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JONES, JONAS, officier de milice, avocat, homme politique, juge, fonctionnaire, fermier, homme d’affaires et juge de paix, né le 19 mai 1791 dans le canton d’Augusta (Ontario), troisième fils d’Ephraim Jones* et de Charlotte Coursol (Coursolles) ; le 10 août 1817, il épousa à York (Toronto) Mary Elizabeth Ford, et ils eurent 11 fils, dont 3 moururent en bas âge, et 3 filles ; décédé le 30 juillet 1848 à Toronto.
Jonas Jones, fils d’un loyaliste qui avait accumulé richesse et influence après s’être installé dans le canton d’Augusta, grandit dans un milieu privilégié. Comme bien des enfants de l’élite provinciale d’alors, il fit ses études à la grammar school de John Strachan* à Cornwall, où il se lia d’amitié avec ses condisciples John Beverley Robinson*, John Macaulay*, George Herchmer Markland* et Archibald McLean*. En 1808, il entama une carrière de droit en entrant comme étudiant au cabinet de Levius Peters Sherwood à Elizabethtown (Brockville).
Après leurs études à Cornwall, les amis correspondirent régulièrement pendant un temps, puis leur ardeur se refroidit à mesure que leurs différences de personnalité et de comportement s’affirmaient. D’après Robinson, Markland était trop efféminé, McLean négligeait trop son apparence et Jones (bien que Robinson lui-même n’ait pas été un petit saint) était trop préoccupé par sa vie sexuelle pour un gentleman. En mai 1809, Robinson écrivit à Macaulay que souvent les lettres de Jones « ne nourriss[aient] vraiment pas beaucoup l’esprit, car il ne parl[ait] que de ce qu’il appe[lait] de « beaux morceaux ». Irrité que ce joyeux gaillard d’Elizabethtown s’entête à parler libertinage, Robinson mit fin à leur correspondance l’année suivante.
Jones perdit son père en 1812, mais cela ne nuisit pas à sa carrière. Il reçut en héritage environ 900 acres de terre, £200 pour acheter des livres de droit et une somme pour ses « dépenses raisonnables jusqu’à son admission au barreau ». La guerre de 1812 ralentit son apprentissage mais n’empêcha pas son avancement. Il s’enrôla comme lieutenant dans le 1st Leeds Militia et combattit sous les ordres de George Richard John Macdonell* à Ogdensburg, dans l’état de New York, le 22 février 1813. À la fin des hostilités, il était capitaine et commandait une compagnie de flancs-gardes. Il fut admis au barreau en 1815 et ouvrit un cabinet à Brockville.
Jones n’eut aucun mal à entrer sur la scène politique. Sa famille, avec les Sherwood et les Buell, dominait Brockville, chef-lieu du district. Grâce à ses nombreux appuis dans la région, il fut élu en 1816 député de la circonscription de Grenville à la septième législature (1817–1820), fut réélu en 1820 à la huitième (1821–1824) puis en 1824 à la neuvième (1825–1828). Si l’on considère l’échiquier politique à la fin des années 1820 et au début des années 1830, il était normal que des membres de l’opposition, tel William Lyon Mackenzie*, confondent Jones avec Robinson, Macaulay et Christopher Alexander Hagerman, comme si leurs opinions politiques étaient identiques. En 1824, Mackenzie prenait Jones pour un adversaire du gouvernement du lieutenant-gouverneur sir Peregrine Maitland*. Jones ne fut certainement jamais un aussi solide partisan de l’exécutif que Robinson et Hagerman ; en fait, ce n’est que pendant la tourmente qui agita la neuvième législature qu’il en vint à appuyer le gouvernement. Tout au long des deux législatures précédentes, il fut un indépendant. Toutefois, ses différends avec les grands courtisans du régime portaient plus sur des détails que sur des questions de fond. Ainsi, il joua un rôle dans le mouvement d’opposition contre Robert Gourlay* en 1818 et, au cours d’une assemblée tenue par celui-ci dans le canton d’Augusta le 27 mai, il tenta de dissuader « les gens [...] de se laisser séduire par ses plans trompeurs ». En outre, il fut procureur de la couronne au procès de Gourlay pour écrit séditieux le 31 août. À ses yeux, l’activité de Gourlay était illégitime car elle semblait mettre en question la nature du gouvernement.
