Titre original :  Patrick Burns. Image courtesy of Glenbow Museum, Calgary, Alberta.

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BURNS, PATRICK, colon, éleveur, homme d’affaires et homme politique, né le 6 juillet 1856 près d’Oshawa, Haut-Canada, fils de Michael O’Byrne (Byrn, Byrne) et de Bridget Gibson ; le 4 septembre 1901, il épousa à Londres Eileen Louisa Francis Anna Ellis, et ils eurent un fils ; décédé le 24 février 1937 à Calgary.

Patrick Burns fut l’un des quelques entrepreneurs qui firent fortune dans l’industrie bovine à l’époque où celle-ci s’implanta dans l’Ouest canadien, soit à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. En 1864, avec ses parents, immigrants catholiques irlandais, et les sept autres enfants de la famille, il quitta la région d’Oshawa pour une ferme située à une cinquantaine de milles au nord, près de Kirkfield. Son instruction à l’école de ce village fut rudimentaire. Apparemment, il n’aimait pas l’étude et manquait souvent des cours. Voilà qui explique en partie la rumeur persistante selon laquelle il était analphabète. Or ce n’était pas le cas : en post-scriptum d’une lettre dactylographiée adressée à son frère Dominic en 1907, il a écrit de sa main un paragraphe cohérent, sans faute d’orthographe.

Pendant qu’il vivait près de Kirkfield, Burns noua une amitié et prit une décision d’affaires qui allaient toutes deux jouer un rôle déterminant dans sa carrière de marchand de viande bovine. L’ami en question était le jeune entrepreneur William Mackenzie*, qui l’aiderait un jour à édifier une grosse entreprise de boucherie. Quant à la décision d’affaires, elle s’inscrivait dans sa première expérience rentable en abattage de bétail. En 1877, Patrick Burns et son frère aîné John résolurent d’aller s’installer sur une concession statutaire au Manitoba. Pour amasser de l’argent, Patrick passa l’hiver de 1877–1878 à couper du bois. Au printemps, quand il réclama 100 $ en arrérages de salaire, il découvrit que son employeur était en faillite. À la place, il dut accepter un attelage de vieux bœufs d’une valeur d’environ 70 $. Afin de tirer le meilleur parti possible des bêtes, il les abattit et vendit leur carcasse à la pièce, ce qui lui rapporta en fin de compte 144 $.

Au printemps de 1878, Patrick et John Burns se rendirent à Winnipeg par train, diligence et bateau à vapeur. À peine arrivés, ils apprirent que certaines des meilleures terres agricoles encore disponibles se trouvaient plus loin à l’ouest, hors de portée des réseaux de transport existants. Faute d’argent pour acheter des chevaux, les deux frères partirent à pied en direction des concessions. Après avoir marché plus de 100 milles, ils déposèrent une demande en vue de recevoir chacun un lot d’un quart de mille carré à Tanner’s Crossing (Minnedosa), puis ils retournèrent chercher du travail à Winnipeg afin d’amasser le capital nécessaire à l’acquittement des formalités pour établir leur concession.

À ce moment, les travaux d’arpentage du chemin de fer canadien du Pacifique étaient en cours près de Winnipeg, ce qui fournit à Patrick Burns l’occasion dont il avait besoin. Employé au dynamitage des rochers, il touchait 24 $ par mois et il était logé et nourri sur un chantier de construction. Au bout de six mois, il avait épargné assez d’argent pour acheter un attelage de bœufs et quelques fournitures. Il retourna donc sur sa concession, à Tanner’s Crossing, où ses voisins firent une corvée pour l’aider à bâtir sa première maison – une modeste cabane en rondins. En utilisant ses bœufs pour tirer du bois de la forêt jusqu’à une scierie et labourer les champs de certains de ses voisins, il put acquérir un deuxième lot d’un quart de mille carré. Peu après, il se lança dans le transport de marchandises et se mit à convoyer des articles pour ses voisins à destination ou à partir de Winnipeg. Il commença aussi à acheter du bétail à des fermiers locaux et à le vendre en ville. En 1886, à titre expérimental, il expédia des porcs vivants vers les marchés de l’Est par le chemin de fer canadien du Pacifique, achevé depuis peu. La compagnie ferroviaire, désireuse de démontrer qu’il était possible de transporter du bétail sur de grandes distances, s’empressa de lui faciliter la tâche. Elle lui offrit six wagons et promit de lui rembourser jusqu’à la totalité des frais s’il perdait de l’argent dans l’affaire. Par la suite, il se présenta au bureau de la compagnie pour annoncer qu’aucun remboursement ne serait nécessaire.

