ROULEAU, CHARLES-BORROMÉE, inspecteur d’écoles, avocat, magistrat rémunéré, fonctionnaire et juge, né le 13 décembre 1840 à L’Isle-Verte, Bas-Canada, fils de Joseph Rouleau et d’Euphrosine (Euphrosie) Patouël (Patoine) ; le 11 avril 1877, il épousa au même endroit Elvina Dumouchel (décédée le 27 mars 1901), et ils eurent deux filles et un fils ; décédé le 25 août 1901 à Montréal et inhumé à Calgary.

Issus d’une famille normande, les Rouleau vivaient dans le pittoresque village de L’Isle-Verte au moins depuis 1822. Après des études à l’École normale Laval de Québec, Charles-Borromée Rouleau reçut ses diplômes en 1859 et 1860, et enseigna à Aylmer. De 1861 à 1873, il fut inspecteur des écoles catholiques du district bas-canadien (puis québécois) d’Ottawa et, semble-t-il, demeura à Aylmer. S’étant mis à l’étude du droit pendant cette période, il fut reçu en 1868 au barreau de la province de Québec. Aux élections provinciales de 1875, il se présenta sous la bannière conservatrice dans la circonscription d’Ottawa. Il se classa bon dernier, mais l’année suivante, il fut nommé magistrat du district d’Ottawa.

Rouleau trouvait le temps de collaborer à des journaux, dont l’Ordre et la Minerve de Montréal, en écrivant des articles sur le droit et l’éducation. En 1880, il publia Notre système judiciaire, opuscule dans lequel il prônait, entre autres réformes, la création de tribunaux de comté dans la province. Son but était de « faire modifier l’organisation [des] tribunaux, de manière à rendre l’administration de la justice plus économique, plus expéditive et plus efficace ». Les changements qu’il proposait auraient aussi l’avantage, disait-il, de rendre l’appareil judiciaire du Québec plus semblable à celui des autres provinces, qui, à leur tour, envisageraient peut-être d’adopter le Code civil. « La nation canadienne, affirmait-il, ne formera réellement qu’un seul peuple que quand elle sera soumise aux mêmes lois. »

À l’aube de la quarantaine, Rouleau releva un nouveau défi. Nommé en 1883 magistrat rémunéré des Territoires du Nord-Ouest (il y en avait deux autres à part lui), il s’installa à Battleford (Saskatchewan) l’année suivante. Sa nomination venait remplir une promesse faite par Ottawa au début de 1883 à Mgr Vital-Justin Grandin, évêque du diocèse de Saint-Albert (Alberta). En qualité de magistrat, Rouleau, francophone et catholique, appartenait d’office au Conseil des Territoires du Nord-Ouest. L’occasion d’y jouer un rôle ne tarda pas à se présenter. Le conseil était en train de rédiger une ordonnance en vue de constituer un système scolaire, et la hiérarchie catholique trouvait que cette ordonnance était par trop désavantageuse pour les écoles catholiques. Après avoir consulté Grandin, Rouleau proposa des amendements en vue de créer un système plus proche du système public double existant au Manitoba que du système de type ontarien d’abord proposé pour les territoires. Grâce à sa faculté de persuasion, les amendements furent intégrés à l’ordonnance scolaire de 1884. « [Rouleau] m’a été d’un grand secours », rapporta le lieutenant-gouverneur Edgar Dewdney* au premier ministre du pays, sir John Alexander Macdonald*. Il « a beaucoup de cran et de bon sens ». En 1885, Rouleau et le père Albert Lacombe* devinrent les membres de la section catholique du bureau d’Éducation formé en vertu de la loi. Rouleau en fit partie jusqu’au remplacement du bureau par le conseil de l’Instruction publique en 1892.

