d’étudier « toutes les questions » liées à la construction de l’édifice. Au début du mois de mai, la commission avait des preuves que des entrepreneurs avaient été surpayés par le gouvernement et avaient versé d’importantes ristournes au Parti conservateur. Le 12 mai, Roblin et ses collègues démissionnèrent, et on demanda à Norris de former un gouvernement. Ce dernier prit ses fonctions le jour même et son cabinet, dont faisaient partie Albert Blellock Hudson, procureur général et ministre des Téléphones et Télégraphes, Brown, trésorier provincial, Robert Stirton Thornton, ministre de l’Éducation, Thomas Herman Johnson*, ministre des Travaux publics, Valentine Winkler*, ministre de l’Agriculture et de l’Immigration, et James William Armstrong*, secrétaire provincial, prêta serment trois jours plus tard. Norris fit rapidement le nécessaire pour que des élections aient lieu en août. Ses partisans et lui remportèrent 42 des 49 circonscriptions, battant les conservateurs de sir James Albert Manning Aikins*.

De 1915 à 1920, Norris fut à la tête d’un des plus importants gouvernements provinciaux de l’histoire du Manitoba et qui devint synonyme de réforme. Dans les années précédentes, les libéraux s’étaient engagés à apporter beaucoup de changements s’ils étaient élus, mais il ne fait pas de doute que Norris et les membres de son cabinet se laissèrent aussi gagner par l’envie de lutter pour la liberté, la justice et la démocratie, chez eux comme à l’étranger. Ce désir de « régénération nationale » prédomina dans tout l’Ouest canadien pendant la Première Guerre mondiale.

La première grande réforme, adoptée en 1916, fut l’élimination des restrictions au droit de vote provincial des femmes et à l’élection des femmes à des charges provinciales. Le Manitoba fut la première province canadienne à accorder ces privilèges aux femmes. Norris était célibataire, et il saisit rapidement le prétexte à plaisanterie et à histoires qu’offrit un incident survenu peu de temps après que les femmes eurent obtenu le droit de vote. Avec des représentants de Saskatchewan et d’Alberta, il se rendit à Chicago afin de promouvoir l’immigration dans l’Ouest canadien. Norris mentionna à un étranger qu’il venait du Manitoba. L’étranger, qui avait manifestement entendu parler de la nouvelle loi sur le suffrage, répondit à Norris que le chef de cette province canadienne devait être un « mari mené par le bout du nez ».

Pas plus tard qu’en 1920, le gouvernement de Norris avait non seulement accordé de nouveaux droits politiques aux femmes, mais il avait également adopté plusieurs projets de loi qui amélioreraient leur qualité de vie. Une allocation maternelle, introduite en 1916, offrit une aide financière aux femmes, veuves ou dont le mari ne pouvait subvenir aux besoins de la famille, avec des enfants à charge. Le Dower Act de 1918 protégea les droits de propriété des épouses et des veuves. La même année, le Minimun Wage Act fut conçu spécialement pour les femmes salariées.

Les réformes du gouvernement dans le domaine de l’éducation auraient d’énormes conséquences. Elles amélioreraient les normes, mais susciteraient aussi l’hostilité de membres des minorités ethniques. En 1916, la fréquentation d’une école publique ou d’une école privée autorisée devint obligatoire pour les enfants de 7 à 14 ans, à moins de circonstances exceptionnelles. La clause du Public Schools Act of 1897 prévoyant un « système [d’éducation] bilingue » fut abrogée et l’anglais devint la seule langue d’enseignement. Jamais auparavant n’avait-on investi autant d’argent en éducation : pour construire de nouvelles écoles, former de nouveaux professeurs et améliorer les programmes d’inspection médicale et dentaire. En 1917, le gouvernement renforça son appui financier à l’université de Manitoba et, aussi, son autorité sur l’établissement.

