HARVEY, ELIZA MARIA (Jones), fermière, éleveuse, beurrière et auteure, née le 24 décembre 1838 à Maitland, Haut-Canada, fille de Robert Harvey et de Sarah Glassford ; le 29 novembre 1859, elle épousa à Brockville, Haut-Canada, Chilion Jones, fils de Jonas Jones*, et ils eurent trois fils et quatre filles ; décédée le 6 avril 1903 à Gananoque, Ontario, et inhumée à Brockville.

Deuxième fille d’un meunier en vue, Eliza Maria Harvey fit ses études à Montréal et en Écosse. La mort prématurée de sa mère l’obligea à rester à la maison pour s’occuper de ses cinq jeunes frères et sœurs. Ce fut probablement à la ferme paternelle qu’elle se mit à s’intéresser à la production laitière et aux bêtes.

En 1859, Eliza Maria Harvey épousa Chilion Jones, membre d’une famille loyaliste bien en vue de Brockville. Le jeune couple s’installa à Ottawa, où Chilion, architecte et ingénieur, travaillait aux nouveaux édifices du Parlement [V. Thomas Fuller*]. Une fois les travaux terminés, ils retournèrent à Brockville ; ils avaient une petite propriété en bordure de la municipalité. Dans les années 1860, Mme Jones mit au monde quatre enfants et créa une petite exploitation laitière. La propriété familiale n’ayant que quelques acres, elle louait deux petites fermes voisines. Au début, elle acheta des vaches améliorées par le croisement et vendit dans les environs sa petite production de beurre. Puis, d’après son propre témoignage, elle résolut d’élever des vaches jersiaises pure race après avoir acheté en 1873 une vache exceptionnelle qui était en partie de cette race. C’était une décision éclairée car, à l’époque, en Ontario, on considérait que la vache idéale, généralement un animal amélioré, devait pouvoir donner à la fois du lait et de la viande de boucherie. On décriait les vaches de Jersey parce qu’on trouvait qu’en élever était du gaspillage : elles étaient petites, inaptes à donner de la viande et capables de produire seulement une quantité insignifiante de lait riche en matières grasses. Cependant, Mme Jones était impressionnée par la qualité du beurre que l’on pouvait obtenir à partir de leur lait. En quelques années, au prix d’une « expérimentation ardue », elle apprit à faire un beurre riche et parfait, en un temps où une bonne partie du beurre ontarien était jugée tout juste bonne à graisser les essieux. Sauf exception, le beurre était fabriqué dans des fermes, par des femmes, dans des conditions difficiles et souvent insalubres. Les fermes n’en produisaient habituellement qu’une petite quantité et la vendaient à des commerçants locaux qui la revendaient à des clients ou l’empaquetaient pour l’exportation, d’ordinaire sans se soucier de la fraîcheur et de la couleur du produit ni de la propreté des contenants. Par contre, Mme Jones préparait son beurre en respectant des règles strictes d’hygiène et le vendait au prix fort à de prestigieux clients du Canada et des États-Unis. Dans les années 1890, elle en expédiait plus de 7 000 livres par an. Au Canada, elle approvisionnait notamment le Rideau Club d’Ottawa et les wagons-restaurants du chemin de fer canadien du Pacifique.

Eliza Maria Jones avait acheté ses premières Jersey pure race de Romeo H. Stephens, de Montréal, un ami de sa famille qui, selon toute vraisemblance, avait été le premier à constituer au Canada – en l’occurrence à Saint-Lambert – un troupeau à partir de bêtes provenant du cheptel royal de Windsor. Ces vaches jersiaises avaient donné à Mme Jones un troupeau nombreux. Sa ferme était un modèle d’« agriculture scientifique » : le bétail logeait dans une étable éclairée au gaz et munie d’équipement actionné par une machine à vapeur. Les rations des vaches étaient équilibrées avec soin de manière à maximiser la production laitière. Mme Jones avait trois employés, mais elle supervisait elle-même toutes les activités, de la tenue des livres à la production du beurre. Son mari, qui avait peu à voir avec la ferme, semble avoir été souvent absent ; il dirigeait la manufacture de pelles de son frère à Gananoque.

Dans les années 1880, Mme Jones commença à présenter ses bêtes dans des foires et des expositions en Ontario, au Québec et dans l’État de New York. Elle remporta un indiscutable succès. Sa première récompense importante fut la coupe des éleveurs décernée en 1886 par la Kellogg and Company, commerce new-yorkais de bovins. En 1889, le Farmer’s Advocate and Home Magazine, de London [V. William Wild*], offrit un prix pour les trois meilleures vaches laitières de l’Ontario ; les vaches jersiaises de Mme Jones l’emportèrent aisément. Elles remportèrent aussi des distinctions à de grandes foires et expositions tenues à Ottawa, à Montréal, à Toronto et à Kingston, et ce même si Mme Jones, comme elle l’écrivait en 1890, avait l’impression de ne pas pouvoir « consacrer autant de temps à [ses] vaches qu’on le suppos[ait], parce que [ses] affaires domestiques et familiales [devaient] toujours passer en premier, ce qui l’empêch[ait] souvent de participer aux expositions ».

