SUCKLING, GEORGE, avocat, homme politique, premier procureur général de la province de Québec ; il épousa en secondes noces Frances Duport, le 8 septembre 1759 à Halifax, Nouvelle-Écosse ; circa 1752–1780.
En juillet 1752, George Suckling pratiquait le droit, à Halifax où il avait immigré quelque temps auparavant. Il fut aussi marchand, de 1753 à 1758, en société avec William Nesbitt. Greffier par intérim de la Cour générale en 1753, Suckling fut député de la première chambre d’Assemblée de la Nouvelle-Écosse en octobre 1758 et se fit bientôt remarquer, à Halifax et à Londres, quand il s’en prit violemment à John Collier*, juge de la Cour de vice-amirauté, qui refusait de divulguer à l’Assemblée la liste des droits perçus par cette cour. En février 1759, Suckling fut accusé de détournement de fonds et, bien qu’il fût exonéré par l’Assemblée, le gouverneur Charles Lawrence* demeura convaincu de sa culpabilité, le qualifiant d’ « attorney fripon ».
Nous ne connaissons pas la date de l’arrivée de Suckling à Québec. Le 16 février 1764, le roi le nomma procureur général de la province, poste auquel l’avaient fortement recommandé les marchands de Londres faisant affaire avec le Canada. À ce titre, il devait donner des avis juridiques au gouverneur et au Conseil de Québec, et intenter des poursuites au nom de la couronne. Sa commission est datée du 24 août 1764. Un mois plus tard, il était également nommé avocat général à la Cour de vice-amirauté.
À la demande du conseil, Suckling rédigea, avec le juge en chef William Gregory, l’ordonnance établissant des cours civiles. Adoptée le 17 septembre 1764, cette ordonnance avait une importance exceptionnelle puisqu’elle créait l’organisation judiciaire de la province. Pourtant, elle montre très clairement l’incompétence juridique du juge en chef et du procureur général.
L’ordonnance divisait la province en deux districts, celui de Québec et celui de Montréal. Elle donnait compétence judiciaire à des baillis, à des juges de paix, à une Cour des plaids communs, à une Cour du banc du roi, à des cours d’assises, au gouverneur en conseil et au roi en Conseil privé. La compétence des baillis, tant au civil qu’au criminel, était très limitée. En première instance, les juges de paix avaient le pouvoir de juger, en matière civile, les litiges concernant la propriété jusqu’à une valeur de 30 « louis » (livres anglaises) ; en appel, ils avaient le pouvoir de juger des décisions des baillis. Quant à leur compétence en matière criminelle, elle était importante, mais elle découlait beaucoup plus de leurs commissions que de l’ordonnance. La Cour des plaids communs devait juger, en matière civile seulement, tout litige d’une valeur de plus de dix louis. La Cour du banc du roi avait autorité, en première instance, pour juger tout procès, tant en matière civile que criminelle ; en appel, sa compétence portait sur les jugements des juges de paix en matière civile, lorsque l’objet du litige avait une valeur de plus de dix louis, et sur ceux de la Cour des plaids communs, lorsque l’objet du litige avait une valeur de 20 louis ou plus. Les cours d’assises ne furent tenues que très rarement, même si elles possédaient un pouvoir important tant en matière civile que criminelle. L’ordonnance accordait au gouverneur en conseil le droit de maintenir ou de rejeter les appels des jugements de la Cour du banc du roi et de la Cour des plaids communs, en matière civile, lorsque l’objet du litige avait une valeur de plus de £300, tandis que le roi en Conseil privé pouvait faire de même pour les appels des jugements du gouverneur en conseil, lorsque l’objet du litige avait une valeur de £500 ou plus.
Le juge en chef et le procureur général crurent, à tort, que la Proclamation royale de 1763 introduisait les lois civiles britanniques dans la province. Voulant diminuer les effets de ce changement des lois et habituer les Canadiens aux lois de la Grande-Bretagne, ils créèrent la Cour des plaids communs qui devait appliquer l’equity, terme très vague, que les rédacteurs de l’ordonnance semblent avoir pris dans son sens courant de justice naturelle et non dans le sens technique qu’on lui donne en droit britannique. Les juges de cette cour appliquèrent le plus souvent les lois françaises ; la Cour des plaids communs favorisa ainsi le maintien de ces lois bien plus qu’elle n’habitua les Canadiens aux lois britanniques. D’ailleurs ce système judiciaire était parfaitement illogique. En première instance, lorsque l’objet du litige avait une valeur de plus de dix louis, le demandeur pouvait s’adresser à cette Cour des plaids communs ou à la Cour du banc du roi qui, selon l’ordonnance, devait appliquer les lois britanniques. Le demandeur avait donc le choix des lois qu’il désirait voir appliquer. En appel, la situation était encore pire puisqu’il y avait appel de la Cour des plaids communs à la Cour du banc du roi. En conséquence, un jugement de la Cour des plaids communs basé sur l’équité, selon les termes de l’ordonnance du juge en chef et du procureur général, devait, en vertu de la même ordonnance, être renversé en Cour du banc du roi si les lois britanniques n’avaient pas été appliquées. Une telle organisation, jointe à l’incompétence de la plupart des juges et des juges de paix, à l’unilinguisme anglais, sauf devant la Cour des plaids communs, à la lenteur et au coût exorbitant de la justice, engendra nécessairement l’anarchie dans le domaine judiciaire.
