OGER, PIERRE, dit dom Marie-Antoine, cistercien et premier abbé de la trappe d’Oka, Québec, né le 17 juin 1852 à La Jumellière, France, fils de Pierre Oger, cultivateur, et de Modeste Davy ; décédé le 1er août 1913 à Oka.
Né dans les terres très catholiques de l’Anjou, Pierre Oger, membre d’une famille de cinq enfants, fait ses études au petit séminaire de Mongazon, à Angers, puis au grand séminaire de la même ville, à l’époque du fougueux Mgr Charles-Émile Freppel, qui l’ordonne à la prêtrise le 22 décembre 1877. Il est alors nommé préfet de discipline et professeur de sciences au collège Saint-Louis de Saumur. Il occupe ces postes jusqu’à son entrée chez les trappistes à l’abbaye Notre-Dame de Bellefontaine, le 14 septembre 1881, soit moins d’un an après la fameuse expulsion des moines par la troupe et au moment même où Bellefontaine fonde le monastère de Notre-Dame du lac des Deux Montagnes à Oka, dans le diocèse de Montréal. Oger reçoit en religion le nom d’Antoine, précédé comme pour tous ses confrères de celui de Marie.
Avant même d’avoir fait profession solennelle, Oger est envoyé comme supérieur à Oka par son abbé, dom Jean-Marie Chouteau. Il y arrive le 2 septembre 1886 et est élu le 10 mai suivant prieur titulaire, c’est-à-dire supérieur du prieuré. À l’automne de 1889, il entreprend la construction d’un nouveau monastère en pierre que l’archevêque de Montréal, Édouard-Charles Fabre*, vient bénir en 1891. Le prieuré est érigé en abbaye le 16 août 1891 et, le 26 mars suivant, dom Antoine en est élu abbé (à vie) par une majorité des 14 électeurs. L’abbaye compte alors 61 personnes, dont 30 profès : 13 de chœur et 17 convers. Le 29 juin 1892, Mgr Fabre procède solennellement à la bénédiction abbatiale à l’église Notre-Dame de Montréal : dom Antoine devient ainsi le premier abbé mitré de la province de Québec.
L’année 1892 s’avère mémorable à plus d’un titre pour les trappistes. À l’échelle de l’ordre entier, une initiative de Léon XIII allait amener l’unification de trois de ses quatre branches sous le nom de cisterciens réformés. Dom Sébastien Wyart est élu abbé général et en 1898 il réintégrera l’antique abbaye de Cîteaux. C’est là que se réunit le chapitre général annuel, organe suprême de l’ordre, au mois de septembre. Chaque année, dom Antoine se rend donc en France pour y participer. L’année 1892 marque aussi la fondation d’un nouveau monastère trappiste à Mistassini, au Lac-Saint-Jean, après des pressions très fortes de Mgr Calixte Marquis*, gérant de la colonisation, du premier ministre Honoré Mercier* et de l’archevêque de Québec Mgr Louis-Nazaire Bégin*, qui visitent tous deux Bellefontaine en 1891, puis de Mgr Michel-Thomas Labrecque, nouvel évêque de Chicoutimi. Oka est l’abbaye mère de cette fondation. Dom Antoine en est le père immédiat et il s’y rend plusieurs fois par année. Quant à Oka, une bonne partie de sa survie financière sera assurée par l’activité du frère Alphonse Juin, arrivé de France en 1893 avec comme mission d’y faire prospérer la fromagerie : le bientôt célèbre fromage d’Oka deviendra une marque de commerce de l’abbaye.