Eliza Maria Jones vendait des bêtes à des particuliers et à des établissements de toute l’Amérique du Nord, notamment l’Ontario Agricultural College de Guelph, qui avait un important troupeau de démonstration. Elle appartenait à la Canadian Jersey Cattle Breeders’ Association et collaborait fréquemment à des périodiques agricoles tel le Farmer’s Advocate. Pendant l’hiver de 1891–1892, elle publia une série d’articles sur la production laitière dans le Family Herald and Weekly Star de Montréal. Ayant reçu un abondant courrier, elle décida de rassembler ses articles et de les compléter pour en faire un livre. Dairying for profit : or, the poor man’s cow parut à Montréal en 1892 ; Mme Jones le dédiait aux « épouses des fermiers d’Amérique [...] [ses] compagnes de labeur ». L’ouvrage connut un succès remarquable ; à lui seul, le département d’Agriculture de l’Ontario en acheta plus de 50 000 exemplaires. Le Farmer’s Advocate en donnait en prime d’abonnement et l’annonçait comme « le meilleur livre jamais écrit ». Ce fut probablement en partie à cause de sa renommée que Mme Jones fut choisie comme juge du beurre à l’Exposition universelle de Chicago en 1893. Quatre ans plus tard, le périodique torontois Farming la qualifiait de « productrice laitière la plus connue de tout le continent ».

En 1896, après la vente de la plus grande partie des terres qu’elle louait, Mme Jones avait vendu la moitié de son troupeau à Benjamin Heartz, de Charlottetown. Elle gardait quelques bêtes pour « subvenir aux besoins de [sa] famille ». Comme elle n’était pas femme à rester inactive, elle se consacra à l’élevage et à la vente de chevaux de roulage et de course. En outre, elle se mit à écrire des nouvelles et de la « littérature d’agrément » pour le Farmer’s Advocate.

À l’automne de 1902, Eliza Maria Harvey Jones se rendit à Gananoque pour rejoindre son mari, qui n’allait pas bien. Elle tomba malade dans cette localité et y mourut. Elle avait été méticuleuse jusqu’à la fin : après sa mort, on vendit ses dernières vaches jersiaises au prix qu’elle avait elle-même fixé. Elle laissait dans le deuil son mari, deux fils et trois filles, dont Elsie, écuyère réputée.

S. Lynn Campbell et Susan Bennett

D’autres éditions de Dairying for profit : or, the poor man’s cow, d’Eliza M. [Harvey] Jones, ont été publiées à Chicago (1893) et à Montréal (1894) ; une traduction française, intitulée Laiterie payante : ou, la vache du pauvre, a paru à Trois-Rivières, Québec, en 1894. Eliza Jones a aussi écrit un opuscule de huit pages intitulé Lecture on co-operative dairying and winter dairying (Montréal, [1893]).

AN, RG 31, C1, 1871, Brockville, Ontario, East Ward (mfm aux AO).— AO, RG 8, I-6-B, 28 : 32 ; RG 22, Ser. 179, no 3505.— Evening Recorder (Brockville), 7, 11 avril 1903.— Farmer’s Advocate and Home Magazine, 1890–1903.— Globe, 7 avril 1903.— Ruth McKenzie, « Eliza Jones – Canada’s pioneer dairywoman », Family Herald (Montréal), 25 janv. 1968 : 39s.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1898).— Chadwick, Ontarian familles, 1 : 176.— The dairy industry in Canada, H. A. Innis, édit. (Toronto, 1937).— Farming, 14 : 435.— R. L. Jones, History of agriculture in Ontario, 1613–1880 (Toronto, 1946 ; réimpr., Toronto et Buffalo, N.Y., 1977).— J. W. G. MacEwan, The breeds of farm live-stock in Canada (Toronto, 1941).— Ontario Geneal. Soc., Leeds and Grenville Branch, Brockville cemeteries : St. Peter’s Anglican and the Old Catholic (Brockville, [1986]).— Ralph Selitzer, The dairy industry in America (New York, 1976).— Types of Canadian women (Morgan).

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S. Lynn Campbell et Susan Bennett, « HARVEY, ELIZA MARIA (Jones) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/harvey_eliza_maria_13F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
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