Pendant les septième et huitième législatures, Jones dirigea ses critiques contre des mesures qui, selon lui, menaçaient de rompre l’équilibre de la constitution britannique. En 1817, il contesta la loi, présentée l’année précédente par Robert Nichol*, qui assurait pour toujours une subvention annuelle de £2 500 à l’exécutif. Pendant la session parlementaire de 1821–1822, il présenta un projet de loi en vue d’annuler cette subvention, malgré l’opposition du procureur général Robinson et de Hagerman. En vertu des principes de la constitution, estimait-il, « toutes les subventions destinées au gouvernement de Sa Majesté [devaient] être annuelles, et non pas permanentes ». D’après lui, il était « injuste, pour l’ensemble du pays, de retirer » à l’Assemblée « le privilège de disposer des fonds publics » – position qu’il défendit en citant sir William Blackstone. Dans un discours qui amena par la suite Mackenzie à le considérer comme un radical, il se déclara stupéfait de voir que Hagerman semblait disposé à céder à l’exécutif non seulement les « privilèges de la chambre, mais aussi les libertés de ses électeurs et de tout le pays ». Dans une tirade qui déclencha des applaudissements tels que « l’édifice en [fut] ébranlé jusqu’à sa base », il déclara qu’il soutenait la monarchie « mais non au prix d’une obséquiosité d’esclave ». Le pouvoir de l’Assemblée était « le frein que la constitution [donnait] au peuple [pour limiter] l’action des autres composantes du Parlement », et Jones voulait que ce pouvoir soit « inviolable ». C’est le même souci constitutionnel qui le poussa à s’opposer au projet d’union du Haut et du Bas-Canada en 1822. Le 19 novembre, à Brockville, à l’occasion d’une assemblée présidée par Sherwood, Jonas et son frère Charles furent parmi ceux qui s’élevèrent contre divers articles du projet de loi impérial. Pour eux, les plus discutables étaient ceux qui visaient à réduire les prérogatives de l’Assemblée au profit de l’exécutif. Jones avait déjà écrit à Macaulay, principal partisan haut-canadien de l’union : « Vous êtes un farouche défenseur du gouvernement. Je suis aussi disposé que vous ou que quiconque à soutenir le gouvernement quand j’estime cela juste, mais je ne consentirai jamais à transiger sur les privilèges du peuple et à tout sacrifier à l’influence de la couronne. »
Jones manifesta son indépendance en d’autres points. Bien qu’il ait été anglican, sa position sur les privilèges de l’Église d’Angleterre était modérée. À plusieurs reprises, il appuya des projets de loi qui auraient libéralisé le droit matrimonial de la province, alors restrictif. En 1821, il seconda William Warren Baldwin quand celui-ci présenta un projet de loi pour révoquer le Sedition Act de 1804, qui avait rendu possible le bannissement de Gourlay. Robinson et Hagerman faisaient partie des défenseurs – peu nombreux – de cette loi. Jones appuya sa profession en défendant le Law Society Bill de 1821, que son frère, alors député de Leeds, attaqua en disant que « donner un pareil pouvoir à une telle société était dangereux ». Jones pouvait même appuyer certaines des initiatives de ses adversaires sur des questions non politiques. En 1825, il accorda son suffrage au projet de loi par lequel Marshall Spring Bidwell* proposait d’abolir l’article de loi qui autorisait l’imposition de la peine du fouet aux femmes.
