PATTERSON (Paterson), WALTER, officier, propriétaire foncier et administrateur colonial, né vers 1735 près de Rathmelton, comté de Donegal (République d’Irlande), fils aîné de William Patterson et d’Elizabeth Todd ; il épousa Hester Warren le 9 mars 1770, et ils eurent au moins quatre enfants ; décédé le 6 septembre 1798 à Londres.

La carrière de Walter Patterson est inextricablement liée à la question des terres, qui s’avéra la question politique primordiale, à l’Île-du-Prince-Édouard, avant la Confédération. Après le passage de l’île Saint-Jean, comme on l’appelait alors, aux mains des Britanniques en 1763, on la divisa en 67 cantons, ou lots, d’à peu près 20 000 acres chacun. On accorda ces lots, à la seule exception du no 66, qui comprenait environ 6 000 acres, à des personnages influents de Grande-Bretagne, à l’été de 1767. Les conditions attachées à l’octroi de ces terres étaient irréalistes et, vers la fin du xviiie siècle, elles devenaient de plus en plus anachroniques. En particulier, dans chaque canton devait être établie, dans un délai de dix ans, une population équivalente à une personne par 200 acres de terre ; tous les colons devaient être des protestants, devaient venir du continent européen ou avoir vécu au moins deux ans en Amérique du Nord ; des redevances annuelles de £20 à £60 devaient être versées à la Trésorerie royale. Le défaut des propriétaires de se conformer à ces conditions entraînait la confiscation de leurs terres par la couronne. Tel était le plan ; en pratique, les propriétaires ne remplirent pas leurs obligations, mais s’arrangèrent pour conserver la propriété des terres. Pendant près d’un siècle, les habitants de l’île, en grande partie tenanciers de seigneurs absentéistes, demandèrent à grands cris qu’on leur octroie les terres, après confiscation. Cette question des terres, on peut la faire remonter pour une bonne part à l’échec de Walter Patterson qui, pendant son mandat de 17 ans comme gouverneur, ne se montra pas à la hauteur de ses responsabilités comme administrateur public d’une colonie appartenant à des intérêts privés.

On sait peu de chose des débuts de Patterson. Il s’enrôla dans l’armée britannique le 29 décembre 1757, à titre d’enseigne, dans le 80e d’infanterie de Thomas Gage. Ce dernier avait servi en Irlande de 1744 à 1755, dans le 441 d’infanterie, et il n’est pas impossible que Patterson l’ait connu à cette époque. Le 80e premier régiment britannique à recevoir, dès le début, un entraînement aux tactiques de la petite guerre, servit sous les ordres d’Abercromby, en 1758, au fort Carillon (Ticonderoga, New York), et avec Amherst, en 1759, au lac Champlain ; on l’utilisa pour les raids, les missions de reconnaissance, et comme avant-garde de l’armée, en compagnie des rangers de Robert Rogers. Patterson reçut la promotion de lieutenant le 4 octobre 1760 et il obtint, le 26 octobre 1762, la permission de se rendre en Europe. Il resta en congé jusqu’au 24 novembre 1764, après quoi son nom cesse d’apparaître dans les rapports officiels de l’armée. Son régiment fut licencié le mois suivant.

Sa carrière militaire terminée, Patterson Semble s’être tourné vers la spéculation foncière et les entreprises de colonisation dans la colonie de New York et sur l’île Saint-Jean. En juillet 1764, Patterson et Charles Lee – un ancien officier du44e – s’entremirent pour assurer à lord Holland 66 000 acres de terre dans la colonie de New York. En récompense, Holland et le comte de Hillsborough, président du Board of Trade, promirent à chacun d’eux l’octroi de 20 000 acres. Le 29 novembre, Hillsborough présida une séance du Board of Trade, qui recommanda ces concessions à la sanction royale. Le mandement royal du 19 décembre prévoyait l’octroi de 20 000 acres « dans une étendue de terre contiguë, dans cette partie [...] de New York que lui [Patterson] [...] choisira » et fut approuvé par le Conseil de New York le mois suivant. Patterson choisit une terre sise aux bords de la rivière Connecticut, bien que des lettres patentes n’aient été délivrées qu’après le 15 novembre 1771. Le 16 décembre 1772, son nom venait en tête de liste d’une pétition pour un nouvel octroi de 24 000 acres situés le long de la rivière Connecticut devant servir à l’érection d’un canton. On ne sait pas si cette démarche des pétitionnaires fut couronnée de succès.

