Homme noir né libre, qui fut kidnappé et réduit en esclavage alors qu’il était enfant aux États-Unis, John Washington Lindsay (mort en 1876) finit par se réfugier dans le Haut-Canada, où il mena une brillante carrière de petit entrepreneur et de propriétaire foncier à St Catharines, tout en contribuant à la vie de sa communauté par son militantisme et sa philanthropie. Il découvrit cependant qu’il ne suffisait pas d’échapper à l’esclavage pour échapper aux préjugés.
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Lindsay (Lindsey, Linzy, Linsday), John Washington, abolitionniste, forgeron, homme d’affaires et leader communautaire, né vers 1805 à Washington, D.C. ; il épousa à St Catharines, Haut-Canada, Harriet E. Hunter (la licence de mariage est datée du 4 août 1840), et ils eurent neuf enfants, dont six vécurent jusqu’à l’âge adulte ; décédé le 31 janvier 1876 à St Catharines, Ontario.

John Washington Lindsay vit le jour vers 1805 au sein d’une famille noire libre dans la nouvelle capitale des États-Unis. Cependant, des chasseurs d’esclaves l’enlevèrent quand il avait sept ans. Il affirmerait qu’« un grand nombre de personnes de couleur nées libres [avaient] été kidnappées ». On l’amena en Caroline du Sud, en Géorgie, en Alabama et finalement dans l’ouest du Tennessee, où il tenta en vain de faire valoir son droit à la liberté. Il prit alors une décision majeure : « Justice m’ayant été refusée, je me résolus à me libérer moi-même. » Il avait une trentaine d’années. Après avoir fui la servitude, il envisagea de retourner chez lui à Washington pour retrouver ses parents. Apprenant que la capitale américaine restait un endroit dangereux pour les Noirs, il mit le cap sur le Canada britannique. Il lui fallut quitter son pays natal pour pouvoir bénéficier des mêmes droits que ceux accordés aux hommes blancs de naissance par la constitution des États-Unis.

Comme il avait le teint clair et parlait « d’une manière si importante » (sans utiliser la langue vernaculaire associée aux esclaves noirs), Lindsay, selon ses dires, eut « peu de difficulté » à atteindre la ville frontalière de St Catharines, où il vivait en 1835. Il y rejoignit une petite population noire dans la région du Niagara, dont la présence remontait à la venue, à l’issue de la guerre d’Indépendance américaine, de loyalistes noirs [V. Richard Pierpoint*] et d’esclaves de loyalistes blancs. À l’instar de la plupart des Noirs de l’endroit, il s’établit dans le « village de personnes de couleur ». Le révérend Hiram Wilson, missionnaire abolitionniste, affirmerait qu’il arriva sans le sou, mais que, en 1854, il était devenu la personne la plus riche de la communauté noire. En 1842, sous le nom de John Washington Linzy, il demanda sa naturalisation en tant que sujet britannique ; il l’obtint officiellement le 10 juin 1844. Contrairement à la majorité des résidents noirs et à de nombreux Blancs, il savait signer son nom.

L’industrieux Lindsay travailla en qualité de manœuvre, d’agriculteur, de colporteur et de forgeron, métier qu’il avait appris dans le sud des États-Unis. Il favorisa la croissance économique de sa communauté canadienne en formant d’autres forgerons. Constatant que « les gens de couleur au Canada [… étaient] exclus de tout ce qui pouvait leur faire gagner leur vie », il encouragea également les Noirs à se suffire à eux-mêmes, ou, comme il le disait, à faire « des affaires entre [eux] ». Il réussit à créer plusieurs entreprises, dont une épicerie et une brasserie, pour répondre aux besoins de la collectivité noire. Entre 1854 et 1876, la valeur de ses biens imposables passa d’environ 575 $ à plus de 6 000 $. En 1863, il déclarerait à l’American Freedmen’s Inquiry Commission (AFIC), qui recueillait des témoignages dans le Haut-Canada, qu’il s’était « étonnamment bien débrouillé, considérant l’ampleur des préjugés ». Il louait nombre de ses propriétés, sans discrimination fondée sur la profession, l’âge, le sexe ou la couleur. À St Catharines, il rencontra et épousa Harriet E. Hunter, de Cincinnati, en Ohio. Formée à l’Oberlin College, dans son État d’origine, elle était arrivée dans le Haut-Canada en 1839, sous les auspices d’Hiram Wilson, pour y enseigner. Compagne de Lindsay durant plus de 35 ans, elle joua un rôle important dans le succès de ses entreprises.

