LLOYD, THOMAS, commandant de la garnison à Saint-Jean, Terre-Neuve, décédé en 1710.

Lloyd était d’origine galloise. Le 16 mai 1701, il fut nommé lieutenant en second de l’Independent Company de Terre-Neuve, et servit à Saint-Jean comme trésorier. Après avoir été promu lieutenant, il prit le commandement d’une garnison de 88 hommes, au départ du capitaine Michael Richards en 1703. Lloyd se rendit très vite impopulaire auprès de son entourage et pour cause. Il essayait d’amener les habitants de Saint-Jean à collaborer à la défense militaire de l’endroit, exigeant d’eux qu’ils construisent des corps de garde, aident aux travaux de fortifications, participent au service de surveillance et contribuent à entretenir des espions à Plaisance (Placentia) ; il défendait aux soldats d’acheter chez les habitants pour leur vendre lui-même le rhum et les choses dont ils avaient besoin ; il vendait les provisions et les marchandises de la garnison aux colons, à des prix très élevés ; l’été, il louait les soldats aux pêcheurs tout en gardant pour lui-même une forte portion de la rétribution. De tels agissements n’étaient pas rares chez les officiers des colonies, mais à Terre-Neuve, où il n’y avait pas de représentant de la loi, ces abus avaient de plus graves conséquences. Le caractère fougueux et vindicatif de Lloyd n’arrangeait rien. Même s’il était capable de compétence, de courage et d’initiative dans les affaires militaires, il tenait pardessus tout à son profit personnel et négligeait ses hommes et ses fonctions. Ses prises de bec avec le colérique aumônier John Jackson aboutirent au partage de la colonie et de la garnison en deux camps, celui qui l’appuyait étant de beaucoup le moins nombreux. Parfois dépeint comme un homme d’humeur joyeuse, Lloyd affichait un certain mépris des conventions ; il ne fréquentait pas l’église et en scandalisait beaucoup en jouant de la flûte le jour du Seigneur.

Lorsque le capitaine Timothy Bridges, commodore du convoi en 1704, vint inspecter l’île et exercer le pouvoir judiciaire, il trouva les colons et les capitaines marchands ligués contre Lloyd. De plus, ses soldats, appuyés par le lieutenant John Moody — second de Lloyd — menaçaient de déserter si ce dernier n’était pas remplacé. Bridges décida donc de ramener Lloyd avec lui en octobre, mais il nia par la suite l’avoir officiellement suspendu de ses fonctions. Au cours du long débat qui s’ensuivit, Lloyd se défendit astucieusement. Certains témoignages lui furent favorables. De plus, il prétendit que les soldats ne s’étaient pas soulevés contre lui, mais contre l’autorité supérieure en Angleterre qui n’avait pas relevé la garnison dans l’île depuis 1696. Enfin, il dissipa les accusations personnelles portées contre lui, expliquant que les mesures disciplinaires indispensables qu’il avait établies en étaient la cause. Bridges lui-même déclara que « Lloyd avait agi honorablement et avait bien rempli ses fonctions ». Non sans conserver un certain doute, le Board of Trade fut amené à reconnaître que « les dépositions [...] ne prouvaient pas l’inconduite reprochée à l’accusé ». Lloyd réussit à convaincre le Board of Trade que les commodores du convoi annuel, « qui ne connaissaient pas la discipline de l’armée de terre », ne devraient plus exercer l’autorité sur la garnison. Mais on lui refusa le pouvoir de juger en conseil de guerre les gens coupables d’infractions à la loi. Puis il fut décidé de former une nouvelle compagnie pour relever l’ancienne. Lloyd reçut son brevet de lieutenant le 1er mai et fut promu major le 20 juillet. En juin 1705, on apprit que Moody avait défendu le fort William avec courage et succès lors de l’attaque des Français contre Saint-Jean, au mois de janvier précédent. Cela incita Lloyd à demander un plus grand nombre de soldats et de munitions dans le but d’envoyer une expédition de revanche contre Plaisance. Cependant, des difficultés retardèrent le départ jusqu’en septembre et l’expédition fut finalement contremandée.