Au début de sa carrière parlementaire, la position de Jones sur des questions comme le pouvoir de l’exécutif, la protection des libertés individuelles et les droits de l’Assemblée s’apparentait à celle des députés ruraux d’Angleterre au xviiie siècle. En cela, il se distinguait peu de Baldwin ou, à compter de 1816, de Nichol. Par contre, sur une gamme de questions primordiales pour le développement économique de la province, sa position se rapprochait plutôt de la tradition des gens en place qui était particulièrement bien défendue par Robinson et Hagerman. Ceux-ci prônaient un gouvernement fort (quoique, contrairement à Jones, dominé par l’exécutif) et une intervention active de l’État dans des secteurs comme les finances, le développement économique et surtout la construction de grands ouvrages publics. Nichol avait abordé tôt, et souvent, la question de l’amélioration de la navigation, mais ce fut Jones qui, le premier, tenta concrètement d’attirer l’attention de la chambre sur ce sujet. Le 23 février 1818, il proposa que l’Assemblée prenne « en considération l’à-propos d’améliorer la navigation sur le fleuve Saint-Laurent ». Son intérêt pour la canalisation et le progrès économique, qu’il manifestait pour la première fois en public ce jour-là, allait demeurer pendant longtemps. L’Assemblée le nomma président des délégués qu’elle affecta à un comité parlementaire mixte. Le rapport de ce comité, déposé le 26 février, déclarait que l’aménagement du Saint-Laurent était « de la plus haute importance » pour le Haut et le Bas-Canada. Dès le 11 mars, l’Assemblée et le Conseil législatif convenaient de demander au président Samuel Smith*, dans une adresse commune, d’aborder la question de la navigation au cours de ses discussions avec le gouverneur en chef, sir John Coape Sherbrooke*. La présentation de l’adresse fut suivie, dans les deux provinces, par la nomination de commissaires [V. George Garden*] qui adoptèrent, en août 1818, six résolutions en faveur de l’aménagement du fleuve. En octobre, Jones présenta le rapport des commissaires à un autre comité parlementaire mixte qui en approuva le fond mais déclara que les deux provinces ne disposaient pas des crédits nécessaires aux travaux.
Peu à peu, dans les années 1820, l’Assemblée en vint à s’occuper davantage de la planification de grands ouvrages publics, et surtout de canaux. Les principaux stratèges de cette opération furent Nichol, Macaulay et Robinson. Jones, dont la famille était solidement établie dans le circuit commercial du Saint-Laurent (Charles avait des moulins et un magasin), se montra fort utile en soutenant, à l’Assemblée, les initiatives de Robinson. Par exemple, en janvier 1826, il appuya un projet de loi du procureur général qui autorisait le gouvernement à emprunter £50 000 d’obligations et à les prêter à une société privée, la Welland Canal Company [V. William Hamilton Merritt*]. Des prêts de ce genre étaient une abomination pour des membres de l’opposition comme Bidwell et John Rolph*. L’appui de Jones, cependant, n’était pas total. À l’occasion d’un débat, au début de 1827, il s’opposa catégoriquement à ce qu’un autre prêt soit consenti à la compagnie « à moins que […] les ressources du pays ne le permettent, et ce indépendamment des sommes nécessaires pour d’autres ouvrages publics ». Il craignait en effet que le financement du canal Welland ne se fasse au détriment des canaux du Saint-Laurent, qu’il jugeait prioritaires. Avec Charles Jones, Robinson, McLean et d’autres, il siégea au comité parlementaire mixte qui fut formé en janvier 1827 pour étudier l’aménagement du Saint-Laurent. Plus tard le même mois, le comité conclut, dans son rapport, que le canal dont on projetait la construction devait être un ouvrage « public » et avoir des dimensions suffisantes pour que les schooners, alors les plus gros navires des Grands Lacs, puissent y passer. Toutefois, ce rapport n’eut aucune suite.
Renommé pour son indépendance au début de sa carrière parlementaire, Jones n’avait plus, à la fin des années 1820, pareille réputation. Fait plus important, et peut-être connexe, ses appuis politiques s’effritaient. En 1827, Mackenzie classa les deux frères Jones parmi les amis du gouvernement, les partisans de l’administration corrompue de Maitland. Selon le réformiste d’origine écossaise, ils étaient « les fiers-à-bras du Parlement : bruyants, mal élevés et querelleurs de nature, ils l’[étaient] d’autant plus que l’Assemblée les laiss[ait] faire ». À l’approche des élections générales de 1828, la rumeur voulait, d’après Mackenzie, qu’ils conservent leur hégémonie politique « surtout grâce à l’influence des Irlandais ». Mais tel n’allait pas être le cas. Charles entra au Conseil législatif et Jonas, candidat dans la circonscription de Leeds, ne se classa que troisième, derrière John Kilborn et William Buell* fils. Trois ans plus tard, il tenta de rentrer à l’Assemblée en se présentant à une élection partielle dans Grenville mais fut battu par Hiram Norton.