Burns resta sur sa concession manitobaine jusqu’en 1885, année où il commença à se consacrer exclusivement à l’achat de bétail. Divers facteurs contribuèrent à la prospérité de son commerce. L’existence d’une liaison ferroviaire avec l’Est et le nombre croissant de colons firent augmenter la demande de viande de bœuf. Ce fut toutefois en 1887 que l’occasion décisive se présenta à lui : William Mackenzie, Donald Mann et d’autres l’engagèrent par contrat pour qu’il fournisse de la viande à leurs chantiers de construction. Son premier contrat fut pour la « Short Line », une ligne du chemin de fer canadien du Pacifique qui passait par le Maine. Il travailla ensuite pour le Qu’Appelle, Long Lake and Saskatchewan Railroad and Steamboat Company, en 1888–1889, puis pour des lignes reliant Calgary à Edmonton et à Fort Macleod (Alberta), et finalement pour le chemin de fer de la passe du Nid-du-Corbeau. Selon le géographe Simon M. Evans, Burns « apprit à installer un abattoir mobile qui pouvait se déplacer aisément à mesure que la voie ferrée s’allongeait. Il employait un boucher digne de confiance pour la préparation de la viande et s’occupait lui-même des achats et du transport des bêtes. » Burns recevait de Mackenzie un soutien financier qui l’aidait à acheter et à vendre en plus grande quantité qu’il n’aurait pu le faire autrement. En 1890, il construisit son premier abattoir, du côté est de la rivière Elbow, à Calgary, et il commença à fournir du bœuf à la ville et aux environs. En outre, il noua des relations avec des marchands britanno-colombiens à qui il vendait à la fois de la viande et du bétail en gros. Il ouvrit ses propres points de vente au détail en Colombie-Britannique. Pour en assurer l’approvisionnement, il acheta en 1891, avec Cornelius J. Duggan, des terres pour l’élevage situées à une douzaine de milles au sud-est d’Olds (Alberta), et il se mit à acquérir des bêtes de la région et d’aussi loin que le Manitoba. Le ranch finit par s’étendre sur deux lots (1 280 acres) de concessions. En laissant paître leurs animaux sur d’immenses étendues de terres non réclamées et en employant des agriculteurs du voisinage pour donner du fourrage aux bêtes en hiver, les associés furent en mesure, dès 1904, d’entretenir de 20 000 à 30 000 têtes de bétail. En 1898, Burns ajouta le mouton et le porc à sa production. L’année suivante, il acheta le McIntosh Sheep Ranch, au bord du ruisseau Rosebud (ruisseau Severn), au nord-est de Calgary.

À la fin des années 1890, pendant la ruée vers l’or du Yukon, Burns fut l’un des premiers commerçants à accepter de livrer du bœuf aux mineurs de Dawson. Deux livraisons, les premières du genre, furent effectuées en 1897 et 1898. Dans le premier cas, les bovins furent transportés par train à Vancouver et par bateau jusqu’à Skagway, en Alaska, puis conduits par le col Chilkoot. La deuxième expédition suivit le même trajet jusqu’en Alaska, mais les bêtes furent menées par le col Chilkat et abattues à l’embouchure de la rivière Pelly. La viande fut livrée à Dawson par radeau. Les envois subséquents se firent par train à mesure qu’on implantait de nouvelles installations. À l’été de 1902, Burns expédia du bœuf congelé de Calgary à Vancouver dans 12 wagons réfrigérés. Cette cargaison est réputée pour avoir été la première du genre transportée sur une aussi grande distance pour une entreprise sise à l’est de Vancouver et à l’ouest de Toronto. À Vancouver, la viande fut embarquée à destination du territoire du Yukon à bord d’un navire à vapeur équipé d’un entrepôt réfrigéré.

