BARRY, ROBERTINE, dite Françoise, journaliste, écrivaine, éditrice d’une revue, conférencière, militante féministe et fonctionnaire, née le 26 février 1863 à L’Île-Verte, Bas-Canada, fille de John Edmond Barry et d’Aglaée Rouleau ; décédée célibataire le 7 janvier 1910 à Montréal.

Originaire d’Irlande et issu d’une famille distinguée, John Edmond Barry arrive au Canada au milieu du xixe siècle ; c’est par un emploi dans les chantiers de William Price* que débute sa carrière dans le commerce du bois. Bilingue et instruit, Barry devient vite une personnalité éminente du Saguenay : il cumule les postes administratifs (maire, juge de paix, commissaire des petites causes) et honorifiques (vice-consul de Suède et de Norvège).

Aglaée Rouleau, femme bonne et pieuse, née à L’Île-Verte, élève ses 13 enfants avec l’aide de la « vieille Cécile », fidèle ménagère attachée à la famille Barry. Une anecdote, popularisée sous le nom de « l’affaire crinoline », a fait passer la mère de Robertine Barry à l’histoire : s’étant présentée à l’église des Escoumins vêtue d’une robe à crinoline, Aglaée Rouleau n’a pu recevoir la communion de la grand-messe du 11 août 1861. Il n’a fallu rien de moins que l’intervention de l’archevêque et la nomination d’un nouveau curé pour clore paisiblement l’incident.

Enfant de bonne famille, Robertine Barry reçoit la meilleure éducation dont puisse bénéficier une fillette de cette époque. Elle fréquente l’école élémentaire des Escoumins de 1868 à 1873, année à laquelle elle entre comme demi-pensionnaire au couvent Jésus-Marie à Trois-Pistoles. Robertine sera ensuite pensionnaire chez les ursulines de Québec, de septembre 1880 à juillet 1882. Six travaux de la future journaliste figurent dans le journal des étudiantes, « l’Écho du cloître » : deux dans le volume de 1880–1881, quatre dans le volume de 1881–1882.

Neuf ans après l’obtention de son diplôme de fin d’études en 1882, Robertine Barry, désormais connue sous le nom de plume de Françoise, signe ses premiers articles dans la Patrie de Montréal, feuille libérale et radicale alors dirigée par Honoré Beaugrand. Françoise publie d’abord, entre le 30 avril et le 16 juin 1891, quatre articles sur l’éducation ; une série subséquente donne trois contes qui, en 1895, se retrouveront avec une douzaine d’autres dans les Fleurs champêtres. Première œuvre publiée de Françoise, les Fleurs champêtres, après avoir été encensées par la presse, enclenchent une polémique mémorable entre Robertine Barry, Joséphine Dandurand [Marchand*] et Louis Fréchette d’une part, et Jules-Paul Tardivel d’autre part. Ce dernier, qui est le redoutable directeur de la Vérité, de Québec, trouve que la chroniqueuse subit la mauvaise influence de ses collègues de travail, journalistes à la Patrie, et il accuse Françoise d’abuser de la superstition, de brosser un portrait peu reluisant des paysannes et des paysans, d’oublier « la note religieuse » et de pasticher Jean-Jacques Rousseau. Ami de la journaliste et ayant déjà à son crédit une longue expérience de la polémique, Fréchette prend la parole et vise juste : pour répliquer, Tardivel ne trouve rien de mieux que de passer en revue l’orthographe du texte de son adversaire. Françoise occupe dorénavant une place de choix dans le milieu littéraire de son époque. Vers 1898, elle commence même à prodiguer des conseils à Émile Nelligan*. Elle devient sa « sœur d’amitié », telle qu’il la nomme dans Rêve d’artiste, l’un des cinq poèmes qu’elle lui inspire ou qu’il lui dédie.