Plusieurs facteurs contribuèrent aux défaites de Jones. Les luttes de factions étaient courantes parmi l’élite de la région et, même si les combats déréglés de la politique convenaient à son caractère, Jones souffrit des conséquences de ces divisions. De plus, il n’avait plus l’allure d’un indépendant. Premièrement, sous le gouvernement de Maitland, il avait obtenu plusieurs postes : celui de notaire du district de Johnstown (1818), d’administrateur du bureau d’éducation du district, de juge à la Cour du district de Bathurst et à la Cour de surrogate (tous deux en 1822), de juge à la Cour de surrogate du district de Johnstown (1824) et de juge à la Cour du même district (1828). Deuxièmement, il avait été promu colonel du 3rd Regiment of Leeds militia en 1822. Pour l’opposition, de plus en plus nombreuse, il était devenu l’un des symboles du favoritisme qui semblait caractériser le régime Maitland. Troisièmement, les vieux cantons loyalistes qui longeaient le Saint-Laurent, et qui avaient pour représentants des hommes comme Jones, avaient à se mesurer avec les cantons de l’arrière-pays et les Irlandais qui s’y établissaient. Et, sur une question particulière, celle des non-naturalisés, Jones était vulnérable. Il avait joué un rôle primordial, à la septième législature (1821–1824), dans l’invalidation de l’élection de Barnabas Bidwell*, puis dans la tentative d’invalider celle de son fils Marshall Spring. Mais la question des non-naturalisés, telle qu’elle évolua dans les années 1820, pouvait avoir des répercussions pour les immigrants irlandais aussi bien que pour ceux qui étaient d’origine américaine. En 1826, Jones présenta une requête dans laquelle l’orangiste Joseph K. Hartwell et d’autres habitants du district de Johnstown demandaient à être naturalisés au moyen d’un projet de loi privé si une loi publique n’était pas sur le point d’être adoptée. Que Jones appuie leur requête en « estomaqua plus d’un », selon Robert Stanton*. Au printemps de 1827, il passa beaucoup de temps à expliquer son appui au Naturalization Bill du gouvernement ; fidèle à son habitude, il cita Blackstone pour étayer sa position. Mackenzie croyait certainement que les Irlandais appuieraient Jones aux élections de 1828, et peut-être le firent-ils. Leur poids se faisait déjà sentir en 1826, et en quelques années, sous la direction d’Ogle Robert Gowan*, ils devinrent une force avec laquelle Jones et d’autres devaient compter.
Par ailleurs, la famille de Jones se multipliait (de 1818 à 1840, sa femme et lui eurent 14 enfants), sa fortune augmentait et son cabinet d’avocat florissait. Entré au conseil de la Law Society of Upper Canada en 1820, il était reconnu comme l’un des membres les plus distingués du barreau. Ses diverses fonctions de juge lui rapportaient des avantages. Le major George Hillier, secrétaire de Maitland, s’entretenait avec lui des faveurs à accorder dans le district. De temps à autre, il faisait du travail juridique pour le gouvernement à diverses assises. Pourtant, il recherchait d’autres nominations. En 1828, il se porta candidat, sans succès, au poste de receveur des douanes à Kingston, que Hagerman avait quitté pour devenir, temporairement, juge à la Cour du banc du roi. En fait, Maitland avait d’abord choisi Jones pour siéger à ce tribunal, mais Strachan l’avait fait revenir sur sa décision en lui faisant valoir « que la province n’accepterait pas que deux beaux-frères soient juges » (Levius Peters Sherwood, juge lui aussi, avait épousé la sœur de Jones). Comme Strachan l’écrivit à Macaulay, Jones avait la « malchance » d’« appartenir à une famille qui accapar[ait] tant de postes que cela lui nui[sait] ». Si Jones souffrait de cette situation, sa prospérité était là pour le consoler. Outre les terres qu’il avait héritées, il obtint de la couronne plusieurs concessions foncières parce qu’il était fils de loyaliste et avait servi comme officier de milice pendant la guerre. De plus, il acheta de nombreux lots, ce qui fit de lui l’un des plus gros propriétaires terriens du district de Johnstown. Quand la construction du canal Rideau ouvrit de nouvelles régions au peuplement, il put mettre en vente, en 1829, plus de 60 lots disséminés dans 4 districts.
