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Titre original :  Sir Rodolphe Forget., BM1,S5,P0711

Provenance : Lien

FORGET, sir RODOLPHE (baptisé Joseph-David-Rodolphe), homme d’affaires, homme politique et philanthrope, né le 10 décembre 1861 à Terrebonne, Bas-Canada, fils de David Forget et d’Angèle Limoges ; le 12 octobre 1885, il épousa à Montréal Alexandra Tourville (décédée en 1891), et ils eurent une fille, puis le 3 avril 1894, à Rivière-du-Loup, Québec, Blanche McDonald, et de ce second mariage naquirent trois fils et une fille ; décédé le 19 février 1919 à Montréal.

Parmi les personnages les plus controversés du début du xxe siècle au Canada figure sir Rodolphe Forget, président et administrateur de plusieurs des principales sociétés commerciales et industrielles du pays. Appuyé par ses nombreuses relations dans les milieux politiques et financiers, il lança des initiatives importantes dans le secteur des transports et des banques. En outre, son rôle dans l’évolution de l’industrie hydroélectrique à Montréal et à Québec fut déterminant. Ses activités financières et politiques, souvent difficiles à distinguer les unes des autres, suscitèrent fréquemment une grande attention dans le public.

Les origines de la famille Forget remontent au milieu du xviie siècle, quand Nicolas Forget (Froget, dit Despatis) arriva dans le district de Montréal en provenance de la Normandie. La plupart des Forget s’installèrent à Terrebonne, à Repentigny, à Lachenaie ou à Saint-François-de-Sales (Laval). Les parents de Rodolphe, l’avocat David Forget et Angèle Limoges, demi-sœur de Louis-Olivier Taillon*, futur premier ministre de la province de Québec, finirent par s’établir à Terrebonne, où naquirent leurs quatre enfants. C’est là, au collège Masson, que Rodolphe, fils unique, entreprit ses études classiques. À l’âge de 15 ans, il commença son apprentissage à la maison de courtage de son oncle Louis-Joseph Forget, la L. J. Forget et Compagnie, où il fut engagé une fois ses études terminées. Dans les années 1880, la L. J. Forget et Compagnie devint la principale maison de courtage de Montréal et se fit connaître dans tout le Canada et à l’étranger. On rapporte qu’elle faisait de gros placements pour l’Église catholique de la province. En 1890, Forget y fut admis à titre d’associé. Toutefois, son ascension fulgurante dans le milieu des affaires semble avoir résulté de ses activités à la Bourse de Montréal, qui commencèrent à peu près au même moment.

On a dit que, en tant qu’hommes d’affaires, Louis-Joseph et Rodolphe Forget se complétaient ; le premier était pondéré et prudent dans ses transactions alors que le second était spontané, audacieux, sûr de lui. En 1910, le Saturday Night déclara : « ce que [Rodolphe] Forget ose faire sur le marché boursier laisserait pantois le courtier moyen ».

Profitant de l’expansion rapide de l’activité industrielle au Canada à la toute fin du xixe siècle, les Forget se mirent à investir dans de nouveaux secteurs. Rodolphe se lança résolument dans l’industrie hydroélectrique en achetant en 1890 des actions de la Compagnie royale d’électricité. Créée en 1884, cette société paraissait en bonne position grâce à de gros contrats pour l’éclairage des rues à Montréal. En vue d’élargir ses activités et d’augmenter son capital, elle avait recruté de nouveaux investisseurs, dont les Forget, qui détenaient près de la moitié des actions de la compagnie dès 1898. L’année suivante, les Forget et quelques associés acquérirent le contrôle de l’entreprise.

En 1900, les activités de la Compagnie royale d’électricité connurent une augmentation importante, en grande partie grâce à des contrats signés avec les municipalités de Longueuil, de Saint-Laurent et d’Outremont ainsi qu’à une entente d’approvisionnement en électricité avec la Compagnie de chemin de fer urbain de Montréal. L’entreprise acheta la Compagnie manufacturière de Chambly, propriétaire d’une centrale électrique sur le Richelieu. En décembre 1900, elle vendit à la Canadian General Electric Company son secteur industriel – ateliers, machines, brevets et droits de fabrication – afin de se spécialiser dans la production et la vente d’électricité pour consommation domestique. Elle devait recevoir en échange 440 000 $ d’actions de la Canadian General Electric Company. Forget était bien placé pour faire ratifier cette transaction puisqu’il contrôlait près de 90 % des actions de la Compagnie royale d’électricité, soit en tant que détenteur, soit en tant que mandataire de ses clients. Six mois plus tard, la Compagnie royale revendit ses actions de la Canadian General Electric Company pour plus de 605 000 $.