En 1764, Patterson était au nombre des 20 officiers réformés – dont Allan Maclean, Francis McLean, et Charles Lee – dont les noms apparaissent dans un mémoire du comte d’Egmont au Board of Trade, qui visait à obtenir la concession de toute l’île Saint-Jean. Le 23 juillet, 17 des officiers nommés dans le mémoire de 1764, dont Charles Lee, reçurent 10 000 acres de terre chacun dans les lots 18 à 26 inclusivement de l’île Saint-Jean. Patterson devenait copropriétaire du lot 19 avec son frère John, seul concessionnaire de ces neuf lots dont le nom n’apparaissait pas dans la liste de 1764. L’année suivante, Patterson prit une part active, avec l’appui d’une majorité de propriétaires, aux efforts déployés en vue de détacher l’île de la Nouvelle-Écosse, dont elle faisait alors partie, et pour lui donner un statut de colonie distincte. Le gouvernement britannique y consentit, à la condition que les propriétaires acceptassent d’assurer le financement de l’administration civile à même les fonds provenant des redevances. Nommé gouverneur le 14 juillet 1769, Walter Patterson arriva dans sa capitale, Charlottetown, le 30 août 1770.

Les problèmes qu’avait à affronter le gouverneur Patterson avaient de quoi décourager. La population de l’île – 300 colons seulement – se composait en grande partie d’Acadiens qui ne parlaient pas l’anglais. La capitale ne comptait que quelques maisons – des cabanes, plutôt – et pas d’édifice public. Les fonctionnaires civils formaient une bande d’affamés et d’oisifs sur lesquels on ne pouvait pas compter. À la recherche d’emplois et sans beaucoup d’expérience administrative – si encore ils en avaient – ils parvenaient à peine à survivre grâce à la perception des redevances. Les propriétaires, aux prises avec des conditions qui les eussent ruinés, à l’exception des plus riches, s’ils les avaient respectées, considéraient les propriétés qui leur étaient échues comme une aubaine, et leurs obligations comme autant d’inconvénients à éviter. En s’attaquant à une situation si difficile, le gouverneur d’une petite colonie sans importance stratégique ne pouvait espérer que bien peu d’attention et qu’une aide bien mince de la part du gouvernement britannique préoccupé de questions beaucoup plus vastes.

Patterson assuma ses nouvelles fonctions avec son énergie bien caractéristique. En septembre 1770, il prononça le serment d’office et forma un Conseil exécutif. Pendant les quelques années qui suivirent, on adopta un bon nombre d’ordonnances, qui visaient – entre autres objectifs fort divers – à protéger l’industrie de la vache marine (morse) et à empêcher les capitaines de navires de permettre aux colons endettés de quitter l’île en leur donnant un passage. C’est avec une certaine appréhension que Patterson adressa ces ordonnances à Hillsborough, devenu secrétaire d’État des Colonies américaines, et qu’il le pria d’excuser « quelque erreur que ce soit qu’on y pourrait trouver », d’autant qu’elles étaient « parmi les premiers documents de cette nature » qu’il produisait. Patterson obtint aussi l’autorisation de nommer un arpenteur général, Thomas Wright*, après s’être plaint que les frontières des cantons étaient « purement imaginaires, sauf sur la carte ». Malheureusement, il était bien plus facile d’adopter des ordonnances que de les faire respecter, et les « frontières imaginaires » ne convenaient que trop bien à une colonie où le plan de peuplement en son entier avait meilleure apparence sur le papier que dans la réalité.

De 1770 à 1775, environ 1 000 nouveaux colons arrivèrent dans la colonie, la plupart grâce aux efforts de quelques propriétaires et, plus particulièrement, de James William Montgomery [V. William Montgomery], de Robert Clark et de John MacDonald* of Glenaladale, connu sous le nom de Fear-a-ghlinne. Montgomery était procureur général d’Écosse, l’un des postes politiques les plus importants de Grande-Bretagne à cette époque. Il tenta de lancer une grande culture linière sur le lot 34 [V. David Lawson*] et une entreprise commerciale à Three Rivers (région qui entoure Georgetown) [V. David Higgins]. Robert Clark, marchand quaker de Londres, et son associé Robert Campbell envoyèrent quelque 200 personnes dans le secteur de New London du lot 21 en 1773 et 1774. John MacDonald acheta le lot 36 et son frère Donald accompagna un groupe de 210 Highlanders catholiques d’Écosse pour les y établir en 1772. Chacun de ces promoteurs dépensa, et perdit, des milliers de livres ; toutefois, à s’en tenir strictement aux termes des concessions originales, ils étaient exposés à voir leurs terres confisquées, car aucun n’avait peuplé la sienne de protestants venant de l’extérieur des îles Britanniques. L’immigration patronnée par les propriétaires cessa, en pratique, quand éclata la Révolution américaine, en 1775.

