CZERNIAWSKI (Czernowski, Cherniawsky), JOSEPH (transcrit du cyrillique sous la forme Osyp ou Iosyf Cherniavsky), fermier et ministre de l’Église indépendante de rite grec, né probablement vers 1875 à Volchkivtsi, comté de Sniatyn, Galicie (Ukraine), alors possession autrichienne, fils de Wasyl Czerniawski, fermier, et d’Anna Woytkiw ; vers 1912, il épousa une prénommée Rozaliia, et ils eurent quatre enfants ; décédé le 17 mars 1912 à Goodeve, Saskatchewan.
Avant d’immigrer au Canada en 1900 avec ses parents et ses frères et sœurs, Joseph Czerniawski suivit des cours pendant au moins deux ans dans un gymnase en Galicie et fut douanier. Établi dans le district de Sich-Kolomea, au nord-ouest de Vegreville (Alberta), il trouva du travail saisonnier dans les mines de la Colombie-Britannique, puis se consacra à temps plein à l’agriculture. À l’automne de 1903, quand Ivan (John) Bodrug et Aleksii Bachynsky se rendirent dans la région afin de recruter des prêtres pour une Église ukrainienne libre de l’emprise catholique romaine ou orthodoxe russe, Wasyl Czerniawski et d’autres soutinrent leur projet. Plusieurs semaines plus tard, Joseph et trois autres hommes des environs furent ordonnés par l’évêque Seraphim [Stefan Ustvolsky*] de l’Église russe patriarcale orthodoxe. Cependant, dès janvier 1905, Czerniawski et la plupart des hommes ordonnés par Seraphim avaient quitté son Église et proclamé leur adhésion à une nouvelle confession, l’Église indépendante de rite grec.
Cette Église était la création de Bodrug, de Cyril Genik-Berezowskiyi* et d’Ivan (John) Negrich, immigrants ukrainiens instruits et disciples du Parti ukrainien radical. Depuis 1890, les radicaux tentaient de neutraliser l’influence du clergé en Galicie et en Bucovine (Ukraine) en renouant avec les traditions de participation des laïques aux affaires ecclésiastiques et en faisant connaître les enseignements protestants aux paysans ukrainiens. Au Canada, Bodrug et Genik-Berezowskiyi espéraient que le protestantisme, qui mettait l’accent sur les Saintes Écritures, la liberté de conscience, le sacerdoce de tous les croyants et l’éthique chrétienne plutôt que sur le rituel, encouragerait l’instruction, affaiblirait la tutelle du clergé et favoriserait l’épargne, la sobriété, la maîtrise de soi et autres qualités nécessaires aux paysans immigrants pour réussir. C’est pourquoi ils avaient d’abord pressenti des théologiens presbytériens au collège de Manitoba en 1898. Cinq ans après, quand Seraphim arriva au Canada, Bodrug et d’autres se présentèrent à lui pour être ordonnés. Puis, en mai 1903, avec l’aide de leurs mentors presbytériens, ils rédigèrent en secret les statuts de l’Église indépendante de rite grec et commencèrent à prendre leurs distances par rapport à Seraphim, devenu suspect. Bien que l’Église ait été conçue comme un pont vers le protestantisme et que ses ministres allaient épouser les principes évangéliques, les fondateurs conservèrent la liturgie et les rites orientaux traditionnels pour ne pas heurter les paysans immigrants conservateurs. Comme le Canada comptait peu de prêtres catholiques ukrainiens et grecs orthodoxes ukrainiens, l’Église indépendante de rite grec connut une expansion rapide. Dès 1907, elle comptait de 15 000 à 20 000 adhérents ainsi que 24 ministres et missionnaires, tous subventionnés par le conseil presbytérien des missions intérieures.
Czerniawski était l’un des ministres les plus estimés de l’Église. Aimable, raisonnable et ferme, il était grand liseur ; selon le Presbyterian Record, c’était un « orateur naturel » doté d’une « personnalité magnétique ». Affecté à la grande région de peuplement ukrainien du centre-est de la Saskatchewan, il œuvra auprès de quelque 200 familles au nord de Yorkton jusqu’à l’été de 1908, après quoi il exploita une ferme et exerça son ministère aux environs de Goodeve. Czerniawski était très représentatif des jeunes leaders immigrants ukrainiens qui avaient atteint leur maturité dans les années 1890, quand le Parti ukrainien radical avait commencé à mobiliser la paysannerie. Tout en remplissant ses fonctions pastorales, il portait un vif intérêt à la vie culturelle et économique des immigrants et à la lutte menée par les Ukrainiens en vue d’obtenir une plus grande liberté politique en Autriche. Il présida un nombre incalculable d’assemblées profanes et ecclésiastiques, et aida les colons ukrainiens à fonder des écoles, des cercles de lecture et des magasins coopératifs. En août 1908, le congrès de l’Église indépendante de rite grec de la Saskatchewan, présidé par Czerniawski, réclama la création d’une école normale pour les instituteurs ukrainiens-anglais, la nomination d’inspecteurs d’écoles et de juges ukrainiens et le resserrement des contrôles gouvernementaux sur le marché céréalier.
