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Titre original :  Letitia Youmans

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CREIGHTON, LETITIA (Youmans), professeure et organisatrice du mouvement de tempérance, née le 3 janvier 1827 à Baltimore, Haut-Canada, fille de John Creighton et d’Annie Bishop ; décédée le 16 juillet 1896 à Toronto.

Les antécédents de Letitia Creighton ne laissaient guère prévoir qu’elle jouerait un rôle de premier plan dans les affaires publiques. Son père, venu d’Irlande avec peu d’argent, avait réussi à acquérir une petite ferme à Baltimore. C’est là, dans une cabane en rondins, que Letitia naquit. Peu après, Creighton et sa femme, qui était d’origine américaine, obtinrent un lot de 200 acres à environ deux milles de Cobourg. Ils y construisirent une maison, toujours en rondins, et défrichèrent la terre afin de la cultiver. Conscients de la valeur de la religion et de l’éducation, ils élevèrent Letitia dans la foi méthodiste et l’envoyèrent à l’école dès l’âge de quatre ans. Pendant un temps, comme il n’y avait pas encore de réseau scolaire, la petite fille reçut sa formation d’un hôtelier qui vaquait à ses affaires entre les leçons. Même si son père était mort du choléra alors qu’elle était encore très jeune, à l’âge de 16 ans elle put entrer au Cobourg Ladies’ Seminary. Un an plus tard, le directeur de cet établissement, Daniel C. Van Norman, ouvrit à Hamilton la Burlington Academy, où Letitia termina ses études.

Letitia était une élève brillante qui se consacrait avec enthousiasme aux activités parascolaires ; une fois qu’elle eut décroché son diplôme, l’école lui offrit un poste de professeure d’anglais. Toutefois, au bout de deux ans, sa santé se mit à décliner, et elle devint assistante à la Picton Academy. C’est dans cette localité qu’elle fit la connaissance d’Arthur Youmans, veuf et père de huit enfants, et propriétaire d’une ferme et de moulins. Mariés le 29 août 1850, ils s’installèrent à la campagne. La jeune femme ouvrit une école à la maison pour les enfants de son mari.

Dix-huit ans plus tard, un mauvais emprunt força les Youmans à vendre leur propriété. Comme les enfants étaient élevés, ils retournèrent à Picton et y achetèrent une grande maison de brique. Letitia Youmans participa à l’enseignement religieux au temple méthodiste qu’elle fréquentait, où son intérêt pour la tempérance naquit. À l’âge de dix ans, elle avait signé à l’école un engagement d’abstinence totale mais, par la suite, elle avait semblé indifférente à la cause de la tempérance. Quand elle constata à quel point l’alcool causait des problèmes à Picton, elle décida de faire signer un engagement semblable dans sa classe de Bible. Persuadée que les enfants issus de familles intempérantes avaient besoin d’un plus grand soutien, elle organisa un groupe appelé Band of Hope, comme il en existait en Grande-Bretagne depuis 1847. Puis, comme les non-méthodistes lui reprochaient de tenir ses réunions au temple, elle dut opter pour une autre salle, où elle en vint à accueillir une centaine d’enfants.

Letitia Youmans participa en 1874 à un congrès d’éducateurs chrétiens à Chautauqua, dans l’état de New York. C’était le premier d’une série d’événements qui n’allaient pas tarder à la faire connaître du public. La même année avait eu lieu aux États-Unis la fondation de la Woman’s Christian Temperance Union, et des réunions sur la tempérance figuraient au programme du congrès. Stimulée par cette expérience, Letitia Youmans fonda à Picton dès 1874 une branche de la Woman’s Christian Temperance Union – la deuxième au Canada. Son dévouement à la cause ne s’enracinait pas dans son expérience personnelle. Contrairement à bon nombre de ses contemporaines, sa vie familiale n’avait jamais été bouleversée par les effets de l’alcoolisme. Son mari était un homme paisible qui ne participait pas publiquement à ses activités mais qui la soutenait. Elle était mue par le sentiment qu’elle avait un devoir social envers les victimes de cette dépendance. À ses yeux, combattre ce fléau était, pour les femmes, une manière nouvelle de vivre leur foi et d’élargir le champ de leurs activités bénévoles.

Les membres de la Woman’s Christian Temperance Union de Picton firent d’abord pression pour l’abolition des permis d’alcool délivrés aux commerces de détail, mais elles essuyèrent une rebuffade. Refusant de se laisser abattre, elles tentèrent ensuite d’obtenir la prohibition locale (l’interdiction des ventes au détail) en vertu de la loi Dunkin de 1864. La campagne qu’elles avaient déclenchée fut dure et souvent pleine d’acrimonie. On disait de Letitia Youmans et de ses compagnes qu’elles étaient « rusées comme les serpents et candides comme les colombes ». Comme le parti libéral se montrait plus favorable à la tempérance que le parti conservateur, on murmurait qu’elles en étaient les dupes. Quelqu’un accusa même Letitia Youmans de s’être rendue coupable de diffamation au cours d’une assemblée publique mais retira sa plainte par la suite. Finalement, la détermination des militantes fut récompensée : en 1875, le comté de Prince Edward adopta la prohibition locale par une majorité de 600 voix.