Peut-être ne faut-il pas se surprendre que Patterson n’ait pris aucune mesure publique pour faire respecter les conditions, du reste tout à fait déraisonnables, de la colonisation ; la perception des redevances, dont dépendait la survie de son gouvernement, était une préoccupation beaucoup plus pressante. Au début, Patterson lui-même assuma le poste, extrêmement important, de receveur général, avec un adjoint à Londres. En 1774, toutefois, William Allanby, membre du conseil de l’île, obtint le poste. Allanby se querella bientôt avec Patterson et partit pour l’Angleterre, ne laissant dans l’île ni la liste des propriétaires ni le montant de ce que chacun devait. La perception cessa bientôt, compromise par la résistance des propriétaires et l’incompétence de l’administration. En 1775, £3 000, en gros, avaient été payées, les arrérages s’élevaient à plus de £6 000, et les fonctionnaires civils en furent quittes pour vivre dans des conditions extrêmement pénibles, ne touchant qu’une fraction de leur salaire ; ces circonstances leur servirent à la fois de motif et de justification pour mettre la main sur les terres des propriétaires.

Tout au cours de son gouvernement, Patterson se préoccupa du problème de la perception efficace des redevances, par le moyen de textes législatifs. Le premier effort en ce sens, une ordonnance adoptée par le conseil en 1771, devint loi quand la première chambre d’Assemblée se réunit, en juillet 1773. Cette loi n’obtint pas l’assentiment royal et elle fut adoptée de nouveau par l’Assemblée en octobre 1774, de façon à corriger « deux inexactitudes manifestes ». Cette loi permettait, pour obtenir remboursement des redevances non acquittées, la saisie de marchandises, ou, à défaut, la vente aux enchères publiques d’une portion de terre suffisante pour éteindre la dette. Aucune clause expresse ne prévoyait l’envoi d’un avis préalable aux propriétaires touchés ou l’annonce des enchères en Grande-Bretagne. Pour des raisons plutôt compliquées, et surtout de commodité, la loi ne s’appliquait qu’à ces propriétaires qui avaient signé la requête visant à l’obtention d’un gouvernement séparé, en 1768, document que Patterson affectait de considérer comme « un contrat entre ses signataires et la couronne ». Environ 50 lots étaient ainsi susceptibles d’être vendus. Muni de cette loi, qui n’avait pas encore reçu l’assentiment royal, Patterson écrivit à lord Dartmouth, secrétaire d’État des Colonies américaines, le 2 septembre 1774, pour demander un congé de sept mois, en affirmant qu’il serait « plus utile à l’île en passant quelque temps parmi les propriétaires, dans la mère patrie, qu’[il] ne pouvai[t] l’être, pendant le même temps, en restant ici ». Il quitta Charlottetown le 2 août 1775.

Patterson resta en Angleterre pendant presque cinq ans. Il y déploya beaucoup d’habileté pour amener les propriétaires à servir ses propres intérêts, sous prétexte de promouvoir les leurs. Il entreprit une série de rencontres, qui aboutirent à un mémoire, appuyé par environ 20 propriétaires et adressé au Conseil privé, en février 1776. On y demandait que le gouvernement britannique pourvût à l’administration civile de l’île Saint-Jean, que le Quit Rent Act de 1774 (concernant les redevances) fût mis en vigueur et que quelques allégements fussent consentis aux propriétaires relativement au paiement de leurs redevances. Le 10 avril 1777, Patterson apprit que le parlement avait affecté £3 000 au gouvernement de l’île « pour la présente année » ; cette somme devint par la suite statutaire, à titre de subvention annuel. Ce fut peut-être la plus remarquable réussite de son gouvernement, car, sans elle, la réannexion à la Nouvelle-Écosse eût été à peu près certaine. Au début de 1776, le Quit Rent Act reçut l’assentiment royal et, le 7 août, une note fut adressée par la Trésorerie au receveur général, lui enjoignant de « prendre les mesures appropriées » pour que l’on procédât à la perception des arrérages, qui devaient être affectés au paiement des salaires encore dus aux fonctionnaires civils pour la période de 1769 à 1777. Loin d’obtenir des allégements, les propriétaires se virent imposer, en 1778, par ordre de la Trésorerie, l’inconvénient de payer désormais leurs redevances dans l’île seulement. Cette mesure avait apparemment été sollicitée par Patterson, et le receveur général William Allanby s’y était opposé.