Gentleman-farmer réputé pour être un « agriculteur entreprenant », Jones exploitait une ferme prospère dans les environs de Brockville. Il se spécialisait dans l’élevage du bétail, et surtout du mouton. En 1830, il acheta des animaux de race du commodore Robert Barrie, du chantier naval de Kingston. Cinq ans plus tard. ses moutons furent primés dans des foires locales ; en 1837, il offrait en vente des juments poulinières, des poulains, des chevaux de trait, des bœufs et des moutons. En outre, Jones avait des intérêts commerciaux. Son frère Charles et lui possédaient en commun des moulins à Furnace Falls (Lyndhurst). En janvier 1837, ils offrirent à deux Américains de leur vendre leur emplacement à cet endroit ainsi que la Beverly Copper Mine. Dans les années 1830, Jones avait harcelé le président de la Bank of Upper Canada, William Allan*, pour qu’il ouvre une succursale à Brockville, mais celui-ci, comme il l’écrivit à Macaulay en juin 1830, n’était « pas d’accord [...] pour l’instant ». Refusant de se laisser abattre, Jones présida à Brockville, en août, une réunion dont les participants demandèrent au Parlement d’accorder une charte à une banque de l’endroit. En 1833, la Bank of Upper Canada ouvrit une succursale, et Jones en devint l’un des administrateurs. La même année, il entra au conseil d’administration de la Saint Lawrence Inland Marine Assurance Company, dont il assuma la présidence en 1834.
Dans les années 1830, Jones se préoccupa plus que jamais de la navigation sur le Saint-Laurent. À l’inauguration de la deuxième session de la dixième législature, en 1830, le lieutenant-gouverneur sir John Colborne* invita le Parlement à s’occuper de la navigation fluviale. Peu de temps après, par suite de l’adoption d’une loi, trois commissaires furent chargés de déterminer le meilleur moyen de faciliter la navigation. La commission, placée sous la présidence de Jones, évalua le coût des canaux qu’il convenait de construire. Une loi qui créait une autre commission chargée d’améliorer la navigation sur le Saint-Laurent fut adoptée en 1833. Jones en fut nommé président ; John Macaulay et Philip VanKoughnet*, entre autres, en faisaient partie. La commission se réunit pour la première fois le 19 février 1833, après quoi Jones et deux autres commissaires se rendirent dans les États de New York,. de la Pennsylvanie et du New Jersey pour recueillir des données et discuter avec des ingénieurs américains. Jones déposa le rapport de la commission en décembre. À partir d’un levé de Benjamin Wright, doyen des constructeurs américains de canaux, ce rapport estimait « sans risque d’erreur » qu’un investissement de £350 000 permettrait aux bateaux à vapeur de naviguer sans obstacle du lac Ontario à Montréal. Les commissaires recommandaient fortement d’emprunter la totalité de la somme même si le Bas-Canada ne collaborait pas au projet, car le Haut-Canada « ne risqu[ait] absolument aucun embarras financier ». Pendant son voyage aux États-Unis, Jones avait tenté en vain de lever un emprunt de £70 000. En 1834, par suite des recommandations de la commission, la loi de 1833 fut abrogée et remplacée par une nouvelle. En 1835, le Parlement adopta un projet de loi qui affectait £400 000 à la construction des canaux du Saint-Laurent et au refinancement de la dette publique. Aucune loi dans l’histoire de la province ne témoigne aussi éloquemment de la foi que le Haut-Canada mettait dans les canaux et le développement économique, et Jones avait été l’un des premiers à répandre cette foi. En 1834. sous sa présidence, les travaux avaient commencé au premier chantier, celui du canal de Cornwall ; moins de deux ans plus tard, les plans d’aménagement d’autres sections du Saint-Laurent étaient en cours de préparation.
