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CARMAN, WILLIAM BLISS (il adopta Bliss Carman comme nom d’auteur en 1884), poète, essayiste, journaliste et directeur littéraire, né le 15 avril 1861 à Fredericton, fils de William Carman, barrister et fonctionnaire de la cour, et de Sophia Mary Bliss ; décédé célibataire le 8 juin 1929 à New Canaan, Connecticut.
William Bliss Carman, descendant de loyalistes, étudia à la Collegiate School de Fredericton, alors sous la direction de George Robert Parkin, et à la University of New Brunswick, où il obtint une licence ès arts en 1881 et une maîtrise ès arts en 1884. Il fréquenta aussi la University of Edinburgh en 1882–1883 et la Harvard University en 1886–1887. De retour à Fredericton en 1883 après son séjour en Écosse, il avait fait un peu d’enseignement, d’arpentage et de droit. Il avait également écrit des recensions pour le University Monthly. On peut en déduire qu’il se cherchait encore et avait un penchant pour le journalisme. À Harvard, il fut profondément influencé par Josiah Royce. L’idéalisme spiritualiste de ce philosophe, allié au transcendantalisme de Ralph Waldo Emerson, forme d’ailleurs l’arrière-plan de son premier poème d’importance majeure, Low tide on Grand Pré, écrit pendant l’hiver et l’été de 1886. Revenu dans les Maritimes pour une courte période à la fin des années 1880, Carman se fixa ensuite aux États-Unis où, de 1890 à 1892, il fut directeur littéraire de l’Independent de New York. Il occuperait un poste semblable dans diverses autres revues américaines. En 1894, à Boston, il participa à la fondation du Chap-Book. De 1895 à 1900, il tint une chronique hebdomadaire dans le Boston Evening Transcript. En 1904, il publia les dix volumes d’une publication de Philadelphie où il était directeur de la rédaction, The world’s best poetry.
Déjà, avant son installation définitive aux États-Unis en février 1890, Carman avait commencé, avec l’aide de son cousin Charles George Douglas Roberts*, à acquérir une belle réputation de poète. En 1893, il lança son premier recueil, Low tide on Grand Pré : a book of lyrics. Dans les années suivantes, ses talents lyriques s’exprimèrent dans plus de 20 autres livres de poèmes, dont les 3 de la série Vagabondia (1894–1900), écrits en collaboration avec le poète et essayiste américain Richard Hovey. D’abord sous la conduite de la compagne de Hovey, Henrietta Russell, puis de Mary Perry King, l’un des grands amours de sa vie, il s’inspira des théories de François-Alexandre-Nicolas-Chéri Delsarte pour élaborer une méthode d’harmonisation de l’intellect, du corps et de l’esprit dont le but était de réparer les dommages physiques, psychologiques et spirituels causés par la vie moderne en ville. Exposées en termes charmants, emphatiques et fantaisistes dans des œuvres en prose comme The kinship of nature (1903) et, avec Mme King, The making of personality (1908), ses idées thérapeutiques trouvèrent leur aboutissement dans cinq volumes de vers rassemblés sous le titre Pipes of Pan. Dans l’ensemble, bien qu’il contienne bon nombre de superbes poèmes lyriques, ce recueil paru en 1906 laisse voir les dangers d’une esthétique soporifique. À partir de ces mêmes préoccupations et en s’astreignant à la discipline des fragments saphiques, Carman produisit son meilleur livre de poésie, Sappho : one hundred lyrics (1903).
À l’instar d’autres membres du « groupe de poètes de la Confédération » (Roberts, Archibald Lampman*, William Wilfred Campbell*, Duncan Campbell Scott* et Frederick George Scott*), Carman dut sa notoriété au Canada à la vague de nationalisme qui suivit la création du pays et qui s’accompagna d’un appel en faveur d’une poésie authentiquement canadienne de haut niveau. Cependant, à l’extérieur des frontières, on ne le considérait en général pas simplement comme un poète typiquement canadien, mais aussi comme l’un des plus éminents poètes américains de la génération qui parvenait à maturité dans les années 1880 et 1890. « On m’a pris partout pour un “jeune écrivain américain”, confia-t-il à une correspondante à la suite d’un voyage à Paris en 1896 ; j’en pleurais dans mon for intérieur, mais ne pouvais refuser le compliment. » Des indices suggèrent qu’il avait de l’influence sur les lettres américaines. Ainsi, en 1909, Wallace Stevens composa des poèmes « pour accompagner » un vers de May and June de Carman et celui-ci fut nommé directeur de l’Oxford book of American verse publié en 1927. Le rayonnement de Carman ne se limitait d’ailleurs pas à l’Amérique du Nord. Dans les années 1890, Arthur William Symons et d’autres lecteurs britanniques judicieux louangèrent son œuvre. En 1904, Francis Thompson dit à son sujet : « [voilà] un poète canadien [qui est] réputé à juste titre de ce côté-ci de l’océan [et qui trouve] dans la nature une joie vigoureuse et toute personnelle ».