Patterson retourna dans l’île à l’été de 1780. Il avait maintenant une chance, peut-être unique dans les débuts de l’histoire de l’île, de briser le monopole des propriétaires absentéistes sur les terres. Sa loi sur les redevances avait reçu l’approbation des fonctionnaires britanniques compétents, la majorité des propriétaires se montraient satisfaits ou se désintéressaient de la question, et, l’issue de la guerre dans les colonies étant encore incertaine, on ne reconnaissait pas grande valeur à la propriété foncière dans l’île. Il affermit rapidement sa position en nommant son beau-frère, William Nisbett, receveur général intérimaire des redevances et en concluant une entente avec son procureur général, Phillips Callbeck, qui avait demandé la moitié du salaire de Patterson pour faire office de gouverneur de 1775 à 1779. Le 26 novembre 1780, il obtint l’accord du Conseil exécutif pour la mise en vigueur du Quit Rent Act. Afin de hâter la procédure, le conseil accepta, le 19 février 1781, de supprimer la formalité de la saisie des marchandises, pour s’en prendre à « la terre seulement », sauf les cas où les propriétaires étaient personnellement présents. Cette décision, illégale en ce qu’elle contrevenait aux dispositions de la loi de 1774, ne devait pas être un incident isolé.

Après bien des hésitations et des délais, on procéda finalement à la vente des terres, à la résidence du tavernier John Clark, à Charlottetown, le 13, le 14 ou le 15 novembre 1781. L’événement fut entouré de mystère, de confusion et de controverses. Les seuls acheteurs furent des fonctionnaires du gouvernement, et aucune somme d’argent ne fut effectivement versée, les terres étant réclamées à titre de compensation pour les arrérages de salaires. Patterson lui-même obtint trois cantons entiers et quatre demi-cantons, outre 70 000 acres inscrites aux noms de quatre Anglais de ses connaissances. Le juge en chef Peter Stewart*, qui avait fait, comme bien à propos, une entrée tempétueuse sur l’île à bord d’un vaisseau qui fit naufrage au large de la rive nord pendant un violent coup de vent à l’automne de 1775, acquit la moitié du lot 18, propriété de William Allanby. Le lieutenant-gouverneur Thomas Desbrisay*, un homme qui en voulait profondément au monde en général et à Patterson en particulier, réclama le lot 33. Phillips Callbeck, devenu principal fonctionnaire et complice de Patterson, enchérît sur le juge en chef Peter Stewart et obtint le lot 35, très convoité.

Après la vente des terres de 1781, Patterson passa le reste de sa vie politique sur la défensive. En orchestrant cette affaire, il avait fait, ou laissé faire, plusieurs erreurs graves. En réclamant pour lui-même une si grande part des dépouilles, il provoqua la rancune durable de ses collègues fonctionnaires, en particulier Stewart et Desbrisay, qui, tout en ayant eu part au gâteau, étaient restés sur leur faim. Des maladresses furent commises, aussi, dans le choix des lots qui seraient vendus parmi les quelque 50 susceptibles de l’être. Comme il l’avoua lui-même en 1783, Patterson s’écarta, illégalement, de sa propre ligne de conduite pour « sauver » des terres appartenant à plusieurs propriétaires influents, en particulier George, vicomte Townshend*, et James William Montgomery. Lui-même s’appropria une bonne part des meilleures terres de la colonie, dont le lot 49, propriété de Robert Clark. On savait que le lot 35, acquis par Phillips Callbeck, était très convoité par John MacDonald, propriétaire du lot adjacent, le 36. Les terres de quelques uns des propriétaires inactifs eussent probablement pu être saisies impunément ; mais c’était folie de toucher aux lots des quelques propriétaires qui avaient fait des dépenses assez élevées pour y envoyer des colons.