Les événements politiques du début des années 1830 furent, par contre, moins édifiants. En sautant dans l’arène, Ogle Robert Gowan et ses partisans orangistes, tapageurs et parfois violents, provoquèrent un important réalignement politique dans le district de Johnstown. En 1833, avec Henry Sherwood*, Jones fut élu représentant du quartier est au bureau de police de Brockville, dont il devint président. Les orangistes leur avaient fait la vie dure pendant la campagne. En octobre, l’interruption d’une réunion du bureau tenue sous la présidence de Jones empoisonna davantage le climat. Le trouble-fête était James Gray, rival politique de Jones et ami de Gowan, qui était mécontent. Le 9 janvier 1834, la grange, les écuries et les hangars de la ferme de Jones furent incendiés. Accusé, Gray fut trouvé coupable d’incendie criminel et emprisonné sans droit à une caution. Sa femme et ses amis, dont Gowan, adressèrent en son nom une requête dans laquelle ils se plaignaient de l’« influence illimitée » de Jones « sur le shérif et sur la grande majorité des magistrats ». Le mois suivant, Gowan eut un nouveau motif de récrimination. De retour à Brockville après un voyage, il avait découvert que son neveu était en prison. Incapable d’obtenir sa libération, il était sur le point de se rendre à York quand, nota-t-il, Jones fit délivrer contre lui, « pour complot en vue de nuire à sa réputation, un mandat fondé sur la déclaration sous serment d’une fille de mauvaise vie et d’un habitué [...] d’un bordel de la ville ». Il fut ébahi d’apprendre que sa caution était fixée à £400, que son procès se déroulerait devant des magistrats « dont la majorité [étaient] très montés contre [lui] » et que « M. Jonas Jones [serait son] juge et [son] accusateur ». La tension entre les camps de Jones et de Gowan s’accrut pendant les élections de 1834, où Jones appuya les réformistes William Buell fils et Matthew Munsel Howard. De toute évidence, Jones et ses partisans furent dupés par Gowan, qui remporta la victoire dans Leeds avec un autre tory, le procureur général Robert Sympson Jameson*. Durant cette campagne marquée par la violence des orangistes, Jones fut malmené tandis qu’il essayait de rétablir l’ordre. Sa dernière victoire électorale – en avril 1836, c’est Richard Duncan Fraser*, et non lui, qui fut choisi candidat tory en prévision de l’élection partielle qui devait se tenir ce printemps-là dans Leeds – eut lieu dans Grenville aux élections générales tenues plus tard la même année. Grâce à une trêve conclue non sans difficulté avec les orangistes pour battre les réformistes, il l’emporta, avec Gowan, sur Buell et Howard.
Jones, pourtant, se lassait de la politique. À la première session de la treizième législature (1836–1840), il montra bien peu de l’entrain qui l’animait aux premiers jours de sa carrière parlementaire. Il fut candidat à la présidence de la chambre avec Archibald McLean et Allan Napier MacNab*. McLean fut élu, mais l’éventualité de voir Jones président consterna William Warren Baldwin, qui pensait qu’il « offenserait probablement la moitié de ses alliés à l’Assemblée, [car] ses manières grossières et [son attitude] trop assurée [étaient] souvent provocantes ». En février 1837, Jones se fit remarquer par son soutien à Hagerman, qui défendait sans honte les rectories anglicans établis peu de temps auparavant par Colborne. Mais ce fut surtout à la présidence du comité des finances de l’Assemblée qu’il se distingua. Ce comité examinait la dette provinciale qui, surtout à cause des travaux publics et principalement des canaux du Saint-Laurent et du canal Welland, frôlait les £600 000. Une crise financière s’annonçait donc [V. John Henry Dunn*] ais Jones demeurait confiant que ces ouvrages seraient « une bonne source de revenus ». De plus, disait-il, ils étaient essentiels à « un pays neuf comme le Canada, doté de revenus limités », et ne pouvaient « être construits qu’avec des crédits de la province ».
Dès que Jones eut l’occasion de quitter la politique, son cabinet d’avocat et Brockville, il le fit. Le 23 mars 1837, le lieutenant-gouverneur sir Francis Bond Head* l’affecta, ainsi que McLean, à l’un des sièges vacants de la Cour du banc du roi. Jones démissionna rapidement de ses autres postes de juge. Il tenta d’abandonner aussi la présidence de la commission du Saint-Laurent mais, Head l’ayant convaincu d’attendre, il ne la quitta que l’année suivante. John McDonald* allait lui succéder, et ce à un moment où la crise économique de 1837 et les bouleversements causés par la rébellion auraient rendu la situation financière de la province encore plus précaire. Pour que lui-même et McLean puissent quitter leur siège de député, Jones proposa à Head de les nommer registrateurs de comté ; autrement, écrivit-il le 29 mai 1837, il craignait que « des embarras et des difficultés ne surviennent ». Head accepta, et Jones obtint la place de registrateur du comté de Dundas, dont il démissionna le 14 juin.