Norris aimait bien boire en compagnie. Au cours d’une réunion politique à Oak Lake, à l’ouest de Griswold, il mentionna qu’il avait déjà pris un verre avec chacun des hommes présents. Cependant, il croyait fermement en la démocratie. Ainsi, lorsque les Manitobains se prononcèrent, à l’occasion d’un plébiscite en 1916, contre la vente (sauf par les pharmaciens) de boissons fortement alcoolisées, il instaura la prohibition. Puis, en 1920, son gouvernement interdit l’importation de boissons alcoolisées d’autres provinces. Ces mesures législatives n’entrèrent en vigueur qu’en février 1921, après qu’un deuxième plébiscite eut permis de sonder l’opinion publique, et après la modification par le gouvernement fédéral de l’Acte de tempérance du Canada pour permettre aux provinces de légiférer en cette matière.

La plus importante réforme politique, en dehors de la levée des restrictions aux droits politiques des femmes, fut l’adoption, par l’intermédiaire de l’Initiative and Referendum Act de 1916, de deux méthodes de législation directe. La loi permettait à un pourcentage déterminé de simples électeurs de présenter des mesures législatives (au moyen d’une pétition) et de forcer l’Assemblée à les examiner (en tant qu’initiatives) ; autrement, la loi donnait aux électeurs la chance de se prononcer sur un futur projet de loi (au moyen d’une élection générale ou d’un référendum). Cette loi serait déclarée inconstitutionnelle par le comité judiciaire du Conseil privé en 1919, mais tant qu’elle fut devant les tribunaux, le gouvernement tenta de faire comme s’il s’agissait bel et bien d’une loi, parce qu’il savait que la plupart des Manitobains y étaient favorables. Parmi les autres réformes politiques, il y eut la création, en 1918, de la Civil Service Commission, qui visait à embaucher et à promouvoir les fonctionnaires selon leur compétence plutôt que leur allégeance à un parti ; il y eut également des modifications aux lois sur le financement des campagnes électorales et la mise en place d’un mode de scrutin préférentiel pour les candidats qui briguaient les dix sièges de Winnipeg à l’Assemblée.

Norris était un partisan enthousiaste de l’effort de guerre canadien ; aussi n’est-il pas étonnant qu’il ait cherché à aider ceux qui étaient le plus directement engagés dans les combats à l’étranger. Les soldats et leurs familles étaient à l’abri des poursuites pour dettes et de la saisie de leur propriété. Afin d’aider les familles des soldats, de l’argent fut récolté au moyen d’une Patriotic Levy Tax, perçue par les municipalités, et qui était en réalité un impôt foncier supplémentaire. À leur retour, les soldats obtenaient la préférence lorsqu’ils sollicitaient un prêt ou certains emplois.

Plusieurs mesures furent conçues pour améliorer le sort des salariés. Le Workmen’s Compensation Act fut modifié à leur avantage en 1916 et des années plus tard. Davantage d’inspecteurs d’usine furent engagés. Des listes annuelles de salaires justes furent publiées, établissant les taux de rémunération de différents types d’employés qui participaient à des projets financés par l’État. Les heures de travail des femmes et des mineurs furent limitées. Enfin, après la grève générale de Winnipeg de 1919 [V. Mike Sokolowiski*], le Joint Council of Industry, composé de représentants de syndicats et d’entreprises, fut créé afin d’étudier les conflits et les conditions de travail, et pour proposer des lois.

L’agriculture était le plus important secteur de l’économie du Manitoba pendant les années où Norris en fut le premier ministre. Si les cultivateurs s’y étaient opposés, son gouvernement n’aurait pas pu mettre ces réformes en place. De nombreux autres changements visaient spécialement les agriculteurs et d’autres Manitobains vivant en milieu rural. Le Noxious Weeds Act fut modifié en 1916, 1917 et 1918. On offrit aux acheteurs de machinerie agricole une protection contre les vendeurs malhonnêtes. On améliora le système de santé publique provincial en donnant priorité au développement des services et des installations dans les régions rurales. Les municipalités obtinrent le pouvoir d’imposer davantage les terres inoccupées et de coopérer afin de mettre en place des polices d’assurance contre la grêle pour de vastes secteurs. D’importantes améliorations furent également apportées au réseau routier. De l’argent fut mis de côté pour que les fermiers des secteurs plus défavorisés puissent se procurer du bétail. Des lois furent sanctionnées en 1917 pour permettre aux agriculteurs d’avoir accès à des prêts à faible taux d’intérêt. On n’oublia pas les petites villes et municipalités, que des lois autorisèrent à travailler de concert avec la province afin de se procurer de l’électricité au meilleur coût possible.

