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MONTCALM, LOUIS-JOSEPH DE, marquis de MONTCALM, seigneur de Saint-Veran, Candiac, Tournemine, Vestric, Saint-Julien, et Arpaon, baron de Gabriac, lieutenant général des armées en Nouvelle-France, né au château de Candiac près de Nîmes, France, le 28 février 1712, fils de Louis-Daniel de Montcalm et de Marie-Thérèse-Charlotte de Lauris de Castellane, décédé à Québec le 14 septembre 1759.

Montcalm appartenait à une famille ancienne et distinguée de la noblesse de robe. En 1628, Louis de Montcalm, son arrière-grand-père, avait épousé Marthe de Gozon qui avait apporté en dot les terres de sa famille, à la condition que son mari et les enfants mâles nés de leur mariage adoptent le nom et les armes des Gozon. Au cours du xviie siècle, la famille se tourna du côté de la carrière militaire et ses membres s’y distinguèrent. À l’âge de neuf ans, le 16 août 1721, Louis-Joseph de Montcalm reçut une commission d’enseigne dans le régiment de Hainaut. Huit ans plus tard, il obtint, sans nul doute vénalement, une commission de capitaine dans le même régiment. Ce n’est pas avant 1732, toutefois, que débuta sa carrière active dans les armes. Auparavant, son instruction, comme c’était l’habitude dans l’aristocratie, avait été confiée à un précepteur privé que l’opiniâtreté et l’entêtement de son élève désolaient. Au cours de la guerre de la Succession de Pologne, Montcalm servit en Rhénanie dans les armées commandées par le maréchal de Saxe et le maréchal duc de Berwick. Le 3 octobre 1736, il épousa Angélique-Louise Talon de Boulay. Cinq de leurs enfants, deux fils et trois filles, vécurent au-delà de l’enfance. La marquise de Montcalm était la fille d’Omer Talon, marquis de Boulay, colonel du régiment d’Orléans, et de Marie-Louise Molé. Ses parents appartenaient tous deux à de vieilles et puissantes familles de la noblesse de robe, circonstance qui peut contribuer à expliquer la rapidité avec laquelle son mari gravira les échelons de la hiérarchie militaire.

Au moment où éclata la guerre de la Succession d’Autriche, Montcalm obtint le poste d’aide de camp du lieutenant général marquis de La Fare et fut blessé pendant qu’il subissait le siège à Prague avec l’armée du maréchal de Belle-Isle. Au cours de la célèbre retraite de Bohême, il faisait partie de l’arrière-garde. Le 6 mars 1743, il acquit la charge de colonel du régiment d’Auxerrois, charge évaluée à 40 000#, et il combattit en Italie pendant le reste de la guerre. Il fut créé chevalier de Saint-Louis en avril de l’année suivante. Selon ses propres comptes rendus, il s’était conduit avec distinction, étant toujours au cœur de la bataille. Ce fut certainement le cas à Plaisance (Piacenza, Italie), en juin 1746, lorsque les Autrichiens remportèrent une écrasante victoire sur les armées franco-espagnoles. Le régiment de Montcalm fut anéanti et lui-même fut blessé et fait prisonnier. Lorsqu’il fut suffisamment rétabli pour entreprendre le voyage, il se rendit à Paris, libéré sur parole, et le 20 mars 1747 on le nomma brigadier. Dès qu’il fut dégagé de sa parole à la suite d’un échange de prisonniers, il rejoignit l’armée d’Italie et fut de nouveau blessé au cours d’une autre malheureuse défaite, la bataille d’Assiette (près de Fenestrelle dans les Alpes italiennes). La paix fut signée en 1748 et, le 10 février 1749, le régiment d’Auxerrois fut incorporé à celui des Flandres. Montcalm perdit du même coup le capital placé dans la charge mais un mois plus tard il recevait une commission de « mestre-de-camp » afin de mettre sur pied un régiment de cavalerie qui porterait son nom.

Cependant, la carrière des armes se révélait onéreuse en temps de paix. Il sollicita donc, le 6 octobre 1752, du comte d’Argenson, ministre de la Guerre, une pension en raison de ses états de service (31 ans dans l’armée, 11 campagnes, 5 blessures), de la bonne opinion qu’avaient de lui ses supérieurs hiérarchiques et de la médiocrité de sa fortune personnelle, dans laquelle, selon ses dires, il avait toujours puisé sans lésiner pendant qu’il était à la tête de son régiment. Sa requête fut bien accueillie et, le 11 juillet 1753, on lui accorda une pension de 2 000#. Pendant les sept années que dura la paix, de 1748 à 1755, Montcalm vécut la vie paisible d’un gentilhomme de province, partageant son temps entre la vie sociale de Montpellier et son château de Candiac, où il surveillait l’éducation de ses enfants et aussi réglait devant les tribunaux des querelles avec son voisin sur des questions de droit de propriété ; périodiquement il allait procéder à l’inspection de son régiment.

Pendant ce temps, les Français et les Anglais étaient sur un pied de guerre en Amérique du Nord. Au cours d’un engagement, le 8 septembre 1755, Dieskau, le commandant des troupes régulières françaises, avait été fait prisonnier. Il fallait lui trouver un remplaçant. Le spectre de la guerre se dessinant en Europe, les officiers généraux d’expérience n’avaient aucun désir d’aller servir sur un théâtre d’opérations aussi éloigné. Il fallut se rabattre sur les officiers supérieurs et le choix s’arrêta sur Montcalm. Le 11 mars 1756, il fut nommé maréchal de camp, soit au même rang, avec les mêmes traitements et allocations que Dieskau, c’est-à-dire 25 000# de solde, 12 000# pour couvrir ses frais de déplacement, 16 224# d’allocations de séjour, avec, en plus, une pension de 6 000# à son retour en France, dont la moitié réversible à sa femme s’il mourait avant elle.

La commission de Montcalm et les instructions qui l’accompagnaient spécifiaient que le gouverneur général, Pierre de Rigaud* de Vaudreuil, avait le commandement de toutes les forces armées de la colonie et que Montcalm lui était subordonné en tout. La responsabilité de Montcalm se limitait à la discipline, à l’administration et à l’ordonnance interne des bataillons de l’armée. Il commandait uniquement sur le terrain des opérations militaires et il lui fallait obéir à tous les ordres reçus ; de plus, on l’engageait fermement à demeurer en bonne intelligence avec le gouverneur général. Ces instructions avaient été soigneusement élaborées et maintes fois révisées afin d’éliminer toute source de conflit entre les deux militaires constitués en autorité.

Montcalm prit congé du roi le 14 mars 1756 et partit pour Brest en compagnie du colonel Bougainville* qui faisait partie de son état-major et dont il avait très haute opinion. Il retrouva à Brest les autres officiers de son état-major, le chevalier de Lévis*, son commandant en second, et le colonel Bourlamaque. Il avait peu d’estime pour ce dernier et il considérait Lévis comme un homme au jugement solide mais sans grande imagination. Le convoi comportait également deux bataillons de l’armée régulière appartenant aux régiments de la Sarre et du Royal-Roussillon. Ils mirent à la voile le 3 avril et cinq semaines plus tard les vaisseaux remontaient sains et saufs les eaux du Saint-Laurent. Fatigué de la vie à bord, Montcalm débarqua au cap Tourmente et se rendit par terre à Québec où il arriva le 13 mai. Il y demeura une semaine, glanant, comme il le disait lui-même, tous les renseignements possibles « sur un pays et sur une guerre où tout est si différent de ce qui se pratique en Europe ». Il se rendit ensuite à Montréal pour se présenter au gouverneur général qui s’apprêtait à lancer une attaque contre le fort Chouaguen (Oswego).

Leur rencontre fut assez amicale mais dans les premiers rapports qu’il fit tenir à d’Argenson, ministre de la Guerre, Montcalm exprima quelques réserves ; déclarant que Vaudreuil ne s’intéressait qu’aux coloniaux, même s’il était animé de bonnes intentions, il était d’un caractère indécis. Apparence, éducation, caractère, tempérament, tout différait chez ces deux hommes. Vaudreuil, Canadien de naissance, était un homme de haute taille, de manières courtoises et affables, souffrant d’un manque de confiance en soi mais peu enclin à l’intrigue, agité par un perpétuel besoin de distribuer un flot de directives aux officiers subalternes et aux fonctionnaires, désireux de faire bonne impression auprès des hauts fonctionnaires du ministère de la Marine, mais ayant toujours à cœur l’intérêt réel de la population qu’il gouvernait. Pour lui, les troupes régulières françaises n’avaient qu’un rôle : protéger la Nouvelle-France contre les attaques des Anglo-Américains. Montcalm, par contraste, était petit, plutôt rondelet, vif, extrêmement vaniteux, enclin à n’en faire qu’à sa tête, critiquant tout ce qui n’était pas conforme à ses idées préconçues et tous ceux qui ne l’approuvaient pas entièrement ; il était doué d’un esprit caustique et ne pouvait contrôler son langage.

