OTTER, sir WILLIAM DILLON, officier dans la milice et dans l’armée, né le 3 décembre 1843 près de the Corners (Clinton, Ontario), fils d’Alfred William Otter et d’Anna De la Hooke ; le 3 octobre 1865, il épousa à Toronto Marianne Porter, et ils eurent une fille ; décédé dans cette ville le 6 mai 1929.

Le grand-père paternel de William Dillon Otter avait été directeur du King’s College de Londres et évêque de Chichester. En 1841, son père vint chercher fortune dans une partie du Haut-Canada appelée le Huron Tract. Il se maria, s’essaya sans succès à l’agriculture et, grâce à l’influence de sa famille, se fit embaucher par la Canada Company à Goderich. Aîné de trois garçons et de deux filles, William Dillon fréquenta la grammar school de Goderich, puis, après l’installation de sa famille à Toronto en 1854, la Model Grammar School et l’Upper Canada College. Toutefois, les difficultés financières de son père le contraignirent à entrer lui aussi à la Canada Company : il y devint commis à l’âge de 14 ans.

William Dillon trouva un exutoire dans le théâtre amateur et l’escouade torontoise de pompiers volontaires, qui était formée d’ouvriers. Désespéré de le voir fréquenter de tels milieux, son père profita de la formation de compagnies de miliciens volontaires à la suite de l’incident du Trent [V. sir Charles Hastings Doyle*] pour le forcer à s’enrôler dans les Victoria Rifles. Cette compagnie huppée du 2nd Battalion of Rifles (Queen’s Own Rifles de Toronto), placée sous le commandement de William Smith Durie*, le refusa d’abord, à cause de son rang social trop humble et de ses amis peu recommandables. Il fallut que son père exerce toute son influence pour que, en octobre 1861, la compagnie l’accepte. Bien que son uniforme et ses droits lui aient coûté plus d’un mois de solde, William Dillon découvrit que la vie militaire lui convenait parfaitement. Costaud, athlétique, de belle apparence, il avait le physique de l’emploi. Mieux encore, comme il le rappellerait par la suite, « dès le premier jour de [son] enrôlement [... il fut] pris d’un désir et d’un amour ardents pour l’ordre, le système et la discipline associés à une organisation militaire et nécessaires ». Après le raid de St Albans en octobre 1864 [V. Gilbert McMicken*], il servit à temps plein dans un bataillon incorporé. Devenu lieutenant en décembre (sa promotion fut annoncée le 19 mai 1865), il obtint le 25 août la confirmation de son titre d’adjudant des Queen’s Own Rifles. Le 2 juin 1866, après un hiver d’alertes et de mobilisations d’urgence, il se trouva parmi les miliciens mal aguerris qui affrontèrent un raid fénien aux abords de Ridgeway [V. Alfred Booker*]. À un cheveu de la victoire, la milice s’égailla, en proie à la panique. Ce fut la première leçon d’Otter sur l’importance réelle de la discipline.

Le 5 août 1865, la Canada Company avait congédié Alfred Otter, probablement pour ivrognerie. William Dillon, désormais seul soutien de famille, resta au service de l’entreprise. Quelques semaines plus tard, il épousa, en la cathédrale St James, Marianne (Molly) Porter, fille de James Porter*, surintendant des écoles de Toronto. Vu la situation financière du couple, Molly dut s’installer chez les Otter. William Dillon s’évadait de la demeure familiale en remplissant ses devoirs dans la milice et en se livrant aux multiples passe-temps chers à l’homme victorien. Membre fondateur du Toronto Rowing Club en 1865, il fut chef de nage de l’Edrol, qui remporta le championnat de 1867 contre des équipes d’Ottawa, de Toronto et de Lachine, dans la province de Québec. Cet été-là, il devint le président fondateur du Toronto Lacrosse Club, dont il serait l’un des joueurs étoiles ; en 1868, il accéda à la présidence de la National Lacrosse Association. Nommé au conseil d’administration de l’Institut des artisans, il fut également secrétaire-trésorier de la Toronto Gymnasium Association à la suite de la réorganisation de celle-ci et appartint au jury des Jeux calédoniens. Bien qu’il ait été un piètre tireur, l’Ontario Rifle Association le choisit comme secrétaire en raison de ses talents d’organisateur. Il fit sa première visite en Angleterre à titre d’adjudant de l’équipe canadienne de tir envoyée à Wimbledon (Londres) en 1873 et en profita pour aller voir la famille de son père.

