MAURIN, FRANÇOIS, aide-munitionnaire général des vivres, né vers 1726 à « Jarnac en Saintonge », France, fils de Philippe Maurin, négociant, et de Marguerite-Geneviève Mounier, décédé probablement en France après 1765.
François Maurin arriva au Canada dans des circonstances inconnues. Intelligent et instruit, il exerça d’abord les fonctions de commis chez quelques marchands montréalais. Au printemps de 1756, Joseph-Michel Cadet*, que l’intendant François Bigot* venait de nommer munitionnaire général des vivres en Nouvelle-France, se rendit à Montréal, où il choisit Maurin pour son principal commis. Ce dernier reçut de Cadet le « gouvernement » de la « Maison » de Montréal « sous la direction du Sr Péan [Michel-Jean-Hughes Péan*] principal associé » du munitionnaire général. Maurin devait s’occuper de fournir des vivres aux militaires et aux habitants de la région de Montréal, de même que des forts et des postes de traite aux pays d’en haut. Il était lié dans cette affaire à un marchand montréalais, Louis Pénissault*, dont le travail se limitait aux opérations purement matérielles. Ce dernier s’était associé en 1754 à Brouilhet, receveur général des finances à Paris, et aux frères La Ferté, marchands, qui lui envoyaient des marchandises de France.
Maurin et Pénissault, désireux de faire fortune rapidement, s’attachèrent à placer dans les forts et postes des pays d’en haut des « personnes à [leur] dévotion ». C’est ainsi que « de concert avec plusieurs garde-magasins et [...] commandants des postes » ils purent s’enrichir rapidement. Par exemple, ils quadruplèrent le nombre des rations mensuelles pour les postes et forts de l’Ouest, ils vendirent le minot de blé 24# lequel ne leur avait coûté que 6#, ils gonflèrent les chiffres des cartes de rations, ajoutant des zéros, multipliant par cent et même par mille le chiffre de la consommation réelle des garnisons et des postes. Il n’est donc pas étonnant que lors de la signature de son contrat de mariage le 19 décembre 1758, Maurin put déclarer au notaire Pierre Panet* qu’il possédait 200 000# « tant en argent comptant, meubles, marchandises qu’effets ». Car bien qu’il passât pour « l’homme le plus difforme de la Colonie », « étant bossu devant et derrière » et « escargot par la figure », il put épouser, le 21 décembre 1758, Archange, fille mineure de Louis-Césaire Dagneau Douville de Quindre, qui apportait à la communauté matrimoniale 15 000# en argent et biens meubles. Un des principaux témoins au mariage fut Pierre Landrière, écrivain principal chargé par l’intendant Bigot, depuis le début des années 50, de l’examen de la comptabilité, des constructions et des écritures des forts des pays d’en haut.
François Maurin continua jusqu’en 1759 ses malversations comme aide-munitionnaire à Montréal. Il put ainsi, selon Montcalm, « dépenser plus en voitures, en harnais, en chevaux qu’un jeune fermier général fat et étourdi ». Mais en 1759 les affaires du munitionnaire général Cadet commencèrent à « tourner mal » ; homme prudent, Maurin décida de se retirer du commerce et de mettre ses biens en sûreté. À l’automne de 1760, il s’embarqua avec sa femme en compagnie de son associé Louis Pénissault et du chevalier de Lévis* à bord du navire la Marie que Pénissault avait racheté aux Anglais pour la somme de 21 000#. Maurin emportait avec lui la jolie somme de 1 900 000# qu’il avait réussi à amasser en l’espace de trois ans.
Arrivé en France au début de 1761, François Maurin fut arrêté et emprisonné à la Bastille au mois de décembre de la même année. Accusé « d’avoir commis des malversations et infidélités préjudiciables aux intérêts du Roi » dans le gouvernement de Montréal et dans les postes et forts des pays d’en haut, il subit son procès au Châtelet devant une commission composée de 28 membres, dont 27 conseillers au Châtelet, et présidée par le lieutenant général de police, Antoine de Sartine. L’instruction dura 15 mois. Emprisonné pendant tout ce temps à la Bastille, Maurin put jouir, comme la plupart de ses collègues canadiens, d’un certain traitement de faveur. Grâce à la bonne volonté et à la patience des officiers de garde de la Bastille, François Maurin eut la possibilité de se faire apporter des chemises, des bas, des robes de chambre, des livres, du tabac, du vin, des friandises qui adoucirent ses mois d’emprisonnement. Finalement, le 10 décembre 1763, M. de Sartine et les commissaires le reconnurent coupable des accusations portées contre lui ; selon eux, Maurin avait sciemment participé « au gain illégitime de l’entreprise » du munitionnaire général puisqu’il y était « associé à raison d’un treizième deux tiers [8 p. cent] ou environ ». Le tribunal condamna François Maurin à être banni de Paris pour neuf ans, à payer au roi une amende de 500# en plus des frais du procès et à lui restituer la somme de 600 000#. Le jugement ajoutait que le coupable devait « garder prison à la Bastille [...] jusqu’au payement de la dite somme [600 000#] ». Dès le lendemain de la lecture de la sentence, Maurin voulut effectuer en lettres de change du Canada la restitution spécifiée dans le jugement. Les commissaires s’y objectèrent et exigèrent que la restitution se fit en « espèces monnayées ». Maurin ne put satisfaire à leurs exigences et demeura en prison. Mais après 13 mois de négociations, le 10 janvier 1765, son avocat obtint qu’il paie la restitution en lettres de change du Canada. Ce n’est, cependant, que le 21 mai 1765, après avoir déposé entre les mains du trésorier général des Colonies, Baudart de Vaudésir, 600 000# en lettres de change du Canada, que l’ancien aide-munitionnaire de Montréal fut « élargi des prisons de la Bastille ». Les commissaires demandèrent en plus à Maurin de payer les intérêts dûs sur les 600 000# depuis le 10 décembre 1763 jusqu’au 10 janvier 1765. Le 24 novembre 1765, Maurin obtint du ministre, le duc de Choiseul, l’autorisation de payer ces intérêts en lettres de change du Canada.
Durant son séjour au Canada, François Maurin sut se lier avec des gens bien placés comme Pénissault et Pierre Landriève. Profiteur de guerre, François Maurin tira parti de la situation dans laquelle se trouvait le Canada dans les dernières années du régime français pour devenir « millionnaire ».
AN, Col., B, 120, f.178v. ; 122, ff.266, 375s. ; Col., E, 92 (dossiers Corpron, Maurin, Penissault).— ANQ-M, Greffe de Pierre Panet, 19 déc. 1758 ; Registre d’état civil, Notre-Dame de Montréal, 21 déc. 1758.— Dossier Charles-François Pichot de Querdisien Trémais, RAPQ, 1959–1960, 1–22.— Journal du marquis de Montcalm (Casgrain), 489.— Mémoires sur le Canada. depuis 1749 jusqu’à 1760, 87.— J.-E. Roy, Rapport sur les archives de France, 866ss.— Frégault, François Bigot, passim.— P.-G. Roy, Bigot et sa bande, passim.
André Lachance, « MAURIN, FRANÇOIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 13 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/maurin_francois_3F.html.
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Auteur de l'article: | André Lachance |
Titre de l'article: | MAURIN, FRANÇOIS |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1974 |
Année de la révision: | 1974 |
Date de consultation: | 13 nov. 2024 |