Vaudreuil, prévoyant de nouvelles attaques de la part des Anglo-Américains au lac Ontario, avait dépêché, en février 1756, 360 Canadiens et Indiens sous les ordres de Gaspard-Joseph Chaussegros* de Léry, afin de harceler l’ennemi et nuire aux communications entre le fort Chouaguen et Schenectady (N.Y.). Le succès fut complet ; ils s’emparèrent du fort Bull (sur le lac Oneida, N.Y.) au cours d’un assaut et le détruisirent ainsi qu’une grande quantité de munitions. On ne fit pas de quartier à la garnison. D’autres partis de guerriers canadiens tinrent Oswego en alerte tout au long du printemps et au début de l’été, empêchant les approvisionnements de passer et semant la crainte au sein de la garnison. En juillet, Vaudreuil jugea que le temps était venu de détruire le fort lui-même. Il envoya Montcalm au fort Carillon (Ticonderoga, N.Y.) afin de faire l’inspection du nouveau fort qu’on y avait élevé et tromper l’ennemi sur ses intentions, puis il massa 3 000 hommes au fort Frontenac (Kingston, Ont.). Montcalm les rejoignit le 29 juillet. Avant de quitter Montréal, celui-ci avait exprimé de sérieux doutes sur l’expédition, mais la question la plus importante n’était en définitive que la construction d’une route pour amener l’artillerie de siège. Après un court bombardement, et avec l’irruption à portée de mousquet des Canadiens et des Indiens sous le commandement de François-Pierre de Rigaud* de Vaudreuil, frère du gouverneur, la garnison se rendit. On fit 1 700 prisonniers, on s’empara de plusieurs vaisseaux armés, d’un grand nombre de canons, de munitions et d’approvisionnements de toutes sortes et d’un coffre de guerre qui contenait des fonds dont la valeur atteignait 18 000#. Montcalm déclara que le coût de l’expédition avait été de 11 862#. En somme, ce fut une expédition fructueuse, mais davantage encore sur le plan stratégique : le contrôle du lac Ontario était maintenant assuré aux Français, le flanc nord-ouest de la colonie de New York était vulnérable et le danger se dissipait d’une attaque contre les forts Frontenac et Niagara (près de Youngstown, N.Y.).

Vaudreuil était bien heureux de ce qu’il nommait « ma victoire ». Montcalm entretenait toujours des réserves. Dans une dépêche au ministre de la Marine il reconnut que l’audace de l’attaque aurait paru de la folle témérité en Europe. Il donna au ministre l’assurance que si on lui confiait un poste de commandant en Europe, il agirait différemment et il ajouta que lors de l’assaut, si les choses avaient mal tourné, il se serait retiré et aurait sauvé les munitions et l’honneur de l’armée, eût-il dû sacrifier 200 ou 300 hommes. La nature du terrain, le peu d’audace des Anglo-Américains, la crainte qu’ils avaient des Indiens lui avaient donné la victoire, affirmait-il. Vaudreuil aussi avait ses préoccupations mais non pas sur la manière dont avait été remportée la victoire. Il s’inquiétait du comportement des troupes de terre françaises face à une campagne en Amérique et aussi de leur attitude à l’égard des Canadiens. C’était le début des difficultés qui devaient assaillir la colonie au cours des quatre années qui suivirent.

Montcalm trouvait à redire au sujet de la stratégie et des tactiques auxquelles Vaudreuil avait recours. Pour nuire à l’offensive ennemie, Vaudreuil avait foi dans la tactique de multiplier les attaques sous forme de raids sur les établissements frontaliers anglais, afin de couper les communications, détruire les dépôts de munitions et désorganiser l’ennemi ; Montcalm, pour sa part, était convaincu que la stratégie défensive était le seul recours possible contre les troupes régulières anglaises. Il n’avait que mépris pour la petite guerre et il soutenait que la tactique européenne était la seule façon sensée de faire la guerre. Il en vint rapidement à nourrir une profonde antipathie à l’égard de Vaudreuil et de tout ce qui était canadien. Il était d’avis que les troupes régulières canadiennes avaient trop bonne opinion d’elles-mêmes et que la milice était un ramassis d’indisciplinés dont la valeur militaire était à peu près nulle. Quant aux Indiens, il les considérait avec mépris et affirmait que ce qu’on pouvait en dire de mieux c’est qu’il était préférable de les avoir avec soi plutôt que contre soi. Il prétendait d’autre part avoir gagné l’estime et la confiance des Canadiens et déclarait que l’affection que lui vouaient les Indiens avait étonné Vaudreuil qui s’en montrait fort envieux.

Il était tout à fait normal à l’époque pour un général de l’armée française d’exprimer à haute voix le peu d’estime dans laquelle il tenait son supérieur hiérarchique. Un officier de grade supérieur devait consacrer beaucoup de son temps à déjouer les intrigues et les tracasseries des autres officiers généraux et de leurs amis de la cour qui cherchaient à obtenir son congédiement. Dans le cas de Montcalm, le ministre de la Guerre favorisa l’intrigue en lui fournissant un chiffre spécial et une adresse privée pour lui permettre de s’exprimer plus librement qu’il ne pouvait le faire dans des dépêches acheminées par les voies ordinaires. Chez Montcalm, la propension à l’intrigue était démesurée ; il se permettait à l’occasion, devant ses officiers et ses domestiques, des critiques qu’on pourrait qualifier de diffamatoires à l’endroit de Vaudreuil. Nul besoin d’ajouter que le gouverneur général en était rapidement informé.

Au début de 1757, pendant que les Anglais se préparaient à mettre le siège devant Louisbourg, île Royale (île du Cap-Breton), Vaudreuil élaborait des plans pour attaquer les positions anglaises au sud du lac Champlain. Leur destruction réduirait à néant l’attaque qu’on redoutait par cette route. En juillet, après l’arrivée des vaisseaux apportant des ravitaillements de France, Montcalm réunit à Carillon 6 200 hommes, réguliers et miliciens. Il y avait 1 800 Indiens avec eux. Les instructions émanant de Vaudreuil étaient de détruire le fort William Henry (appelé aussi fort George) à l’extrémité sud du lac Saint-Sacrement (lac George, N.Y.) puis de raser le fort Edward (N.Y.) situé à quelques milles plus au sud. Les instructions contenaient une clause de repli, laissée à la discrétion de Montcalm, au cas où une poussée au-delà du fort William Henry mettrait l’armée en péril, mais Vaudreuil indiqua clairement que rien moins que l’imminence de ce danger ne devrait détourner Montcalm de sa marche sur le fort Edward.

Le 3 août 1757, les troupes de Montcalm étaient massées autour du fort William Henry dont la garnison comptait 2 500 hommes. Son commandant, le lieutenant-colonel George Monro, repoussa une sommation de se rendre. Montcalm, à la façon calculée d’un siège de style européen, fit alors construire une route, des tranchées et des emplacements de canons. Le 6 août, huit canons ouvrirent le feu. Trois jours plus tard, la garnison demanda les conditions de capitulation. On conclut rapidement un arrangement. La garnison reçut la permission de se retirer avec les honneurs de la guerre, avec armes et bagages, mais elle ne devait pas combattre contre les Français pendant 18 mois ; dans moins de trois mois, tous les prisonniers faits en Amérique du Nord et qui étaient aux mains des Anglais devaient être rendus au Canada ; tous les canons, munitions et magasins dans le fort devaient être laissés intacts. De leur côté, les Français acceptèrent d’escorter la garnison jusqu’au fort Edward afin de les protéger contre les Indiens.

La responsabilité des actes qui suivirent a fait l’objet de nombreuses controverses. Au moment où la garnison s’éloignait, elle fut attaquée par les Indiens ; un certain nombre de soldats furent tués et quelque 500 ou 600 hommes furent amenés de force au camp indien. Montcalm et ses officiers firent tout ce qu’ils purent pour arrêter le massacre et ils réussirent à reprendre environ 400 prisonniers. Vaudreuil, par la suite, obtint contre rançon la libération de presque tous les autres mais plusieurs avaient été tués et quelques-uns dévorés. Montcalm prit l’incident à la légère. Il écrivit aux généraux Daniel Webb et John Campbell, comte de Loudoun, les avertissant que cet événement regrettable ne leur fournissait pas une excuse pour éviter de se soumettre aux conditions de la capitulation. Les Anglais n’étaient pas de cet avis ; selon eux, la garnison du fort William Henry se trouvait dégagée de sa parole de sorte qu’on ne rendit point les prisonniers canadiens. Mais les 44 pièces d’artillerie, de grandes quantités de munitions et des provisions de bouche suffisantes pour nourrir 6 000 hommes pendant six semaines allèrent grossir les stocks des magasins français.