Otter avait hérité du désir de s’élever au-dessus de sa condition. Ses activités satisfaisaient son ambition, mais seule la milice comblait sa soif de régularité et de discipline. Ce milieu lui réussissait à merveille. En 1869, il fut promu major ; toujours adjudant des Queen’s Own Rifles, il apportait à ce bataillon, qui était aussi bien un cercle social et un club athlétique qu’une unité militaire, les compétences administratives dont celui-ci avait tant besoin. Malgré leurs uniformes râpés et l’effondrement de la salle d’exercices de Toronto en mars 1870, les Queen’s Own Rifles connaissaient des augmentations d’effectif et gagnaient en efficacité. Étant donné ses responsabilités familiales, ses dettes et son revenu (1 271 $ par an), Otter ne pouvait aspirer au titre de commandant, mais quand le poste se libéra, en 1875, un an après sa promotion au grade de lieutenant-colonel, les officiers le choisirent à l’unanimité.

La renommée des Queen’s Own Rifles croissait. Ils furent appelés pendant les émeutes qui assombrirent à Toronto, en 1875, l’année sainte décrétée par le pape. En janvier 1877, ils bravèrent le mauvais temps pour se rendre de Toronto à Belleville et réprimer la grève des ouvriers du Grand Tronc, car la milice locale avait refusé cette mission. Ils faisaient aussi des sorties récréatives – revues, combats simulés –, mais Otter préférait les manœuvres de campagne, qui avaient lieu quand il y avait entente entre ses hommes et leurs employeurs. En 1880, il publia à Toronto The guide, a manual for the Canadian militia [...], vade-mecum inspiré d’un ouvrage de Garnet Joseph Wolseley*, The soldier’s pocket-book for field service paru à Londres en 1869. À peu près passé inaperçu avant son approbation en Angleterre, le livre d’Otter connut plusieurs éditions avant 1916 et lui rapporta 4 310 $. Ce guide mettait résolument l’accent sur la discipline. Certains officiers, admettait Otter, jugeaient inopportun de se montrer sévères dans les camps de milice ou les salles d’exercices. « Je suis de l’avis contraire, disait-il, [...] le meilleur moment pour acquérir des habitudes de soldat est quand on parade calmement au cours des manœuvres hebdomadaires. » Il voulait que la milice, au lieu de singer les uniformes, l’étiquette et le snobisme britanniques, soit formée par un solide programme de discipline et de subordination.

En 1880, Otter se trouvait à la croisée des chemins. Il avait fait tout ce qu’il pouvait dans les Queen’s Own Rifles ; la Canada Company ne lui offrait aucune chance d’avancement. Les places dans l’état-major de la milice s’obtenaient par favoritisme politique. Certes, le Globe de Toronto soutenait Otter, tout comme le major-général Richard George Amherst Luard*, le réformateur britannique dépourvu de tact qu’Ottawa avait emprunté pour commander la milice, mais ces appuis ne lui étaient d’aucun secours. Devrait-il se résigner à être surintendant dans la Police à cheval du Nord-Ouest ou major de brigade à Toronto ? Après leur victoire aux élections fédérales de 1882, les conservateurs décidèrent de remplir une vieille promesse : créer une petite armée permanente qui dirigerait des écoles de milice. Le ministre, Adolphe-Philippe Caron*, tenait là une occasion en or de récompenser des amis politiques intéressés par la chose militaire, mais pourquoi ne pas compléter la liste des candidats en y ajoutant un officier de milice populaire et efficace ? En juin 1883, avant d’aller commander l’équipe de tir à Wimbledon, Otter donna un préavis à la Canada Company. À la fin de juillet, il reçut d’Ottawa la nouvelle de sa nomination au commandement d’« une école d’instruction militaire pour l’infanterie » à Toronto, à un salaire de 5,25 $ par jour. En octobre, après trois mois d’immersion dans la vie militaire britannique, il se remit en route pour le Canada, où sa mutation des Queen’s Own Rifles à l’armée permanente avait suscité de nombreux commentaires favorables. Il recruta 100 hommes et installa son école au fort New (sur les terrains de l’actuelle Exposition nationale canadienne). Les cours commencèrent en avril 1884. Plus tard dans l’année, Otter proposa au successeur de Luard, le major-général Frederick Dobson Middleton*, de diriger les bateliers canadiens que la Grande-Bretagne recrutait pour son expédition sur le Nil [V. Frederick Charles Denison*]. Middleton déclina brusquement l’offre ; l’école suffirait.

