DES FRICHES DE MENEVAL, LOUIS-ALEXANDRE, gouverneur de l’Acadie ; circa 1687–1703.

On possède peu de renseignements précis sur les antécédents de Meneval avant sa venue au Canada. Charlevoix* et plusieurs autres après lui l’ont cru membre de la famille Robinau. Mais lui-même décline son nom et ses titres en plusieurs documents, établissant ainsi sa véritable identité. Quelques biographes l’ont cru fils d’Artus Des Friches, seigneur de Brasseuse, allié à la célèbre famille génoise des Doria ; mais cette filiation n’est pas prouvée. Il semble plus probable qu’il descendait d’une autre branche de la famille Des Friches, établie dans l’Orléanais. Il appartenait sûrement à l’armée, car Brisay de Denonville nous apprend qu’il avait mérité l’estime de Turenne, et Gargas dit qu’il avait servi à Indret, près de Nantes. Il n’était encore que lieutenant de compagnie quand il fut nommé gouverneur de l’Acadie, le 1er mars 1687, à la recommandation du marquis de Chevry pour remplacer Perrot*. Le 5 avril suivant, il recevait des instructions détaillées, dont il nous est resté une minute, annotée de la main du ministre. Il était chargé d’encourager la colonisation et l’agriculture, et d’empêcher les, Anglais de faire le commerce et la pêche en Acadie. Il devait recevoir 3 000# d’appointements et il toucha, avant son départ, une gratificationde 1 000#.

Le nouveau gouverneur s’embarqua sur un navire de la Compagnie de la pêche sédentaire de l’Acadie, pour Chedabouctou (Guysborough, N.-É.) ; de là, la frégate du roi, la Friponne, à son retour de Québec, le conduisit à Port-Royal (Annapolis Royal, N.É.), où il n’arriva qu’au début d’octobre. Deux nouveaux officiers, Gargas, écrivain de la Marine, et Miramont, commandant des troupes, l’avaient précédé, avec une recrue de 30 soldats, des munitions et un fonds de 4 000* pour la reconstruction du fort. Le premier soin de Meneval fut d’examiner les comptes de Perrot et de l’obliger à payer les arrérages dus aux soldats. Il prit aussi des renseignements sur son commerce illicite, mais ne poussa pas très loin son enquête. La saison était trop avancée pour entreprendre la restauration du fort ; d’ailleurs le gouverneur demeurait perplexe, se demandant s’il ne valait pas mieux construire un nouveau fort à Pentagouet (sur la rivière Penobscot) ou à la rivière Saint-Georges, afin de protéger la frontière. Au début de décembre, il adressa des rapports de ses observations au ministre, à M. de Lagny, directeur général du commerce, et au marquis de Chevry, directeur de la Compagnie de la pêche sédentaire, et se plaignit de ses officiers.

L’année suivante, la Friponne revint en Acadie, amenant 30 nouveaux soldats, ce qui portait la garnison à 90, dont une vingtaine demeurèrent à Chedabouctou. Le même navire amenait aussi un ingénieur, Pasquine*, chargé de visiter les postes et de préparer les plans d’un fort. Cet ingénieur élabora un projet considérable pour Port-Royal, mais le ministre, préoccupé d’économie, refusa de l’approuver. La Friponne portait encore deux nouveaux officiers, M. de Soulègre, capitaine des troupes, et Mathieu de Goutin. Ce dernier cumulait les fonctions de juge et de greffier, et Meneval compléta l’organisation de la justice en confiant le poste de procureur à Pierre Chenet Dubreuil.