Dom Antoine et l’abbaye d’Oka jouent un rôle déterminant dans l’enseignement agricole dans la province de Québec. Déjà, l’acte de constitution juridique de 1882 portait que les trappistes avaient fondé un établissement « dans le but de se livrer à l’agriculture, et de l’enseigner par la théorie et la pratique ». Au moment de sa bénédiction en tant qu’abbé, dom Antoine avait choisi comme armes propres une gerbe de blé surmontée d’une croix, symbole éloquent de la vocation agricole du monastère. En 1893 s’ouvre à Oka l’école d’agriculture, installée dans les anciens locaux en bois du monastère. Dom Antoine recrute des professeurs laïques en France. Les 30 élèves proviennent de tout le Québec, subventionnés par des bourses du gouvernement. Les trappistes gardent le contrôle absolu de l’enseignement et de la direction. En 1908, l’école deviendra l’Institut agricole d’Oka, affilié à l’université Laval à Montréal, avec cours universitaire de trois ans destiné à former des agronomes. Elle comptait alors 10 professeurs et 100 élèves.
La mission première de dom Antoine est toutefois le gouvernement de son abbaye, tant sur le plan spirituel que temporel. Réputée pour sa vie austère, la trappe mettait surtout en valeur le silence, la prière, le travail et la pénitence. Sur la spiritualité de dom Antoine lui-même, on n’a guère de documents. Plusieurs contemporains témoignent cependant de son autoritarisme : « Le Rd Père est intelligent ; il manque de pondération, écoute peu les conseils des autres, ayant trop de confiance en lui-même », écrit un visiteur de l’ordre en 1897. Sur le plan temporel, on lui reproche d’accumuler des dettes, ce qui lui vaut une condamnation au chapitre général de 1896 suivie, il est vrai, d’une exonération deux ans plus tard. De fait, l’abbé d’Oka entretient de fort mauvaises relations avec son père immédiat, de Bellefontaine. Ses relations ne sont guère meilleures avec ses abbayes filles. Le chapitre général de 1898 le nomme père immédiat du Petit Clairvaux [V. Jacques Merle*], qu’il fait transférer en 1900 de Tracadie, en Nouvelle-Écosse, à Lonsdale, au Rhode Island, avec le premier profès trappiste d’Oka, Jean-Marie Murphy, à sa tête. Mais c’est surtout avec dom Pacôme Gaboury, qu’il est forcé de laisser partir à Mistassini en 1901 pour occuper le poste de supérieur, que les relations sont mauvaises, à tel point que le 8 décembre 1901, il offre formellement sa propre démission au père général, qui ne l’accepte pas. L’abbé n’est pas au bout de ses peines : le 23 juillet 1902, un incendie rase son monastère. Les 86 000 $ obtenus de la compagnie d’assurances servent à payer les dettes, mais dom Antoine s’endette de nouveau pour la reconstruction. Le 21 août 1906, Mgr Paul Bruchési* consacre la nouvelle église abbatiale, élevée sur le même emplacement. Dans le monastère temporaire érigé après l’incendie, un juvénat existera de 1904 à 1913, jusqu’à son transfert à Mistassini.
Dom Antoine est reconnu pour sa grande bonté. Face aux menaces d’expulsion qui pèsent sur les religieux français entre 1901 et 1903, il multiplie les démarches d’appui. Il aide les trappistes de Bonnecombe à s’installer à Rogersville, au Nouveau-Brunswick (Notre-Dame du Calvaire), où viennent bientôt les rejoindre les trappistines de Vaise (Notre-Dame de l’Assomption). Il seconde la prieure de Bonneval dans sa fondation de l’abbaye Notre-Dame du Bon Conseil à Saint-Romuald, au sud de Québec, dont Mgr Bégin le nommera père immédiat, ce qui lui occasionnera de nouvelles misères financières. Dom Antoine multiplie les démarches en faveur d’une congrégation de son Anjou natal, les Filles de la charité du Sacré-Cœur de Jésus, qui s’implantent à Newport, au Vermont, en 1905, puis à Magog, dans le diocèse de Sherbrooke, en 1907.