Otter ne fut pas pour autant exclu du corps de milice organisé en toute hâte pour réprimer le coup de force des Métis à Batoche (Saskatchewan) en 1885 [V. Louis Riel*]. Le vendredi 27 mars, un télégramme lui ordonna de mobiliser 80 hommes de son école et 500 autres miliciens, puis de partir pour Winnipeg. Dès midi le samedi, la sélection était terminée. Les soldats piaffaient d’impatience, mais Otter, qui n’avait pas oublié à quel point les miliciens étaient mal équipés à leur départ pour Ridgeway en 1866, consacra le reste de la journée et le dimanche à passer Toronto au peigne fin pour rassembler vêtements d’hiver, bottes et lunettes de protection contre la neige. Comme le chemin de fer canadien du Pacifique n’était pas encore terminé, les hommes durent franchir péniblement à pied la distance entre le lac du Chien (lac Dog) et Red Rock, dans le nord de l’Ontario, ou s’entasser dans des chariots découverts circulant sur des tronçons déjà construits. Malgré les lunettes protectrices, Otter souffrirait des séquelles de la cécité des neiges jusqu’à la fin de sa vie. De Winnipeg, il se rendit à Qu’Appelle (Saskatchewan), puis à Swift Current. À partir de cet endroit, lui-même et ses hommes devaient descendre la Saskatchewan-du-Sud en vapeur pour rejoindre Middleton à Clark’s Crossing, mais le 11 avril, de nouveaux ordres lui parvinrent. Un massacre avait eu lieu au lac La Grenouille (lac Frog, Alberta) [V. Léon-Adélard Fafard*]. Affolés, la police et les colons de Battleford lançaient des appels plus pressants qu’auparavant. Ses supérieurs ordonnaient à Otter d’aller à leur rescousse à pied. Sa colonne se mit en marche le 19. Elle atteignit Battleford le 24. Hommes politiques et journalistes félicitèrent Otter d’avoir parcouru 180 milles en moins de six jours, mais des critiques firent valoir que, en attaquant dans la nuit du 23, il aurait pu empêcher une dernière boucherie.

Les habitants de Battleford criaient vengeance ; les hommes d’Otter étaient disposés à les satisfaire. Middleton, dont la campagne était interrompue, prévint Otter de ne pas bouger. L’ordre arriva trop tard. Le 31 avril, avec l’approbation d’Edgar Dewdney*, lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest, Otter partit, avec 325 de ses hommes, pour la réserve du chef des Cris des Plaines Poundmaker [Pītikwahanapiwīyin*] au ruisseau Cut Knife. À son arrivée le 2 mai, il découvrit que les Cris avaient levé le camp, mais, pendant que ses hommes gravissaient le mont Cut Knife, ses éclaireurs aperçurent des guerriers amérindiens. Une bataille éclata. Lorsque les Cris commencèrent à contourner les flancs du mont, Otter comprit qu’il devait battre en retraite. La manœuvre se déroula comme dans un manuel, avec peu de pertes, notamment parce que Poundmaker trouvait qu’il y avait déjà eu assez de morts. Après coup, Otter expliqua qu’il avait procédé à une « reconnaissance offensive » : les Amérindiens avaient sûrement été touchés, sans quoi ils auraient poursuivi ses hommes. Middleton ne se laissa pas duper par cette fable. Otter, dirent ses propres subordonnés, était inepte et obsédé par la discipline. D’autres cependant, impatients d’avoir un héros d’origine canadienne, transformèrent la bataille en triomphe. Le Montreal Daily Star recommanda vivement « Otterism » comme synonyme de répression impitoyable. Ensuite, Otter mena sans succès une expédition vers le nord à la recherche de Gros Ours [Mistahimaskwa*] et d’autres chefs du soulèvement. Resté dans l’Ouest après le départ de la majorité de ses hommes, il put se dire que la meilleure réponse à ceux qui lui reprochaient d’exercer le métier de soldat à la manière britannique était qu’il était né au Canada. L’adjoint de Caron, Charles-Eugène Panet, déclara que l’affrontement du mont Cut Knife prouvait que « les Canadiens [pouvaient] livrer leurs propres batailles sans l’aide d’étrangers ».