Du 21 septembre 1891 au 5 mars 1900 paraît en première page de la Patrie la « Chronique du lundi » de Françoise. Dans leur forme, ces écrits hebdomadaires de la journaliste restent typiques de la chronique sociale, où un narrateur à la première personne informe et éduque ses lecteurs en les entretenant de tout et de rien. Sur le ton de la conversation, Françoise use ainsi de procédés divers (mélange des genres, digressions, statistiques, anecdotes, citations, par exemple) pour mener son public à une finale, souvent inattendue, humoristique et pleine de sous-entendus, qui le forcera à réfléchir. Le côté novateur de la « Chronique du lundi » réside ailleurs : elle est l’œuvre d’une femme qui ne s’adresse pas uniquement à des femmes, et qui, tout en ne traitant pas strictement de sujets féminins, émet des idées modernes et parfois dérangeantes sur la nature et la condition féminine. En 1900, 87 de ces articles parus dans la Patrie entre 1891 et 1895 sont publiés à compte d’auteur dans un recueil intitulé Chroniques du lundi. Parallèlement, Robertine Barry participe à la rédaction de la page féminine hebdomadaire du journal, le « Coin de Fanchette », à l’intérieur de laquelle, avec ses « Réponses aux correspondants » (du 13 février 1897 au 6 août 1898), elle inaugure au Québec l’ère des courriers du cœur ; par la suite, sa collaboration à cette rubrique du samedi s’intitule « Causerie fantaisiste » (du 10 septembre 1898 au 10 mars 1900). La chroniqueuse termine sa carrière à la Patrie par une série de lettres qu’elle adresse à ses lectrices et à ses lecteurs durant son séjour à l’Exposition universelle de Paris, d’avril à septembre 1900. Chacune d’elles paraît sous le titre de « Lettre de Françoise ».

Pendant toutes ces années au service de la Patrie et encore après, Françoise écrit aussi pour de nombreuses autres publications montréalaises : le Coin du feu, le Bulletin, le Franc Parler, la Femme, la Revue populaire, Revue canadienne, le Samedi, l’Album universel, la Kermesse, la Charité, Almanach du peuple, la Revue nationale et la Feuille d’érable. Ces collaborations sont relativement peu importantes : quelques articles seulement dans chaque périodique, tout au plus une année de publication mensuelle dans la Revue nationale, de février 1895 à janvier 1896.

Qualitativement et quantitativement parlant, l’œuvre journalistique majeure de Robertine Barry demeure le Journal de Françoise, revue bimensuelle fondée et dirigée par la chroniqueuse. Publié du 29 mars 1902 au 15 avril 1909, le périodique rassemble des signatures de choix (Laure Conan [Félicité Angers*], Joséphine Dandurand, Marie Gérin-Lajoie [Lacoste*], Juliette Adam, Émile Nelligan, Louis Fréchette, Albert Lozeau*, Jules Claretie et autres) et présente des rubriques variées destinées surtout – mais non exclusivement – aux femmes.

Personnalité montréalaise bien en vue, Françoise est sollicitée de toutes parts et elle prête, apparemment avec plaisir, son pseudonyme, ses textes et son éloquence aux œuvres philanthropiques : son nom figure sur les listes de convives, elle préside des campagnes de souscription, elle patronne des kermesses et des bazars, et elle réclame la fondation de bibliothèques publiques. L’action sociale demeure un des thèmes privilégiés des nombreuses conférences qu’elle donne à droite et à gauche, et où elle revendique de meilleures conditions de vie pour les enfants, les vieillards et les femmes ; c’est d’ailleurs ce qui la consacrera comme une des figures de proue du féminisme québécois de l’époque. À partir de 1900, « Mlle Françoise » acquiert assez de notoriété pour récolter quelques honneurs : nommée, avec Joséphine Dandurand, représentante des Canadiennes à l’Exposition universelle de Paris (1900), elle signe un chapitre, intitulé « les Femmes canadiennes dans la littérature », d’un ouvrage distribué lors de l’événement et elle participe au Congrès international des femmes. En 1904, après avoir reçu du gouvernement français le titre d’« officier d’académie », Françoise fait partie des 16 femmes journalistes envoyées à l’Exposition universelle de Saint-Louis, au Missouri, par la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique [V. George Henry Ham*] ; l’expédition donne lieu à la fondation du Canadian Women’s Press Club. Deux ans plus tard, Françoise représente le Canada à l’Exposition universelle de Milan. Quelques mois seulement avant son décès prématuré, sir Lomer Gouin*, premier ministre libéral de la province de Québec, la nomme inspectrice du travail féminin dans les établissements industriels.

Figure importante de l’histoire du féminisme et du xixe siècle canadiens, Robertine Barry, femme moderne, professionnelle, célibataire et indépendante, a inculqué une nouvelle mission à la presse de l’époque : fournir une tribune, non seulement aux interminables guerres entre « rouges » et « bleus », mais à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui s’intéressent à la culture en général et au mieux-être de toutes et de tous.

Anne Carrier

Robertine Barry, sous le pseudonyme de Françoise, est l’auteure de quatre articles parus dans la Patrie : « À propos d’éducation », 30 avril 1891 ; « De l’instruction des jeunes filles », 13 mai 1891 ; « Encore de l’éducation », 21 mai 1891 ; « Toujours de l’éducation », 16 juin 1891. Elle a également publié trois contes dans le même journal : « le Mari de la Gothe », 20 juill. 1891 ; « Trois pages de journal », 10 août 1891 ; « la Douce », 31 août 1891.