À l’automne de 1688, Meneval adresse au ministre un long mémoire, où il brosse un tableau pessimiste de son gouvernement : la vie coûte cher, on manque de farine et d’ouvriers ; quelques-uns des soldats, vieux et infirmes, n’ont aucune utilité ; la recrue de l’année précédente a reçu de mauvais fusils et celle de 1688 n’en possède que 19 pour 30 soldats, de sorte que la moitié demeure sans armes ; le chirurgien est un ivrogne et la cour a négligé de prévoir des fonds pour le payer ; il faudrait un hôpital et des médicaments ; sa propre gratification n’a pas été renouvelée et il demande la permission de passer en France pour informer le ministre et régler des affaires personnelles. Dans ce réquisitoire apparaissent quelques éléments positifs : Meneval, comme Denonville, suggère de permettre aux soldats de se marier, pour devenir colons ; il recommande aussi de développer la pêche, la meilleure ressource du pays, en consentant des avances aux habitants et en protégeant les côtes par des barques armées ; l’établissement des Mines (Grand Pré, N.-É.) se développe, et il a rendu quelques ordonnances. Il terminait sa lettre en disant que les Anglais avaient « fort envie de l’Acadie ».

Pendant que le ministre demandait des renseignements sur les limites de l’Acadie et que le roi envvoyait des ambassadeurs parlementer en Angleterre, les Bostoniens entreprenaient de régler la question de façon plus effective. Quelques mois auparavant, le gouverneur de la Nouvelle-Angleterre, Andros, était venu à Pentagouet, sommer Jean-Vincent d’Abbadie de Saint-Castin de reconnaître l’allégeance anglaise, et avait pillé le fort. À l’automne de 1688, presque au moment où Meneval écrivait, et pendant que la Friponne s’acheminait vers Port-Royal, des forbans du Massachusetts pillaient le fort de Chedabouctou et capturaient le navire de la compagnie. Cette piraterie, au nez même de la frégate du roi, humilia le gouverneur qui blâma le commandant de la Friponne, le sieur Beauregard, d’être arrivé trop tard ; mais celui-ci se défendit en rejetant la faute sur le gouverneur, dont il n’avait fait que suivre les ordres. Ces prises causaient la perte de 12 000# de marchandises destinées aux habitants de Port-Royal, et le gouverneur y perdait ses approvisionnements. La situation, déjà mauvaise, allait devenir catastrophique quelques mois plus tard, quand Guillaume d’Orange, nouveau roi d’Angleterre, déclara la guerre à la France. On pouvait prévoir que, malgré le traité de neutralité de 1686, cette guerre entre les métropoles allait déchaîner des hostilités ouvertes dans les colonies, surtout en Acadie, région frontière la plus exposée et la plus mal défendue.

Dans cette situation périlleuse, où toute la population aurait dû s’unir pour mettre le pays en état de défense, des querelles intestines déchiraient la colonie. Des conflits de prestige et de caractères opposaient le gouverneur et son principal collaborateur, Goutin. Chacun d’eux avait son parti et harcelait la cour de mémoires ; Meneval accusait Goutin et ses amis, dont Laumet dit de Lamothe Cadillac, d’insubordination et de cabale, tandis que Goutin accusait le gouverneur de protéger les prêtres, de favoriser le commerce anglais et de s’ingérer dans l’administration de la justice. Pendant ce temps, des frégates anglaises croisaient dans la baie Française (baie de Fundy) ; soldats et habitants manquaient de tout, d’autant plus que lés navires de ravitaillement n’étaient pas encore arrivés. Agacé par les contradictions, souffrant de la goutte, craignant de voir son autorité compromise, prévoyant des attaques anglaises et craignant d’être tenu responsable des événements, Meneval demanda son rappel. Dans une lettre à Chevry, il se dit décidé à passer en France même sans autorisation, « aimant mieux cent fois demeurer trois ans à la Bastille qu’une seule semaine ici ».

Les navires finirent cependant par arriver, le 5 octobre 1689. L’un d’eux amenait en Acadie un nouvel ingénieur, Saccardy*. La cour lui avait donné instruction d’édifier d’urgence un fort à Port-Royal et envoyait un nouveau fonds de 5 000#. Saccardy fit raser entièrement l’ancien fort et dressa le plan d’une vaste enceinte à quatre bastions, enfermant la maison du gouverneur, l’église, un moulin et les corps de garde ; elle pourrait aussi contenir des casernes et recevoir les habitants en cas d’attaque. Saccardy se mit vivement à l’œuvre et, en 16 jours, avec le concours des soldats, des habitants et de 40 matelots, réussit à ériger la moitié de son enceinte. Mais le navire devait repartir ; Saccardy reçut de Frontenac [Buade*] l’ordre de se rembarquer, laissant le fort inachevé. Robinau* de Villebon, lieutenant de Meneval, recevait aussi l’ordre de repasser en France, laissant ainsi le gouverneur sans officier.