Otter revint à Toronto en octobre 1885. Au printemps suivant, outre ses responsabilités à l’école d’infanterie, et sans hausse de solde, il assuma la fonction d’adjudant général adjoint du district militaire no 2 (Toronto et le centre de l’Ontario). Ainsi commença une longue lutte pour inculquer à la milice rurale ses préceptes sur l’obéissance et la soumission et pour régler autrement que par favoritisme, comme cela se faisait ailleurs, tout un éventail de questions, depuis la nomination de l’état-major des camps jusqu’à l’attribution des contrats de cantine. Otter convainquit le colonel sir Casimir Stanislaus Gzowski* d’offrir un trophée au régiment le plus efficace en camp. En 1891, il participa à la formation du Canadian Military Institute et obtint des fonds municipaux pour réinstaller à Mimico le champ de tir de Toronto, situé au Garrison Common, mettant ainsi un terme à dix ans de tiraillements entre la milice et les Torontois. L’année suivante, le successeur de Middleton, le major-général Ivor John Caradoc Herbert*, transforma l’Infantry School Corps et en fit le Canadian Regiment of Infantry. Au premier rassemblement des quatre compagnies de ce régiment, en 1894 à Lévis, au Québec, Otter agit comme colonel. L’année suivante, au cours d’un séjour de six mois en Angleterre et en Europe, il subirait les épreuves imposées à un commandant de bataillon britannique.

À l’âge de 51 ans, Otter détenait le même grade depuis 21 ans et touchait la même solde depuis 11 ans. À cause de ses sœurs, qui étaient à sa charge, et des obligations liées au maintien de sa position sociale, il avait des dettes. Déjà, le major de milice Samuel Hughes, avec qui il s’était lié longtemps auparavant en jouant à la crosse, avait moussé sa candidature au poste d’adjudant général, la plus haute fonction accessible à un Canadien. Toutefois, quand une vacance survint, au début de 1896, après que Walker Powell* eut pris sa retraite, Hughes, alors député conservateur aux Communes, estima que les « tendances grit » d’Otter étaient un handicap. Les libéraux, par contre, le soupçonnaient d’être un protégé des conservateurs, d’autant plus que, en avril 1896, à la veille des élections fédérales, il obtint un autre poste non rétribué, celui d’inspecteur de l’infanterie. Otter survécut au changement de régime et devint un atout pour le ministre de la Milice et de la Défense de Wilfrid Laurier*, le réformateur Frederick William Borden*, et pour le major général Edward Thomas Henry Hutton, dernier commandant britannique de la milice canadienne. Bien que Hutton ait été très soucieux de se mettre en valeur, il n’impressionnait pas Otter. Il lui confia le commandement du contingent canadien qui serait envoyé en Afrique du Sud si la guerre y éclatait, puis, quand il présenta finalement un plan à Borden, il expliqua que lui-même, et non Otter, exercerait ce commandement. « Au bout du compte, je pense que vous y gagnerez », dit-il à Otter en septembre 1899.

De fait, Otter y gagna. Le gouvernement ne tint aucun compte du plan de Hutton ni des directives britanniques. Le 13 octobre, Otter fut placé à la tête du contingent autorisé à partir pour l’Afrique du Sud. Le recrutement de ce groupe, le 2nd (Special Service) Battalion du Royal Canadian Regiment of Infantry, se ferait dans tout le Canada. Au lieu de n’être commandant que de nom, Otter aurait une unité combattante. En deux semaines intensives, plus d’un millier d’hommes s’enrôlèrent. La nomination des officiers donna lieu à des querelles politiques jusqu’au départ du transport de troupes Sardinian, le 30 octobre. Résolu à ce que ses Canadiens se conduisent en soldats, Otter commença à leur donner une instruction élémentaire sur les ponts de ce navire affecté d’habitude au transport du bétail. Ses subordonnés, accoutumés aux normes indulgentes de la milice, maugréaient et exprimaient leurs rivalités régionales.