Sur une querelle au sujet du lot 35 vint bientôt se polariser toute une bataille, aussi violente que prolongée. Peu après le début de la Révolution américaine, John MacDonald entra dans le Royal Highland Emigrants, devint capitaine et, de 1775 à 1781, passa la plus grande partie de son temps à Halifax. En étroites relations avec les fonctionnaires du gouvernement de l’île, il connaissait à l’avance le moment où les terres devaient être mises en vente. Il tenta vainement, par l’intermédiaire d’un émissaire, d’obtenir un droit officieux sur le lot 35 en payant les redevances. En 1782, il était à Londres, pétitionnant contre les ventes et croyant apparemment que les lots 35 et 36 avaient tous deux été vendus. Au début de 1783, avec quelques-uns des autres propriétaires, il réussit à éviter que l’assentiment royal soit donné à une loi de 1781, sur les redevances, adoptée par la législature de l’île, et qui eût touché les 67 lots, et à obtenir la rédaction d’une nouvelle loi sur les redevances prévoyant la rétrocession des lots vendus. Ce projet de loi fut envoyé au gouverneur Patterson par lord North, ministre de l’Intérieur (responsable aussi des colonies), le 24 juillet 1783, avec instructions explicites d’avoir à le déposer devant les membres de l’Assemblée et à leur recommander « avec toute la force possible [...] de l’adopter ».

Patterson reconnut plus tard avoir reçu ce projet de loi à l’automne de 1783. Mal avisé, il choisit de faire tout en son pouvoir pour le détourner de son objectif. Le projet de loi eût fourni une base solide, approuvée par le gouvernement britannique, pour la vente future des terres dont les redevances n’auraient point été acquittées. En outre, les conditions auxquelles les lots vendus eussent été rétrocédés – les anciens propriétaires se voyaient accorder un mois pour payer le prix d’achat de 1781, plus les intérêts et une compensation pour les améliorations – étaient telles que, à très peu d’exceptions près, leur possession n’eût point été disputée aux fonctionnaires. La tactique de Patterson fut de gagner du temps. Tout au long de l’hiver de 1783–1784, il tint secrète l’existence même du projet de loi de 1783. Puis, en mars 1784, il déclencha des élections générales, avec l’espoir de former une assemblée telle qu’il pût avoir confiance qu’elle repousserait le projet de loi. Phillips Callbeck démissionna de son poste de conseiller pour diriger la faction favorable au gouverneur. Callbeck dut affronter un groupe, qui le défit, et qui avait pour chef John Stewart*, jeune homme capable mais manquant de modération, dont l’animosité envers le gouverneur était d’autant plus grande qu’il savait que Patterson avait été l’amant de sa belle-mère, la femme du juge en chef. Plutôt que de remettre le sort du projet de loi à une telle assemblée, Patterson décida d’intéresser le conseil aux efforts déployés pour le rejeter. Le 20 mars, malgré les vives objections de Peter Stewart et de Thomas Desbrisay, le conseil adopta une motion statuant que le projet de loi serait suspendu en attendant la réaction du gouvernement britannique à une « humble pétition et remontrance » qui expliquerait pourquoi la rétrocession des terres vendues se ferait au détriment de la colonie.

La situation politique byzantine qui déjà prévalait dans l’île fut encore compliquée à l’été de 1784 par l’arrivée de plusieurs centaines de Loyalistes américains. Patterson avait fait, dès l’hiver de 1782–1783, des efforts pour solliciter la venue de colons loyalistes, alors qu’on se préparait à évacuer New York. Son frère, John Patterson, se rendit à Londres et s’arrangea pour persuader certains des propriétaires d’appuyer encore un autre mémoire, celui-ci daté du 29 juin 1783. Ces propriétaires convenaient de remettre aux Loyalistes un quart des terres désignées vis-à-vis de leurs signatures ; en retour, ils sollicitaient l’habituel allégement des redevances et demandaient au gouvernement britannique de fournir le transport et les vivres aux Loyalistes désireux de se rendre dans l’île. Le gouverneur Patterson reçut une approbation de principe pour ce projet, à la fin de 1783. Les Loyalistes qui allèrent dans l’île furent immédiatement mêlés à la controverse de la vente des terres. Comme la plupart furent placés sur les lots disputés, ils avaient intérêt à s’opposer à la rétrocession des terres à leurs premiers propriétaires, entre les mains desquels ils eussent pu craindre à bon droit d’être évincés.