L’ennemi s’était fait asséner un rude coup mais les effets en furent annulés en quelque sorte par la violation des termes de la capitulation et aussi parce que Montcalm commit la faute de ne pas pousser plus avant son avantage en allant détruire le fort Edward. Le moral des Anglais était au plus bas : le fort Edward, à 16 milles de là, n’était qu’à un jour de marche et, à New York, on était au bord de la panique, attendant d’une heure à l’autre la nouvelle que les Français s’étaient emparés non seulement du fort Edward, mais aussi d’Albany. Montcalm refusa néanmoins d’aller plus loin. Il prétendit que la route pour se rendre au fort Albany était en trop mauvais état pour y traîner l’artillerie lourde, que la garnison du fort avait reçu le renfort de quatre ou cinq mille miliciens, que la consommation des provisions de bouche serait trop considérable et qu’il lui avait fallu renvoyer les miliciens au Canada pour faire les récoltes. La décision de Montcalm rendit Vaudreuil furieux. Les raisons alléguées lui paraissaient peu fondées ; elles étaient tout au plus des excuses en fait, et François Bigot* informa le ministre que plusieurs des officiers supérieurs français pensaient comme Vaudreuil.

Montcalm, cependant, était bien satisfait de ce qu’il avait accompli. Dans sa dépêche au ministre de la Guerre, il n’avait que des louanges pour sa propre conduite et il affirma qu’il faisait tout ce qu’il pouvait pour plaire à Vaudreuil ; il présenta une requête dans laquelle il sollicitait une promotion au grade de lieutenant général, invoquant ses longs services, faisant valoir qu’il était le seul maréchal de camp à la tête d’une armée qui combattait à 1 500 lieues de la France et qu’il avait déjà remporté deux victoires. Il se peut qu’il ait été incité à faire pression dans ce sens, après avoir été informé par une lettre en date du 11 mars 1757 qu’on l’avait nommé commandeur de l’ordre de Saint-Louis. Il demanda, de plus, que dans l’éventualité du décès de Vaudreuil, la charge de gouverneur général par intérim lui soit adjugée plutôt qu’au gouverneur de Montréal comme c’était l’usage ; il se trouvait que le gouverneur de Montréal était le propre frère de Vaudreuil, François-Pierre, à qui on reconnaissait bien peu de talents et sous les ordres duquel il était impensable que Montcalm fût placé. On accueillit favorablement son point de vue mais Machault, ministre de la Marine, avait déjà envisagé une solution. L’année précédente, un pli scellé était parvenu à Bigot qui devait l’ouvrir advenant la mort de Vaudreuil ; il contenait des lettres patentes qui déléguaient à Montcalm les pouvoirs de gouverneur général et, dans le cas du décès de Montcalm, Lévis devait prendre la relève.

Un autre grave problème, l’inflation, ne trouva pas une solution aussi simple. L’affluence de soldats réguliers venant de France, les réfugiés acadiens, la horde des alliés indiens qu’il fallait nourrir et approvisionner au cours des campagnes, tout cela concourait à créer une pénurie d’approvisionnements de toutes sortes. En outre, le surplus d’argent dans la colonie – plus d’un million de livres par année seulement pour les bataillons de l’armée – non compensé par un débit égal de marchandises entraîna une hausse considérable des prix. Montcalm se plaignait sans cesse, avec aigreur, que lui et ses officiers ne pouvaient vivre de leur solde, même s’ils touchaient deux fois plus que les Canadiens des troupes de la Marine. Sa situation personnelle était particulièrement mauvaise, prétendait-il, car il devait tenir table ouverte. Il déclara, en 1757, qu’il avait déjà dépensé 12 000# de plus que sa solde et qu’il puisait à même le patrimoine de ses enfants pour soutenir son rang avec dignité.

Au cours de l’hiver de 1757–1758, les plaintes au sujet des approvisionnements en vivres se firent de plus en plus violentes. On diminua rigoureusement les rations de base, à savoir le pain et la viande. À Montréal, du côté des civils et des militaires, des protestations s’élevèrent. Lorsqu’on décida de remplacer la viande de bœuf par du cheval, les autorités furent obligées de recourir à des mesures sévères que Montcalm ne jugeait toutefois pas assez draconiennes. Les habitants des villes durent certes se serrer la ceinture mais rien ne permet de croire qu’ils aient souffert gravement de la faim. Les récoltes manquées de 1757 et 1758 furent une des causes principales du problème des vivres. La colonie devait donc compter largement sur la France pour son ravitaillement. Les approvisionnements furent expédiés, et une grosse partie atteignit la colonie.

La situation qui prévalait procura à Montcalm l’occasion d’attaquer Vaudreuil et toute l’administration canadienne qu’il qualifiait de complètement corrompue et d’une inefficacité navrante. Montcalm commença également à répéter à ses officiers, au ministre de la Guerre, au ministre de la Marine, que la défaite était inévitable, que la colonie allait à sa perte malgré tous ses efforts personnels et la vaillance de ses hommes. Les deux facteurs, corruption de l’administration et défaite, avaient entre eux un lien de cause à effet. Vaudreuil était la principale cible des attaques de Montcalm, mais Bigot avec qui Montcalm était officiellement en bons termes, fut aussi l’objet d’accusations détaillées. Ces accusations portèrent, car le ministre de la Marine était déjà fort inquiet du coût exorbitant des opérations militaires en Amérique. Il acquit la conviction que la principale cause en était les bénéfices énormes que Bigot et ses amis réalisaient par des moyens détournés. L’administration du Canada parut sous un mauvais jour et le ministre de la Marine inclinait maintenant à accorder plus de crédibilité à Montcalm qu’à Vaudreuil, d’autant plus que celui-ci ne se faisait pas toujours son meilleur avocat.

Les rapports de Montcalm touchant l’abus du jeu, les banquets somptueux qu’on se permettait dans l’entourage de Vaudreuil et de Bigot continuèrent à affaiblir la position du gouverneur. D’un autre côté, même si Montcalm critiquait les excès auxquels on se livrait, il se sentait obligé d’y prendre une certaine part. Il recevait également quelques notables canadiens et se plaisait dans leur société. Il appréciait tout particulièrement le charme et l’esprit des dames de la société canadienne mais il ne semble pas avoir connu les mêmes succès dans les boudoirs que Lévis, ce qui n’était pas sans le contrarier.

En 1758, Vaudreuil comptait bien bloquer l’avance anglaise sur le lac Champlain avec les troupes de l’armée régulière française commandées par Montcalm tandis que Lévis avec 1 600 hommes, en grande partie des Canadiens, mènerait une attaque de diversion contre Schenectady par la vallée des Agniers. Lorsque Montcalm reçut ses directives, il refusa de s’y conformer et exigea une révision. Voulant éviter un scandale public et l’interruption de la campagne, Vaudreuil se rendit à son désir mais il fut outré lorsque Montcalm divulgua l’incident en public. Après le départ de Montcalm pour Carillon, en juin, la nouvelle parvint que l’armée anglaise au lac Saint-Sacrement était beaucoup plus considérable qu’on ne l’avait escompté. Le détachement de diversion de Lévis fut rappelé sur-le-champ et dépêché à Carillon en toute hâte.

À l’extrémité sud du lac Saint-Sacrement, le major général James Abercromby* avait massé la plus grosse armée jamais réunie en Amérique du Nord, soit plus de 6 000 soldats de troupes régulières anglaises et 9 000 hommes de troupes provinciales. Le 5 juillet, l’armée s’ébranla vers le nord du lac. Montcalm, pendant ce temps, tentait de décider s’il devait résister à l’avance, et, si oui, à quel endroit. Il considérait que le fort Carillon était inapte à soutenir un assaut, encore moins un siège. À un certain moment, il envisagea de le faire sauter et de se replier sur le fort Saint-Frédéric (Crown Point, N.Y.), mais on le convainquit de tenir bon. La mort du brigadier Augustus Howe, commandant en second des armées d’Abercromby, homme populaire et compétent, tué le 6 juillet au cours d’une escarmouche au portage situé entre les lacs Champlain et Saint-Sacrement, découragea les Anglais et retarda leur avance de 24 heures. Ce seul retard suffit à donner à Montcalm le temps de terminer ses ouvrages défensifs. Le soir du 7, Lévis survint avec 400 Canadiens, réguliers et miliciens, ce qui donnait à Montcalm un effectif de plus de 3 600 hommes.