À son arrivée au Cap, le 29 novembre, Otter savait combien les Britanniques étaient en mauvaise posture. Envoyés rejoindre les troupes de lord Methuen sur la rivière Modder, les Canadiens furent évincés au combat par un bataillon britannique expérimenté. À Belmont, ils eurent à supporter, sous un soleil de plomb, deux autres longs mois de manœuvres, de marche au pas et de faction, avec leur préfet de discipline grisonnant. Otter avait espéré obtenir une promotion dans l’armée britannique en servant en Afrique du Sud, mais il comprit bientôt que la présence de fringants carriéristes deux fois moins âgés que lui réduisait presque ses chances à néant. En fait, à titre de premier commandant de troupes canadiennes au combat, il était surchargé de travail, avec des maîtres à Ottawa et sur le terrain. Finalement, le commandant britannique, lord Roberts, jugea que les Canadiens, endurcis par l’entraînement, feraient des combattants acceptables et les envoya rejoindre la 19th Brigade du colonel Horace Lockwood Smith-Dorrien.

Le 12 février 1900, le bataillon d’Otter se rendit par train à Graspan, où il s’intégra à un plan visant à prendre au piège l’armée du commandant boer Piet Arnoldus Cronje. La campagne de Paardeberg commença le lendemain, par une marche sur Ramdam ; 50 des 896 Canadiens s’effondrèrent, vaincus par la chaleur et la soif. D’autres marches encore plus épuisantes suivirent, et quelques soldats commencèrent à être reconnaissants à Otter d’avoir tenté de les préparer. Le 18, les Canadiens atteignirent le gué de Paardeberg, franchirent la Modder et avancèrent sur les défenses de Cronje. Bientôt, le tir des fusils boers les força à se mettre à couvert. Dans l’après-midi, après avoir fait des remarques désobligeantes sur les coloniaux inexpérimentés, un bataillon britannique attaqua en passant entre leurs rangs. Piqués, les Canadiens chargèrent à leur tour ; 21 d’entre eux perdirent la vie. C’était l’engagement le plus sanglant auquel participaient des Canadiens depuis la guerre de 1812. La bataille se transforma en siège. Le 27, les Canadiens lancèrent une attaque de nuit : l’ennemi riposta, les soldats se baissèrent pour se couvrir et, quelques minutes plus tard, la plupart coururent jusqu’à leurs vieilles tranchées. Otter, furieux, connaissait la troisième retraite de sa carrière. Sur la droite, cependant, la plupart des soldats de deux compagnies maintinrent leur position. À l’aube, les Boers commencèrent à se rendre. La majorité des soldats impériaux se souvinrent que c’était l’anniversaire de l’humiliante défaite subie par les Britanniques contre les Boers à Majuba en 1881. Une fois oubliée la panique nocturne, les Canadiens d’Otter devinrent les symboles d’une grande victoire de l’Empire britannique.

Au terme d’une autre marche pénible, le régiment parvint à Bloemfontein, où Roberts projetait de rebâtir son armée. Le froid et la pluie transformèrent le bivouac des Canadiens en marécage ; huit hommes moururent de la typhoïde, qui sévissait dans toute l’armée. Assis sous un chariot, Otter examinait son courrier : une masse de lettres venues du Canada, dont certaines très dures à l’endroit de sa discipline. (Au pays, il pouvait compter sur des amis puissants pour soustraire les lettres de blâme à la vue des journalistes.) Le 21 avril, l’avance reprit. Le 25, à Israel’s Poort, le tir des Boers obligea la première ligne du bataillon à se coucher par terre. Voyant certains de ses hommes reculer en glissant, Otter s’empressa d’aller les arrêter. À peine était-il revenu qu’une balle l’atteignit en pleine figure. Il rejoignit son bataillon le 26 mai, à temps pour le diriger à la bataille de Doornkop et participer à la marche triomphale dans Pretoria le 5 juin.