En réponse au gouvernement fédéral, qui lui avait demandé le 5 septembre 1884 d’examiner le bien-fondé des rumeurs selon lesquelles l’agitation régnait parmi les Amérindiens et les Métis, Rouleau télégraphia qu’elles étaient exagérées, qu’il fallait satisfaire immédiatement les revendications foncières et que la paix régnerait si l’on donnait aux Amérindiens de quoi affronter « la grande misère et la famine qui les attend[aient] cet hiver[là] ». Pendant le soulèvement du printemps de 1885, il s’enfuit de Battleford. De Swift Current, il câbla au secrétaire d’État Joseph-Adolphe Chapleau* : « Arrivé ici sain et sauf avec famille indiens pillé ma maison suis pauvre comme Job dieu protège la Reine. » À son retour à Battleford, ce fut devant lui que comparurent Esprit Errant [Kapapamahchakwew*] et les autres Cris accusés des meurtres du lac La Grenouille (lac Frog, Alberta).

Au Conseil des Territoires du Nord-Ouest et à l’Assemblée qui remplaça le conseil en 1888, Rouleau s’opposa à ceux qui tentaient de rendre les territoires plus autonomes. Il tenait particulièrement à ce que le gouvernement local n’ait pas plus de latitude en matière d’éducation. La loi de 1875 sur les Territoires du Nord-Ouest adoptée par le gouvernement fédéral protégeait dans une certaine mesure les écoles catholiques. Comme la population du Nord-Ouest deviendrait majoritairement anglophone et protestante, Rouleau craignait pour l’indépendance des écoles catholiques et le statut du français dans l’enseignement. À compter de 1891, il ne siégea plus à l’Assemblée, mais il continua d’agir au nom des catholiques francophones. Il fut l’un des premiers à réclamer que le gouvernement fédéral refuse de reconnaître l’ordonnance de 1892, qui conférait à l’Assemblée l’autorité effective sur les écoles et privilégiait l’enseignement en anglais. Cependant, Ottawa n’avait pas l’intention de recourir à cette solution.

En 1887, la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest avait remplacé les magistrats rémunérés, et Rouleau était devenu juge du district du nord de l’Alberta. Il exerça cette fonction jusqu’à la fin de sa vie. L’érudition en matière de droit caractérisa sa carrière de juge. Sa bibliothèque était remarquable. Elle contenait tous les grands traités britanniques, canadiens et américains où l’on trouvait toute la gamme des causes judiciaires, une série complète de recueils d’arrêts et de décisions judiciaires du Canada et des Territoires du Nord-Ouest, de même que l’ensemble des lois canadiennes en version française et anglaise. Présider des procès passionnait Rouleau. En cette époque où les tribunaux manquaient de sténographes, il rédigeait fréquemment les procès-verbaux lui-même. Il pouvait rester assis des heures à écouter les arguments des parties. Souvent, il levait la séance à la conclusion du procès pour effectuer des recherches sur l’affaire, travailler sur le principe juridique qui régissait le principal point en cause, puis rendre une décision rédigée dans un style magistral. Contrairement à ce qu’ont dit la plupart des historiens, on constate, dans les archives judiciaires, que Rouleau n’était pas un juge impitoyable, mais réfléchi. Ses jugements alliaient équité et compassion, et ils étaient rendus avec bonhomie et bon sens. Ils révèlent en outre que Rouleau s’appuyait plus volontiers sur la science du droit que sur la jurisprudence. Ceux qui portèrent ses jugements en appel devant la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest ou du Canada eurent rarement gain de cause.

Établis à Calgary en 1889, les Rouleau menaient un élégant train de vie dans une résidence imposante ; selon des contemporains, elle était sombre et il y régnait une atmosphère seigneuriale. Dévoué à l’Église catholique, à l’instruction et à la langue française, Rouleau tenta de fonder une localité francophone appelée Rouleauville, mais elle finit par devenir le district Mission de Calgary. Rouleau, qui formait avec ses proches une famille traditionnelle et très unie, défendait ardemment les valeurs victoriennes. En 1896, il écrivit à ses enfants, qui passaient leurs vacances d’été à Banff, que leur devoir était de travailler dur et d’observer de hauts principes moraux. « Les gens, disait-il, n’ont aucune confiance en ceux qui ne tiennent pas leurs promesses. » À la fin des années 1890, il dut réduire ses activités à cause de son cœur. Il mourut d’une crise cardiaque à Montréal avant de s’embarquer pour l’Europe avec sa fille.