À peine Jones avait-il eu le temps de se faire à ses nouvelles fonctions de juge que la rébellion éclata en décembre. Nommé sans délai l’un des aides de camp de Head, il commanda un petit détachement et fut le premier à entrer à la taverne Montgomery après que les rebelles eurent été mis en déroute. La rébellion et les raids frontaliers qui la suivirent augmentèrent pendant quelque temps la charge de travail des juges. En mai 1838. Jones, tout comme Robinson, recommanda de réduire les exécutions au minimum et de réserver le bannissement, « châtiment effroyable », à quelques coupables. Il répéta cet avis au lieutenant-gouverneur sir George Arthur* en décembre, après la capture de nombreux participants à la bataille de Windmill Point [V. Nils von Schoultz]. La peine de mort avait pour but « d’inspirer la terreur par l’exemple et, ainsi, de prévenir autant que possible » la répétition du crime. Il fallait donc préférer une « sélection judicieuse » au « plus grand nombre d’exécutions », car « de fréquentes exhibitions des derniers moments de l’agonie tend[aient] à produire un effet contraire au but de la peine ». Jones jugea plusieurs cas de trahison et manifesta alors beaucoup moins de sympathie qu’il ne le faisait souvent envers d’autres criminels. Le verdict de culpabilité que le jury prononça à l’endroit de Jacob R. Beamer lui parut « tout à fait mérité ». Au procès de Benjamin Wait*, le jury recommanda la clémence, ce qui incita Jones à s’enquérir des motifs de cette recommandation, mais le jury ne put en fournir.
Comme la plupart des juges du plus haut tribunal haut-canadien, Jones avait peu de pitié pour les hommes qui maltraitaient les femmes. Quand John Solomon Cartwright fit suivre une requête en faveur de William Brass, jugé coupable de viol, Jones déclara à John Joseph*, secrétaire de Head : « Je considère que c’est là un cas très grave, sans aucune circonstance atténuante. » En octobre 1839, il ne donna aucune suite aux pétitions dans lesquelles les chefs des Six-Nations attaquaient la crédibilité et la réputation d’une jeune Indienne qui avait été violée par un Agnier, Noah Powlis. De novembre 1839 à juillet 1840, Jones usa de tous les recours judiciaires possibles pour faire gracier une jeune Noire, Grace Smith, trouvée coupable d’incendie criminel. Voyant que sa recommandation n’avait pas convaincu le Conseil exécutif, qui tenait à faire un exemple, il consulta ses collègues de la magistrature et rapporta que, selon eux, « la peine de mort [...] dans ce cas [était] une erreur ». Cette fois, le conseil se laissa fléchir. En octobre 1840, Jones pressa Arthur de ne pas accepter le recours en grâce d’Eliza Mott, jugée coupable de vol avec sa fille de dix ans. Il n’avait condamné la petite fille, une enfant « manifestement très intelligente et [...] intéressante », qu’à une semaine de prison, en escomptant que « si on s’occup[ait] d’elle [et la tenait] à l’écart de sa mère, elle [pourrait] encore devenir une bonne citoyenne, [alors que si elle restait] avec elle, cela n’arrivera[it] sûrement pas ».
Politiquement, Jones s’entendait bien avec Head, qui le décrivit par la suite comme « l’homme le plus calme et le moins craintif qu[’il ait] jamais eu le bonheur de connaître ». Cependant, il exerçait une influence négligeable sur le gouvernement, même si des hommes de tendance réformiste comme James Buchanan, consul de Grande-Bretagne à New York, le tenaient pour l’un des plus grands personnages du family compact. Certes, Jones occupa par intérim la présidence du Conseil législatif en 1839, après que Robinson fut parti en congé, mais il quitta ce poste en juin 1840, au retour du juge en chef : Arthur, qui apparemment avait beaucoup attendu de lui comme président, fut déçu. Quand MacNab tenta d’accéder à ce poste, au début de 1841, Arthur écrivit au gouverneur Sydenham [Thomson] : « Son ami M. le juge Jones, qui a cinq fois plus de dons naturels que lui et des connaissances juridiques assez remarquables, n’a pas, vraiment été à la hauteur de la tâche. »