Les entreprises commerciales de Burns continuaient de se développer rapidement malgré de sérieux obstacles. Son abattoir de Calgary fut la proie des flammes à deux reprises. L’abattoir d’origine fut rasé en 1892 et remplacé par une propriété achetée de la Canadian Land and Ranch Company. Cette installation ouvrit ses portes en 1899 et fut agrandie en 1906. Après l’avoir perdue, en 1913, Burns construisit une usine moderne et plus grande qui demeurerait dans les parcs à bestiaux de Calgary et ferait un jour partie d’un complexe voué aux arts du spectacle. En 1902, Burns avait acheté la série de commerces et d’abattoirs qui appartenaient à son collègue de Calgary, le marchand de viande William Charles James Roper Hull*. À ce stade, nota le journaliste local Leroy Victor Kelly*, Burns devint « sans contredit le roi du bœuf de l’Ouest ». Par la même transaction, il se porta acquéreur du Bow Valley Ranche de Hull au ruisseau Fish, au sud de la ville. Faisant de ce ranch une des assises de son commerce de viande préparée, il acheta d’autres terres pour en augmenter la superficie, qui passa de 4 000 acres à environ 12 500, et il y aménagea un parc d’engraissement pour 5 000 têtes de bétail.

En 1905, Burns constitua ses usines d’emballage et les autres établissements de son commerce de viande en une société à charte fédérale du nom de P. Burns and Company (en 1909, elle deviendrait la P. Burns and Company Limited). En 1906, après que la province eut modifié l’ordonnance territoriale sur les marques de commerce, il déposa sa célèbre marque Shamrock. Au cours des 25 années qui suivirent, il établit des usines d’emballage de viande à Edmonton, à Vancouver, à Regina, à Prince Albert en Saskatchewan, à Winnipeg et à Seattle. Ces installations accrurent l’efficacité du processus d’abattage et permirent l’utilisation d’un plus grand nombre de parties d’animaux, notamment pour la fabrication d’articles ménagers et de produits pharmaceutiques. Pour consolider ses activités commerciales, Burns acheta ou implanta plus de 100 boucheries de détail en Alberta et en Colombie-Britannique et ouvrit des agences d’exportation à Londres, à Liverpool et à Yokohama, au Japon. Une grève menée à l’usine de Calgary en 1920 montra que, malgré la récession consécutive à la Première Guerre mondiale et les lourdes pertes de bétail provoquées par un dur hiver, Burns se trouvait dans une situation assez confortable pour rejeter les revendications des travailleurs.

Burns se mit à offrir d’autres denrées alimentaires que la viande rouge. Entre 1909 et 1919, il acheta ou établit environ 65 crémeries et fromageries dans des endroits tels que Calgary, Moose Jaw en Saskatchewan et Edmonton. Au milieu des années 1920, il fonda la Palm Dairies Limited afin de regrouper toutes ses entreprises laitières. Cette compagnie fut l’un des plus importants distributeurs de beurre de crémerie au Canada. En outre, Burns finit par posséder une trentaine d’épiceries et fruiteries de gros. La plupart d’entre elles avaient appartenu à deux grandes compagnies – la Scott Fruit et la National Fruit –, dont il fit l’acquisition en 1926 et qu’il fusionna sous le nom de Consolidated Fruit Company.

Burns continuait d’acquérir des propriétés pour l’élevage, probablement en partie parce que l’intensification du peuplement réduisait le nombre de terres de la couronne disponibles, et parce que les fermiers étaient exaspérés par les « troupeaux pirates » que lui-même et d’autres éleveurs laissaient divaguer. Quelques petites exploitations lui échurent à cause de l’insolvabilité de leur propriétaire : plusieurs éleveurs du sud de l’Alberta renoncèrent à leur titre car ils étaient incapables de rembourser le crédit ou les prêts qu’il leur avait consentis. Quant aux plus grosses propriétés, il les acheta ou les loua. En 1905, il fit l’acquisition des 7 000 acres de concessions du CK Ranch, situé du côté nord de la rivière Bow, à environ huit milles à l’ouest de Calgary. Ce ranch avait d’abord appartenu à Charles Edwin Banks Knight. Burns le transforma en ferme laitière en y établissant un troupeau de holsteins de pure race, dont il vendit le lait et la crème à Calgary. En 1906, il acheta le Ricardo Ranch, qui avait une superficie de 3 300 acres et se trouvait à proximité de la ville. En 1910, il se porta acquéreur de l’exploitation implantée par John Quirk près de High River, ainsi que des propriétés qui seraient connues sous le nom de Kelly-Palmer Ranch, au sud de la rivière Little Bow. La même année, il reprit le bail des quelque 150 000 acres du colonel A. T. Mackie le long de la rivière Milk. Il ajouta ensuite à ses avoirs l’Imperial Ranch et le Circle Ranche, tous deux situés près de la rivière Red Deer. Au début de la Première Guerre mondiale, Burns avait la haute main sur plus de 400 000 acres de terres et possédait plus de 30 000 têtes de bétail. En 1917, il loua les 37 500 acres de concessions du fameux Walrond Cattle Ranch, sur les contreforts au nord du ruisseau Pincher. La même année, il vendit les ranchs Quirk, Kelly-Palmer, Mackie et Imperial, mais en 1918, il fit l’acquisition du Rio Alto, au bord de la rivière Highwood, et du Lineham, le long du ruisseau Sheep (rivière Sheep), près de Calgary. En 1923, il acheta le Glengarry (aussi appelé le 44), à l’ouest de Claresholm.