Le bilan de toute cette activité était extrêmement impressionnant et Norris avait raison d’en être fier. Il pouvait aussi se féliciter du fait qu’aucun scandale ne soit survenu pendant son mandat. Cependant, en 1920, année où il devait déclencher des élections, son gouvernement rencontrait beaucoup d’opposition, notamment de la part de ceux qui étaient en désaccord avec son appui massif à l’effort militaire et avec le soutien qu’il accorda, après 1917, au gouvernement d’union du premier ministre sir Robert Laird Borden et à sa politique de conscription. Depuis longtemps, Norris avait été un fidèle partisan du genre de gouvernement de coalition qui avait vu le jour à l’automne de 1917. Il aurait préféré que Borden n’en soit pas le chef, mais il fit une campagne énergique pour des candidats unionistes au Manitoba pendant les élections fédérales de décembre 1917.

La plupart des Manitobains soutenaient l’effort de guerre avec enthousiasme ; en appuyant le gouvernement d’union, Norris offensa cependant plusieurs groupes importants, dont un se composait de libéraux purs et durs, comme Edward James McMurray, qui restaient fidèles au chef fédéral sir Wilfrid Laurier*. Ils ne pardonneraient jamais à Norris et à d’autres, qu’ils considéraient comme des traîtres. Particulièrement en 1920, et aussi à l’occasion d’élections provinciales subséquentes, ils représentèrent une faction distincte qui refusa d’appuyer Norris.

En soutenant le gouvernement d’union, Norris s’aliéna également les Canadiens français qui croyaient, non sans raison, que la Loi concernant le service militaire (adoptée par les conservateurs de Borden, mais mise en application par les unionistes) s’adressait en partie à eux. Certains groupes minoritaires étaient mécontents, parce que les unionistes avaient aussi poursuivi la politique conservatrice d’internement des sujets de pays ennemis et renforcé les restrictions sur les publications en langues ennemies. En outre, le gouvernement d’union devint étroitement associé à une autre loi sanctionnée juste avant sa formation, qui avait sans aucun doute augmenté ses chances de remporter les élections de décembre 1917 : la Loi des élections en temps de guerre. Cette loi privait du droit de vote les objecteurs de conscience, les mennonites, les doukhobors, ainsi que ceux qui étaient nés en pays ennemi et n’avaient pas été naturalisés avant la fin du mois de mars 1902 (il y avait quelques exceptions). Par conséquent, les Franco-Manitobains, les Allemands, les Ukrainiens, les mennonites et d’autres en voulurent au gouvernement d’union et à celui de Norris, auquel il était associé. De nombreux membres de ces groupes méprisèrent aussi Norris et son parti pour avoir fait de l’anglais la seule langue d’enseignement dans les écoles publiques en 1916. Entre ce moment et 1920, son gouvernement avait aussi mis en œuvre d’autres mesures pour que les écoles publiques fassent une promotion encore plus efficace des valeurs britanniques, heurtant ainsi ces mêmes minorités.

Les actions du gouvernement pendant la grève générale de Winnipeg lui avaient attiré beaucoup d’hostilité. Son bilan en matière de législation du travail avait été positif et Norris adopta officiellement une attitude neutre durant la grève. Néanmoins, une fois que le gouvernement fédéral eut annoncé aux employés des postes qu’ils seraient congédiés s’ils ne retournaient pas au travail, Norris suivit l’exemple de Borden et adressa le même message aux employés provinciaux du téléphone. Il insista également pour que la grève soit arrêtée avant qu’il n’amorce les discussions visant à préparer la législation qui garantirait la négociation collective. En 1920, le gouvernement fédéral avait mauvaise réputation parmi les travailleurs syndiqués et les libéraux de Norris y étaient naturellement assimilés.