Le jour suivant, le 8 juillet, Abercromby effectua une rapide inspection de l’emplacement ; croyant que Montcalm était sur le point de recevoir 3 000 hommes de renfort, il décida d’attaquer sur-le-champ sans attendre l’artillerie. Si les canons avaient été de la partie, la palissade de pieux de Montcalm aurait été réduite à néant de même que les troupes. Mais, en fait, cela n’eût même pas été nécessaire. Un examen attentif du terrain aurait permis à Abercromby de constater l’évidence même, c’est-à-dire, qu’à droite et en contrebas des défenses érigées par Montcalm, lesquelles s’étendaient à travers la crête du talus, il y avait un demi-mille de rase campagne jusqu’au lac et jusqu’au fort. Il lui suffisait d’affecter la moitié de son armée à contenir l’armée de Montcalm et de faire contourner le flanc nord à l’autre moitié qui aurait surpris les Français par derrière. Les Anglais se seraient alors trouvés entre les troupes de Montcalm et le fort, et les Français auraient été prisonniers de leur propre barricade. Dans cette plaine à découvert, Montcalm n’avait disposé pour toute défense que les 400 Canadiens retranchés derrière une autre courte palissade de pieux construite à la hâte au pied de la pente. Rien n’eût été plus facile que de les déborder ou de les écraser et sans aucun doute eussent-ils alors porté le blâme du désastre qui se serait ensuivi. Heureusement pour les Français, Abercromby ignorait cette faille patente de leur défense. (Après la bataille, Montcalm prolongea la ligne de défense jusqu’au lac.)

Un peu après midi, le 8 juillet, les troupes régulières anglaises se formèrent en quatre colonnes, les tirailleurs provinciaux entre elles, et on se lança à l’attaque des abattis français. Les formations furent rapidement rompues lorsqu’elles tentèrent de se frayer un chemin à travers le fouillis de troncs d’arbres et de branchages. Un feu nourri de mousquet les désorganisa avant qu’elles n’atteignissent les lignes françaises. Les rangs se reformaient, remontaient à l’assaut pour être repoussés à chaque tentative avec de lourdes pertes. À sept heures, l’armée anglaise n’en pouvait plus. Les Français sautèrent alors la barricade et pourchassèrent les tirailleurs qui restaient encore. Ce que voyant, toute l’armée anglaise tourna les talons et s’enfuit en désordre, laissant sur place armes, munitions et blessés. C’était pour elle une accablante défaite, pour Montcalm et les Français, une glorieuse victoire. Le nombre des morts et blessés chez les Anglais s’élevait à 1 944, dont 1 610 appartenaient à l’armée régulière, contre 377 du côté des Français.

Trois jours après la bataille, Montcalm fit parvenir au ministre de la Guerre un bref récit, lequel, sur certains points, n’était pas conforme aux faits. Il y déclarait que Vaudreuil avait, de propos délibéré, retenu les 1 200 Canadiens et le fort détachement d’Indiens qu’il avait promis d’envoyer à Carillon. Il déclara que sa petite armée avait subi l’assaut de 20 000 Anglais – par la suite il parlera de 25 000 hommes, puis de 27 000, pour en arriver au chiffre de 30 000 – à partir de huit heures du matin jusqu’à huit heures du soir. Il estimait à 5 000 les pertes anglaises. Mais ce qui lui procurait le plus de satisfaction était qu’il avait sauvé la colonie sans que l’armée régulière de la colonie n’ait à partager sa gloire ; seuls quelque 400 Canadiens et une poignée d’Indiens avaient participé à la bataille. Le 20 juillet, cependant, il déclara que, sans nécessité et sans raison précise, on lui avait expédié un fort contingent de Canadiens et d’Indiens qu’il n’avait pas demandés, dont il n’avait que faire, et qui, arrivés trop tard pour prendre part au combat, s’étaient contentés de consommer leurs précieuses provisions de bouche. Il déclara qu’à n’en pas douter on les avait envoyés pour récolter les profits de sa victoire. Il fit remarquer également que s’il y avait eu 200 Indiens au moment de la bataille, les Anglais auraient pu être anéantis au cours de la retraite. Seule l’absence de ces Indiens l’avait empêché de donner suite à sa victoire. Il poursuivit en accusant les fonctionnaires du ministère de la Marine de retenir ses dépêches et, en guise de conclusion, demanda son rappel, alléguant que sa santé et sa fortune périclitaient ; à la fin de l’année, ses dépenses allaient excéder sa solde de 30 000#. Mais par-dessus tout, les désagréments et les contrariétés qu’il lui fallait endurer, l’impossibilité de faire les choses selon les règles ou d’empêcher les abus le poussaient à demander son congé.

Dans un compte rendu de la bataille soumis ultérieurement et destiné à être rendu public, il loua tous ceux qui avaient pris part à la bataille, y compris les Canadiens, mais à ce compte rendu était jointe une dépêche chiffrée adressée personnellement au ministre de la Guerre et expédiée le 28 juillet par André Doreil, commissaire des guerres. Dans cette dépêche, Montcalm faisait entendre un autre son de cloche. Il déclarait que sans aucun doute le ministre de la Marine chercherait à mettre en relief la gloire dont s’étaient couverts les Canadiens lors du combat et à rabaisser celle des troupes françaises, mais qu’en réalité les Canadiens avaient fait piètre figure. Ils avaient refusé d’attaquer lorsqu’on le leur avait commandé et on avait dû faire feu sur eux lorsqu’ils avaient tenté d’abandonner leurs postes. Montcalm prétendit qu’il avait dû faire taire les officiers et les soldats des bataillons français qui juraient que Vaudreuil avait voulu les mener au massacre en envoyant de si faibles effectifs contre une armée aussi considérable. Doreil ajouta qu’il ne faisait aucun doute que Vaudreuil, envieux de la gloire déjà récoltée par Montcalm, avait cherché à le priver des moyens qui lui auraient permis d’établir une solide défense.

Les accusations portées par Montcalm ne furent pas longues à parvenir aux oreilles de Vaudreuil qui, bien entendu, devint furieux. Le 4 août 1758, il rétorqua en critiquant, dans une dépêche au ministre de la Marine, la manière dont Montcalm avait mené toute la campagne et en exaltant la part qu’y avaient prise les Canadiens, placés dans une position extrêmement dangereuse le jour de la bataille. Il était sûr que Montcalm ne leur rendrait pas justice. Il déclarait que les alliés indiens étaient retournés à Montréal et avaient affirmé que plus jamais ils ne combattraient sous les ordres de Montcalm. Il faisait savoir au ministre que, voulant éviter un conflit déclaré, il avait préféré passer sous silence toutes les insultes et les affronts personnels dont il avait été l’objet de la part de Montcalm, ou que ce dernier avait approuvés, mais que maintenant la coupe était pleine ; il priait donc le ministre d’agréer la requête de Montcalm sollicitant son rappel. Il signala que Montcalm possédait de nombreuses et estimables qualités et qu’il méritait d’être promu lieutenant général et de servir en Europe mais qu’il n’était manifestement pas apte à commander des troupes au Canada – le chevalier de Lévis, assurait-il, l’était – et il demanda qu’en l’occurrence ce dernier soit nommé pour succéder à Montcalm.

En août et septembre, il y eut entre Montcalm et Vaudreuil un échange de lettres acrimonieuses. À Vaudreuil qui l’interrogeait sur le fait qu’il n’eût pas poursuivi l’ennemi en déroute, Montcalm répliqua que cela n’eût servi à rien, que Vaudreuil ne possédait aucune expérience militaire et que s’il avait visité la région il se serait rendu compte qu’une poursuite était impossible. Pour ce qui était des récriminations des Indiens, ceux-ci s’étaient mal conduits et il avait dû les réprimander. Il nia vigoureusement avoir parlé en mal de Vaudreuil ou avoir toléré qu’on le fasse en sa présence. Il affirma qu’il avait toujours pris soin de ne rien écrire qui soit défavorable à Vaudreuil ou à son frère, même s’il savait que lui-même était constamment l’objet de critiques dans l’entourage de Vaudreuil. (Ses lettres, ses dépêches et son journal sont néanmoins farcies de commentaires virulents sur Vaudreuil et son frère.) Il terminait en priant Vaudreuil de solliciter son rappel en invoquant des raisons de santé et d’endettement. Si le ministre en déduisait que la véritable raison était l’insatisfaction de Montcalm à l’endroit de Vaudreuil, cela était sans importance.