En 1927, Burns se porta acquéreur du Bar U et du ranch voisin, appelé Flying E, qui se trouvaient respectivement au bord de la rivière Little Bow et du ruisseau Willow. Le Bar U, aussi connu sous le nom de North-West Cattle Company, fut l’un des premiers ranchs importants des Prairies canadiennes. Il avait été implanté par Frederick Smith Stimson* avec l’aide financière de la riche famille Allan de Montréal. Burns paya plus de 400 000 $ pour les quelque 37 000 acres de concessions et les droits sur les terres louées, 50 $ par tête pour les bovins et 40 $ par tête pour les chevaux, les veaux et les poulains (le total versé pour le bétail s’élevait à environ 300 000 $). Il acheta ces deux ranchs de la succession du célèbre George Lane*, l’Américain devenu contremaître de l’élevage au Bar U dans les années 1880. Burns connaissait et admirait Lane, qui avait été l’un des éleveurs les plus respectés parmi ses confrères de l’Ouest.

En 1928, Burns vendit la P. Burns and Company Limited à la Dominion Securities Corporation de Toronto. Au dire de plusieurs, le montant de la transaction s’élevait à 15 millions de dollars. En fait, Burns reçut 9 613 837,31 $ en échange de toutes les actions de sa compagnie, puis il racheta pour la somme de 4 038 837,31 $ les ranchs, qui comportaient 300 000 acres de terres concédées et louées, plus environ 25 000 bêtes. La Dominion Securities Corporation devint ainsi responsable des usines d’emballage et des établissements connexes. Burns demeura petit actionnaire et accéda à la présidence du conseil d’administration. Son neveu John Burns, qui avait été directeur général de la compagnie, en fut nommé président, tandis que le vice-président, Blake Wilson, resta en poste. La vente rapporta à Burns l’argent nécessaire pour acheter le 76 Ranch, situé au bord de la rivière Frenchman, en Saskatchewan, ainsi que deux ranchs albertains, soit le Two Dot, près de Nanton, où il éleva des moutons, et l’exploitation Bradfield, à Priddis.

On aurait pourtant tort de croire que tout était rose pour Burns : ses affaires ne réussirent pas toujours. Il tenta de se tailler une place sur le marché américain de la crémerie en acquérant une usine à Seattle, mais il décida de la fermer quatre ans plus tard. Selon toute apparence, son investissement dans l’exploitation du cuivre mexicain fut très rentable, mais il dépensa des dizaines de milliers de dollars à essayer d’établir une houillère près du ruisseau Sheep, et ses investissements miniers à Rossland et dans d’autres houillères de la Colombie-Britannique ne semblent pas avoir eu de rendement spectaculaire. Enfin, il ne réalisa apparemment que des profits sporadiques avec les actions qu’il avait accumulées dans des compagnies pétrolières de la vallée de Turner, en Alberta.

