BUREAU, JACQUES (baptisé Marie-Joseph-Jacques-Napoléon), avocat, fonctionnaire, journaliste et homme politique, né le 9 juillet 1860 à Trois-Rivières, Bas-Canada, fils de Joseph-Napoléon Bureau, avocat, et de Sophie Gingras ; le 15 juillet 1884, il épousa à Winnipeg Ida Béliveau, et ils eurent trois enfants, dont deux atteignirent l’âge adulte ; décédé le 23 janvier 1933 à Montréal.

Dans la région de Trois-Rivières, la famille Bureau fait partie du paysage politique depuis 1819 [V. Pierre Bureau*]. Le père de Jacques, Joseph-Napoléon, est une figure connue : avocat, journaliste, polémiste et libre-penseur, il appartient, sur le plan politique, au camp rouge, comme sir Antoine-Aimé* et Jean-Baptiste-Éric* Dorion, les célèbres fils de sa cousine. Premier président de l’Institut canadien des Trois-Rivières, il est un adversaire coriace pour les conservateurs de la ville et leur puissant allié, l’évêque ultramontain Louis-François Laflèche*. À l’instar de son frère Jacques-Olivier, député rouge de la circonscription de Napierville à l’Assemblée législative de la province du Canada, il tâte de la politique. Il est élu maire de Trois-Rivières durant les années 1870 et est candidat libéral malheureux aux élections fédérales de 1874.

Jacques Bureau voit donc le jour dans un milieu favorisé et très politisé. En 1872, il entre au séminaire de Nicolet. En l’envoyant dans cet établissement plutôt qu’au collège des Trois-Rivières, son père souhaite probablement le soustraire à l’influence du clergé trifluvien. Ses études classiques terminées, il entreprend des études de droit en 1878 à l’université Laval, à Québec. Après avoir obtenu son baccalauréat, il est admis au Barreau de la province de Québec en janvier 1882. Peut-être à cause de la surabondance d’avocats à Trois-Rivières, il s’établit alors dans l’Ouest canadien, à Winnipeg. Il devient secrétaire correspondant au Secrétariat provincial et, en 1885, est admis au Barreau du Manitoba. Vers 1890, il s’installe à Superior, au Wisconsin, et y aurait pratiqué le droit. Il est en outre rédacteur de l’éphémère Courrier de Duluth, au Minnesota, et aurait participé à la campagne présidentielle de 1896 dans le camp démocrate. En 1897, il revient à Trois-Rivières, veiller son père malade. Celui-ci meurt peu de temps après.

Bureau décide alors de s’établir à demeure dans sa ville natale et de suivre les traces de son père, tant sur le plan professionnel – il prend en mains son cabinet d’avocats, auquel il reste lié toute sa vie – que sur le plan politique. Il possède des atouts importants, qui tiennent à la fois de sa naissance et de l’expérience qu’il a acquise au cours de son séjour dans l’Ouest : il est bilingue, il a une large vision des enjeux politiques de l’heure au Canada et aux États-Unis, et il s’est familiarisé avec les techniques d’organisation électorale.

En 1900, la conjoncture est favorable aux libéraux de Trois-Rivières. Mgr Laflèche est disparu, les conservateurs sont divisés, sir Wilfrid Laurier* est premier ministre du Canada et jouit d’une très grande popularité dans la province de Québec. Candidat libéral aux élections fédérales de novembre 1900, Bureau bat les deux candidats conservateurs et conquiert le bastion bleu de Trois-Rivières et Saint-Maurice. Fin stratège, le nouveau député s’emploie, durant les années qui suivent, à établir son autorité sur la ville et à favoriser l’accession de ses alliés aux postes clés. En janvier 1901, il devient conseiller municipal de Trois-Rivières et accède à la présidence du comité de l’hôtel de ville, fonction par laquelle il a entre autres la main haute sur l’embauche et la supervision du personnel. C’est ainsi qu’il recrute l’avocat libéral Joseph-Adolphe Tessier* comme procureur de la ville et qu’il fait entrer au conseil un autre avocat libéral, François-Siméon Tourigny. Il quitte l’hôtel de ville en 1904.

En moins de six ans, Bureau, qui représentera sa circonscription à la Chambre des communes sans interruption de son élection en 1900 à son entrée au Sénat en 1925, devient le personnage politique le plus puissant et le plus influent de Trois-Rivières, et ce, jusqu’aux années 1920. Sa personnalité colorée explique en grande partie ce succès. Enthousiaste, bon vivant, doté d’un bon sens de l’humour et de la répartie, il sait gagner l’estime de tous. Les puissants le respectent, les humbles aiment sa familiarité. Ces qualités font de lui un député très populaire aux Communes, apprécié de ses alliés comme de ses adversaires, des Canadiens français comme des Canadiens anglais. Elles lui permettent en outre de tisser un réseau de relations au pays, qui contribuera à son avancement.