Les incursions des Abénaquis à la suite du sac de Pentagouet, les confiscations de navires pêcheurs sur les côtes d’Acadie et les attaques lancées par Frontenac au cours de l’hiver de 1689–1690 avaient alarmé et irrité les colonies anglaises. Les marchands de Salem et de Boston se cotisèrent et le gouvernement du Massachusetts organisa, au printemps de 1690, une campagne contre les établissements d’Acadie, dont il confia la direction à William Phips*. L’expédition comprenait 7 navires, armés de 78 canons et montés par 736 hommes, dont 446 miliciens. L’escadre mit à la voile le 23 avril (3 mai nouveau style) et après quelques escales à Pentagouet et d’autres postes, entrait dans le bassin de Port-Royal le 9 mai (19 mai). Meneval, averti le soir même par les sentinelles, fit tirer du canon pour alerter les habitants, mais trois seulement accoururent au fort. Le lendemain, Phips remonta la rivière et envoya sommer le gouverneur. Meneval n’avait que 70 soldats ; l’enceinte inachevée demeurait ouverte et ses 18 canons n’étaient pas montés en batterie ; 42 jeunes gens de Port-Royal étaient absents. Toute résistance paraissait donc inutile. Meneval envoya l’abbé Louis Petit discuter des conditions d’une reddition.

Phips accepta une capitulation aux conditions suivantes : le fort, les canons, les marchandises du roi et de la compagnie lui seraient livrés ; officiers et soldats garderaient leur liberté et seraient transportés à Québec ; les habitants conserveraient leurs biens et le libre exercice de leur religion. Mais Phips refusa de signer une capitulation écrite, déclarant que sa parole de général suffisait. Le lendemain, soit le dimanche 11 mai (21 mai), Meneval se rendit lui-même à bord du navire amiral et Phips renouvela ses promesses en présence de Goutin. Pendant ce temps quelques soldats de la garnison pillèrent le magasin de la compagnie et les troupes anglaises descendirent à terre. Quand Phips vit la faiblesse de la place et de la garnison, il regretta d’avoir accordé des conditions aussi généreuses et prit prétexte du pillage survenu pour se dégager de sa parole. Il fit emprisonner les soldats dans l’église et confina le gouverneur dans sa maison, sous la garde d’une sentinelle. Et le pillage organisé commença : pendant 12 jours, les miliciens fouillèrent les maisons et les jardins, s’emparèrent du blé et des hardes des habitants, et tuèrent leurs bestiaux ; ils saccagèrent l’église, démolirent et brûlèrent la palissade. Avant de partir, ils firent prêter serment d’allégeance aux habitants et firent élire un conseil de six notables, présidé par Charles La Tourasse*, pour administrer la justice et veiller au bon ordre jusqu’à ce que le gouvernement du Massachusetts nommât une administration. Puis Phips se rembarque, emmenant le gouverneur prisonnier, avec les abbés Petit et Trouvé et une cinquantaine de soldats ; les autres s’étaient enfuis aux Mines.

À Boston, Meneval passa d’abord trois mois étroitement gardé dans une maison, puis il porta plainte au conseil qui blâma Phips et lui ordonna de restituer à Meneval ses habits et son argent, mais Phips ne lui remit que 1 000# et quelques friperies. Meneval obtint ensuite un passeport pour Londres mais Phips, craignant des révélations, le fit remettre en prison. Meneval réussit cependant à obtenir sa liberté et s’embarqua pour la France sur un petit navire de 25 tonneaux, nolisé par Dongan. Il était à Paris le 6 avril 1691 et demandait audience à Pontchartrain. Il avait laissé ses papiers et une procuration à John Nelson, afin de poursuivre des réclamations contre Phips. Mais l’emprisonnement de Nelson et la nomination de Phips comme gouverneur, puis sa mort, empêchèrent de donner suite à ces réclamations. Au cours des années suivantes, Meneval donna des avis pour un projet d’attaque contre Boston et sur la question des frontières. En 1700, il tenta une ultime démarche auprès du ministre, pour que les commissaires s’occupent de lui obtenir un remboursement de la part de la veuve et des héritiers de Phips, mais il semble bien que ces instances n’obtinrent aucun succès. Il mourut vers 1703 ou 1709.