Burns fut soupçonné de transactions déloyales pendant une bonne partie de sa carrière, ce qui était pour lui une source de consternation. Son ascension fulgurante dans les affaires était à l’origine de ces soupçons. Burns s’enrichissait en faisant le commerce du bétail et de la viande de bœuf et, compte tenu du contexte des régions pionnières, il avait très peu de concurrents. Sa première spécialité consistait à acheter des bovins qui donnaient de la viande de qualité inférieure et à les vendre à des équipes d’ouvriers de chantiers ferroviaires et de localités minières. Ce type de bovins était répandu, pour deux raisons. D’abord, les premiers troupeaux de l’Ouest canadien, surtout originaires des États-Unis, présentaient les caractéristiques des bovins longhorns du Texas : ils étaient grands, minces et peu susceptibles de devenir bien en chair. Ensuite, la plupart des éleveurs et des fermiers qui peuplèrent l’Ouest canadien tentaient d’engraisser leur bétail à l’herbe, ce qui était une méthode très aléatoire. Sans hivers courts et doux, sans fortes pluies et sans riches herbages, les bêtes avaient tendance à ne pas prendre de poids. Souvent, leur viande était peu persillée et, par conséquent, elle était filandreuse et plutôt coriace. Grâce aux relations d’affaires de William Mackenzie et à son soutien financier, Burns pouvait aisément acheter des animaux de piètre qualité au prix qui lui convenait. Cela amenait naturellement certains éleveurs à croire qu’il profitait très souvent d’eux.

Leurs soupçons paraissaient fondés, car il semblait y avoir collusion entre Burns et l’autre grand intermédiaire de la zone d’élevage du front pionnier, l’entreprise Gordon and Ironside de Winnipeg (Gordon, Ironside, and Fares à compter de 1897). À la veille du xxe siècle, William Henry Fares et George Lane, tous deux futurs associés de James Thomas Gordon et de Robert Ironside*, avaient coutume d’acheter des bestiaux avec Burns ou pour lui. En général, la Gordon and Ironside achetait le bétail bien engraissé qui pouvait être vendu dans l’Est canadien ou bien outre-mer. Même aux yeux de certains grands amis de Burns, cette répartition du marché du bœuf était le signe d’une collaboration déloyale. Par exemple, en 1900, Alfred Ernest Cross exprima son avis en ces termes : « il n’y a pratiquement que deux acheteurs ici et, en fait, presque tout passe par un seul, car il vend la viande exportable à l’autre après avoir acheté tout le bœuf et profite lui-même de la marchandise coriace, de sorte que le vendeur est plus ou moins à sa merci ». À ce stade, Cross était disposé à pardonner à son ami parce qu’« il a vait] montré beaucoup plus de compassion que quiconque aurait pu le prévoir ». Cependant, trois ans plus tard, Cross avait l’air moins indulgent. « Nous essayons, dit-il, d’obtenir un prix raisonnable et de ne pas vendre nos bêtes pour beaucoup moins que leur valeur, comme ce fut le cas l’année dernière. Notre souhait est d’établir un marché équitable, sans la moindre faveur ; ainsi, nous saurions que, à tout moment, nous pouvons obtenir le véritable prix du marché pour la totalité ou n’importe lequel de nos bovins, au lieu d’être à la merci d’une ou deux entreprises et d’avoir à tendre notre chapeau. »

En 1907, le Manitoba et l’Alberta mirent en place la commission sur le bœuf, qui devait mener une enquête sur le commerce de la viande et les allégations de collusion entre négociants de bétail de l’Ouest. Appelé à témoigner, Burns précisa qu’il était profondément indigné qu’on l’accuse de fixer les prix. « Sans Pat Burns, déclara-t-il, l’Ouest mourrait de faim en dix jours. » Il affirma en des termes on ne peut plus clairs que lui seul était de taille à vendre la production des éleveurs. Certes, son apport à l’implantation de l’industrie du bœuf dans l’Ouest canadien fut décisif, mais on peut comprendre les craintes des propriétaires de ranch. Le fait que ce soit Burns qui racheta les exploitations de nombreux gros éleveurs est révélateur et peut-être un peu ironique. On ne peut guère douter que certains d’entre eux, sinon tous, abandonnèrent leur élevage parce qu’ils n’arrivaient pas à le rentabiliser. S’ils avaient reçu une meilleure part du prix du marché, beaucoup auraient pu réussir à rester en affaires. En outre, les éleveurs ne pouvaient s’empêcher de remarquer que, d’une façon générale, les deux principales entreprises qui servaient d’intermédiaires semblaient empocher la majeure partie des profits de l’industrie. Au bout du compte, la commission sur le bœuf lava la P. Burns and Company et la Gordon, Ironside, and Fares de l’accusation de fixer les prix, mais les agriculteurs et les éleveurs ne furent peut-être pas tous aussi convaincus que les commissaires.