Les anciens adversaires de Lloyd furent à la fois surpris et furieux de le voir arriver avec la nouvelle compagnie au milieu d’octobre. Toutefois, de 1705 à 1708, sa conduite fut très circonspecte. Il se rapprocha davantage des colons influents et de certains capitaines marchands de passage tels qu Arthur Holdsworth. Ceux-ci, en retour, rédigèrent des mémoires en sa faveur, mémoires dont le style rappelle souvent celui de Lloyd. En 1706, ses efforts pour noircir la réputation de Moody ravivèrent les vieilles querelles. Le 29 mars de la même année, le Board of Trade déclara la conduite de Lloyd envers ses hommes répréhensible et ses accusations contre Moody, tout simplement malveillantes. Néanmoins, le secrétaire d’État n’exigeait de Lloyd que de bonnes qualités militaires et il semble qu’il n’eût pas à se plaindre de lui à ce sujet. Au cours de l’hiver de 1705–1706, il avait repoussé plusieurs descentes ennemies et avait projeté d’attaquer Plaisance par voie de terre sans toutefois donner suite à ce projet. En 1707, il prit part à une opération navale contre les pêcheries françaises du nord de l’île. À la même époque, afin de prévenir les attaques des Français, on leva une milice à la tête de laquelle furent nommés des gens de l’endroit. Enfin, la construction du nouveau fort de Saint-Jean fut achevée et, une fois la saison de pêche terminée, la majeure partie de la population s’y retira pour passer l’hiver de 1708. Le capitaine John Underdown, commodore du convoi en 1706 et en 1707, fit de grands éloges de Lloyd même si par la suite il admit que Lloyd n’avait pas jugé opportun de rendre compte des provisions dont il disposait. Au début de 1708, un petit groupe de Terre-neuviens menés par William Taverner* formula de nouvelles plaintes. Taverner soutenait que Lloyd « crachait sur les colons, qu’il les frappait, les battait et les blessait », et qu’en plus il les exploitait. Cependant, le commodore du convoi de 1708, John Mitchell — le commodore étant de nouveau commandant de la garnison —, envoya un rapport enthousiaste sur Lloyd au Board of Trade, précisant « qu’il ne craignait rien pour le prochain hiver ». Cette lettre arriva au Board of Trade le 19 janvier 1709, quatre semaines après que les Français eurent vaincu la garnison de Lloyd, et environ trois semaines avant que la nouvelle ne parvienne en Angleterre.

Les Français de Plaisance, qui étaient bien renseignés grâce à un échange de prisonniers, envoyèrent Joseph de Saint-Ovide de Brouillan [Monbeton*] à la tête de 170 hommes pour attaquer Saint-Jean. Le 22 décembre 1708 (1er janvier 1709, nouveau style) vers quatre heures du matin, les Français se faufilèrent à couvert jusqu’à la porte principale du fort William, escaladèrent les remparts et forcèrent l’entrée sans difficulté au moment où les sentinelles donnaient l’alarme. Lloyd, qui avait souhaité un joyeux bonsoir à un ami à minuit, courut aux remparts en chemise de nuit tout en criant à ses hommes : « Battez-vous, les gars ». Mais l’assaillant ne rencontra pas de véritable résistance. Lloyd lui-même fut subjugué et ramené dans ses quartiers. Quelqu’un rapporta plus tard qu’il « semblait très abattu et que personne ne s’occupait de lui ». La milice du nouveau fort n’avait pu passer la poterne pour venir en aide aux défenseurs du fort William et le capitaine George Vane ne réussit pas à faire sortir les hommes du corps de garde pour engager le combat contre l’ennemi ; après quelques coups de feu, ce fut la capitulation. Du côté du nouveau fort, il y eut une certaine résistance, puis on rendit les armes à des conditions raisonnables. Ce fut une catastrophe complète ! Par la suite, les Français mirent quatre mois à détruire Saint-Jean et à transporter armes et munitions à Plaisance. Ils se retirèrent avant l’arrivée du convoi qui naviguait sous le commandement du commodore Joseph Taylour. Quant à Lloyd, il fut amené à Plaisance en compagnie de son neveu, Thomas Phillips. C’est de cet endroit qu’il écrivit plusieurs requêtes, demandant à être échangé contre un prisonnier français et jugé en conseil de guerre. Il fut conduit à Québec en mai à bord d’un sloop. En novembre, le navire qui l’amenait à La Rochelle fit escale à Plaisance, d’où il parvint à envoyer une lettre dans laquelle il donnait des détails sur la disposition des troupes françaises au Canada et dénonçait ce qu’il appelait la lâcheté et la trahison de Vane.

Lors de l’enquête qui suivit la défaite, il devint évident que Lloyd avait négligé sa compagnie au point que ses hommes étaient à peu près incapables de se battre et que leur moral avait atteint un niveau très bas. Même s’il pouvait compter sur certains défenseurs dévoués à Saint-Jean, la plupart des hommes sous ses ordres le détestaient. Après la capitulation de Saint-Jean, des accusations de trahison furent portées contre lui, mais il semble plus probable que « sa négligence » ait été la cause de la perte du fort. Lloyd avait constamment exploité et maltraité ses hommes et, selon Vane, certains d’entre eux se réjouissaient de la prise de Saint-Jean par les Français « pourvu que le major Lloyd soit pendu comme ils l’espéraient ».

En octobre 1710 on apprit en Angleterre que Lloyd était mort en France – dans un duel, semble-t-il. En mars 1711, sa solde et ses allocations non encore payées furent confisquées, les preuves de sa corruption ayant été établies. Par la suite, son frère David tenta bien en vain de laver sa réputation.

D. B. Quinn

PRO, Acts of P.C., col. ser., 1680–1720 ; B.TJournal, 1704–1708/09, 1708/09–1714/15 ; CSP, Col., 1702, 1702–03, 1704–05, 1706–08, 1708–09, 1710–11, 1711–12 ; C.T.Books, 1704–05, 1705–06, 1706–07, 1708, 1712 ; C.T.Papers, 1702–07. — Dalton, English army lists, V. — M. A. Field, The development of government in Newfoundland, 1638–1713, thèse de m.a., University of London, 1924. — La Morandière, Hist. de la pêche française de la morue, I. — Prowse, History of Nfld. — Rogers, Newfoundland.

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D. B. Quinn, « LLOYD, THOMAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 7 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/lloyd_thomas_2F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1969
Année de la révision:    1991
Date de consultation:    7 déc. 2024