La carrière de Meneval, comme gouverneur, ne fut pas très brillante. Il possédait sans doute des qualités ; il parut honnête et désireux de bien servir. S’il toléra le commerce anglais, par nécessité, rien ne prouve qu’il y ait pris part lui-même. Ses mémoires dénotent de l’intelligence et une bonne compréhension de la situation. Mais il se révéla d’un caractère difficile et vétilleux, se plaignant, à peine arrivé, de ses premiers auxiliaires, Gargas et Miramont. Dans l’exercice de son autorité il fut souvent arbitraire et abusif, condamnant les gens à la prison pour des vétilles et prenant des mesures excessives, comme l’exil de la famille Morin. Comme militaire, il ne montra guère d’efficacité dans la défense de Port-Royal ; malgré la décision de la cour de relever le fort dès 1687, il hésita, ne décida rien, puis laissa toute la responsabilité aux ingénieurs ; il reçut à ce sujet un blâme sévère de Seignelay. Lors du siège, il parut plutôt pressé de capituler ; Perrot et Frontenac jugèrent mal cette reddition sans même un simulacre de résistance. Mais peut-être Meneval fut-il plus à plaindre qu’à blâmer. Il était malade, mal secondé, et probablement peu préparé à remplir un commandement aussi lourd de responsabilités. Il se découragea, prit le pays en dégoût et ses lettrés présentent une longue kyrielle de lamentations. En somme, dans les circonstances difficiles où il exerça son mandat, il eut le tort de ne montrer que des qualités assez ordinaires, alors qu’il eût fallu un courage et des talents exceptionnels.

René Baudry

AN, Col., B, 13, ff.144, 184s. ; 15, ff.34s. ; Col., C11A, 9, f.214 ; 10, 11 ; Col., C11D, 2, ff.78–83v., 94, 96–104, 104–106v., 112v., 115, 126–130, 134–143, 153–158 ; Col., C11E, 1, f.43 ; Col., E, 309 (dossier Meneval) ; Col., F1A, 3, f.52 ; Section Outre-Mer, Dépôt des fortifications des colonies, carton 2, nos 56s.— BN, mss, Clairambault 884, ff.189–197.— Mass. Archives, XXXVI, 233, 262, 263a ; XXXVII, 176, 178.— Acadiensia Nova (Morse), I : 135s., 171, 196, 203s.— Charlevoix, Histoire, II : 52 ; III : 75.— Coll. de manuscrits relatifs à la N.-F., I : 396–399, 406, 410–413, 433–436, 502s. ; II : 6–8, 10–12, 40–44, 239s., 253s.— Correspondance de Frontenac (1689–1699), RAPQ, 1927–28 : 42.— Édits ord., III : 89.— Journal of expedition against Port Royal, 1690.— Jug. et délib., III : 189, 274.— Lettre du ministre à M. de Menneval, gouverneur de l’Acadie, BRH, XXVII (1921) : 147s.— Webster, Acadia, 182s.— Parkman, Count Frontenac and New France (1891), 235–240.— Rameau de Saint-Père, Une colonie féodale, I : 165 ; II : 324.— Archange Godbout, Les Morin d’Acadie, MSGCE, I (1944) 101–110.— P.-G. Roy, Qui était M. de Meneval... RAPQ, 1920–21 : 297–307.— Régis Roy, M. de Meneval, BRH, XXVIII (1922) : 271.

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René Baudry, « DES FRICHES DE MENEVAL, LOUIS-ALEXANDRE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 14 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/des_friches_de_meneval_louis_alexandre_2F.html.

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Auteur de l'article:    René Baudry
Titre de l'article:    DES FRICHES DE MENEVAL, LOUIS-ALEXANDRE
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1969
Année de la révision:    1991
Date de consultation:    14 nov. 2024