À cela s’ajoutent, toujours sous le pseudonyme de Françoise, Chroniques du lundi (Québec, [1900]) ; Fleurs champêtres (Montréal, 1895 ; 2e éd., 1924) ; « les Femmes canadiennes dans la littérature », paru dans les Femmes du Canada : leur vie et leurs œuvres (s.l., 1900), après avoir été publié dans la Patrie le 18 mai 1896 sous le titre : « De l’influence de la femme dans la littérature ». Enfin, des œuvres de Françoise, Gilles Lamontagne a édité : Fleurs champêtres, suivi d’autres nouvelles et de récits, et « Méprise », comédie inédite en un acte (Montréal, 1984).

D’autres écrits de Françoise sont dispersés dans différents dépôts d’archives. Aux ANQ-SLSJ, Coll. Mgr Victor Tremblay, SHS, doc. 492, pièces A–K et dossier 1328, pièces 1–29, on trouve diverses lettres, des textes de conférences, celui de « Méprise » et d’autres articles. Le Centre de recherche en civilisation canadienne-française, à l’université d’Ottawa, conserve quatre pièces dans le fonds Albert Ferland (P 5/2/7) et une pièce dans le fonds J. E. Roy (P 79/1) qui se rattachent à Robertine Barry. Le fonds H. J. Morgan, déposé aux AN, sous la cote MG 29, D61, contient une lettre intéressante.

Enfin, l’article d’Aurélien Boivin, « Fleurs champêtres », paru dans le DOLQ, 1 : 268–270, est suivi d’une bibliographie fort utile.  [a. c.]

AC, Montréal, État civil, Catholiques, Cimetière Notre-Dame-des-Neiges (Montréal), 10 janv. 1910.— ANQ-BSLGIM, CE4-2, 26 févr. 1863.— Bibliomane, « Fleurs champêtres », le Réveil (Montréal), 25 mai 1895 : 202.— Mme Raoul Dandurand [Joséphine Marchand],« Censure déloyale », le Coin du feu (Montréal), juill. 1895 : 216–217 ; « Un nouveau livre », le Coin du feu, mai 1895 : 155–156.— L’Événement, 4 mai 1895.— Le National (Montréal), 16 mai 1895.— Georges Bellerive, Brèves Apologies de nos auteurs féminins (Québec, 1920).— Aurélien Boivin et Kenneth Landry, « Françoise et Madeleine, pionnières du journalisme féminin au Québec », Voix et Images (Montréal), 4 (1978–1979) : 233–243.— Anne Carrier, « Françoise, pseudonyme de Robertine Barry : édition critique des « Chroniques du lundi », 1891–1895 » (thèse de ph.d., univ. Laval, 1988).— Gertrude Chassé, « Bio-bibliographie de Françoise (Mlle Robertine Barry) » (école de bibliothécaires, univ. de Montréal, 1945).— Raymond Desgagné, « Françoise (Robertine Barry), 1863–1910 », Saguenayensia (Chicoutimi, Québec), 2 (1960) : 73–75.— Renée Des Ormes [Léonide Ferland], Robertine Barry en littérature : Françoise, pionnière du journalisme féminin, 1863–1910 (Québec, 1949).— DOLQ, 1 : 123.— « Fleurs champêtres par Françoise », Rev. canadienne, 31 (1895) : 639–640.— J. Hamelin et al., la Presse québécoise, 2 ; 3 ; 4.— Diane Thibeault, « Premières Brèches dans l’idéologie des deux sphères : Joséphine Marchand-Dandurand et Robertine Barry, deux journalistes montréalaises de la fin du XIXe siècle » (thèse de m.a., univ. d’Ottawa, 1981).

Bibliographie de la version modifiée :
Sergine Desjardins, Robertine Barry (2 vol., [Trois-Pistoles, Québec], 2010–2011), 1–2.— Linda Kay, Elles étaient seize : les premières femmes journalistes au Canada, Robert Laliberté, trad. ([Montréal, 2015]).— La Vie littéraire au Québec, sous la dir. de Maurice Lemire et al. (6 vol. parus, Sainte-Foy [Québec], 1991–    ), 4.— Paul Wyczynski, Émile Nelligan : biographie ([Montréal], 1999).

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Anne Carrier, « BARRY, ROBERTINE, dite Françoise », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 12 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/barry_robertine_13F.html.

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Auteur de l'article:    Anne Carrier
Titre de l'article:    BARRY, ROBERTINE, dite Françoise
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    2021
Date de consultation:    12 déc. 2024