BESNARD, dit Carignant, JEAN-LOUIS (il signait L. Carignant), négociant, né à Montréal le 22 novembre 1734, fils de Jean-Baptiste Besnard, dit Carignant, et de Marie-Joseph Gervaise ; il épousa à Montréal, le 13 août 1764, Charlotte Brebion, puis, en secondes noces, le 20 janvier 1770 à Montréal, Félicité, fille du marchand montréalais Pascal Pillet ; décédé le 3 décembre 1791 à Michillimakinac (Mackinac Island, Michigan).
Fils d’un négociant et « marchand-équipeur » de Montréal, Jean-Louis Besnard, dit Carignant, suivit les traces de son père. Vers 1770, il pratiquait le commerce des fourrures, équipant des voyageurs pour des sommes dépassant parfois 20 000# ; il exploitait par ailleurs un moulin à farine, à Lachine, près de Montréal. S’il compta rapidement de nombreux débiteurs, Carignant ne craignit pas de s’endetter lui-même auprès de ses fournisseurs. Comme tout marchand de la colonie, il devait miser sur le crédit et choisir ses débiteurs avec soin. Il eut cependant à ce jeu moins de chance que d’autres [V. Jean Orillat] et dut, le 30 septembre 1776, déclarer une faillite qui allait avoir des répercussions sur la vie politique de la province.
Le 9 octobre 1776, Carignant présenta à ses créanciers – les négociants londoniens Brook Watson* et Robert Rashleigh, la société de Pierre Foretier* et de Jean Orillat et celle de John Porteous, de Montréal, ainsi que les négociants montréalais Jean-Marie Ducharme*, Jacob Jordan, Toussaint Lecavelier, Louis-Joseph et Charles-Jean-Baptiste Chaboillez*, Charles Larche et Ignace Pillet (beau-frère de Carignant) – un bilan où apparaissaient 222 306# – de dettes contre 140 640# d’actif, dont 65 000# de créances. C’est envers la firme de Watson et Rashleigh que Carignant avait contracté la plus grosse dette, une somme de 88 000#. Le bilan faisait aussi état des pertes que le négociant avait encourues dans le commerce des fourrures et celui du blé, mais ces pertes ne pouvaient expliquer à elles seules la faillite, que Carignant attribuait à des « Evénements malheureux [...] des fausses promesses et fourberies qu’on lui a faites ». Cependant, quelques heures à peine avant de déclarer faillite, Carignant avait complété avec Richard Dobie*, un autre négociant de Montréal, une série de transactions par lesquelles Dobie avait acheté de Carignant 130 000# de fourrures, ce qui, déduction faite des dettes de Carignant envers Dobie et son partenaire Adam Lymburner*, laissait à Carignant 63 000# qui n’apparaissaient pas aux livres. Les créanciers de Carignant, auxquels il avait fait cession et abandon de ses biens, accusèrent Dobie de fraude et le poursuivirent en justice parce qu’il avait, selon eux, pris des engagements secrets avec Carignant pour payer ses fourrures. La Cour des plaids communs de Montréal leur ayant donné raison, Dobie en appela au Conseil législatif qui, grâce à l’intervention du juge en chef Peter Livius, renversa ce jugement le 30 avril 1778. Le lendemain, sans donner de raisons, le gouverneur sir Guy Carleton*, démettait Livius de ses fonctions. Lors de l’enquête qui suivit, Livius laissa entendre aux autorités britanniques que Carleton avait subi l’influence de Brook Watson, le négociant londonien qui était le principal créancier de Carignant et en qui Carleton avait, selon Livius, « une grande confiance pour ses affaires personnelles et aussi pour quelques affaires publiques, en particulier les affaires indiennes ». Livius fut réintégré dans ses fonctions, mais il ne revint jamais au Canada. Quant à Carignant, le total de son actif était loin de couvrir ses dettes lors de sa faillite ; ses créanciers lui permirent de continuer son commerce, espérant ainsi être remboursés peu à peu. On ne sait si cet espoir se réalisa.