De son vivant, Burns s’attira de nombreux éloges publics dans l’Ouest et dans tout le Canada. En 1914, le Vatican lui décerna le titre de chevalier commandeur de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand pour ses services à l’Église catholique et à la population. Adepte du Parti libéral, il se vit offrir un siège au Sénat en 1923, mais il le refusa en raison de sa lourde charge de travail. Lorsqu’on lui fit de nouveau la proposition, en 1931, après la mort de Prosper-Edmond Lessard, sa retraite était assez proche pour qu’il accepte ; il siégerait comme indépendant. Sa nomination fut annoncée le 4 juillet, au cours des somptueuses célébrations organisées à Calgary à l’approche de son soixante-quinzième anniversaire de naissance. Quelque 750 invités prirent part à un banquet, soit « le plus grand nombre d’éminents citoyens, de représentants gouvernementaux de renommée nationale, d’agriculteurs, de chefs d’entreprises industrielles, d’artistes et de journalistes jamais réunis pour un événement de ce genre dans l’histoire de l’Ouest ». Le premier ministre conservateur du pays, Richard Bedford Bennett*, qui était un ami personnel de Burns malgré l’allégeance libérale de celui-ci et qui avait déjà été son solicitor à Calgary, ne put être présent, mais envoya un message de félicitations. Ce message fut lu aux convives, tout comme des télégrammes du gouverneur général, lord Bessborough, et du prince de Galles, qui avait acheté l’E.P. Ranch, voisin du Bar U de Burns. On servit un gâteau d’anniversaire de 3 000 livres à quelque 15 000 personnes.

Ces hommages rendus à Burns visaient à souligner non seulement son sens aigu des affaires, mais aussi son travail au profit de causes sociales et caritatives. L’action civique qui fit le mieux connaître Burns est probablement sa participation, en compagnie d’Archibald James McLean, d’Alfred Ernest Cross et de George Lane – les quatre éleveurs étaient surnommés « Big Four » –, à l’organisation et au financement du premier Stampede de Calgary, qui eut lieu du 2 au 5 septembre 1912. La contribution de Burns à cette manifestation inaugurale, à la fois rodéo et commémoration du temps des pionniers, n’est qu’un exemple de ses nombreux actes de générosité. À la suite de l’avalanche de roches qui dévasta la localité minière de Frank (Alberta), le 29 avril 1903, il fut le premier à offrir de l’aide. Environ cinq ans plus tard, après l’incendie qui ravagea Fernie, il envoya un wagon de nourriture aux habitants de cette ville de Colombie-Britannique. Pendant la Première Guerre mondiale, lui-même et sa compagnie versèrent 50 000 $ pour équiper la Legion of Frontiersmen. Après les hostilités, il fut nommé membre honoraire du Calgary Aero Club (qui deviendrait le Calgary Flying Club) « en l’honneur de [… son] intérêt pour l’aviation et de son don de deux avions » pour soutenir l’effort de guerre. Il contribua généreusement à la construction de l’église Canadian Memorial, bâtie par le révérend George Oliver Fallis* en hommage à ceux qui avaient servi pendant le conflit. Il subventionna le Holy Cross Hospital de Calgary, il donna un terrain de 200 acres au Lacombe Home, fondé par le père Albert Lacombe* à Midnapore, en Alberta, et il assura à ce foyer un approvisionnement régulier en viande. On raconte que, pendant que des ouvriers peignaient à ses frais l’église catholique située près du Lacombe Home, Burns remarqua que l’église anglicane voisine était dans un piètre état et dit à ses ouvriers de la peindre aussi. De plus, il fournit gratuitement à la Western Stock Growers’ Association des bureaux dans l’un de ses immeubles de Calgary, et il contribua à l’amélioration des troupeaux de vaches laitières de l’Ouest en vendant de bons bovins reproducteurs holsteins et jersiais à des fermiers et en leur faisant crédit à long terme. Il apporta un soutien financier à deux sœurs qui tentaient péniblement d’établir le Braemar Lodge, futur hôtel important de Calgary. Il aida aussi des artistes talentueux ; entre autres, il finança la carrière de la cantatrice Isabelle Burnada et la formation musicale d’Odette De Foras. Lorsque, en 1931, la ville de Calgary célébra l’anniversaire de Burns, celui-ci annonça que, « pour chaque chômeur ou chômeuse célibataire de la ville, un coupon d’une valeur de 50 cents serait émis à ses frais pour l’achat de nourriture et que, à chaque chômeur marié, il donnerait un rôti de bœuf de cinq livres. “Pendant la célébration du Stampede et à l’occasion de mon soixante-quinzième anniversaire, dit-il, j’éprouve le désir de faire quelque chose pour les citoyens qui, en ces temps difficiles [la grande dépression], n’arrivent pas à trouver du travail.” »