S’il s’était agi d’une guerre classique, elle aurait alors dû être gagnée. Or, les hommes d’Otter avaient devant eux des mois déprimants où ils feraient le guet et, de temps à autre, poursuivraient à pied des commandos à cheval. La plupart d’entre eux comptaient bien rentrer au pays dès la fin de leur année d’engagement. Convaincu que la victoire approchait, Roberts demanda à Otter de garder ses hommes encore quelques semaines. Pouvait-il répondre autre chose que oui ? Las, bon nombre des hommes regagnèrent leur foyer, avec un grief de plus contre leur commandant. Ceux qui restèrent revinrent au Canada en héros après un arrêt en Angleterre, où la reine Victoria les passa en revue le 30 novembre 1900. Les amis d’Otter à Toronto, bien décidés à clouer le bec à ses détracteurs, tinrent un gigantesque banquet en son honneur le 28 décembre. Le gouverneur général, lord Minto [Elliot*], l’accueillit en le qualifiant de « meilleur soldat du Canada ». Modeste, Otter souligna que, étant donné la qualité des recrues, former « un des bataillons les plus efficaces à avoir parcouru le veld à pied » avait été facile. Quelque temps auparavant, le Parlement avait modifié la loi de milice afin qu’Otter et d’autres officiers supérieurs puissent accéder au grade de colonel (un avis officiel était parvenu à Otter en Afrique du Sud le 9 octobre). À la fin de 1901, Otter reçut le titre de compagnon de l’ordre du Bain. Ses critiques n’étaient pas réduits au silence mais ils conservaient l’anonymat. Encore une fois, le nationalisme servait un homme qui s’était efforcé de constituer un bon bataillon britannique avec des Canadiens. « Il est issu de la milice canadienne, déclara la Canadian Military Gazette de Montréal ; nous devrions tous le soutenir et en être fiers. »

Même si certains Canadiens pensaient, à l’instar de Samuel Hughes, que la guerre des Boers avait marqué le triomphe de tireurs d’élite amateurs sur des soldats de métier pourvus d’œillères, la plupart étaient convaincus que le service actif avait rendu les soldats canadiens aussi bons que les britanniques. Si le pays comptait des officiers de la trempe d’Otter, pourquoi des officiers britanniques continueraient-ils d’occuper les postes clés dans la milice ? Le ministre Borden était sensible à cette contradiction, mais c’était un homme prudent et un fervent impérialiste. Otter resta donc à la tête du district militaire no 2 et obtint une augmentation de solde. Grâce aux conseils financiers du commandant des Queen’s Own Rifles, Henry Mill Pellatt*, qui avait le sens des affaires, Otter ne connut plus jamais la pauvreté. Dès 1902, ses investissements lui rapportaient 1 000 $ par an. En 1901–1902, il appartint au comité qui adopta le fusil Ross, de triste mémoire ; il ne nota jamais ce fait dans ses documents personnels, pourtant fort détaillés.

Comme en Afrique du Sud, Otter se rendit impopulaire auprès des officiers majoritairement conservateurs des unités de milice du centre de l’Ontario en appliquant la discipline et le règlement avec sévérité. Selon des témoins, il s’en prenait au laxisme de la milice dans des discours prononcés à l’occasion de revues et d’inspections. À 60 ans, il était trop âgé ; la victoire conservatrice de 1904 aurait pu mettre fin à sa carrière. Or, plus tôt dans l’année, il bénéficia des modifications apportées à la loi sur la milice en vertu desquelles l’officier général commandant britannique fit place à un conseil de milice dont l’officier supérieur serait chef d’état-major et pas nécessairement britannique. L’est du Canada fut subdivisé en commandements et, après avoir refusé de s’installer à Montréal, Otter prit en charge l’ouest de l’Ontario. En cette période de réforme et d’expansion radicales, ses énergies et ses aspirations pouvaient se déployer mieux que jamais. Par ailleurs, l’expérience de l’Afrique du Sud et la menace croissante de guerre en Europe nourrissaient, chez les Britanniques, un désir d’intégrer les troupes du dominion. En 1907, une conférence impériale accepta la normalisation de la doctrine et de l’instruction. Pour garder sous son autorité les postes canadiens d’importance, le ministère de la Guerre offrit à Otter une brigade à Aldershot. Otter était en train de soupeser cette proposition lorsque, en mars 1908, le général de brigade Beaufort Henry Vidal* mourut. Ce décès permit à Ottawa de promouvoir son chef d’état-major britannique au poste d’inspecteur général et de nommer Otter chef d’état-major avec le grade de général de brigade. Les Canadiens jubilèrent. Un des leurs s’était vu offrir une brigade britannique mais l’avait refusée afin de devenir le général en chef du Canada. Le concert d’éloges fut tel qu’on en oublia les vieux antagonismes. Peu de gens s’avisèrent que le prédécesseur d’Otter, le major-général Percy Henry Noel Lake*, conservait le poste d’inspecteur général et demeurait le principal conseiller militaire du Canada.