Ses papiers d’affaires ainsi que les documents produits à l’occasion de sa faillite fournissent quelques indications utiles sur ses pratiques commerciales et son train de vie. Des 128 créances inscrites dans son carnet de dettes actives au moment de sa faillite, seulement huit dépassaient 1 000#, mais elles totalisaient près de 50 000#, soit les trois quarts du total des créances. Le reste de l’actif comprenait 12 500# en fourrures, ginseng et marchandises, une maison pour laquelle il avait dépensé 26 000# en frais de construction (et que ses créanciers vendirent 36 000# en 1777), un ameublement évalué à 12 000#, une bibliothèque contenant une quarantaine de titres et portée à 1 200#, un esclave noir valant 1 600# et une Noire 1 200#. D’après l’inventaire de la maison, Carignant vivait confortablement et possédait quelques objets de luxe, une table en acajou, une fontaine de faïence, de l’argenterie et du cristal.
À la suite de ces événements, la carrière de Carignant présente un aspect plutôt bigarré. Il s’engageait à nouveau dans le commerce du blé en 1777 et fut chargé, semble-t-il, de la fourniture de farine pour l’armée, peut-être de concert avec son ancien créancier, Jacob Jordan. En 1780, il s’associait à son beau-frère, Antoine Pillet, pour l’exploitation d’une boulangerie. L’hiver de 1781–1782 fut marqué par des démêlés avec les autorités. Des prisonniers rebelles accusèrent Carignant d’être en relation avec les Américains ; il fut arrêté et conduit à Québec. Pour sa défense, il soumit un certificat de loyauté signé par plusieurs Montréalais, dont Luc de La Corne, Pierre Guy*, Jacob Jordan, Christian Daniel Claus, James McGill* et Edward William Gray*. On le relâcha au début de 1782, faute de preuves. Mais son commerce de boulangerie déclina et il eut de nouvelles difficultés avec ses créanciers. En mai 1785, il obtint une commission de notaire à Michillimakinac où on le retrouve au cours des deux années suivantes. En 1788, il fut nommé surintendant de la navigation intérieure à Michillimakinac. Il se noya dans le lac Michigan le 3 décembre 1791.
Hilda Neatby*, après avoir étudié le cas Dobie, conclut que Carignant était tout simplement malhonnête. Mais on voit mal, alors, pourquoi Carignant aurait volontairement cédé tous ses biens à ses créanciers en 1776 ou comment ceux-ci auraient pu consentir, une fois la supposée supercherie découverte, à laisser Carignant continuer en affaires ? Par ailleurs, pourquoi lui aurait-on accordé des postes officiels à Michillimakinac si son honnêteté ou sa loyauté avaient été suspectes ? Quant à son échec en affaires, Carignant, comme bien d’autres, fut sans doute victime du mouvement de concentration du commerce des fourrures dans les mains d’un petit groupe de marchands, qui amena la création de la North West Company en 1783.
ANQ-M, État civil, Catholiques, Notre-Dame de Montréal, 22 nov. 1737, 13 août 1764, 18 sept. 1769, 20 janv. 1770 ; Greffe de Pierre Panet, 25 mai 1767, 22 déc. 1774, 9 oct. 1776, 29 avril, 12 mai, 1er juill. 1777 ; Greffe de Simon Sanguinet, 2, 10, 23 oct. 1769, 22 mars, 23 juill. 1770, 14, 25 juill. 1774, 17 févr. 1775 ; Greffe de François Simonnet, 11 mai 1750, 8 déc. 1770.— APC, MG 23, GIII, 25, A (Louis Carignant) ; MG 24, L3, pp.27 531–27 535, 30 494 ; RG 4, A1, 38, p.12 548 ; B8, 28, p.22 ; B28, 115.— AUM, P 58, Doc. divers, C2, 27 juill. 1787.— BL, Add.
José E. Igartua et Marie Gérin-Lajoie, « BESNARD, dit Carignant, JEAN-LOUIS (L. Carignant) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 5 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/besnard_jean_louis_4F.html.
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Auteur de l'article: | José E. Igartua et Marie Gérin-Lajoie |
Titre de l'article: | BESNARD, dit Carignant, JEAN-LOUIS (L. Carignant) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1980 |
Année de la révision: | 1980 |
Date de consultation: | 5 nov. 2024 |