Burns lui-même connut des difficultés dans les années 1930, à commencer par les problèmes financiers de la P. Burns and Company Limited. En 1931, il dut investir 200 000 $ pour permettre à la compagnie de verser les intérêts sur ses obligations. Même après, l’entreprise continua de battre de l’aile : en 1934, on apprit qu’elle n’avait pas payé de dividendes sur ses actions privilégiées depuis le 17 octobre 1930, ni d’intérêts sur ses obligations depuis le 1er juin 1932. Une entente de restructuration imposée par la division d’appel de la Cour suprême de l’Alberta le 25 avril 1934 alloua pratiquement toutes les actions privilégiées de la compagnie aux obligataires. La P. Burns and Company Limited subsisterait malgré tout et finirait par connaître expansion et prospérité, mais cette relance ne surviendrait pas du vivant de Burns.

L’autre grand souci financier des dernières années de Burns fut la diminution de sa fortune personnelle. Cette baisse ne résultait pas uniquement des problèmes de la compagnie. À la fin de 1928, après la vente de sa compagnie à la Dominion Securities Corporation, Burns estima à 9 211 222,41 $ la valeur de ses avoirs en actions et en immobilier. Durant la dépression, il s’entêta à déclarer que son actif approchait toujours cette somme, malgré l’avertissement de ses comptables : « il faudrait s’occuper de constituer des réserves pour couvrir les pertes probables sur les dettes actives, en particulier celles qui se classent dans les avances en espèces, dont bon nombre nous semblent fort peu susceptibles d’être recouvrées ». Les comptables signalaient aussi que « rien n’a[vait] été fait en prévision du fléchissement probable de la valeur des investissements ». Après le décès de Burns, sa succession fut évaluée à 3 833 413,34 $ – somme imposante pour l’époque, mais bien inférieure à ses calculs. Voir se déprécier l’œuvre de sa vie dut hanter le sénateur au crépuscule de sa vie.

Outre les problèmes financiers, un autre aspect de l’existence de Burns n’était pas idéal. Sa vie familiale fut, au mieux, difficile. De toute évidence, lui et sa femme – Eileen Louisa Francis Anna Ellis, fille d’un éleveur de Penticton, en Colombie-Britannique – avaient leurs problèmes. Des indices laissent croire que Burns fit une réelle tentative pour rendre sa femme heureuse. Entre 1900 (un an avant leur mariage) et 1903, il dépensa environ 40 000 $ pour faire construire un manoir familial sur la 13e Avenue Ouest à Calgary. De style néogothique avec des pignons très pointus, des sculptures en grès richement ornementées et une tour de trois étages, le manoir des Burns comportait 18 pièces, dont 10 chambres, 4 salles de bain et un jardin d’hiver. L’intérieur était construit en grande partie de chêne de l’Est canadien, et le mobilier importé d’Angleterre, de même que le jardin paysager, contribuaient à donner à l’ensemble une allure Vieille Europe. À l’époque, le Burns Manor, qui avait été commandé à l’éminent architecte Francis Mawson Rattenbury, était sans doute la résidence la plus luxueuse de Calgary. Cette maison ne suffit pourtant pas à resserrer les liens du couple. L’âge et la religion séparaient Burns et Eileen. À leur mariage, en 1901, il avait 45 ans et elle, seulement 27. Il fut un fervent catholique tout au long de sa vie, alors qu’elle était protestante. Il semble toutefois que leur principal problème ait été l’obsession de Burns pour le travail. Il s’arrangea même pour que leur mariage, qui eut lieu à un bureau d’enregistrement à Londres, coïncide avec un voyage d’affaires. Dans une large mesure parce que Burns était si occupé à ses activités commerciales, Eileen se sentait seule et sa vie à Calgary ne la comblait pas. Incapable de s’adapter, elle alla vivre en Californie, puis à Vancouver. Au début des années 1920, elle apprit qu’elle souffrait d’un cancer ; elle mourut le 7 septembre 1923, peu avant son cinquantième anniversaire. Le couple avait un seul enfant, Patrick Thomas Michael, et Burns, semble-t-il, n’était pas proche de lui. Le fils n’avait pas la santé robuste de son père, et rien n’indique qu’il manifesta un intérêt soutenu pour les affaires, si importantes pour Burns. Le 18 septembre 1936, il fut trouvé mort dans son lit, dans la maison paternelle, après avoir vraisemblablement succombé à une crise cardiaque. Il était âgé de 30 ans. Burns lui-même avait eu une attaque d’apoplexie en 1935 (conséquemment, son siège au Sénat avait été déclaré vacant en juin 1936 pour cause d’absentéisme). Il mourut moins de six mois après son fils et fut inhumé au cimetière St Mary à Calgary.