Même si la victoire de Montcalm à Carillon et le siège de Louisbourg qui traînait en longueur avaient épargné au Canada une attaque en règle en 1758, il ne faisait de doute pour personne que ce n’était que partie remise. Comment y faire face, là était tout le problème. Sur ce point encore, Montcalm et Vaudreuil étaient en violent désaccord. Montcalm était convaincu que la colonie ne pouvait être défendue avec succès, mais qu’il fallait tenter de retarder l’issue fatale aussi longtemps que possible pour l’honneur des armes. Les Anglais, signalait-il au ministre de la Marine, pouvaient mettre 50 000 hommes en campagne, sans compter ceux qui étaient à Louisbourg, tandis que le Canada ne pouvait opposer que 7 400 hommes des troupes régulières et de la milice. En réalité, les Anglais disposaient de 23 000 réguliers en Amérique, auxquels venaient s’ajouter des troupes provinciales et une milice de valeur douteuse. De plus, Montcalm sous-estimait lourdement les effectifs de la milice canadienne de même que son efficacité lorsqu’elle était employée à bon escient. Ainsi, les chances étaient donc loin d’être aussi mauvaises que Montcalm le prétendait. Il soutenait que seule pouvait éviter la défaite une paix conclue avant que les Anglais ne déclenchent leur triple attaque, ou bien l’arrivée additionnelle de plusieurs milliers de soldats de l’armée régulière et de munitions ; étant donné la faiblesse de la marine française, il considérait qu’il serait peu pratique pour la France de prendre le risque de faire traverser la mer à des forces aussi considérables.

Tout en espérant avoir quitté le pays dans un an, Montcalm, au début de l’automne de 1758, soumit à Vaudreuil des plans pour la défense de la colonie contre les assauts prévus. Il demanda l’abandon de la vallée de l’Ohio et des avant-postes sur les lacs Ontario et Champlain, la cessation de la petite guerre aux frontières des colonies anglaises et l’intégration de 3 000 miliciens canadiens dans les troupes régulières ; il fallait ensuite concentrer toutes les forces de la colonie pour la défense intérieure sur le Saint-Laurent et sur le Richelieu. Il soutint que la guerre avait maintenant changé de visage et qu’il fallait désormais la faire selon le mode européen et non canadien. Vaudreuil repoussa les recommandations de Montcalm. Il refusa d’abandonner les fronts excentriques, affirmant qu’il fallait que l’ennemi se batte pour chaque pouce de terrain et qu’il s’épuise avant d’arriver au cœur de la colonie.

Afin de bien convaincre le gouvernement français de l’urgent besoin de renforts et d’approvisionnements, Vaudreuil dépêcha à la cour un officier canadien, le major Michel-Jean-Hugues Péan*. Aussitôt Doreil s’entendit avec le capitaine du navire qui devait amener celui-ci pour que le sac contenant le courrier soit ouvert et que des copies soient prises des dépêches de Vaudreuil. Il écrivit aussi pour mettre les fonctionnaires du ministère de la Guerre en garde contre Péan, le disant un vil personnage envoyé en France dans de mauvais desseins. Afin de contrecarrer les instructions que Vaudreuil avait données à Péan, Montcalm obtint du premier qu’il consente à ce que Bougainville et Doreil se rendent à la cour afin d’exposer clairement ses vues sur la situation.

Pour bien faire sentir au ministre de la Marine l’urgence de la situation, Vaudreuil la dépeignit dans ses dépêches sous de sombres couleurs. Bougainville alla encore plus loin et la qualifia de désespérée. Dans deux mémoires, et sans aucun doute au cours de plusieurs entrevues, il réitéra l’opinion déjà exprimée par Montcalm qu’on ne pouvait défendre le Canada contre les forces que les Anglais s’apprêtaient à jeter dans la mêlée. Aucune des places fortifiées n’était défendable, Québec moins que toute autre, et, en l’occurrence, il serait futile d’envoyer des renforts au Canada. De toute façon, la marine anglaise les intercepterait à coup sûr. Il se garda de mentionner que les convois de ravitaillement avaient toujours échappé aux Anglais et avaient gagné Québec chaque année depuis le début de la guerre. Obéissant aux dictées de Montcalm, il recommanda que les avant-postes éloignés soient abandonnés, que les forces disponibles soient concentrées à l’intérieur de la colonie afin de retarder le plus possible l’inéluctable défaite. Il demanda aussi l’émission d’instructions touchant les conditions de la capitulation que devraient demander les Français et demanda que des ordres soient donnés autorisant Montcalm, 24 heures avant que la capitulation ne prenne effet, à réunir ce qui resterait des bataillons réguliers et à gagner la Louisiane à bord d’une flottille de canots. Cette disposition, prétendait il, empêcherait la perte d’un important corps d’armée et sauverait l’honneur des armes françaises par un exploit qui rivaliserait avec la retraite des Dix Mille qui avait immortalisé les Grecs. Selon une seconde proposition, encore plus fantaisiste, le Canada pouvait encore être sauvé si la France consentait à envoyer un corps expéditionnaire pour tenter l’invasion de la Caroline du Nord. Les Anglais seraient pris par surprise, leurs forces étant concentrées au nord ; les colonies du sud abondaient en ravitaillement ; la vaste population d’esclaves pourrait être mise à contribution d’une façon ou d’une autre ; s’il advenait que l’armée d’invasion ne puisse maintenir ses positions en Caroline, il lui serait toujours loisible de se retirer en Louisiane.

Devant l’extravagance de ces propositions et compte tenu du fait qu’elles aient été formulées en partant de l’hypothèse de la défaite, il est étonnant que le conseil des ministres ait pris au sérieux l’une ou l’autre des recommandations qu’aient pu faire Montcalm et Bougainville. Néanmoins leurs vues pesèrent plus lourd que celles de Vaudreuil. Le gouvernement, qui plaçait ses espoirs dans un projet d’invasion de l’Angleterre, décida qu’il ne pouvait se permettre d’affecter des vaisseaux et des hommes à la défense du Canada ou à une attaque de diversion contre les Carolines. La demande de rappel de Montcalm fut rejetée après avoir été prise en sérieuse considération. À la place, on lui accorda, le 20 octobre 1758, une promotion au grade de lieutenant général, le deuxième degré dans la hiérarchie militaire française, et sa solde passa à 48 000#. Étant donné qu’un lieutenant général occupait un rang beaucoup plus élevé qu’un gouverneur général de colonie, Montcalm se vit confier le commandement de toutes les forces militaires au Canada et Vaudreuil reçut l’ordre de s’en remettre à lui en toutes choses même pour les questions d’administration courante. On les avertit tous deux qu’on ne pouvait leur accorder que de maigres renforts ; conséquemment ils devaient rester strictement sur la défensive et faire tout leur possible pour conserver un pied-à-terre au Canada ; par la suite, le territoire cédé à l’ennemi pourrait être récupéré à la table des négociations de paix. Bref, il fallait adopter la stratégie recommandée par Montcalm. Le ministre de la Marine et celui de la Guerre exprimèrent tous deux la confiance que le général qui, avec seulement 4 000 hommes, avait brillamment triomphé à Carillon de forces bien supérieures en nombre, trouverait sûrement le moyen de priver d’une victoire l’ennemi qui se préparait à attaquer ; ils étaient assurés que Montcalm et Vaudreuil sauraient travailler en union étroite pour atteindre ce but.

Au début de mai 1759, plus de 20 navires de ravitaillement arrivèrent à Québec. Bougainville était à bord de l’un d’eux avec 331 recrues et une poignée d’officiers. À peu de distance derrière, la marine anglaise escortait le major général James Wolfe à la tête de 8 500 hommes, dont le plus grand nombre, bien entraînés, appartenaient à l’armée régulière anglaise. Cette flotte réussit à remonter le fleuve jusqu’à Québec et à débarquer les troupes sur l’île d’Orléans sans entrave. Montcalm, l’année précédente, avait examiné le fleuve, de Québec au cap Tourmente, en compagnie d’un ingénieur, Nicolas Sarrebource* de Pontleroy, et d’un officier de marine, Gabriel Pellegrin* ; par la suite, il avait suggéré à Vaudreuil où installer les batteries. Dès 1753, un officier du génie, Dubois, avait fait le même relevé et avait affirmé qu’une batterie établie sur le cap au Corbeau, en face de l’île aux Coudres, causerait beaucoup d’avaries à une flotte remontant l’étroit chenal, car à cet endroit celle-ci ne pourrait manœuvrer ni donner de la portée à ses canons ; néanmoins, rien n’avait été fait. Vaudreuil était à blâmer pour cette négligence. Cependant, en mars 1759, Montcalm déclarait toujours qu’il y avait peu à craindre pour Québec car, en raison des difficultés de la navigation sur le fleuve, il serait virtuellement impossible pour les Anglais de remonter le fleuve avec leur flotte. La véritable menace, croyait-il, viendrait du lac Champlain. Vaudreuil était d’accord avec lui, certain que les Anglais ne réussiraient pas à amener des vaisseaux de ligne jusqu’à Québec sans avoir recours à des pilotes canadiens. Il ne lui vint pas à l’esprit que les Anglais pourraient se servir de pilotes qu’ils avaient fait prisonniers. De toute façon, lorsqu’on apprit que la flotte anglaise approchait, on tenta des efforts désespérés, sous la direction de Montcalm, pour fortifier la rive entre les rivières Saint-Charles et Montmorency. Tout bien compté, Montcalm avait entre 15 000 et 16 000 hommes sous ses ordres et détenait l’avantage d’une position fortifiée que l’ennemi devrait prendre d’assaut. En outre, le temps jouait en sa faveur. Les Anglais devaient vaincre son armée et s’emparer de Québec avant la fin de l’été. Montcalm n’avait qu’à les neutraliser pendant trois mois tout au plus et ils devraient ensuite rebrousser chemin, sinon, avec l’arrivée de l’hiver, c’en serait fait d’eux. Il n’avait pas besoin de les attaquer en bataille rangée ; il devait simplement s’assurer qu’eux ne le battraient point. Les Anglais, toutefois, jouissaient d’un avantage, la maîtrise du fleuve. Cet avantage fut encore accru lorsque Montcalm décida d’établir son principal centre de ravitaillement à Batiscan, situé à environ 50 milles en amont de Québec, tandis qu’il massa son armée tout à l’opposé, à Beauport, en deçà de la ville.