Bureau est ainsi en position de jouer un rôle déterminant comme promoteur de sa région qui, à l’époque, connaît un essor industriel important, basé sur la production hydroélectrique, l’exploitation des ressources forestières et la fabrication de pâtes et papiers. Les nouveaux établissements industriels fleurissent, alimentés par la puissante Shawinigan Water and Power Company. Celle-ci, d’ailleurs, allait devenir cliente du cabinet d’avocats de Bureau. Le député libéral est en outre conseiller juridique et actionnaire de la St Maurice River Boom and Driving Company, fondée en 1909, qui assure le flottage du bois depuis la grande forêt mauricienne jusqu’aux moulins du bas pays.

Bureau prend du galon et devient l’un des piliers de l’aile québécoise du Parti libéral fédéral. Maître politique de Trois-Rivières, confident de Laurier, bon orateur, il s’impose comme organisateur politique. En 1907, Laurier le nomme solliciteur général, fonction relativement secondaire au sein du gouvernement qu’il exerce jusqu’en 1911. L’étoile de Bureau pâlit cependant en 1910. Comme il était coorganisateur de la campagne libérale à l’élection partielle de la circonscription de Drummond et Arthabaska, on lui attribue en partie l’humiliante défaite du candidat de son parti au profit des conservateurs-nationalistes.

Pendant la crise de la conscription, en 1917, Bureau est l’un des orateurs les plus vigoureux de la province de Québec. Sur toutes les tribunes, il accuse de trahison les ministres canadiens-français de sir Robert Laird Borden, particulièrement Pierre-Édouard Blondin*, député de la circonscription voisine de Champlain et ministre des Postes. La ferveur anticonscriptionniste de Bureau et sa loyauté indéfectible envers Laurier contribuent à lui faire en partie regagner le prestige qu’il a perdu en 1910.

Laurier meurt en 1919, laissant un grand vide au Parti libéral. À l’instar de la majorité des députés libéraux de la province de Québec, Bureau soutient la candidature de William Lyon Mackenzie King* à la direction du parti, contre celle de William Stevens Fielding*. Grâce à l’appui de l’aile québécoise, King l’emporte. Il faut cependant à ce dernier, unilingue anglophone, un lieutenant québécois qui pourra se réclamer de l’héritage de Laurier. Bureau favorise son grand ami Ernest Lapointe*, dont il a guidé les premiers pas dans la politique fédérale, plutôt que sir Lomer Gouin*. Encore une fois, il fait le bon choix.

Au retour des libéraux au pouvoir en 1921, King confie à Bureau le ministère des Douanes et de l’Accise. Pour la première fois de sa carrière, il entre au cabinet. Marqué par le scandale des Douanes, son passage au ministère s’avère pénible et tumultueux. La prohibition de la fabrication et de la vente d’alcool aux États-Unis, décrétée en 1919, a fait naître un réseau de contrebande très organisé entre le Canada et son voisin du sud. En 1924, la rumeur court que des membres de la direction du ministère des Douanes et de l’Accise non seulement restent passifs devant ce commerce illicite, mais, dans certains cas, y participent activement. L’État canadien perd beaucoup d’argent en droits de douane et en amendes non acquittées, et les manufacturiers souffrent de la concurrence des biens de contrebande obtenus des Américains en échange d’alcool.

En septembre 1925, King, flairant la menace que cette affaire fait peser sur son gouvernement, force Bureau à abandonner son ministère en échange d’un siège au Sénat avant que la crise n’éclate. Certains passages du journal du premier ministre sont révélateurs de l’ampleur de la déchéance de Bureau et du désordre qui régnait dans son ministère. Le 17 août 1925, il écrit : « J’ai été attristé et choqué d’apprendre que Bureau était retombé dans l’alcoolisme. Le pauvre homme. Il se tue rapidement, ne peut surmonter son problème. » Deux jours plus tard, il ajoute : « La façon dont le ministère des Douanes est administré est scandaleuse et honteuse. »