En vue d’éliminer la concurrence dans la vente et la distribution d’électricité à Montréal, Forget entama des négociations avec Herbert Samuel Holt*, de la Compagnie de gaz de Montréal. Holt était prêt à accepter une fusion à la condition d’être président de la nouvelle société. Comme celle-ci devait avoir un capital d’environ 17 millions de dollars, bien des membres de la Bourse de Montréal se demandaient si la fusion était réalisable. Louis-Joseph Forget exhorta son neveu à la prudence, mais la fusion se fit, et Rodolphe assuma la deuxième vice-présidence de la nouvelle entreprise, baptisée Montreal Light, Heat and Power Company. Bien que la fusion ait été réalisée en grande partie grâce aux actions de Rodolphe, Louis-Joseph joua un rôle essentiel dans cette opération en rassemblant les divers intérêts en question. (De plus, il était président d’une des entreprises qui fusionnaient, la Compagnie royale d’électricité.) Pendant la première décennie du xxe siècle, les Forget et la L. J. Forget et Compagnie contrôlèrent la majorité des actions de cette société. Du point de vue financier, la fusion était une réussite. En vue de s’assurer la mainmise sur tout le secteur, l’entreprise commença à absorber d’autres compagnies qui distribuaient de l’hydroélectricité à Montréal. En 1909, Rodolphe Forget se mettrait à vendre ses actions de la Montreal Light, Heat and Power Company ; en 1917, il quitterait le poste de deuxième vice-président.

Dès 1907, le Montreal Daily Star rangeait Forget parmi les millionnaires. En ce temps où les affaires, au pays, étaient presque entièrement dominées par le capital anglo-saxon, il était l’un des rares Canadiens français à appartenir à l’élite. Selon un journal de Québec, le Courrier du Canada, les cercles financiers comptaient peu d’hommes plus puissants que lui ; il avait le pouvoir de créer ou de détruire des entreprises et sortait rarement perdant d’une bataille financière. Surnommé « le jeune Napoléon de la rue Saint-François-Xavier » à cause de son travail à la Bourse de Montréal, il fut, de 1907 à 1909, président de cet établissement.

Après avoir presque réussi à s’assurer le monopole du marché montréalais de l’hydroélectricité, Forget s’était tourné vers les chemins de fer et les entreprises hydroélectriques de la région de Québec. À l’aube du xxe siècle, son actif ferroviaire dans cette région était déjà imposant. En 1904, en faisant campagne pour le siège de Charlevoix aux Communes (siège qu’il allait remporter), il promit de construire un chemin de fer entre Québec et La Malbaie. Pour ses électeurs, se rendre à Québec était difficile. L’activité économique prenait fin brusquement au début de chaque hiver, à l’arrêt de la navigation. Forget envisageait de corriger cette situation en prolongeant jusqu’à La Malbaie une ligne allant de Québec à Saint-Joachim. La Compagnie du chemin de fer Québec et Saguenay, constituée juridiquement en 1905, allait construire ce chemin de fer qui, selon lui, en viendrait à parcourir la rive nord du Saint-Laurent jusqu’au Labrador et à faciliter le transport transatlantique. En exposant son projet à d’éventuels investisseurs, Forget affirma que les régions où passerait le chemin de fer étaient parmi les plus riches de la province et offraient des possibilités intéressantes à ceux qui voudraient faire de l’exploitation forestière.

Néanmoins, le chemin de fer Québec et Saguenay posait des problèmes de construction et nécessitait des capitaux énormes ; au bout du compte, il connaîtrait de graves difficultés financières. À mesure qu’elles augmentaient, Forget prit des mesures pour le fusionner avec ses intérêts hydroélectriques à Québec. En fait, il tenta de reproduire le modèle de la Montreal Light, Heat and Power Company.