Les derniers jours de dom Antoine semblent plus paisibles. Un étudiant entré à l’Institut agricole d’Oka en 1909, Jean-Charles Magnan, le dépeint en 1966 officiant avec grandeur et majesté, homme au visage tranquille et serein, sa figure encadrée d’une large barbe : « Il parlait avec mesure et raison, mais l’on sentait, à travers la marche des phrases, l’homme passionné, dont la parole contenue et disciplinée révélait une grande emprise sur un tempérament naturel qui dans sa jeunesse devait être débordant et impétueux. » Dom Antoine participe au premier Concile plénier de Québec en 1909, au Congrès eucharistique international de Montréal en 1910, au premier Congrès de la langue française à Québec en juin 1912 [V. Stanislas-Alfred Lortie]. Cette année-là, au chapitre général de septembre, il montre des signes d’une maladie qui lui sera fatale. Après avoir tenté de se soigner en Espagne, il revient à Oka où il meurt le 1er août 1913.
La principale contribution de dom Antoine Oger aura été de mettre sur pied le monastère de Notre-Dame du lac des Deux Montagnes, dont il peut être considéré comme l’abbé fondateur. En 1913, la trappe d’Oka, comme on l’appelle couramment, compte 97 personnes, dont 79 profès : 41 religieux de chœur et 38 frères convers. Un compatriote écrivait au moment de son décès : « Dom Antoine était le modèle de l’abbé cistercien ; il était dans son monastère, le plus régulier des religieux, et dans le monde, où ses fonctions l’appelaient souvent, le plus charmant des hommes, sachant allier, d’une manière parfaite, l’austérité monastique à la plus grande urbanité. Et c’était un bon conseiller. Que de vies il a empêché de sombrer ! Son excellent cœur lui dictait toujours le mot qui encourage. » En somme, ce fils de saint Bernard a établi au Québec le premier grand centre de vie cistercienne, tout en étant un pionnier de l’éducation agricole. Il a bien vécu sa devise : In sudore et patientia (Dans les sueurs et la patience).
Les principaux documents que nous avons consultés sur dom Antoine sont ceux des Arch. de l’Abbaye cistercienne (Oka, Québec), E 2000. Léchés par le feu lors des incendies de 1902 et 1916, ces documents sont surtout d’ordre administratif. Curieusement, on ne trouve pratiquement plus de lettres de dom Antoine après 1904. Nous avons vérifié ce même fait aux Arch. de la chancellerie de l’archevêché de Montréal, dans le dossier 470.125.
L’étude la plus utile est celle de C.-A. Doucet, la Trappe d’Oka : son histoire depuis sa fondation en 1881, jusqu’à nos jours (s.l., [1979 ?]). Voir aussi : Bénédiction solennelle du T.R.P. dom M. Antoine, abbé de N.D. du lac des Deux Montagnes d’Oka : à l’église de Notre-Dame de Montréal, le 29 juin 1892 (Montréal, 1892) ; l’Abbaye de Notre-Dame du lac des Deux Montagnes et l’Ordre de Cîteaux au Canada et dans les États-Unis (Montréal, 1906) ; Père Louis-Marie, l’Institut d’Oka : cinquantenaire, 1893–1943 ; école agricole, institut agronomique, école de médecine vétérinaire ([Oka, 1944]) ; André Côté, « l’Ordre de Cîteaux et son Établissement dans la province de Québec, depuis la Révolution française jusqu’à 1935 » (mémoire de m.a., univ. Laval, Québec, 1971) et « le Monastère de Mistassini : sa suppression ou sa formation en prieuré, 1900–1903 », SCHEC, Sessions d’études, 40 (1973) : 92–111 ; André Picard et Jean Doutre, Oka : ouvriers de la parole, 1881–1981 ([Oka, 1981]).
Sur l’histoire générale des trappistes à cette époque, voir surtout : [L.-A.] Fichaux, Dom Sébastien Wyart, abbé général de l’ordre cistercien réformé, auparavant capitaine adjudant-major aux zouaves pontificaux (Lille, France, 1910) ; et L. J. Lekai, The Cistercians : ideals and reality ([Kent, Ohio, 1977]). [g. l.]
Guy Laperrière, « OGER, PIERRE, dit dom Marie-Antoine », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/oger_pierre_14F.html.
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Auteur de l'article: | Guy Laperrière |
Titre de l'article: | OGER, PIERRE, dit dom Marie-Antoine |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 2 nov. 2024 |