Si seuls ceux qui protestaient contre des mesures précises qu’il avait instaurées ou appuyées s’y étaient opposés, le gouvernement de Norris aurait pu survivre. Cependant, il y avait parmi ses détracteurs de plus en plus de gens qui refusaient d’adhérer aux partis politiques traditionnels, qu’ils considéraient comme inutiles à l’échelon provincial et comme des instruments qui permettaient aux groupes privilégiés d’exercer davantage de pouvoir sur les gouvernements. La résistance aux partis augmenta dans l’Ouest durant et juste après la guerre, et régna en particulier parmi les fermiers. Au Manitoba, comme ailleurs, beaucoup d’entre eux croyaient au « gouvernement de groupe », système surtout préconisé par l’Albertain Henry Wise Wood*, selon lequel les gouvernements seraient formés par des représentants indépendants de différents regroupements professionnels plutôt que par des chefs de parti. Aux élections de 1920, il y eut 68 candidats qui n’étaient ni libéraux ni conservateurs, alors que depuis le début du xxe siècle, les élections provinciales avaient vu moins de dix postulants non affiliés à ces deux partis. Un candidat « des enfants » refusa de soutenir quelque parti que ce soit à l’avance tout en promettant de voter systématiquement dans l’intérêt des mères et des enfants. Un autre aspirant prétendit que son programme électoral était la parole de Dieu. Des candidats indépendants furent aussi nommés par bon nombre d’associations, mais le groupe le plus important était composé des candidats des fermiers, qui étaient nommés ou appuyés par des branches locales des Fermiers unis du Manitoba. Certains de ces candidats représentaient des minorités ethniques pleines de ressentiment. La plupart d’entre eux ne critiquaient cependant pas vraiment le bilan du gouvernement de Norris : ils s’opposaient simplement aux partis.

Quelques jours avant les élections, Norris s’inquiéta du fait que les Manitobains, en particulier dans les régions rurales, s’apprêtaient à rejeter un gouvernement dont ils applaudissaient le travail. Il avait raison de s’en faire. Le 29 juin, les libéraux gagnèrent 21 sièges, les conservateurs 7, les candidats fermiers 12, les candidats ouvriers 11, et les autres indépendants 4. Ensemble, les libéraux et les conservateurs recueillirent un peu plus de 50 % des suffrages exprimés ; depuis les années 1890, leur total combiné s’était maintenu entre 85 et 95 %. L’élection de 1920 montra à quel point les Manitobains avaient rejeté les partis traditionnels.

Après les élections, on demanda à Norris de former un autre gouvernement. Il représentait la seule option logique ; il accepta. Son gouvernement minoritaire dura deux ans. Il augmenta l’aide aux hôpitaux, et étendit les prestations versées aux anciens combattants et à leur famille. Il réussit également à faire sanctionner le Child Welfare Act, qui codifia et améliora les lois antérieures concernant les enfants immigrants, les orphelins et autres mineurs « à risque ». Néanmoins, il ne fit rien de spectaculaire. Les critiques sur son manque d’énergie n’étaient pas sans fondement. Pas plus tard qu’en 1921 ou 1922, les membres clés du cabinet étaient soit partis en quête de nouveaux défis, soit morts ou malades. Norris lui-même eut des problèmes de santé en 1922 et en 1923 ; il se sentirait quelque peu mieux au milieu des années 1920. En 1921 et en 1922, l’Assemblée était si divisée en factions qu’aucun gouvernement n’aurait pu prendre des décisions difficiles et trouver du soutien. Lorsque les libéraux perdirent le pouvoir en 1922, on leur reprocha la récente « stagnation » législative ; cette accusation était injuste.

Les critiques que reçut le gouvernement de Norris en 1922 pour la situation financière de la province étaient davantage fondées. Depuis 1915, les recettes et les dépenses annuelles avaient à peu près doublé. Le programme d’allocations maternelles, les enseignants mieux formés, les universités plus généreusement financées, les nouvelles infrastructures servant à produire de l’électricité et les autres initiatives coûtaient cher et, au début des années 1920, le Manitoba, comme le reste du Canada, était en pleine dépression d’après-guerre. Le gouvernement provincial avait enregistré des déficits en 1921 et en 1922. Les libéraux souhaitaient accroître les revenus en instaurant une taxe sur l’essence et un impôt provincial sur le revenu, alors que d’autres groupes à l’Assemblée s’opposèrent à ces plans. Les critiques pouvaient facilement faire valoir que, depuis 1915, les libéraux avaient fait adopter des mesures qui étaient souhaitables, mais inabordables.