Le 1er novembre 1764, le gouverneur Murray établit une Cour de la chancellerie dans la province, se basant sur l’opinion juridique de Suckling. Conformément à l’opinion généralement admise à l’époque, le procureur général déclara que le gouverneur avait le pouvoir d’établir une telle cour parce que, ayant été nommé gardien du grand sceau par le roi, il avait été nommé par le fait même chancelier de la province.
Toutefois, Suckling n’avait pas les qualités requises pour remplir la charge importante de procureur général. Comme juriste, il était plutôt médiocre et ne connaissait ni la langue ni les lois françaises. Il s’entendait mal avec Gregory et fit même publier ses critiques à l’endroit du juge en chef dans un supplément de la Gazette de Québec du 23 mai 1765. Aussi Suckling fut-il destitué en 1766, à la demande de Murray, et remplacé par Francis Maseres*. Il conserva cependant son poste d’avocat général et pratiqua le droit dans la province.
L’ex-procureur général ne partageait pas les idées de son successeur, entre autres sur la question des lois britanniques concernant les faillites. Maseres conseilla au trafiquant de fourrures Lucius Levy Solomons, qui avait été ruiné et désirait en arriver à un règlement final avec ses créanciers, de tirer parti des lois britanniques en matière de faillite – lois qu’il prétendait être en vigueur dans la province – et de faire demander par l’un de ses créanciers une commission nommant les personnes chargées de liquider ses biens et de régler sa faillite. L’octroi de la commission par le gouverneur Guy Carleton*, sur recommandation de Maseres et du juge en chef William Hey, inquiéta les marchands qui protestèrent vivement, prétextant que l’application de telles lois les ruinerait car elles étaient à double tranchant : si elles aidaient les marchands qui demandaient la faillite, elles pouvaient aussi mettre en faillite des marchands qui espéraient s’en sortir autrement. Pour défendre sa position et celle de Solomons, Maseres écrivit un résumé de ces lois qu’il envoya à Carleton, accompagné d’une réponse aux objections des marchands. William Grant* (1744–1805) fit publier ce résumé dans la Gazette de Québec des 10 et 17 décembre 1767, sous la signature d’« un Marchand ». D’après Maseres, Suckling et Thomas Aylwin prirent la défense des intérêts des marchands dans un article paru les 24 et 31 décembre suivant, et signé « Un Ami de la Liberté Quoique non Marchand », y attaquant le nouveau procureur général en termes très durs.
En 1768, Suckling eut des démêlés avec Carleton ; en tant qu’avocat général, il avait intenté une poursuite en Cour de vice-amirauté, mais le gouverneur lui avait ordonné de suspendre la procédure. Suckling protesta auprès de Hillsborough, secrétaire d’Etat des Colonies américaines, et déclara que cet ordre constituait une violation des droits et de la juridiction de la Cour de vice-amirauté ainsi que de ceux de l’avocat général.
Après avoir disposé de ses biens, Suckling quitta la province en 1771, sans autorisation, et sans avoir laissé officiellement son poste d’avocat général. Il fut cependant remplacé par Henry Kneller, en octobre de la même année. À Londres, le 25 février 1775, Suckling fit une requête au roi sollicitant une aide financière ou un emploi, et la fit paraître dans la Gazette de Québec du 7 septembre suivant. Il y déclarait s’être déjà adressé aux « Lords Commissaires du Trésor », à lord North et au comte de Dartmouth, secrétaire d’État des Colonies américaines, mais n’avoir pu obtenir qu’une petite somme d’argent. Le 12 mars 1776, il demanda à lord George Germain, successeur de Dartmouth, le poste de secrétaire de la Géorgie ou une aide financière pour sa subsistance jusqu’à ce qu’il trouve un emploi dans le domaine juridique, ou encore une somme d’argent pour lui permettre d’aller s’établir aux Antilles avec sa famille. Ses demandes répétées finirent par avoir du succès puisqu’en 1780 il était juge en chef des îles Vierges. La date de sa nomination à ce poste, comme d’ailleurs la date et le lieu de son décès, est inconnue.
APC, MG 11, [CO 42] Q, 2, p.378 ; 3, p.3 ; 8, p.83 ; MG 23, A4, 64, p.104 ; C17 ; GII, 1, sér. 1, 2, p.189 ; RG 1, E1, 1, p.13 ; 2, pp.10, 45 ; RG 4, A1, p.621.— PRO, CO 5/114, p.57 ; 5/115, p.227 ; 5/157, p.25 ; 42/2, pp.44, 74 (copies aux APC).— APC Rapport, 1944, xxvii, xxix.— Doc. relatifs à l’hist. constitutionnelle, 1759–1791 (Shortt et Doughty ; 1921), I : 180.— Maseres, Maseres letters (Wallace).— La Gazette de Québec, 23 mai 1765, 10, 17, 24, 31 déc. 1767, 7 sept. 1775.— Directory of N.S. MLAs, 335.— Brebner, New England’s outpost.— Burt, Old prov. of Que. (1968), I : 77s., 107–109, 129, 134.— A. [McK.] MacMechan, Nova Scotia under English rule, 1713–1775, Canada and its provinces (Shortt et Doughty), XIII : 104s.— Neatby, Quebec, 35.— L’Heureux, L’organisation judiciaire, Revue générale de droit, 1 : 266–331.— W. R. Riddell, The first court of chancery in Canada, Boston University Law Rev. (Boston), II (1922) : 234–236.
Jacques L’Heureux, « SUCKLING, GEORGE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/suckling_george_4F.html.
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Auteur de l'article: | Jacques L’Heureux |
Titre de l'article: | SUCKLING, GEORGE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1980 |
Année de la révision: | 1980 |
Date de consultation: | 2 nov. 2024 |