Forget avait commencé à étendre ses activités à Québec en achetant en 1909 la Compagnie du gaz de Québec d’un groupe de financiers torontois. Avec James Naismith Greenshields*, propriétaire de la Frontenac Gas Company, il créa en novembre de la même année la Quebec Railway, Light, Heat and Power Company. Souvent surnommée « le merger » (regroupement d’entreprises), ce consortium comprenait un certain nombre de sociétés dans lesquelles les Forget avaient investi de fortes sommes, dont la Compagnie du chemin de fer Québec et Saguenay, la Compagnie de chemin de fer Quebec Eastern, la Compagnie canadienne de l’éclairage électrique limitée et la Quebec Jacques-Cartier Electric Company. D’autres sociétés faisaient partie de ce groupe, dont la Compagnie de chemin de fer, d’éclairage et de force motrice de Québec et la Compagnie du chemin de fer du comté de Québec. À l’assemblée inaugurale du conseil d’administration, en mars 1910, Forget était dans une position dominante à cause du nombre de ses actions, ce qui lui permit d’obtenir la présidence. Certains administrateurs du consortium venaient de l’industrie du gaz et de l’électricité. D’autres avaient des intérêts dans les petites lignes de chemin de fer du groupe, dont bon nombre étaient subventionnées par les gouvernements fédéral et provincial. Comme la consommation domestique d’électricité était beaucoup plus faible à Québec qu’à Montréal, la rentabilité de ce secteur était limitée. En outre, dès 1912, le regroupement d’entreprises de Québec dut faire face à la concurrence de la Compagnie électrique Dorchester. Celle-ci était soutenue par le maire de Québec et plusieurs conseillers municipaux, et l’un de ses principaux objectifs était d’éliminer le monopole de Forget. Une bonne partie du capital de la Compagnie électrique Dorchester provenait de l’un des principaux rivaux de Forget, la maison montréalaise de courtage de Louis de Gaspé Beaubien*. En 1915, la Compagnie électrique Dorchester, au bord de la faillite, fit l’objet d’une prise de contrôle par la Shawinigan Water and Power Company, qui créa pour la remplacer la Public Service Corporation of Quebec. Cette nouvelle entreprise s’avéra une concurrente redoutable pour le consortium de Forget ; elle finirait d’ailleurs par l’absorber en 1923. Toutefois, une autre menace, la pire peut-être, pesait sur le regroupement d’entreprises de Forget et sur l’ensemble de ses intérêts : ses adversaires politiques tentaient de lui barrer l’accès au capital d’outre-mer.

Avant la Première Guerre mondiale, les hommes d’affaires canadiens trouvaient du capital d’investissement surtout à Londres. D’aucuns affirmaient d’ailleurs que cette situation défavorisait les entreprises canadiennes-françaises. Jugeant utile de diversifier les sources de capital, Forget se tourna vers le marché financier français. Il avait créé un important réseau d’investisseurs français pour soutenir ses projets à Québec, sans pour autant couper ses liens avec le marché britannique, dont il connaissait l’influence constante sur l’économie canadienne.

En 1904, Forget avait sérieusement envisagé l’idée de se dissocier de la L. J. Forget et Compagnie et de poursuivre ses propres activités de courtage. Quelques années plus tard, quand Jack Ross, fils unique de James Ross, tenta, sans succès, de concurrencer les Forget dans le domaine du courtage à Montréal, Rodolphe embarrassa fortement le jeune Ross. Ses actions furent en partie à l’origine d’un conflit majeur entre James Ross et Louis-Joseph Forget, et provoquèrent une détérioration des relations entre les deux Forget. Rodolphe quitta la L. J. Forget et Compagnie en août 1907. Par la suite, il supervisa l’établissement à Paris d’une maison de courtage qui réussit à intéresser des investisseurs à des entreprises canadiennes. Depuis de nombreuses années, il voulait fonder un établissement bancaire au Canada avec l’aide d’investisseurs français. Député conservateur, il ne réussit pas à obtenir une licence dans ce but sous le gouvernement libéral de sir Wilfrid Laurier, mais ses démarches furent couronnées de succès après la prise du pouvoir par les conservateurs de Robert Laird Borden* en 1911. La même année eut lieu la fondation de la Banque internationale du Canada, étape importante dans l’amélioration des relations financières entre la France et le Canada. La Banque internationale parut florissante durant dix mois, soit jusqu’en août 1912. À ce moment, la lutte de pouvoir qui avait éclaté entre ses investisseurs canadiens et français commença à être connue, et les déposants s’inquiétèrent. Comme la situation se détériorait, le groupe entourant Forget, dont le député conservateur fédéral Robert Bickerdike* et le financier Greenshields, chercha à protéger ses propres intérêts.