À Londres, pendant ce temps, le groupe de pression des propriétaires devenait impatient. Au début de 1784, John Cambridge*, agent de Robert Clark, fut envoyé à Charlottetown, où il trouva la faction opposée au gouverneur regorgeant de renseignements et prête à parler. Désormais en possession d’un compte rendu détaillé des récents procédés auxquels on avait eu recours dans l’île, Robert Clark « et d’autres » signèrent le 27 août une pétition au Board of Trade pour obtenir réparation. Les lords exprimèrent leur surprise que le gouverneur et le conseil eussent pris « sur eux de désobéir à un ordre positif de Sa Majesté ». lis firent aussi l’observation que la pétition et la remontrance promises dans le procès-verbal du conseil du 20 mars n’avaient point encore paru. En conséquence, un « aviso de guerre » reçut l’ordre de se rendre à l’île avec la mission expresse de rapporter « les papiers et les preuves que le gouverneur et le conseil devaient être naturellement si désireux de soumettre au plus tôt aux lords du comité ». Au retour du navire à Londres, en février 1785, les « faits et raisons » de Patterson furent jugés insatisfaisants. En outre, il était maintenant évident que les ventes avaient été accompagnées de beaucoup d’irrégularités. On informa, en conséquence, les anciens propriétaires qu’ils étaient « libres [...] de chercher [...] en recourant à la loi, à recouvrer leurs dits lots ». Enhardis par ce succès, les propriétaires poussèrent alors leur avantage et sollicitèrent la révision en leur faveur du projet de loi de 1783. Le retard occasionné par cette procédure donna à Patterson le temps de se livrer, en dernier recours, à quelques manœuvres désespérées.

Au printemps de 1785, Patterson suspendit le juge en chef et nomma, pour le remplacer, trois de ses propres partisans, interdisant ainsi, dans les faits, aux propriétaires qui étaient de ses adversaires tout recours aux tribunaux de l’île. Il organisa de nouvelles élections générales. Cette fois, la faction qui lui était favorable l’emporta, avec un fort appui des Loyalistes. Le 20 avril 1786, l’Assemblée adopta une loi ratifiant les ventes de terres de 1781, « nonobstant quelque manquement de forme que ce soit, du point de vue légal, ou autre irrégularité quelconque relative à de semblables procédés ». Dans sa dépêche à lord Sydney, ministre de l’Intérieur, dans laquelle il justifiait cette loi, Patterson fit remarquer que, n’ayant reçu aucune communication officielle récente touchant le projet de loi de 1783, il supposait que « les ministres de Sa Majesté, dans leur sagesse, avaient jugé bon de laisser tomber l’affaire ».

C’est Patterson, toutefois, qui tomba, en trois temps. D’abord, deux ans plus tôt, à la fin de 1784, ensuite de la réorganisation de l’Amérique du Nord britannique après le traité de Paris (1783), le gouvernement de l’île avait été placé, nominalement, sous la dépendance de celui de la Nouvelle-Écosse, les salaires des fonctionnaires avaient été réduits, et Patterson lui-même, comme administrateur en chef, avait été rétrogradé au rang de lieutenant-gouverneur. On lui dit alors : « pour ce qui est [...] de votre maintien dans cette île, l’affaire dépendra de vous et de votre décision ». Comme les protestations de ses adversaires continuaient de s’élever, en particulier après ses téméraires efforts de 1785 et du début de 1786 pour donner un caractère officiel à la vente des terres, le lieutenant-gouverneur Patterson reçut une dépêche datée du 30 juin 1786 lui ordonnant de rentrer en Angleterre « aussitôt que possible » pour répondre en personne aux accusations portées contre lui. Même si son successeur par intérim, Edmund Fanning*, arriva à Charlottetown le 4 novembre, prêt à assumer la direction de l’île, Patterson trouva moyen de rester en poste tout au long de l’hiver. Il se hâta de convoquer l’Assemblée, le 8 novembre, et lui soumit le projet de loi de 1783, qu’obligeamment, elle rejeta. Un nouveau projet de loi fut ensuite adopté, dix jours plus tard, d’une conception plus locale, pour « écarter et annuler » les ventes de terres. Le projet de loi ne visait que les lots sous la gestion directe de Patterson : il n’y était pas fait mention du lot 35, ni des terres réclamées par Peter Stewart et Thomas Desbrisay. Les premiers propriétaires avaient 12 mois pour rembourser le prix d’achat, plus les intérêts et la compensation pour les améliorations. Afin de protéger les colons loyalistes, on confirmait tous les actes par lesquels les propriétaires de 1781, et après, avaient cédé des terres. Une dernière communication en provenance de Whitehall fut très explicite : « Sa Majesté », informait-on Patterson dans une dépêche du 5 avril 1787, « n’a plus besoin de vos services comme lieutenant-gouverneur de l’île Saint-Jean. »