La première tâche d’Otter consista à organiser une vaste revue militaire pour la célébration du tricentenaire de Québec. Le 24 juillet 1908, 12 422 hommes et 2 134 chevaux furent rassemblés dans la vieille capitale. Non seulement dépassaient-ils en nombre les forces combinées de Wolfe* et de Montcalm*, mais ce déploiement marquait un point culminant dans les dépenses militaires. Le budget annuel de la période de 1867 à 1896, un million de dollars, était bien chose du passé. En 1908–1909, le ministère de la Milice avait 6,5 millions de dollars et on le pressait de dépenser davantage. Cependant, la prospérité de l’époque de Laurier tirait à sa fin. Dans les derniers mois de 1908, le Conseil de la milice apprit qu’il devait réduire ses dépenses de un million de dollars. La population et les miliciens réclamèrent que ces coupures soient faites dans l’état-major et l’armée permanente plutôt que dans les camps d’été de la milice. Pour inspecter les défenses du Canada, Otter fit une tournée du pays en 1909. À Petawawa, en Ontario, il assista au décollage du nouvel aéronef canadien, le Baddeck no 1, mais il « ne voulut pas exprimer le moindre avis ». L’année suivante, il succéda à Lake au poste d’inspecteur général ; en novembre 1910, il fut promu major-général intérimaire. (Un général britannique devint alors le chef d’état-major et le principal conseiller militaire du gouvernement ; aucun officier canadien ne cumulerait ces deux fonctions avant 1920.)

Le 10 octobre 1911, les conservateurs formèrent un gouvernement. Peu après, le ministre de la Milice, Samuel Hughes, se querella avec les officiers supérieurs britanniques. En conséquence, la nomination d’Otter au poste de major-général fut confirmée en juillet 1912, mais presque tout de suite, il apprit qu’il devrait prendre sa retraite le 1er décembre. Comme il avait 68 ans, cette mise à la retraite n’était pas vraiment essentielle. Le fait de se voir refuser un plein mandat de quatre ans à titre d’inspecteur général et les honneurs qui couronnaient habituellement une belle carrière lui causa de l’amertume. Dans son dernier rapport, publié en janvier, il attaqua avec virulence la plupart des aspects de la politique de Hughes. Selon lui, les écoles provisoires et les camps de milice étaient inadéquats, les instructeurs manquaient parfois de qualification, la complaisance régnait dans la milice, l’armée permanente était gravement négligée. Quand Otter apprit que le gouverneur général, le duc de Connaught [Arthur*], avait obtenu pour lui, à l’encontre de l’avis de ses ministres, le titre de chevalier commandeur de l’ordre du Bain, il se trouvait en Angleterre. Il était présent au palais de Buckingham pour son investiture le 11 juin 1913.