Lindsay s’investissait beaucoup dans la communauté, en particulier dans les affaires des résidents de couleur. Selon le recensement de 1861, la population totale de quelque 6 200 personnes comptait plus de 600 Noirs. La notoriété de Lindsay rivaliserait avec celle d’autres leaders noirs canadiens comme Harriet Tubman [Ross*], Wilson Ruffin Abbott et Mary Ann Camberton Cary [Shadd*]. Dès son arrivée, Lindsay se révéla un acteur important dans les célébrations annuelles du 1er août, jour de la commémoration du Slavery Abolition Act britannique, entré en vigueur en 1834. Il appartenait, à l’instar de Tubman (« chef de train » pour le « chemin de fer clandestin »), à deux associations interraciales : la Refugee Slaves’ Friends Society et la Fugitive Aid Society of St Catharines. Dans les années 1850, à titre d’administrateur de longue date de l’Église méthodiste épiscopale africaine (Église méthodiste épiscopale britannique [V. Richard Randolph Disney*] à partir de 1856), il joua un rôle majeur dans le financement et la construction de la chapelle Salem. Au cours de la même décennie, il s’efforça de régler les affaires d’une colonie noire infructueuse dans le canton de Dawn [V. Josiah Henson*]. À l’occasion d’élections, il soutenait publiquement les candidats qui, selon lui, favoriseraient les intérêts des résidents noirs ; son influence leur garantissait l’appui du groupe électoral de couleur.

Pendant la guerre de Sécession, de 1861 à 1865, Lindsay suivit l’évolution du conflit et continua d’aider les esclaves fugitifs à s’installer en sol canadien. Quand la proclamation d’émancipation entra en vigueur, en 1863, nombre de Noirs quittèrent le Haut-Canada pour retourner aux États-Unis. Lindsay décida pour sa part de rester dans le pays qui, à son avis, malgré la discrimination dont sa communauté faisait l’objet, lui offrait de meilleurs débouchés. Il s’exprima ainsi devant l’AFIC : « Je trouve que les préjugés sont les mêmes ici qu’aux États-Unis. Je ne vois absolument aucune différence. Très souvent, lorsqu’un homme de couleur demande du travail à un fermier, [celui-ci] ne le prendra pas, même s’il a vraiment besoin d’aide, parce qu’il n’accepte pas de l’avoir autour de sa maison […] Un homme, vous savez, ne peut rien contre sa peau. » Il se disait toutefois ceci : « Dieu souhaite peut-être faire sortir le bien de cette grande guerre. » Lindsay comprenait que le Canada et les États-Unis entretenaient un lien étroit et que l’éradication de l’esclavage au sud de la frontière profiterait aux Noirs vivant au nord.

La ségrégation dans le domaine de l’éducation à St Catharines constituait une préoccupation de longue date pour Lindsay. Au cours des années 1850 et 1860, les enfants noirs « d’un bout de la ville à l’autre » ne pouvaient aller qu’à une école, qui, de plus, recevait moins de financement que les autres. « Voici nos enfants, auxquels nous tenons tout autant que les Blancs tiennent aux leurs, et nous voulons qu’ils [soient] élevés et éduqués, mais […] je n’ai jamais vu d’érudit formé ici [à St Catharines] parmi les gens de couleur », affirma-t-il encore devant l’AFIC. En 1871, il dénonça l’injustice en matière d’éducation et signa une pétition pour autoriser les enfants noirs à fréquenter les écoles de leurs quartiers de résidence. Cette année-là, une action en justice intentée par l’ouvrier William Hutchinson, dont le fils s’était vu refuser l’accès à une école pour Blancs, connut un dénouement positif ; en pratique, cela mit fin à la ségrégation scolaire à St Catharines.