L’élection des libéraux d’Alexander Mackenzie en 1874 avait encouragé les champions de la tempérance, qui espéraient voir le Parlement fédéral adopter des lois plus sévères contre les boissons alcooliques. En 1875, à Montréal, Letitia Youmans assista à une réunion de tempérance qui portait précisément sur cette question. Comme elle venait à peine de remporter la victoire dans son comté, on lui demanda de prendre la parole. Elle se rendit ensuite à Cincinnati, dans l’Ohio, afin de participer au premier congrès annuel de la Woman’s Christian Temperance Union des États-Unis, où son éloquence électrisa l’assistance. Plus tard dans l’année, elle s’adressa à des femmes de Toronto et contribua à former dans cette ville une première branche de l’union américaine. Les invitations à parler en public se mirent à affluer, et elle devint bientôt l’organisatrice la plus célèbre du mouvement canadien de tempérance.

Letitia Youmans croyait en la tempérance et en la prohibition. Pour combattre les méfaits de l’alcoolisme, elle en appelait à la discipline personnelle et à l’interdiction de la vente d’alcool. Ainsi, à l’occasion d’une visite à des prisonniers, elle les déclarait privilégiés de se trouver dans un milieu où ils n’avaient pas accès à ces boissons maudites. Même si la prohibition ne pouvait être adoptée sans l’appui des hommes politiques, elle ne revendiquait pas pour autant le suffrage féminin, car elle croyait que sa cause en serait affaiblie. D’après elle, son devoir était non pas d’argumenter en faveur des droits des femmes, mais de protester contre les torts infligés aux femmes et aux enfants. C’est dans un discours prononcé aux États-Unis en 1876 qu’elle lança l’expression « protection du foyer », dont la militante américaine de la tempérance Frances Elizabeth Caroline Willard allait faire son slogan.

Les électeurs de Prince Edward rejetèrent la prohibition locale en 1877, mais ce geste ne dissuada pas Letitia Youmans. Cette année-là, les sociétés féminines de tempérance formèrent une organisation provinciale, l’Ontario Women’s Christian Temperance Union, dont elle devint la présidente. Le principal travail des membres consistait à persuader les gens de signer des engagements d’abstinence totale et à convaincre les enfants de renoncer sous serment à l’alcool, au tabac et aux écarts de langage. Elles distribuaient de la documentation sur la tempérance et faisaient circuler des pétitions. En outre, elles tentaient de restreindre l’usage qu’on faisait de l’alcool dans les églises et à des fins médicales. L’association faisait pression pour que l’on sépare les boissons alcooliques des autres marchandises dans les magasins de détail, pour que les ventes aux mineurs soient punissables par la loi et que le nombre des débits de boissons autorisés soit réduit. Letitia Youmans tenta particulièrement de faire adopter par le gouvernement provincial un manuel sur la tempérance ; elle échoua, mais d’autres y parviendraient en 1886. Comme un certain nombre de femmes, elle entreprit de faire du travail social, notamment auprès de groupes de jeunes femmes, de travailleurs des chemins de fer, de prisonniers, de soldats et de marins. En 1878, l’Ontario Women’s Christian Temperance Union prit un ruban blanc pour emblème.

Le rôle de Letitia Youmans dans ce mouvement naissant consistait à prononcer des discours et à faire campagne. Après l’entrée en vigueur de l’Acte de tempérance du Canada de 1878, qui permettait à une majorité d’électeurs d’appliquer la prohibition dans leur comté, elle participa à presque toutes les campagnes qui visaient à convaincre l’électorat ontarien de choisir cette mesure. Elle intervint aussi au Nouveau-Brunswick et à l’Île-du-Prince-Édouard. Dans sa province, les résultats furent d’abord décevants, puis un peu encourageants, et enfin carrément inquiétants : en 1889, tous les comtés qui avaient opté pour la prohibition locale n’en voudraient plus. Par ailleurs, Letitia Youmans devint la porte-parole internationale des Canadiennes et se rendit fréquemment aux États-Unis. En 1880, elle comparut devant le Sénat du Maryland à titre de membre d’une délégation qui prônait la prohibition locale.

Letitia Youmans excellait sur les tribunes : ses longs discours ampoulés mais pleins d’émotion, appuyés sur des thèmes bibliques, soulevaient l’enthousiasme. Partout où elle prenait la parole, elle tentait de former un nouveau groupe de tempérance. En 1880, pour l’aider à payer ses voyages, l’Ontario Women’s Christian Temperance Union l’engagea en qualité d’organisatrice. L’année suivante, elle prononça 37 allocutions et contribua à la formation de cinq groupes.