Les rivaux de Forget dans les milieux politiques et financiers lui tombèrent dessus en une période particulièrement difficile. De plus en plus alarmés par les rumeurs sur le caractère hautement spéculatif du regroupement d’entreprises de Québec, des investisseurs français envoyèrent un représentant dans la province afin de connaître l’état de leurs actifs. Un certain nombre de journaux de France se mirent à reproduire des articles québécois sur les transactions de Forget. Le plus dommageable de ces articles, et de loin, avait paru dans le Soleil de Québec, journal libéral dont le rédacteur en chef était Henri-Victor Lefebvre* d’Hellencourt. D’origine française, d’Hellencourt s’inquiétait de l’idée que l’on se ferait des Canadiens français sur le marché financier français une fois que les investisseurs auraient compris la nature spéculative des activités de Forget. Systématiquement, à compter du 30 octobre 1912, il attaqua le regroupement d’entreprises de Québec et la Banque internationale du Canada, et réclama la création d’une commission royale d’enquête sur les pratiques commerciales de Forget. Il accusait celui-ci de retirer des profits exorbitants de la vente des actions de la banque et mettait en doute la légalité de certains de ses actes. À propos de la stratégie adoptée par Forget relativement au consortium de Québec, il parla de « l’exploitation sans merci et sans recours des citoyens de Québec, condamnés à être saignés à blanc pour fournir à ce Merger les revenus nécessaires ». Les attaques de d’Hellencourt suscitèrent surtout des répliques dans le journal conservateur la Patrie de Montréal, dont Forget était l’un des piliers financiers. Ainsi, le député conservateur fédéral David-Ovide L’Espérance*, un des principaux défenseurs de Forget, y souligna que « la bonne réputation et l’honnêteté » de celui-ci étaient universellement établies et reconnues.

Malgré les efforts déployés pour protéger le renom de Forget, plusieurs entreprises de ce dernier étaient en proie à de graves difficultés financières. Ainsi, l’East Canada Power and Pulp Company, dont le chemin de fer Québec et Saguenay était censé obtenir la plus grande partie de son fret, dut déposer son bilan à la mi-décembre 1912. Plus tard la même année, la Banque internationale du Canada fit l’objet d’une prise de contrôle par la Home Bank of Canada, qui acheta les actions des investisseurs français. L’échec de la Banque internationale, très troublant pour les investisseurs français, eut de graves répercussions financières et politiques pour Forget. Aux Communes, le député libéral Rodolphe Lemieux* alla jusqu’à conclure que, en raison de ses activités, « le bon nom du Canada s’[était] trouvé ravalé en France et [qu’]il faudra[it] des années et des années pour lui donner l’importance et la considération dont [le] Dominion [devait] jouir auprès de la haute finance, non seulement en France, mais encore dans tous les pays du monde ». L’échec de la Banque internationale était dû en grande partie à la campagne de d’Hellencourt qui, dit-on, avait été inspirée par un certain nombre de libéraux fédéraux. Le chemin de fer Québec et Saguenay, encore inachevé, était en difficulté ; Forget demanda de l’aide au gouvernement fédéral. Un projet de loi adopté en 1916 autorisa la vente du chemin de fer au gouvernement, mais la transaction fut conclue seulement trois ans plus tard.