La décision prise par Norris, en avril 1922, d’associer plus étroitement son parti provincial et son gouvernement avec leurs homologues fédéraux, dirigés par le premier ministre William Lyon Mackenzie King*, fut peut-être encore plus préjudiciable aux libéraux. À l’époque, cela semblait une bonne idée. Le gouvernement minoritaire de Norris avait été défait à l’Assemblée législative en mars ; cependant, à la demande du lieutenant-gouverneur, l’Assemblée exécuta des travaux de première importance avant sa dissolution et le déclenchement de nouvelles élections en juillet. Pendant ce temps, les Fermiers unis du Manitoba avaient décidé que, contrairement à ce qui avait été fait pendant la campagne de 1920, où chaque branche avait choisi sa propre stratégie, une campagne serait organisée pour toute la province. Les Fermiers unis du Manitoba savaient aussi que leur programme électoral aurait l’appui d’un groupe d’hommes d’affaires, qui deviendrait bientôt la Winnipeg Progressive Association [V. George Fisher Chipman], et qui voulait avant tout un gouvernement moins coûteux. Norris, comme ses principaux amis et partisans, conclut qu’il n’aurait une chance de gagner que s’il pouvait faire appel à tous les libéraux de la province. Il aida à organiser un congrès du parti à Winnipeg les 25 et 26 avril, au terme duquel le parti fut plus uni qu’il ne l’avait été depuis 1917.

À ce congrès, on fit grand cas de l’attitude éclairée d’Ottawa à l’égard de l’Ouest, révélée par les récents progrès dans les négociations sur le transfert du contrôle des ressources naturelles manitobaines du gouvernement fédéral au gouvernement provincial. Durant la période qui sépara le congrès et les élections du 18 juillet, cependant, les Manitobains se souvinrent à quel point les libéraux fédéraux pouvaient être indignes de confiance sur des sujets comme la réduction tarifaire, le fret et les lois visant à tenir les ministres du cabinet fédéral à l’écart des sociétés privées. Au moment des élections, Norris se rendit compte que sa stratégie s’était retournée contre lui. Peut-être qu’il n’avait eu aucune chance de l’emporter, mais John Wesley Dafoe*, le rédacteur en chef bien informé du Manitoba Free Press, croyait que son rapprochement avec les libéraux fédéraux avait fourni aux fermiers, qui, sinon, auraient pu donner leur appui à Norris, un prétexte pour voter désormais contre lui.

Aux élections de 1922, 28 candidats des Fermiers unis du Manitoba ou progressistes furent élus, ainsi que 7 libéraux, 6 conservateurs, 6 travaillistes et 8 candidats indépendants. Les fermiers-progressistes (les membres du futur Parti progressiste) n’avaient pas encore de chef et certains croyaient que le poste devait être offert à Norris, ce qui montre qu’ils avaient beaucoup de respect pour lui. Ils finirent cependant par choisir le directeur du Manitoba Agricultural College, John Bracken*, qui devint premier ministre le 8 août. L’attrait de Bracken résidait en partie dans le fait qu’il n’avait pas eu de liens antérieurs avec des organisations politiques.

Après les élections de 1922, Norris dirigea le Parti libéral provincial durant plus de quatre ans. Des historiens comme Herbert Blair Neatby, John Edward Kendle et Robert Alexander Wardhaugh ont donné à penser que, pendant ces années, il s’était fermement opposé à la coopération avec le gouvernement de Bracken et avait fait obstacle aux efforts de King à l’échelon national pour faire passer les progressistes fédéraux dans le camp libéral. Ils ont exagéré les faits.