Des élections générales ont lieu en octobre de la même année. Le Parti conservateur fait élire le plus grand nombre de députés, mais les libéraux, grâce à l’appui du Parti progressiste et aux manœuvres expertes de Lapointe, parviennent à se maintenir au pouvoir. En février 1926, le député conservateur Henry Herbert Stevens* obtient des Communes qu’un comité, le comité spécial d’enquête sur l’administration du ministère des Douanes et de l’Accise, soit formé pour faire la lumière sur la corruption qui sévirait au sein de ce ministère. L’enquête révèle la complicité de certains employés du ministère dans des affaires de contrebande. Le ministre Bureau aurait couvert certaines personnes, profitant lui-même des largesses du système : il se serait fait livrer des caisses d’alcool de contrebande saisies et son chauffeur se serait procuré une voiture de contrebande par le truchement d’un employé corrompu du ministère. Le comité dépose son rapport le 18 juin 1926 devant les membres de la Chambre des communes. Il est sévère à l’endroit de l’ancien ministre : « Il est apparent que l’honorable Jacques Bureau, alors ministre des Douanes, n’a pas apprécié la responsabilité dont il était investi et, par suite, le bureau-chef à Ottawa n’a pas exercé sur les subalternes la maîtrise efficace, continue et vigoureuse qu’il aurait fallu. » À la suite de ces révélations, les conservateurs soumettent aux Communes un amendement à la motion du rapport qui est, en fait, une motion de censure contre le gouvernement : c’est l’origine de la célèbre affaire King-Byng [V. Julian Hedworth George Byng ; William Lyon Mackenzie King]. Aux malheurs de Bureau s’ajoutent des allégations, qui se révéleront fausses, selon lesquelles il aurait, en compagnie de Lapointe, fait une croisière de débauche à bord d’un navire de la marine canadienne, le Margaret. Accablé par les scandales et malade, le jovial député de Trois-Rivières tire sa révérence dépité et en pleine disgrâce.

Il n’y a pas qu’à Ottawa où Bureau vit des heures difficiles. Éclaboussé, bien qu’il ait personnellement été lavé de tout soupçon, par les affaires de corruption au sein de l’administration municipale de Trois-Rivières qu’a révélées l’enquête du juge Louis-Joseph-Alfred Désy en 1920–1921 [V. Joseph-Adolphe Tessier*], aux prises avec d’ambitieux prétendants à son titre de maître politique de la ville, tant libéraux que conservateurs, il est de plus en plus ouvertement contesté dans son propre fief trifluvien. Avec l’élection de son rival libéral Arthur Bettez à la mairie de Trois-Rivières en 1923 et à la Chambre des communes en 1925, puis celle du conservateur Maurice Le Noblet Duplessis* à l’Assemblée législative de la province de Québec en 1927, l’emprise de Bureau sur la région ne sera bientôt plus qu’un souvenir.

Jacques Bureau meurt en 1933. Son épouse Ida, sa fille Blanche et son fils Édouard, époux d’Étiennette Duplessis et beau-frère de Maurice, lui survivent. Les Bureau ont auparavant perdu un fils, Jacques-Napoléon, mort à 12 ans. Il laisse aussi dans le deuil députés et sénateurs de toute allégeance, qui appréciaient l’homme.

En collaboration avec François Roy

Arch. de la ville de Trois-Rivières, Québec, Procès-verbaux du conseil municipal, 1900–1901.— Arch. du séminaire Saint-Joseph de Trois-Rivières, 0013 ; 0211.— BAC, MG 26, J13, 21 janv., 3 mars, 17, 19 août 1925 ; 6–7 mai, 20 juin 1926.— BAnQ-MCQ, CE401-S48, 11 juill. 1860.— Manitoba, Ministère de la Vie saine, des Aînés et de la Consommation, Consommation et Corporations, Bureau de l’état civil (Winnipeg), no 1884-001194.— L’Action catholique (Québec), 9 août 1926.— Le Devoir, 24–25 janv. 1933.— BCF, 1927 : 345.— Paul Bernier, Ernest Lapointe, député de Kamouraska, 1904–1919 (La Pocatière, Québec, 1979).— L.-R. Betcherman, « The customs scandal of 1926 », Beaver, 81 (2001–2002), no 2 : 14–19 ; Ernest Lapointe : Mackenzie King’s great Quebec lieutenant (Toronto, 2002).— Conrad Black, Duplessis, Monique Benoît, trad. (2 vol., Montréal, 1977).— Canada, Chambre des communes, Débats, 18 juin 1926 ; Comité spécial d’enquête sur l’administration du ministère des Douanes et de l’Accise [...], Procès-verbaux des délibérations et témoignages (2 vol., Ottawa, 1926).— Canadian directory of parl. (Johnson).— CPG, 1901–1933.— R. MacG. Dawson et H. B. Neatby, William Lyon Mackenzie King : a political biography (3 vol., Toronto, 1958–1976), 2.— National encyclopedia of Canadian biography, J. E. Middleton et W. S. Downs, édit. (2 vol., Toronto, 1935–1937).— François Roy, « le Crépuscule d’un rouge : J.-A. Tessier, maire de Trois-Rivières, et l’enquête Désy de 1920 » (mémoire de m.a., univ. du Québec à Trois-Rivières, 1988).— Robert Rumilly, Hist. de la prov. de Québec, vol. 13 ; 15–16 ; 18 ; 22 ; 24–25 ; 28 ; Maurice Duplessis et son temps (2 vol., Montréal, 1973).— Standard dict. of Canadian biog. (Roberts et Tunnell).

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En collaboration avec François Roy, « BUREAU, JACQUES (baptisé Marie-Joseph-Jacques-Napoléon) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 10 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/bureau_jacques_16F.html.

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Auteur de l'article:    En collaboration avec François Roy
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2013
Année de la révision:    2013
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