La Compagnie de navigation du Richelieu et d’Ontario figurait aussi parmi les grandes entreprises de transport dans lesquelles Forget avait des intérêts. Un groupe d’hommes d’affaires sous la présidence de son oncle avait pris le contrôle de cette société importante en 1894 ; en 1904, après dix ans au conseil d’administration, Forget en devint président. La compagnie tenta alors d’étendre ses activités en établissant un terminus à Toronto et en mettant en service un plus gros vapeur sur le trajet Montréal-Québec. Pour financer l’expansion, Forget demanda au gouvernement conservateur l’autorisation de faire une nouvelle émission d’actions. L’opposition libérale exprima des inquiétudes à propos des fusions qui se réalisaient dans l’industrie du transport et à propos du risque que les conditions monopolistiques qui en résulteraient n’entraînent une hausse des tarifs. Méfiants envers Forget, les libéraux s’opposèrent à sa requête, mais ils ne purent empêcher la nouvelle émission d’actions. À cause de leurs intérêts dans la Compagnie de navigation du Richelieu et d’Ontario, Rodolphe Forget et son oncle avaient promu des destinations touristiques. L’entreprise construisit un hôtel à Tadoussac et, en 1899, elle bâtit le célèbre manoir Richelieu à Pointe-au-Pic. Un incendie détruisit cet hôtel de luxe en 1928 ; la construction du manoir qui porte le même nom et domine encore la région de Charlevoix commença l’année suivante.

Forget participa à beaucoup d’autres entreprises. Président de l’Eastern Canada Steel and Iron Works et de la Compagnie d’assurance Mont-Royal, il fut aussi vice-président de la Canadian Securities Corporation et de la Société d’administration générale. Il contribua à la formation de la Canada Cement Company et fit partie du consortium qui réunit en 1910 deux compagnies rivales, la Dominion Iron and Steel Company Limited et la Dominion Coal Company Limited [V. James Ross].

Forget se définissait comme un conservateur indépendant qui appuyait la philosophie du parti mais gardait la liberté de juger telle ou telle question sur le fond. Entré aux Communes à titre de député de Charlevoix en 1904, il représenta cette circonscription jusqu’en 1917. Après sa réélection en 1908, il répartit son temps entre les Communes, ses intérêts commerciaux à Montréal et ses activités politiques dans Charlevoix. En 1911, il fut élu à la fois dans Charlevoix et dans Montmorency ; c’était la première fois, dit-on, qu’un député remportait la victoire dans deux circonscriptions après avoir siégé dans l’opposition. En même temps, les conservateurs de Borden prirent le pouvoir. Il fut sérieusement question de confier à Forget un poste au cabinet fédéral, mais la proposition de le nommer ministre sans portefeuille souleva une controverse. La faction nationaliste du gouvernement Borden – en particulier Frederick Debartzch Monk – s’opposèrent vigoureusement à cette idée, tout comme le député provincial nationaliste Armand La Vergne*, qui avait mené une campagne vigoureuse pour les conservateurs pendant les élections. On ignore si leur opposition fut déterminante. Selon certains, Forget aurait refusé le poste pour permettre la nomination d’un représentant des anglo-protestants de la province de Québec, George Halsey Perley*. On a aussi laissé entendre que Forget se vit refuser un poste au cabinet pour éviter que sa demande de licence pour la Banque internationale du Canada ne le place en conflit d’intérêts. Quoi qu’il en soit, Borden rappela un jour : « il y eut un mouvement en faveur de Rodolphe Forget, mais pour certaines raisons, je n’estimai pas souhaitable qu’il entre au gouvernement ». Peu après, le 1er janvier 1912, Forget fut créé chevalier.

La plupart des discours de Forget aux Communes se rapportaient à ses transactions controversées, mais il participa à quelques débats sur des questions d’intérêt national. Il était favorable à la création de plus d’une province dans les Territoires du Nord-Ouest. Il approuvait le prolongement des chemins de fer vers l’ouest et était d’accord pour que le gouvernement fédéral, plutôt que les provinces, reste propriétaire des terres de cette région puisque le trésor du dominion avait déjà dépensé des millions de dollars pour l’immigration. « Pourquoi, demandait-il, le Gouvernement les céderait-il à ces provinces qui se sont développées aux frais du pays tout entier ? »