Une bonne partie de la poésie et de la prose écrites par Carman dans la décennie qui précéda la Première Guerre mondiale est aussi répétitive que le suggère le titre Echoes from Vagabondia (1912). Cependant, une fois les hostilités terminées (et après un combat contre la tuberculose en 1919–1920), Carman reprit sa quête spirituelle sous l’influence de la théosophie et d’autres philosophies ésotériques. Pendant la guerre, il avait travaillé, avec un groupe d’écrivains américains, à convaincre les États-Unis de s’engager dans le conflit. Au cours des années suivantes, il renoua avec le Canada. Ses compatriotes le récompensèrent de sa loyauté en lui réservant un accueil enthousiaste au fil de plusieurs tournées de lectures et de conférences, de 1920 à 1929, et en lui rendant divers honneurs. Par exemple, la Société royale du Canada l’admit en 1925 à titre de membre correspondant et lui décerna en 1928 la médaille Lorne Pierce pour contribution notable à la littérature canadienne. Ce fut à l’occasion de la première de ses tournées au pays que lui fut accolé officieusement le titre de poète lauréat du Canada. Quatre volumes de vers parus dans les années 1920, principalement Later poems (1921) et Far horizons (1925), rendent compte de ses éveils spirituels et patriotiques, tout comme Talks on poetry and life [...] (1926), recueil de conférences et de lectures publiques données à la University of Toronto, et Our Canadian literature : representative verse, English and French (1935), anthologie achevée après sa mort par Lorne Albert Pierce*. Carman venait de publier un autre livre de poèmes (Wild garden) et en avait un autre en chantier (Sanctuary : Sunshine House sonnets) lorsque, le 8 juin 1929, une hémorragie cérébrale le terrassa. Il se trouvait alors à New Canaan, où il avait passé quelque temps chaque année depuis 1897 pour être auprès de Mme King. Ses cendres furent inhumées au cimetière Forest Hill de Fredericton et une cérémonie nationale eut lieu à sa mémoire à la cathédrale anglicane de cette ville. Ce n’est que le 13 mai 1954 que se réalisa le souhait qu’il avait exprimé en 1892 dans The grave-tree : « Puisse un érable écarlate / Nimbé d’un calme soleil, / Après mon heure dernière, / Abriter mon long sommeil. »
Si le vœu de William Bliss Carman tarda autant à se réaliser, c’est en grande partie parce que le goût en matière de poésie changea à compter du triomphe du modernisme au Canada, dans l’entre-deux-guerres. Des expressions comme « érable écarlate » et « calme soleil » tombèrent en défaveur : on les trouvait désormais sentimentales et vagues. Hélas, encore aujourd’hui, Carman est sous-estimé. À son meilleur, il est pourtant l’un des poètes lyriques les plus subtils que le Canada a engendrés, et plusieurs aspects de sa pensée – au premier chef, sa foi en l’harmonie personnelle et sa vénération pour la nature – mériteront toujours que l’on s’y intéresse. « J’ai connu peu de poètes où que ce soit [… qui …] se sont voués à la poésie autant que Bliss Carman », écrivait Padraic Colum dans l’avant-propos de Sanctuary.
Sa vie, continuait-il, avait une dignité frugale qui, en soi, était chose rare et belle. [Ses] costumes de tweed lui servaient depuis longtemps ; ils étaient toujours pressés avec soin et sans tache ; [son] chapeau à larges bords, il l’avait porté maintes saisons. Pourtant, il y avait toujours dans sa tenue quelque chose qui correspondait à la gaieté et à la couleur de son esprit – une cravate claire, une chaîne en argent, un ornement avec turquoise offert par un ami indien. C’était un homme grand, mais cette taille exceptionnelle était contenue dans une mince enveloppe. Il saignait pour un rien ; chacune des parties de sa grande charpente était sensible. Cependant, l’irritabilité qui accompagne d’ordinaire la peau fine ne faisait nullement partie de sa nature. Bliss Carman était avant tout un homme d’un naturel doux. Je suis certain que jamais personne ne l’a quitté sans penser : « J’espère revoir ce cher Bliss Carman. » .
Des listes des collections où sont conservées les lettres de William Bliss Carman figurent dans Muriel Miller, Bliss Carman : quest and revolt (St John’s, 1985) et dans Letters of Bliss Carman, H. P. Gundy, édit. (Kingston, Ontario, et Montréal, 1981). Ce dernier ouvrage contient aussi des notes sur les plus importantes collections de papiers Carman, qui comprennent : le fonds Bliss Carman aux QUA ; les papiers Bliss Carman à la Neilson Library, Smith College (Northampton, Mass.) ; l’Odell Shepard coll. et la W. I. Morse Canadiana coll. à la Harvard College Library, Houghton Library, Dept. of mss (Cambridge, Mass.) ; et de la documentation à la Baker/Berry Library, Dartmouth College (Hanover, N.J.) ainsi que dans plusieurs collections à la Univ. of N.B. Library, Arch. and Special Coll. Dept. (Fredericton), notamment sous MG L10 (C. G. D. Roberts fonds) et MG L32 (I. St. J. Bliss coll.). L’ouvrage intitulé Bliss Carman’s letters to Margaret Lawrence, 1927–1929, D. M. R. Bentley, édit., assisté de Margaret Maciejewski (London, Ontario, 1995), contient de la correspondance particulièrement informative. On trouve « A primary and secondary bibliography of Bliss Carman’s work », J. R. Sorfleet, compil., dans Bliss Carman : a reappraisal, Gerald Lynch, édit. (Ottawa, 1990), 193–204. Depuis la parution de la bibliographie de Sorfleet, plusieurs articles sur la poésie et l’influence de Carman ont paru dans la revue Canadian Poetry (London, Ontario).
D. M. R. Bentley, « CARMAN, WILLIAM BLISS (Bliss Carman) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/carman_william_bliss_15F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/carman_william_bliss_15F.html |
Auteur de l'article: | D. M. R. Bentley |
Titre de l'article: | CARMAN, WILLIAM BLISS (Bliss Carman) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 11 nov. 2024 |