Inspirée par l’exemple de Frances Elizabeth Caroline Willard et de ses consœurs américaines, Letitia Youmans avait, dès 1878, exprimé le souhait de fonder un regroupement fédéral des associations féminines de tempérance. Afin de s’y consacrer, elle quitta la présidence de l’union ontarienne en 1882, tout en continuant de faire partie du bureau. Cinq ans après sa fondation, cette union comptait 96 sociétés et quelque 2 500 membres ; c’était une expansion équivalente à celle qui avait suivi la formation du mouvement féminin de tempérance aux États-Unis. L’Union chrétienne de tempérance des femmes du Canada vit le jour en 1883 mais ne tint sa première assemblée annuelle que deux ans plus tard, à Ottawa ; Letitia Youmans en devint alors la présidente. Celle qui avait pris sa succession à la tête de l’association ontarienne, Adeline Chisholm [Davies*], était alors parvenue à fonder un périodique féminin sur la tempérance, le Woman’s Journal.

La mort de son mari en 1882 avait amené Letitia Youmans à vendre sa maison de Picton l’année suivante puis à s’installer à Toronto. Libérée des responsabilités familiales, elle pouvait voyager encore plus. En 1883, une société masculine lancée six ans plus tôt, la Dominion Alliance for the Total Suppression of the Liquor Traffic, l’invita à Montréal, où elle fonda la première branche québécoise de la Woman’s Christian Temperance Union. La même année, elle eut un entretien avec le premier ministre du pays, sir John Alexander Macdonald, qui lui demanda pourquoi son comté natal avait rejeté la prohibition locale. Parce que le gouvernement ne l’appliquait pas assez rigoureusement, rétorqua-t-elle. Puis elle lui demanda quand son gouvernement appliquerait la prohibition. « Dès qu’on enverra au Parlement des hommes qui adopteront la loi », répondit-il, en refusant de s’engager. Toujours en 1883, elle visita l’Angleterre et l’Écosse à titre de déléguée de l’Union chrétienne de tempérance des femmes du Canada auprès de la British Women’s Temperance Association. En 1886, pour soulager son asthme, elle se rendit en Californie, en Colombie-Britannique et dans les Prairies.

Affligée de rhumatisme inflammatoire, Letitia Youmans dut restreindre ses activités en faveur de la tempérance à compter de 1888 ; ses derniers jours allaient être marqués par de grandes souffrances. En 1889, les membres de l’union fédérale élurent présidente honoraire celle en qui elles voyaient « la Déborah du mouvement de tempérance du Dominion ». À une époque où les sociétés féminines de bénévolat étaient en pleine formation, elle avait gagné, par sa prodigieuse énergie, son dévouement à la tempérance et ses talents d’oratrice, l’affection d’un nombre incalculable de femmes.

Dans la première moitié du xixe siècle, des femmes avaient formé des sociétés de tempérance, mais, si le mouvement dirigé par Letitia Youmans visait initialement des objectifs semblables, il se distingue par son ampleur et sa continuité. Sous sa tutelle, la Woman’s Christian Temperance Union tire moins son importance de ce qu’elle parvint à réaliser que de ce sur quoi elle déboucha. En donnant aux femmes l’occasion de se réunir aux niveaux local, provincial et fédéral pour défendre la cause de la tempérance, elle finit par les amener à revendiquer le droit de vote. Quant à Letitia Youmans, elle fut certes très acclamée mais, malgré son œuvre et sa compétence, elle ne réussit jamais à sortir tout à fait de l’ombre de Frances Elizabeth Caroline Willard, qui demeura à la tête de la Woman’s Christian Temperance Union des États-Unis durant presque 20 ans. Comme elle avait commencé sa carrière publique tard dans la vie, elle ne put que jeter les fondations sur lesquelles d’autres allaient construire.

Terence A. Crowley

Letitia Creighton Youmans est l’auteur de : Campaign echoes : the autobiography of Mrs. Letitia Youmans, the pioneer of the white ribbon movement in Canada, introd. de F. E. Willard (Toronto, [1893]).

AN, MG 29, D61, 8583–8589.— AO, MU 8284–8472, particulièrement MU 8398 (Dominion WCTU, annual reports), 1889–1896, et MU 8404 (Ontario WCTU, minutebooks), 1878–1896.— Prince Edward County Arch. (Picton, Ontario), AR984.19.1 (indenture, 1883) ; 81-34-5 (Yarwood scrapbook).— Globe, 20–21, 23, 25 juill. 1896.— Woman’s Journal (Toronto), 1885–1896 (copies aux AO, MU 8455).— Cyclopædia of Canadian biog. (Rose et Charlesworth), 1.— R. E. Spence, Prohibition in Canada ; a memorial to Francis Stephens Spence (Toronto, 1919).— Mme H. G. Willies, The life of Letitia Youmans (s.l.n.d. ; copie aux AO, MU 8469, folder 5).— Gazette (Picton), 27 août 1975.

Bibliographie générale

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Terence A. Crowley, « CREIGHTON, LETITIA », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 19 mars 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/creighton_letitia_12F.html.

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Auteur de l'article:    Terence A. Crowley
Titre de l'article:    CREIGHTON, LETITIA
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
Année de la révision:    1990
Date de consultation:    19 mars 2024