Patrick Burns fut aussi généreux à sa mort qu’il l’avait été de son vivant. Parmi les bénéficiaires nommés dans son testament figuraient le Lacombe Home, l’Armée du salut, le Children’s Shelter de Calgary, les veuves et orphelins des membres du service de police et du service des incendies de la ville, l’évêque catholique de Calgary, le collège Saint-François-Xavier d’Edmonton, la Navy League of Canada, la Société canadienne de la Croix-Rouge, la Croix-Rouge jeunesse, la British Empire Service League, la section de tuberculose de la Légion canadienne, le 103rd Regiment (Calgary Highlanders), la Boy Scouts Association de l’Alberta et la Southern Alberta Pioneers’ and Old Timers’ Association.

Warren Elofson

GA, M 160, M 7771, M 8688, M 8780.— Calgary Albertan, 6 juill. 1931.— Calgary Herald, 25 juin 1907 ; 3 juill. 1919 ; 16, 20 mai, 11 oct. 1927 ; 10 mai 1928 ; 4 juill. 1931 ; 3 sept. 1955 ; 29 sept. 1960 ; 1er févr. 1998 ; 26 sept. 1999.— Calgary News Telegram, 19 mars 1912.— High River Times (High River, Alberta), 4 déc. 1930.— Times (High River), 13 nov. 1985.— Western Farmer (Calgary), 10 juill. 1931.– David Bright, « Meatpackers’ strike at Calgary, 1920 », Alberta Hist. (Calgary), 44 (1996), nº 2 : 2–10.— W. M. Elofson, Frontier cattle ranching in the land and times of Charlie Russell (Montréal et Kingston, Ontario, 2004).— Encyclopedia Canadiana, K. H. Pearson et al., édit. ([éd. rév.], 10 vol., Toronto, 1975).— Encyclopedia of music in Canada (Kallmann et al.), 178.— S. M. Evans, The Bar U & Canadian ranching history (Calgary, 2004).— J. H. Gray, A brand of its own : the 100 year history of the Calgary Exhibition and Stampede (Saskatoon, 1985).— L. V. Kelly, The range men (éd. 75e anniversaire, High River, 1988).— H. C. Klassen, A business history of Alberta (Calgary, 1999) ; Eye on the future : business people in Calgary and the Bow valley, 1870–1900 (Calgary, 2002).— [J. W.] G. MacEwan, Pat Burns, cattle king (Saskatoon, 1979).— Peter McKenzie-Brown et Stacey Phillips, In balance : an account of Alberta’s CA profession, 1910–2000 ([Edmonton], 2000).— B. P. Melnyk, Calgary builds : the emergence of an urban landscape, 1905–1914 (s.l., 1985).— A. F. Sproule, « The role of Patrick Burns in the development of western Canada » (thèse de m.a., Univ. of Alta, Edmonton, 1962).— Who’s who in Canada, 1932–1933.

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Warren Elofson, « BURNS, PATRICK », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/burns_patrick_16F.html.

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Auteur de l'article:    Warren Elofson
Titre de l'article:    BURNS, PATRICK
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2011
Année de la révision:    2011
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