Forcé de laisser son poste de lieutenant-gouverneur à Edmund Fanning, Patterson resta néanmoins dans l’île pendant plus d’un an, se mêlant de politique, protégeant ses intérêts de propriétaire foncier et s’engageant dans le commerce. En 1789, il était de retour à Londres, y faisant une dernière et futile tentative pour regagner son influence auprès des propriétaires. Maintenant ruiné et réduit à l’impuissance devant ses nombreux ennemis, il fut apparemment emprisonné pour dettes, et ses vastes propriétés dans l’île, pour lesquelles il avait couru tant de risques, furent vendues pour satisfaire ses créanciers. Il mourut pauvre, dans son logement de Castle Street, Oxford Market, à Londres, le 6 septembre 1798.

Le 1er mai 1786, Patterson avait écrit à lord Sydney, alors ministre de l’Intérieur, l’implorant d’abandonner ses tentatives pour rétrocéder les terres vendues en 1781. « Le fait d’hier est la doctrine d’aujourd’hui », avait déclaré Patterson. La vérité de cette affirmation est démontrée par l’histoire subséquente des lots vendus, et en particulier du lot 35. Si les deux projets de loi controversés de 1786 et de 1787, préparés et pilotés par Patterson, n’obtinrent pas l’assentiment royal, celui de 1783, envoyé d’Angleterre, ne fut jamais adopté, ce qui eut pour effet de priver le capitaine MacDonald du secours législatif qu’il avait si longtemps cherché. Après avoir exercé beaucoup plus de pressions et dépensé beaucoup plus d’argent, ensuite même d’un procès devant un comité du Conseil privé en 1789, MacDonald réussit à faire perdre leurs postes à Callbeck, à Wright et à plusieurs autres partisans de Patterson et à faire redonner le sien au juge en chef. Même alors, il ne put acquérir le lot 35 qu’en l’achetant du premier propriétaire, le général Alexander Maitland – dont les grands efforts déployés par Patterson n’avaient réussi qu’à protéger le titre de propriété – au prix exorbitant de £1 200. Quel contraste avec l’astucieux Fanning, qui réussissait plutôt bien à convertir un « fait » en une « doctrine », et qui utilisa à fond sa grande expérience de l’administration coloniale et du droit pour acquérir quelque 60 000 acres des propriétés de Patterson à un prix que l’on dit d’à peine plus de £100. La possession de ces terres par Fanning permet d’expliquer pourquoi, comme le rapportait John Stewart en 1806, la majorité des lots vendus tendaient à rester « en la tranquille et paisible possession de ceux qui les revendiquaient en se fondant sur les ventes de 1781 ».

Longtemps Walter Patterson fut un personnage favori des historiens de l’île. Son sens de l’initiative et son audace l’ont certainement mis en relief parmi tout un groupe d’administrateurs coloniaux généralement sans éclat. Ces dernières années, quelques historiens ont eu tendance à faire un roman de sa carrière, le décrivant comme un patriote de l’île, qui combattait pour l’indépendance de l’île contre l’alliance peu édifiante d’avaricieux propriétaires absentéistes et un gouvernement britannique indifférent. Le capitaine John MacDonald le dépeignit un jour comme un homme « d’une étonnante intelligence [...] mêlée à une égale mesure de sottise et de démence », qui « s’éleva à partir de rien et qui aurait fait extrêmement bien s’il avait su où s’arrêter ». En même temps qu’un gouvernement colonial distinct qui fonctionnait-une réussite de première grandeur dans les circonstances-il laissait à ses successeurs une administration chaotique, un passé marqué d’intenses rivalités entre factions adverses et un système de propriété bien ancré, fondé sur l’absentéisme. Le défaut de Patterson d’apporter des réformes dès le début, pendant la période où les choses étaient encore malléables et les changements tout à fait possibles, et la manière particulière avec laquelle il chercha ses intérêts personnels au milieu des réclamations concurrentes des propriétaires absents, des fonctionnaires et des tenanciers, voilà qui détermina en grande partie les questions autour desquelles allait tourner, pendant 100 ans encore, la bataille pour les terres [V. Edmund Fanning ; William Cooper* ; George Coles*].