Une autre erreur de taille fut de négliger de fortifier la pointe Lévy en face de Québec. Sur l’ordre de l’amiral Charles Saunders*, les Anglais débarquèrent 3 000 hommes et ne tardèrent pas à y prendre pied. Les Canadiens, qui craignaient que les Anglais n’y installent leurs batteries pour bombarder la ville, s’en inquiétèrent grandement mais Montcalm et ses officiers furent d’avis que la distance était trop grande pour que l’artillerie cause beaucoup de dommages. Ce n’est pas avant le 11 juillet que Montcalm consentit à ce qu’on attaque la position anglaise. À cette date, les Anglais étaient déjà bien retranchés [V. Robert Monckton*]. Au lieu de faire appel à ses troupes régulières, Montcalm autorisa une attaque de nuit sous les ordres de Jean-Daniel Dumas* par 1 400 volontaires, qui comptaient dans leurs rangs un détachement d’écoliers sans aucune expérience militaire et seulement 100 réguliers. Ils n’avaient aucune chance contre des troupes régulières anglaises deux fois plus nombreuses et solidement installées dans une position fortifiée. Ce fut un échec et Montcalm exprima son mépris à l’endroit d’opérations militaires menées par des amateurs. Le jour suivant, le bombardement de Québec commença. Il devait se continuer deux mois durant et réduire la ville en ruines.

Heureusement pour les Français, Wolfe était un piètre stratège. Au lieu de mettre à profit la mobilité de sa flotte pour attaquer en haut de Québec, là où les Français était le plus vulnérables, il était déterminé à enfoncer les lignes de Montcalm en aval de la ville, pour ensuite attaquer de l’autre côté de la rivière Saint-Charles qui pouvait être passée à gué à marée basse. Le 9 juillet, il débarqua une brigade à Montmorency et Montcalm refusa d’y faire opposition, craignant d’engager ses forces dans une opération qui, en définitive, pouvait n’être qu’une feinte ; Wolfe amena alors des renforts et rendit la position imprenable. Il envoya également des divisions en amont du fleuve afin d’effectuer des débarquements-surprises et menacer la voie de ravitaillement de l’armée française. Cette manœuvre obligea Montcalm à placer des détachements mobiles, à l’affût du mouvement des vaisseaux et prêts à faire obstacle aux raids.

Le 31 juillet, Wolfe lança une attaque contre le camp de Montmorency. Elle fut repoussée, causant de lourdes pertes aux Anglais. Ce résultat convainquit Vaudreuil que Wolfe n’attaquerait plus de ce côté mais il se faisait du souci à l’idée qu’une attaque puisse être déclenchée en amont de la ville et il voulait que ce flanc soit fortifié, mais Montcalm se refusait à croire que le danger était réel. Il était convaincu que Wolfe continuerait à harceler les retranchements de Beauport.

Ce que Montcalm ignorait c’est que le découragement avait commencé à gagner Wolfe, dont l’état de santé allait se détériorant. Rongé par le dépit, ce dernier donna l’ordre de ravager les établissements canadiens. S’il ne pouvait prendre Québec, il était déterminé du moins à détruire tout ce qu’il pouvait de la colonie. Tout au long du mois d’août, et au début de septembre, on sema la destruction jusqu’à ce que certains officiers anglais en éprouvent un profond écœurement [V. George Scott]. À mesure que passaient les jours et que les nuits se refroidissaient, on manifestait de plus en plus d’impatience à bord des navires. L’amiral Saunders déclara que la flotte devait mettre à la voile au plus tard le 20 septembre.

Avant de s’avouer vaincu et de repartir, Wolfe se devait de livrer un dernier assaut, même s’il croyait peu en sa réussite. Il voulait attaquer de nouveau du côté de Beauport mais son état-major repoussa le projet. On lui proposa plutôt une offensive en amont de Québec afin de couper la voie de ravitaillement de Montcalm et les communications avec Montréal. Cette façon d’agir, soutenait l’état-major, contraindrait Montcalm à quitter ses retranchements et à se battre. Wolfe se rendit à la proposition et commença les préparatifs en vue d’amener ses troupes en amont du fleuve. Voyant les Anglais quitter leur camp à Montmorency et l’armée remonter le fleuve, Vaudreuil s’inquiéta de plus en plus au sujet de ce flanc et voulut augmenter les forces en haut de Québec. Des pressions de sa part suffisaient pour que Montcalm en vînt à considérer cette manœuvre comme malavisée et persistât à maintenir le gros de son armée en aval de Québec. Il soutint que Bougainville, cantonné à Cap Rouge avec 3 000 hommes d’élite et des volontaires canadiens, pouvait à lui seul repousser toute tentative de débarquement du côté de la route de Montréal, ou, du moins, retenir l’ennemi jusqu’à ce que le corps principal de l’armée arrive de Beauport.

À la dernière minute, Wolfe effectua un changement d’importance au plan dressé par l’état-major. Au lieu de mettre pied à terre assez loin en amont de Québec pour bloquer la route de Montréal, il décida de débarquer à moins de deux milles des murs de la ville et d’installer son armée entre Québec et les troupes de Bougainville. Les Français avaient déjà commencé à se réjouir du fait que la campagne était à peu près terminée et que les Anglais seraient bientôt contraints de reprendre piteusement la mer.

Cependant, aux premières heures du 13 septembre, une série de fautes commises par les Français et une chance inouïe favorisant les Anglais permirent aux hommes de Wolfe de réussir un débarquement à l’anse au Foulon. En moins de quelques heures, à la grande surprise de Wolfe lui-même, 4 500 hommes de l’armée anglaise étaient massés sur les plaines d’Abraham, à moins d’un mille de la ville. Montcalm en fut informé au lever du jour mais il refusa d’y croire. Seul un petit détachement se rendit pour renforcer les avant-postes sur la falaise. Quelques heures plus tard, il décida d’aller se rendre compte de la situation par lui-même. Lorsqu’il atteignit les hauteurs de l’autre côté des murs de la ville et qu’il aperçut l’armée anglaise en rangs de bataille, il fut complètement atterré et ordonna à l’armée de s’y rendre au pas de course. Il n’était cependant nullement obligé de forcer Wolfe à engager le combat immédiatement ; il n’y avait même pour lui aucune nécessité de combattre. Comme le maréchal de Saxe l’avait fait observer, il y avait plus à gagner par la manœuvre que par le combat. Tout ce que Montcalm avait à faire était d’éviter tout engagement important pendant quelques jours ; Wolfe aurait alors été forcé de tenter une retraite par la falaise abrupte pour gagner la grève étroite et remonter dans les chaloupes qui les ramèneraient lui et ses hommes à leurs bateaux. Compte tenu des forces dont disposait Montcalm, la manœuvre de repli aurait pu se révéler une opération fort coûteuse pour les Anglais. Le fait est que Wolfe avait placé son armée dans une situation extrêmement périlleuse.