Czerniawski préconisait le respect envers toutes les confessions religieuses, et évitait les différends avec les missionnaires orthodoxes russes et catholiques. Il gagna la considération des nationalistes ukrainiens qui critiquaient son Église. Pourtant, il fut victime, semble-t-il, de la superstition, du fanatisme et des intenses rivalités confessionnelles qu’il avait souhaité éliminer. Le 17 mars 1912, on découvrit son cadavre mutilé et démembré sur les rails du Grand Trunk Pacific Railway à l’est de Goodeve. John Aurischuk (Ivan Oryshchak), qui avait été en mauvais termes avec Czerniawski et avait été vu en sa compagnie la veille au soir, fut accusé du meurtre. Il avait épousé la fille d’un adepte de l’Église indépendante de rite grec et avait accepté que ses enfants soient baptisés dans cette Église. Cependant, il s’était mis à traquer et à menacer Czerniawski après qu’un missionnaire catholique l’eut pressé de faire rebaptiser ses enfants dans l’Église catholique. Une fois, il tenta de poignarder Czerniawski en lui criant « Rends-moi mon âme ! ». Une autre fois, il déclara : « Dieu absoudra de tous ses péchés quiconque tue un prêtre comme Czerniawski. » Bien que la police ait réussi à monter « un solide dossier de preuves circonstancielles » contre Aurischuk, il fut acquitté en décembre.
La mort de Joseph Czerniawski fit éclater une crise qui couvait dans son Église depuis des années. Sauf peut-être deux ministres, William Patrick et John A. Carmichael, peu de membres de l’Église presbytérienne comprenaient vraiment le but de l’Église indépendante de rite grec. Si ses leaders ukrainiens et leurs mentors presbytériens étaient tous empressés de promouvoir le christianisme évangélique et l’assimilation des immigrants ukrainiens, ils n’interprétaient pas ces objectifs de la même manière. Alors que les leaders voulaient que les immigrants renoncent à leurs idées et comportements désuets et deviennent des gens éclairés et autonomes, beaucoup de presbytériens désiraient simplement les canadianiser, au sens le plus étroit du terme. Pour eux, l’Église indépendante de rite grec et son clergé étaient des instruments qui serviraient à priver les immigrants de leur langue et de leur identité collective. Les efforts en vue de réformer l’Église avaient rencontré de la résistance et, comme l’opinion publique parmi les immigrants ukrainiens était façonnée par les nationalistes et les socialistes, les motifs de l’existence de l’Église disparurent rapidement. La mort de Czerniawski fit pencher la balance en faveur de ceux qui, chez les presbytériens, voulaient mettre un terme à une expérience coûteuse et embarrassante. En août 1912, le conseil presbytérien des missions intérieures retira son aide financière à l’Église indépendante de rite grec, plaça les assemblées de fidèles sous des consistoires locaux et invita le clergé à demander d’être admis au sein de l’Église presbytérienne. Dès la fin de l’année, cette dernière avait attiré dans ses rangs 19 ministres de l’Église indépendante de rite grec et leurs assemblées de fidèles.
Kanadyiskyi farmer/Canadian Farmer (Winnipeg), 4 sept. 1908.— Ranok/Morning (Winnipeg), 1907–1912, particulièrement 20 mars 1912.— Svoboda [Liberté] (New York), 3 mars 1904, 9 août 1906, 31 janv., 9 mai 1907.— Ukrainskyi holos/Ukrainian Voice (Winnipeg), 28 avril, 3 mai 1910, 11 janv., 1er, 15 févr. 1911, 20 mars, 3 avril 1912.— John [Ivan] Bodrug, Independent Orthodox Church : memoirs pertaining to the history of a Ukrainian Canadian church in the years 1903 to 1913, John Gregorovich, édit., Edward Bodrug et Lydia [Bodrug] Biddle, trad. (Toronto, 1982).— Canada, Parl., Doc. de la session, 1913, no 28 ; 1914, no 28.— Oleksander Dombrovsky, Narys istorii ukrainskoho ievanhelsko-reformovanoho rukhu/Outline of the history of the Ukrainian Evangelical-Reformed Movement (New York et Toronto, 1979).— EPC, General Assembly, Acts and proc. (Toronto), 1907 : 17.— O. T. Martynowych, Ukrainians in Canada : the formative period, 1891–1924 (Edmonton, 1991).— Presbyterian (Toronto), nouv. sér., 21 (juill.–déc. 1912), 25 juill., 24 oct. 1912.— Presbyterian Record (Montréal), 36 (1911) : 60.— I. L. Rudnytsky, Essays in modern Ukrainian history, P. L. Rudnytsky, édit. (Edmonton, 1987).— Ukrainian Pioneers’ Assoc. of Alberta, Ukrainians in Alberta (2 vol., Edmonton, 1975–1981), 1.— Petro Zvarych [Svarich], Spomyny, 1877–1904/Memoirs, 1877–1904 (Winnipeg, 1976).
Orest T. Martynowych, « CZERNIAWSKI (Czernowski, Cherniawsky), JOSEPH (Osyp Cherniavsky, Iosyf Cherniavsky) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/czerniawski_joseph_14F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/czerniawski_joseph_14F.html |
Auteur de l'article: | Orest T. Martynowych |
Titre de l'article: | CZERNIAWSKI (Czernowski, Cherniawsky), JOSEPH (Osyp Cherniavsky, Iosyf Cherniavsky) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 1 nov. 2024 |