Harry Baglole

APC, MG 19, E2.— Clements Library, Thomas Gage papers, American ser., Patterson à Gage, 16 avril 1771 ; Gage à Patterson, 8 août 1771, 7 juin 1775 ; Germain papers, Walter Patterson, « Observations on the Island of St. John in the Gulf of St. Lawrence [...] » ; Patterson à Germain, [1778], Proposal for offering America a liberal constitution and for erecting coastal forts ; Shelburne papers, Patterson à Shelburne, « Mr. Paterson on the preservation of his majesty’s timber in America » ; Patterson à Shelburne, 22 juin 1782.— PRO, BT 5/2, ff.21, 28, 124 ; 6/102, ff.112, 118, 126 ; CO 226/1, ff.11–13, 21, 45–46, 95–100, 102–112 ; 226/2, ff.21, 27–28, 33 ; 226/3, ff.15–17, 58–61, 62–71 ; 226/4, ff.32, 65 ; 226/5, ff.11–12 ; 226/6, ff.132–134, 142 ; 226/7, ff.82–83 ; 226/8, ff.72–80, 92–93, 270 ; 226/9, ff.147–149 ; 226/10, ff.1–2, 31–32, 94 ; 226/17, ff.108, 115–116 ; 228/1, f.40–41 ; 228/2, ff.69–70, 73–75 ; 229/2, ff.48–63, 81–82 ; WO 17/1 490, f.3 ; 25/25 ; 25/209.— Public Archives of P.E.I. (Charlottetown), MacDonald papers, John MacDonald à Nelly MacDonald, 19 juill. 1783 ; John MacDonald à Nellie et Peggy MacDonald, 27 juin 1785, 27 mars, 12 sept. 1789 ; RG 5, Report of Richard Jackson to the Board of Trade on acts passed in 1773 dans « Proclamations and orders in Council relative to the allowance or disallowance of acts of Prince Edward Island », 1 ; RG 16, Conveyance registers, 1.7, ff.98–99.— Amherst, Journal (Webster).— APC Report, 1905, I, iie partie : 6–10.— [J. P. Egmont], To the king’s most excellent majesty, the memorial of John, Earl of Egmont [...] ([Londres, 1764]), 31.— Gentleman’s Magazine, 1798, 815.— G.-B., Board of Trade, JTP, 1764–67, 116s.— Johnson papers (Sullivan et al.), IV : 133, 609 ; XIII : 328–330.— The Lee papers, vol.I, N.Y. Hist. Soc., Coll., [3e sér.], IV (1871) : 48–52, 92, 96, 112–16.— [John MacDonald], The criminating complaint of the proprietors of the Island of StJohn whose lands were condemned and sold in 1781 (Londres, 1789) ; Information for the officers of the navy and army, proprietors of land in the Island of StJohn’s in the gulph of StLawrence, and for the other now remaining proprietors thereof (s.l.n.d.), 9s. ; Remarks on the conduct of the governor and Council of the Island of StJohn’s, in passing an act of assembly in April of 1786 to confirm the sales of the lands in 1781 [...] (s.l., [1789]), 37, 81.— British officers serving in North America, 1754–1774, W. C. Ford, compil. (Boston, 1894), 80.— Calendar of [New York colony] Council minutes, 1668–1783, N.Y. State Library. Annual report (Albany), 1902, II : 520, 526, 571.— G.-B., WO, Army list, 1759, 133 ; 1760, 138 ; 1763, 144.— N.Y., Secretary of State, Calendar of N.Y. colonial manuscripts, indorsed land papers ; in the office of the secretary of state of New York, 1643–1803 (Albany, 1864), 354, 379, 571.— R. C. Archibald, Carlyle’s first love, Margaret Gordon, Lady Bannerman ; an account of her life, ancestry, and homes, her, family, and friends (Londres et New York, 1910 ; réimpr., New York, 1973), 6s., 10.— Duncan Campbell, History of Prince Edward Island (Charlottetown, 1875 ; rémpr., Belleville, Ontario, 1972), 30s.— Frank MacKinnon, The government of Prince Edward Island (Toronto, 1951 ; réimpr., [1974]), 11.— John Stewart, An account of Prince Edward Island, in the gulph of StLawrence, North America [...] (Londres, 1806 ; réimpr., East Ardsley, Angl., et New York, 1967), 201.— David Weale et Harry Baglole, The Island and confederation : the end of an era (s.l., 1973).— J. M. Bumsted, Sir James Montgomery and Prince Edward Island, 1767–1803, Acadiensis, VII (1977–1978), no 2 : 76–102.

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Harry Baglole, « PATTERSON (Paterson), WALTER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 3 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/patterson_walter_4F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
Année de la révision:    1980
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