L’ennemi virtuellement à sa merci, Montcalm choisit la seule ligne de conduite qui lui garantissait la défaite. Il décida d’attaquer sur-le-champ avec les troupes qu’il avait sous la main, sans attendre que Bougainville le rejoigne avec ses hommes. Il négligea même d’avertir celui-ci que l’ennemi avait débarqué, comptant que les avant-postes s’en chargeraient. En réalité, c’est Vaudreuil qui informa Bougainville. Pendant que les miliciens canadiens et les Indiens embusqués harcelaient les lignes anglaises, Montcalm regroupa ses troupes en trois unités, environ 4 500 hommes en tout, soit à peu près le même nombre que les Anglais mais moins de la moitié des forces qu’il aurait pu réunir sur le terrain. Les soldats de Wolfe étaient disciplinés et bien entraînés, ce qui n’était pas le cas pour ceux de Montcalm. Il avait tout récemment incorporé dans les rangs de son armée un grand nombre de miliciens inexpérimentés. Les troupes régulières venues de Beauport à vive allure avaient à peine eu le temps de se ressaisir quand Montcalm donna l’ordre d’abandonner la position élevée et de descendre la pente embroussaillée en direction de l’ennemi. Le résultat était prévisible. Les formations françaises furent bientôt désorganisées. Elles firent halte à la plus longue portée de mousquet possible et tirèrent des volées désordonnées, puis se couchèrent au sol en grand nombre pour recharger. Les Anglais soutinrent le feu jusqu’à ce que l’ennemi se rapproche encore plus et répliquèrent par un feu de peloton rapide, avancèrent dans l’écran de fumée, puis les bataillons firent éclater des volées successives d’un bout à l’autre de la rangée. De larges trouées apparurent dans les rangs français ; ceux qui restaient rebroussèrent chemin et s’enfuirent, les Anglais sur les talons. Les Français évitèrent l’anéantissement total grâce uniquement au tir de flanc meurtrier de la milice canadienne. Ce furent ces miliciens qui obligèrent les Anglais à s’arrêter et à reformer leurs rangs. Les troupes régulières françaises, en hordes désordonnées, envahirent les rues de la ville, Montcalm sur sa monture fermant la marche. Tout juste avant de franchir la porte Saint-Louis, il fut mortellement touché. Wolfe, blessé plus tôt au cours de la bataille, avait déjà succombé. Que les deux généraux aient été tués au cours de la bataille, surtout une bataille comme on les livrait au xviiie siècle, indique assez bien que les tactiques utilisées de part et d’autre laissaient à désirer. Le combat était terminé lorsque Bougainville arriva avec son détachement et il se hâta de regagner Cap-Rouge.

À Beauport, Vaudreuil tentait de rallier l’armée démoralisée. Il dépêcha un courrier vers Montcalm, qui recevait des soins médicaux dans la ville, demandant son avis sur les dispositions à prendre. Dans sa réponse, Montcalm lui proposait le choix entre trois lignes de conduite : livrer un nouveau combat, se replier à la rivière Jacques-Cartier ou capituler au nom de toute la colonie. Il laissait à Vaudreuil le soin d’en décider. Mais sans en informer le gouverneur général, il écrivit au général de brigade George Townshend*, qui avait succédé à Wolfe, lui livrant la ville. Cette lettre, si elle fut reçue, n’eut pas de suites immédiates. Pendant ce temps, Vaudreuil tenait un conseil de guerre auquel assistaient Bigot et les principaux officiers de l’armée régulière française. Vaudreuil et Bigot pressèrent fortement l’armée de livrer une autre attaque, vu qu’on pouvait encore aligner deux fois plus d’hommes sur le champ de bataille que les Anglais, et qu’en outre on occupait encore la ville, mais les officiers français n’avaient plus le cœur à se battre. Ils demandèrent que l’armée se replie à la rivière Jacques-Cartier, pour se joindre aux forces de Bougainville et reformer les rangs. Devant cette opposition, Vaudreuil céda et ordonna la retraite pour cette nuit-là. À six heures du soir, il écrivit à Montcalm pour l’informer de la décision prise et, en même temps, lui faire savoir qu’il avait remis à Jean-Baptiste-Nicolas-Roch de Ramezay*, commandant de Québec, copie des termes de la reddition qu’on demanderait aux Anglais. Ces conditions avaient été formulées par Montcalm plusieurs semaines auparavant et avaient reçu l’assentiment de Vaudreuil. Le ton de la lettre de Vaudreuil était mesuré et bienveillant. Il exprima son inquiétude au sujet de l’état de Montcalm et émit le vœu d’une prompte guérison et il l’engagea à ne se préoccuper que de lui-même, à n’avoir d’autre souci que sa guérison. L’aide de camp de Montcalm, Marcel, répondit que celui-ci approuvait les décisions de Vaudreuil, qu’il avait lu les conditions de la capitulation et qu’elles avaient été remises à Ramezay. En post-scriptum, Marcel ajoutait que l’état de Montcalm ne montrait pas encore de signe d’amélioration à dix heures, mais que le pouls était un peu meilleur. Plus tard, au cours de la nuit, Montcalm reçut les derniers sacrements, puis ordonna à son aide de camp d’écrire à sa famille pour lui transmettre ses derniers adieux. Il donna instruction de remettre ses papiers à Lévis. À cinq heures, au moment où l’aube commençait à poindre au-dessus de la ville effondrée, son armée vaincue en pleine retraite, Montcalm rendit le dernier soupir. Il fut inhumé dans un cratère d’obus, sous la chapelle des ursulines.

Le chevalier de Lévis vint de Montréal en toute hâte quand il apprit la défaite ; il assuma le commandement et se mit en devoir de restaurer l’ordre. Il était blanc de rage. Dans sa dépêche au ministre de la Guerre, il déclara : « Il faut convenir que nous avons été bien malheureux. Au moment où nous devions espérer de voir finir la campagne avec gloire, tout a tourné contre nous. Une bataille perdu, une retraitte aussi précipitée que honteuse nous a réduits ou nous sommes, pour avoir attaqué trop tot les ennemis sans avoir rassemblé toutes les forces qu’il aurait pu avoir. Je dois à sa memoire [Montcalm], pour assurer la droitte de ses intentions qu’il a cru ne pouvoir faire mieux, mais malheureusement le général a toujours tort, quand il est battu. » Bourlamaque, qui était au lac Champlain, fit remarquer avec cynisme que la seule satisfaction qu’il pouvait retirer du désastre était de n’y avoir pris aucune part.

Malgré les vaillants efforts de Lévis et des forces réorganisées, Vaudreuil fut obligé, malgré les protestations de Lévis, de capituler devant le général Jeffery Amherst*, à Montréal, en septembre de l’année suivante. Les officiers français, y compris Lévis, cherchèrent désespérément à empêcher que la défaite de Montcalm et ses conséquences ne rejaillissent sur eux. Cette démarche les plaçait dans l’embarras : blâmer Montcalm signifiait que l’armée devait accepter la responsabilité de la perte du Canada et ils craignaient de devoir assumer leur part de blâme. Néanmoins, plusieurs d’entre eux reconnurent que l’action précipitée de Montcalm, le jour de la bataille, avait été fatale.

Lorsque Louis XV et ses ministres furent informés de la capitulation, ils furent beaucoup plus émus à l’idée que l’armée avait capitulé sans qu’on lui accordât les honneurs de la guerre qu’ils ne le furent par la perte de la colonie. Ils ne se préoccupèrent en aucune façon du sort des Canadiens. Il fallait que quelqu’un porte la responsabilité de la catastrophe et il n’était pas question que ce fût Montcalm. Il n’était plus là pour se défendre et on devait l’exonérer pour sauver la réputation de l’armée. De toute évidence, ce ne pouvait être Lévis qui avait protesté contre les termes de la capitulation. Vaudreuil était le bouc émissaire tout désigné. Pendant les quatre années précédentes, Montcalm et son entourage avaient prédit l’issue fatale et avaient soutenu que l’administration coloniale corrompue encourrait le blâme de la défaite, et maintenant on la tenait responsable de l’échec de la bataille du 13 septembre. Les prédictions de Montcalm et le faisceau de preuves accumulées contre Bigot faisaient de Vaudreuil une cible facile. On imputa donc la perte du Canada non pas à l’incompétence de Montcalm comme général d’armée, non pas à la supériorité de la petite armée régulière anglaise sur les bataillons français, lors d’un unique et bref combat qui n’aurait même pas dû être livré, mais bien à Vaudreuil et aux fonctionnaires de la colonie. Dans la lettre de réprobation que Berryer, ministre de la Marine, écrivit à Vaudreuil sur l’ordre du roi, le nom de Montcalm n’était pas mentionné.