À compter de sa nomination à la Cour du banc du roi en 1837, jusqu’à une date proche de sa mort, survenue en 1848, Jonas Jones siégea aux côtés de quelques-uns de ses plus vieux amis (Robinson, McLean et Hagerman). Sa mort étonna tout le monde. Pris de somnolence, il quitta la salle des juges et, sur le conseil de Robinson, décida de faire une promenade avant le dîner. Il s’effondra dans un immeuble qui lui appartenait et fut trouvé plusieurs heures plus tard (un enfant avait rapporté qu’il était étendu là, ivre). Il avait le côté droit entièrement paralysé et ne pouvait plus parler. Il mourut le 30 juillet et fut inhumé avant que plusieurs membres de sa famille n’aient eu le temps de se rendre. Fait peu commun, il laissait par testament tous ses biens à sa femme. Selon une notice nécrologique, « ses remarquables talents [...] dans les débats, tout comme son extraordinaire cohérence, [avaient] beaucoup contribué à endiguer le torrent du républicanisme pendant l’orageuse carrière de Mackenzie ». Robert Baldwin* écrivit à Robinson : « J’ai toujours admiré la vigueur et le zèle qu’il consacrait à l’administration de la justice, de même que l’authentique gentillesse par laquelle il se distinguait éminemment je crois, malgré des manières abruptes qui étonnaient, à l’occasion, même ceux qui le connaissaient bien et étaient souvent mal interprétées par ceux qui n’avaient pas ce bonheur. »
Hagerman était mort l’année précédente. Toute une époque semblait prendre fin. Usés par des décennies de lutte politique, ces hommes qui s’étaient liés d’amitié dans leur jeunesse étaient disparus un à un. Au moment de la déclaration de l’Union, le 10 février 1841, les positions qu’ils avaient défendues n’étaient plus de mise. Une génération de chefs politiques nés dans la colonie quittaient la scène rapidement, et dans la plupart des cas discrètement. Ébranlé par ces décès, John Macaulay écrivit à Robinson, dans une longue lettre nostalgique sur l’ère des gentlemen : « Pauvre Christophe, pauvre Jonas ! le premier, que j’aimais bien même s’il manifestait certains sentiments dont le monde parlait parfois trop sévèrement – qui s’est distingué davantage comme avocat que comme juge – le second, vieil ami précieux dont je ne me remets que difficilement de la perte soudaine. »
AO, MS 4, MS 12 ; MS 35 ; MS 78 ; MU 1054, MU 1856, no 2179 ; RG 22, sér. 155, Ephraim Jones (1812) ; Jonas Jones (1848).— APC, MG 24, B7 ; RG 1, E3 ; L3 ; RG 5, A1 ; RG 43, CV, 1.— MTRL, William Allan papers ; Robert Baldwin papers.— PRO, CO 42.— Arthur papers (Sanderson).— H.-C., House of Assembly, Journal, 1825–1828, 1836–1837.— « Journals of Legislative Assembly of U.C. », AO Report, 1913–1914.— W. L. Mackenzie, The legislative black list, of Upper Canada ; or official corruption and hypocrisy unmasked (York [Toronto], 1828).— « Parish register of Brockville and vicinity, 1814–1830 », H. R. Morgan, édit., OH, 38 (1946) : 77–108.— Brockville Gazette (Brockville, Ontario), 1828–1832.— Brockville Recorder, 1830–1836.— Chronicle & Gazette, 1833–1845.— Colonial Advocate, 1825–1834.— Correspondent and Advocate (Toronto), 1836.— Examiner (Toronto), 1848.— Kingston Chronicle, 1819–1833.— Kingston Gazette, 1817–1818.— U.E. Loyalist, 1827.— Chadwick, Ontarian families.— Death notices of Ont. (Reid).— Marriage bonds of Ont. (T. B. Wilson).— Reid, Loyalists in Ont.— D. H. Akenson, The Irish in Ontario ; a study in rural history (Kingston, Ontario, et Montréal, 1984).— R. L. Fraser, « Like Eden in her summer dress : gentry, economy, and society : Upper Canada, 1812–1840 » (thèse de ph.d., Univ. of Toronto, 1979).— Patterson, « Studies in elections in U.C. ».— E. M. Richards [McGaughey], « The Joneses of Brockville and the family compact », OH, 60 (1968) : 169–184.
Robert Lochiel Fraser, « JONES, JONAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/jones_jonas_7F.html.
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Auteur de l'article: | Robert Lochiel Fraser |
Titre de l'article: | JONES, JONAS |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1988 |
Année de la révision: | 1988 |
Date de consultation: | 2 oct. 2024 |