Charles-Borromée Rouleau laissait une succession déficitaire. On connaissait le goût de Mme Rouleau pour les réceptions plutôt fastes. On savait moins que le juge avait acheté des terrains à Regina, Edmonton et Calgary et que ses travaux de dragage dans la rivière Saskatchewan-du-Nord, entrepris sous la raison sociale d’Edmonton Gold Mine, s’étaient soldés par un échec. Presque toutes les banques du Canada figuraient parmi ses créanciers, de même qu’une longue liste de marchands de Calgary – des épiciers à l’entrepreneur de pompes funèbres. Ses rêves de richesse ne s’étaient pas réalisés. Sur le plan professionnel, par contre, il avait réussi. Il avait établi certains principes de droit sur lesquels les tribunaux albertains allaient s’appuyer jusqu’au milieu du xxe siècle.

Louis A. Knafla

L’étude de Charles-Borromée Rouleau, intitulée Notre système judiciaire, a été publiée à Ottawa en 1880 ; une nouvelle édition a paru en 1882. On trouve un croquis d’un portrait de Rouleau, fait en 1891, aux AN, Division de l’art documentaire et de la photographie ; Rouleau figure aussi sur deux photographies de groupe, datées de 1886 et de 1890, et conservées aux AN. On trouve également des photographies de Rouleau aux GA et aux Provincial Arch. of Alberta (Edmonton).

L’essentiel des documents manuscrits conservés concernent l’histoire de la magistrature de Rouleau. La série complète des dossiers sur les affaires civiles et criminelles jugées par la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest, district de l’Alberta, division du Nord, 1886–1901, est conservée aux Provincial Arch. of Alberta, 79.266. Les calepins et documents judiciaires de Rouleau datant de la même période, conservés sous le no 68.302, constituent une documentation plus directement pertinente. Un grand nombre de ses jugements ont été résumés et publiés dans les Territories Law Reports (Toronto), 1 (1885–1893)–4 (1898–1901).

AN, MG 27, I, C4, 7.— ANQ-BSLGIM, CE3-2, 13 déc. 1840.— ANQ-Q, E30/3, no 50.— GA, M320 : 1402–1405, 2592 ; M546 ; M1938, files 1–3 ; M2286, no 459.— Saskatchewan Arch. Board (Saskatoon), S-A 122 (James Clinkskill, Reminiscences), 28s.— D. [B.] Smith, « Bloody murder almost became miscarriage of justice », Calgary Herald Sunday Magazine, 23 juill. 1989 : 12–15.— Bob Beal et R. [C.] Macleod, Prairie fire : the North-West rebellion of 1885 (Edmonton, 1984).— Canada, Dép. du Secrétaire d’État, Epitome of parliamentary documents in connection with the North-West rebellion, 1885 (Ottawa, 1886 ; exemplaire aux ANQ-Q).— Canadian album (Cochrane et Hopkins), 3.— CPG, 1876.— Max Foran et Edward Cavell, Calgary : an illustrated history (Toronto, 1978).— L. A. Knafla, « Advocates, judges and courts : a judicial history of southern Alberta in the North-West Territories, 1883–1907 » (document préparé pour Alberta Culture & Multiculturalism, Edmonton, 1985) ; « From oral to written memory : the common law tradition in western Canada », Law & justice in a new land : essays in western Canadian legal history, L. A. Knafla, édit. (Toronto, 1986), 56s., 65s.— M. R. Lupul, The Roman Catholic Church and the North-West school question : a study in church-state relations in western Canada (Toronto et Buffalo, N.Y., 1974).— C. C. McCaul, « Precursors of the bench and bar in the western provinces », Canadian Bar Rev. (Toronto), 3 (1925) : 38s.— North-West Territories Gazette (Regina), 1886–1901.— Thomas, Struggle for responsible government in N.W.T. (1956).

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Louis A. Knafla, « ROULEAU, CHARLES-BORROMÉE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 9 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/rouleau_charles_borromee_13F.html.

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Auteur de l'article:    Louis A. Knafla
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    1994
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