Dans les circonstances, il n’est pas étonnant que la marquise de Montcalm reçut un accueil compréhensif du gouvernement lorsqu’elle sollicita une compensation pour la perte douloureuse qu’elle avait subie. La marquise demanda tout particulièrement, en considération des états de service de son mari et du peu de temps pendant lequel il avait pu bénéficier de sa solde de lieutenant général, que la couronne se charge des dettes qu’il avait dû contracter pendant qu’il était au Canada. Il avait déclaré que vers la fin de 1758, celles-ci s’élèveraient à plus de 30 000# ; elles avaient dû s’accroître au cours des huit mois qui avaient suivi. Le ministre écrivit donc à Vaudreuil et à Bigot pour s’informer du montant exact que Montcalm avait dépensé en sus de sa solde et de ses allocations. La réponse n’a sans doute pas été sans causer quelque étonnement. Loin d’avoir contracté des dettes au Canada, comme il l’avait hautement clamé, Montcalm avait amassé une petite fortune. En janvier de chaque année il retirait sa solde pour les 12 mois à venir. La vente de ses effets personnels, ameublement, cellier et vivres avait rapporté suffisamment pour qu’on remette au trésor les sommes qu’il avait retirées le 1er janvier 1759 à titre de maréchal de camp. Sa succession avait encore à percevoir du ministre de la Marine sa solde de lieutenant général pour la période du 1er janvier jusqu’à sa mort ; celle-ci s’élevait à 38 269# 8s. 10 2/3d. Parmi ses papiers on trouva 34 717# en billets de caisse et 7 000 ou 8 000ª en lettres de change, datées de 1757 et 1758. De plus, Bigot lui avait fourni chaque année plusieurs lettres de change supplémentaires, afin de lui permettre de transférer des fonds en France. Il avait donc économisé, sur une période de trois ans, tous frais de subsistance payés, plus de 80 000#. Comment il y était parvenu demeure un mystère.

Pendant longtemps, les historiens n’ont pas été d’accord dans leur jugement sur Montcalm. Certains l’ont dépeint dans des termes assez semblables à ceux de la plaque commémorative qui se trouve encore sur les plaines d’Abraham :

Montcalm
Quatre fois victorieux
Une fois vaincu
Toujours au grand honneur de la France
Blessé à mort ici le 13 septembre 1759

The gallant, good, and great Montcalm
Four times deservingly victorious
and
at last defeated through no fault of his own

D’autres trouvent peu de bien à dire sur son compte et le tiennent en grande partie responsable de la chute du Canada. Les jugements favorables présupposent que presque tous ses écrits sont à prendre au pied de la lettre. Une étude critique des documents indique clairement qu’un tel jugement serait une erreur ; la question de son endettement en est une preuve suffisante. On ne peut mettre en doute sa grande bravoure même si de graves lacunes de caractère le rendaient peu apte à commander une armée. Ses intrigues pour saper l’autorité de son supérieur, le gouverneur général, ses critiques ouvertes et parfois calomnieuses à l’endroit de Vaudreuil et des Canadiens, son refus de reconnaître le mérite des tactiques autres que celles employées en Europe, son défaitisme chronique, tout a contribué à susciter des difficultés et à miner le moral des troupes. Néanmoins, il avait remporté des victoires remarquables. Mais au cours de sa dernière campagne, lorsqu’il eut l’occasion de détruire l’armée de Wolfe, ou du moins d’éviter la défaite, il croula et essuya une des plus écrasantes défaites de l’histoire.

Toutefois, Montcalm ne porte pas seul la responsabilité de la défaite et de la perte consécutive à ce revers de l’empire colonial français en Amérique du Nord. Il n’était qu’un produit de ce système militaire désuet qu’on réforma par la suite. Comme le faisait remarquer un de ses contemporains, expert en matière militaire, Jacques-Antoine-Hippolyte de Guibert, en parlant de l’armée française pendant la guerre de Sept Ans : « La machine est tellement usée que seul un homme de génie pourrait y toucher quoique non sans tremblement. Son génie ne pourrait suffire à en assurer le succès. » Montcalm était un produit de ce système. Il en était même la personnification.

W. J. Eccles

Les documents originaux touchant la carrière de Montcalm sont très nombreux mais la grande majorité date de sa nomination au poste de commandant des bataillons français au Canada. Antérieurement, il n’était qu’un colonel parmi les 900 que comptait l’armée française, et le ministère de la Guerre, organisation assez négligée à l’époque et réduite à loger dans des quartiers temporaires situés dans des maisons louées, ne s’occupait que des officiers qui avaient le grade de général et qui, à la fin de 1757, étaient au nombre de 753. Une partie de la correspondance que Montcalm avait échangée auparavant avec sa famille est citée dans Emmanuel Grellet de La Deyte, Une sœur de Montcalm, la présidente de Lunas (Nevers, France, 1900), mais l’importance historique de Montcalm commence avec sa nomination au Canada. On trouvera des renseignements sur les origines de sa famille dans Pinard, Chronologie historique-militaire [...] (8 vol., Paris, 1760–1778), V, et dans La Chesnaye-Desbois et Badier, Dictionnaire de la noblesse (2e éd.), X. La plupart des documents se rapportant à la dernière partie de sa carrière sont conservés au SHA, A1, et aux AN, Col., B ; C11A, D2C ; F3. Les ASQ possèdent d’importants manuscrits, et la précieuse collection des papiers Lévis, qui renferme le journal de Montcalm et ses lettres au chevalier de Lévis, est conservée aux APC, MG 18, K7 ; K8.

Une importante portion de ces documents originaux a été publiée, y compris la Collection des manuscrits du maréchal de Lévis, H.-R. Casgrain, édit. L’abbé Casgrain* a aussi publié un choix de documents provenant des AN, Col., C11A, 100 : Extraits des archives de la Marine et de la Guerre. Un bon nombre de documents pertinents ont été publiés au cours des années dans le RAPQ (aujourd’hui RANQ) ; la Table des matières des Rapports des archives du Québec, tomes 1 à 42 (1920–1964) (Québec, 1965) peut être consultée sous les rubriques Guerre, Journaux, Mémoires, Capitulations, Siège de Québec. On trouvera une liste choisie de manuscrits anglais et de documents publiés, à la fin de la biographie de James Wolfe.

La plupart des études sur la guerre de Sept Ans en général, de Montcalm en particulier, laissent beaucoup à désirer. Font exception l’étude solide, concise et utile de Lee Kennett, The French armies in the Seven Years’ War : a study in military organization and administration (Durham, C.N., 1967), et l’étude en profondeur d’André Corvisier, L’armée française de la fin du XVIIe siècle au ministère de Choiseul : le soldat (« Publ. de la faculté des Lettres et des Sciences humaines de Paris, Série Recherches », XIVXV, 2 vol., Paris, 1964). Touchant l’aspect européen, La guerre de Sept Ans ; histoire diplomatique et militaire (5 vol., Paris, [1899–1907]) de R. P. Waddington, et Le règne de Louis XV (1715–1774) d’Henri Carré, publié dans Histoire de France, depuis les origines jusqu’à la révolution (9 vol., Paris, 1903–1911), VIII2, ouvrage dirigé par Ernest Lavisse, commencent à dater mais sont quand même utiles. Competition for empire, 1740–1763 (New York, 1940) de W. L. Dorn est excellent pour le point de vue européen mais pauvre en événements nord-américains ; il reflète le manque de bons monographes au moment de sa publication.

Parmi les ouvrages qui traitent plus particulièrement de la guerre en Amérique du Nord, Montcalm and Wolfe (Boston, 1884) de Francis Parkman est entaché par le parti pris de l’auteur et sa façon cavalière de traiter les documents. Malheureusement, trop d’historiens anglo-canadiens, britanniques et américains ont, par la suite, accepté servilement son interprétation et ses jugements de valeur. Tel est le cas de Gipson, The British empire before the American revolution, IV-VIII. The fall of Canada ; a chapter in the history of the Seven Years’ War (Oxford, 1914) de G. M. Wrong a peu de valeur. The colonial wars, 1689–1762 (Chicago, 1964) de H. H. Peckham, est rempli d’erreurs. La guerre de la conquête de Frégault, observe le conflit avec un détachement exemplaire mais critique fortement Montcalm. Stanley, dans son New France, est également objectif mais son ouvrage se fonde sur des sources indirectes et est un peu superficiel. De tous les livres commandés par les éditeurs pour marquer en 1959 le deuxième centenaire de la bataille décisive de Québec, l’ouvrage de Stacey, Quebec, 1759, est le meilleur.

La biographie de Montcalm par Thomas Chapais, Le marquis de Montcalm (1712–1759) (Québec, 1911) a vieilli ; elle est surchargée et partiale, s’efforçant de glorifier ou de justifier Montcalm en tout. Inversement, H.-R. Casgrain, Guerre du Canada, 1756–1760 ; Montcalm et Lévis (2 vol., Québec, 1891 ; Tours, France, 1899), est hostile à Montcalm et cherche à exalter Vaudreuil et Lévis. Aucun de ces deux ouvrages n’est très valable.  [w. j. e.]

Bibliographie générale

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W. J. Eccles, « MONTCALM, LOUIS-JOSEPH DE, marquis de MONTCALM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 19 mars 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/montcalm_louis_joseph_de_3F.html.

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Auteur de l'article:    W. J. Eccles
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1974
Année de la révision:    1974
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