Norris coopéra à la fois avec Bracken, qu’il aimait beaucoup personnellement, et avec King. À l’échelon provincial, son Parti libéral appuya de nombreuses initiatives du gouvernement de Bracken, en particulier son recours aux plébiscites pour sonder l’opinion publique avant de changer les lois provinciales sur les boissons alcooliques. Norris croyait aussi que, dans la conjoncture économique de la première moitié des années 1920, il était opportun pour le gouvernement de Bracken de donner la priorité à la réduction des dépenses. Toutefois, comme beaucoup d’autres, il pensait que l’assimilation des libéraux provinciaux par les fermiers-progressistes ne serait ni judicieuse ni patriotique, parce que, au début des années 1920, les partis des fermiers semblaient ne représenter les intérêts que d’une seule « classe » (groupe professionnel). En outre, quoi qu’il fasse ou dise, il était un obstacle à la réconciliation entre les libéraux et les fermiers-progressistes, puisque beaucoup de partisans de Bracken étaient des Ukrainiens-Manitobains ou des Franco-Manitobains qui ne voulaient rien avoir à faire avec l’homme si étroitement associé à l’élimination de l’enseignement bilingue et au gouvernement d’union.

Au fédéral, Norris soutint King dans ses efforts pour « ramener » les progressistes au libéralisme. Les élections fédérales d’octobre 1925 fournirent un exemple de cette volonté de coopérer et montrèrent l’intensité de l’animosité qu’il inspirait aux Canadiens français. Des organisateurs locaux demandèrent à Norris de se présenter à Brandon comme libéral, ou même comme candidat issu de la « fusion » des libéraux et des conservateurs. Son opposant serait Robert Forke, le chef progressiste fédéral. Ne voulant pas diviser le vote libéral-progressiste, Norris choisit plutôt de se présenter dans Winnipeg-Sud contre Robert Rogers. Ce dernier, conservateur, avait beaucoup pratiqué le favoritisme politique lorsqu’il était ministre dans le cabinet provincial, puis fédéral, et était le genre de candidat que tant les libéraux que les progressistes souhaitaient vaincre. Pendant la campagne, le premier ministre King fit savoir que Norris serait nommé au cabinet s’il était élu. Les télégrammes et les lettres de Canadiens français de l’Ouest et de la province de Québec que reçut King lui firent vite comprendre que cette nomination suscitait une vive opposition. La défaite de Norris résolut le problème.

Norris avait abandonné son siège provincial pour se porter candidat aux élections fédérales, mais fut réélu par acclamation dans son ancienne circonscription le 9 décembre 1925. Même si sa démission ne serait officiellement acceptée que le 13 janvier 1927, il quitta ses fonctions de chef de parti le 25 mars 1926 et fut remplacé le 30 avril. À ce moment-là, pratiquement tous les libéraux du Manitoba, et même certains Franco-Manitobains, croyaient qu’il méritait un poste fédéral. En mars 1928, quand plusieurs libéraux éminents eurent exprimé leur déception devant l’indifférence qu’on lui témoignait, il fut nommé à la Commission des chemins de fer pour le Canada. Il démissionna de son siège à l’Assemblée. Comme commissaire, on considérait qu’il était la voix des cultivateurs de l’Ouest. Son mandat arriva à échéance lorsqu’il atteignit l’âge de 75 ans. Il mourut le mois suivant, en octobre 1936, à Toronto, d’une hémorragie cérébrale (il souffrait aussi d’une maladie cardiaque). Après un service à la A. W. Miles Funeral Chapel de Toronto, il fut inhumé au cimetière Park Lawn. Il avait trois sœurs et un frère qui habitaient tout près.

Tobias Crawford Norris fut l’un des plus importants hommes politiques de l’histoire du Manitoba. Il fut membre de l’Assemblée législative durant plus d’un quart de siècle, chef du Parti libéral provincial pendant plus de 15 ans et premier ministre pendant plus de 7 ans. En outre, le gouvernement qu’il dirigea de 1915 à 1920 mit en place des réformes qui eurent un impact durable sur la vie dans la province.

Morris Mott

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Bibliographie générale

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Morris Mott, « NORRIS, TOBIAS CRAWFORD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 19 mars 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/norris_tobias_crawford_16F.html.

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Permalien: http://www.biographi.ca/fr/bio/norris_tobias_crawford_16F.html
Auteur de l'article:    Morris Mott
Titre de l'article:    NORRIS, TOBIAS CRAWFORD
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2015
Année de la révision:    2015
Date de consultation:    19 mars 2024