De retour au pays, Otter était tout disposé à parler du degré de préparation du Canada à un éventuel conflit armé. Notamment sous l’effet des difficultés économiques et des excès de Hughes, l’atmosphère de militarisme qui régnait quelque temps plus tôt était en train de se dissiper. La guerre mondiale, déclenchée le 4 août 1914, la restaura. Otter se sentait inutile : la garde territoriale et la Croix-Rouge écoutèrent ses avis sur les besoins militaires sans y donner suite. Faute de menaces directes, les Canadiens s’en prenaient aux étrangers présents au pays. Le gouvernement interna des centaines d’Allemands et des milliers de travailleurs polonais et ukrainiens qui avaient le malheur d’être des sujets des Habsbourg [V. William Perchaluk*]. Le ministre de la Justice, Charles Joseph Doherty*, convoqua Otter à Ottawa le 30 octobre et l’invita à prendre la direction des opérations d’internement. Sauf pendant une interruption à cause de la mort de sa femme en novembre, Otter travailla sans relâche à établir des camps depuis le fort Henry, près de Kingston, en Ontario, jusqu’à Nanaimo, en Colombie-Britannique. Les internés de première classe ne pouvaient être contraints de travailler ; les internés de deuxième classe, eux, feraient diverses corvées, par exemple défricher des forêts à Kapuskasing, en Ontario, ou aménager le parc national de Banff, en Alberta. En outre, Otter consolidait les camps, relâchait les internés dont on avait besoin pour l’effort de guerre et protégeait les commandants de camp qui partageaient son souci de l’ordre. La panique antibolchevik d’après-guerre amènerait de nouveaux prisonniers à Kapuskasing ; les derniers camps ne se libéreraient qu’à la fin de 1919.

Otter assuma une autre tâche en 1919 : diriger le comité de réorganisation mis sur pied pour combiner les anciens régiments de milice et les nouvelles unités du Corps expéditionnaire canadien. Des officiers plus jeunes que lui accompliraient la plus grande partie du travail, en bénéficiant de son expérience. Aux colonels qui rouspétaient contre la fusion, Otter rappelait que la population ne voulait pas de milice du tout. Leur attitude ne changea pas, les hommes politiques les soutinrent, si bien que le comité d’Otter serait blâmé pour avoir gardé une milice pléthorique. Elle serait réduite de moitié en 1936. En outre, Otter appartint à un comité qui choisit les officiers de l’armée permanente. Ses années de service prirent fin en juin 1920 ; il reçut trois mois de solde, mais son départ passa presque inaperçu. En 1921, son protégé le major-général James Howden MacBrien*, nommé chef d’état-major après la guerre, rappela au gouvernement libéral nouvellement élu qu’Otter n’avait jamais été inscrit sur la liste des retraités. L’erreur fut corrigée de belle manière le 9 mars 1922 par sa promotion au grade de général ; il devenait ainsi le deuxième Canadien, après sir Arthur William Currie*, à obtenir cette distinction. Le 7 juin 1923, la University of Toronto lui décerna un doctorat honorifique en droit au cours d’une cérémonie où se trouvaient surtout d’anciens soldats. Otter n’était pas au meilleur de sa forme. Le 27 novembre 1927, des anciens des Queen’s Own Rifles donnèrent un banquet en son honneur. Pour une fois, Otter fut presque incohérent. Au début de 1928, il se fractura la cheville dans un tramway. Au moment où il semblait prêt à marcher, son état s’aggrava. Le 6 mai 1929, ses infirmières le trouvèrent mort.

Des miliciens contemporains de sir William Dillon Otter le surnommaient « le Père de la Force armée ». Il en était la conscience militaire et le préfet de discipline. Il en critiquait impitoyablement les lacunes. Sa foi en la discipline et l’ordre trouva peu d’écho chez les Canadiens. Pourtant – Otter l’avait appris à Ridgeway –, c’était une qualité qui déterminait la victoire ou la défaite.

Desmond Morton

On peut trouver presque toutes les références sur ce qui précède dans notre ouvrage, The Canadian general : Sir William Otter (Toronto, 1974). Les papiers d’Otter sont conservés aux AN, MG 30, E242. Une importante collection d’albums, de papiers et de bibles de famille sont en notre possession. Les principales autres sources secondaires sont Carman Miller, Painting the map red : Canada and the South African War, 1899–1902 (Montréal et Kingston, Ontario, 1993), et S. J. Harris, Canadian brass : the making of a professional army, 1860–1939 (Toronto, 1988). [d. m.]

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Desmond Morton, « OTTER, sir WILLIAM DILLON », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 10 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/otter_william_dillon_15F.html.

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Auteur de l'article:    Desmond Morton
Titre de l'article:    OTTER, sir WILLIAM DILLON
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
Date de consultation:    10 déc. 2024