Lindsay soutenait les jeunes Noirs ; il s’intéressait en outre aux personnes âgées de sa communauté et veillait à ce qu’elles habitent dans des logements convenables. En 1868, il avait plaidé devant le conseil municipal en faveur d’une vieille femme dans le besoin, et il fournit des logis dans ses propriétés locatives à deux veuves âgées. Il resta actif jusqu’à la fin de sa vie. Il mena le défilé du 1er août 1873 à titre de maître de cérémonie. L’année suivante, toujours pour défendre les intérêts de sa communauté, il réclama la construction de trottoirs sur la rue Geneva, artère principale de la population noire. Lindsay tomba malade en 1875. Il passa quatre mois sous les soins de Lucius Sterne Oille, médecin local important, puis mourut d’hypertrophie le 31 janvier 1876. On l’inhuma au cimetière Victoria Lawn deux jours plus tard. Dans son testament, rédigé peu avant, il laissait à sa femme un patrimoine considérable. La paralysie emporterait Harriet E. le 28 mars 1881.

Lindsay noua un certain nombre de relations intéressantes durant ses années au Canada. L’abolitionniste bostonien Benjamin Drew l’interviewa en 1855 et Samuel Gridley Howe, de l’AFIC, en 1863. En bons termes avec les hommes politiques locaux, il fit peut-être aussi la connaissance du journaliste Samuel Ringgold Ward*, qui visita St Catharines en 1853, et les abolitionnistes américains Frederick Douglass et Jermain Wesley Loguen, qui donnèrent des conférences à St Catharines à l’occasion. En 1860, à un banquet du Parti conservateur, seul événement social organisé par des Blancs auquel on le convia (« en règle générale, les gens de couleur ne sont pas invités dans la société », nota-t-il), il rencontra le procureur général du Haut-Canada, John Alexander Macdonald*, futur premier ministre du Canada.

John Washington Lindsay connut un parcours mouvementé. D’une vie de servitude injuste, il s’éleva à une position relativement aisée et influente. Né libre dans la capitale des États-Unis d’Amérique, c’est toutefois au Canada qu’il atteignit la réussite, ce qui constitue l’aspect le plus remarquable de son histoire.

Dann J. Broyld

En 2023, le Salem Chapel Underground Railroad Cemetery Project a retrouvé et réparé la stèle funéraire très endommagée de John Washington Lindsay.

Une entrevue de Lindsay accordée à Benjamin Drew a paru dans le livre de ce dernier intitulé The refugee : or the narratives of fugitive slaves in Canada […] (Boston et Cleveland, Ohio, 1856), dont nous avons aussi consulté l’édition publiée en 2008 à Toronto : The refugee : narratives of fugitive slaves in Canada, introd. par G. E. Clarke. Le témoignage que Lindsay a livré devant l’American Freedman’s Inquiry Commission figure dans Slave testimony : two centuries of letters, speeches, interviews, and autobiographies, J. W. Blassingame, édit. (Baton Rouge, La, 1977). Nous mentionnons d’autres sources sur la vie de Lindsay dans notre article « “Justice was refused me, I resolved to free myself” : John W. Lindsay finding elements of American freedoms in British Canada, 1805–1876 », Ontario Hist. (Toronto), 109 (2017) : 27–59, et dans notre ouvrage Borderland Blacks : two cities in the Niagara region during the final decades of slavery (Baton Rouge, 2022).

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Dann J. Broyld, « LINDSAY (Lindsey, Linzy, Linsday), JOHN WASHINGTON », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 4 déc. 2025, https://www.biographi.ca/fr/bio/lindsay_john_washington_10F.html.

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Auteur de l'article:    Dann J. Broyld
Titre de l'article:    LINDSAY (Lindsey, Linzy, Linsday), JOHN WASHINGTON
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2025
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Date de consultation:    4 déc. 2025