Pourtant, Forget soutenait l’autonomie provinciale en matière d’instruction. Les leaders conservateurs avaient embrassé la cause des droits provinciaux et exigeaient que les nouvelles provinces aient pleine autorité sur l’éducation. Forget aurait préféré des garanties pour les écoles catholiques des provinces de l’Ouest, comme en Ontario et dans la province de Québec. Selon lui, la minorité catholique des anciens territoires ne pouvait escompter obtenir de telles garanties grâce à la générosité de la majorité et, en conséquence, « force lui [était] bien d’accepter ce qu’on lui offr[ait] ». Forget exprimait l’espoir que, dans l’avenir, une des provinces de l’Ouest aurait une majorité catholique ; ainsi, on verrait lequel des groupes religieux respecterait le mieux les droits de la minorité. Il déplorait la propension de certains hommes politiques à monter les francophones contre les anglophones, les catholiques contre les protestants et les provinces les unes contre les autres. « Nous sommes Canadiens, d’esprit et en réalité », proclamait-il. Selon lui, les relations entre les catholiques et les protestants du Québec étaient harmonieuses, et les différences religieuses ne nuisaient pas à la compréhension entre les deux groupes, qui collaboraient souvent en politique et dans les affaires.

On a dit de Forget qu’il était à la fois un conservateur et un nationaliste canadien-français dont le patriotisme était sincère. Il comprenait bien l’importance du lien impérial. Dans les années antérieures à la Première Guerre mondiale, devant la menace croissante d’une agression militaire de l’Allemagne contre la France et l’Angleterre, il usa de son influence pour convaincre les Canadiens, et en particulier les Canadiens français, d’aider les deux pays. Il se prononça en faveur d’une contribution directe à la marine impériale, ce qui attira beaucoup l’attention parce que l’anti-impérialisme était très répandu au Québec. Dans l’espoir de renforcer les liens entre la province et la France, il publia dans la Patrie une série d’articles où il soulignait la nécessité d’agir contre l’ennemi commun de l’Angleterre et de la France. En aidant l’Angleterre, réaffirmait-il, les Canadiens français aideraient aussi la France. À la déclaration de guerre, il défila avec le 65e régiment, dont il était colonel honoraire. Peu à peu, Borden en vint à la conclusion que la meilleure façon d’avoir assez de recrues pour les forces canadiennes était d’imposer le service militaire. Forget s’opposa à cette mesure. Son départ de la politique coïncida avec la formation par Borden d’un gouvernement de coalition favorable à la conscription.

Forget appartint à de nombreux cercles sociaux et clubs sportifs, ainsi qu’au Montreal Military Institute, et il exerça des fonctions dans bon nombre d’entre eux. En outre, il fut actif dans un certain nombre d’œuvres de bienfaisance. Un journal a dit de lui : « [il est] l’ami des pauvres et des affligés, des vieillards et des infirmes. Il donne sans compter pour assurer leur bien-être et les secourir. Dans Charlevoix comme à Montréal, il a encouragé et soutenu d’innombrables bonnes œuvres. » Comme on le disait discret sur ses dons, il est difficile de mesurer l’étendue de sa générosité. D’autres notaient qu’il avait tendance à abandonner une œuvre de charité aussi rapidement qu’il s’y était engagé. Peut-être sa principale contribution philanthropique consista-telle à participer à la construction d’un nouvel édifice pour loger l’hôpital Notre-Dame de Montréal. Bienfaiteur à vie et longtemps membre du conseil d’administration de cet établissement, il s’adressa à l’archevêque de Montréal en vue d’obtenir de l’aide. On lui répondit que l’hôpital ne figurait alors pas parmi les priorités de l’archidiocèse. Forget décida donc de promouvoir le projet et donna en 1904 à l’hôpital des terrains d’une valeur de 28 000 $. Ses contributions de 1906 à 1918 totaliseraient environ 250 000 $.

Forget ne participa pas à la vie de Charlevoix uniquement en tant qu’homme d’affaires et homme politique. En 1901, il fit construire à Saint-Irénée (Saint-Irénée-les-Bains) une somptueuse villa, Gil’Mont, où il recevait souvent des dignitaires. Cette résidence comptait 16 chambres, et une salle à manger où 25 personnes pouvaient s’asseoir à l’aise. Le domaine comprenait une ferme prospère, des serres et un pavillon contenant une piscine, une salle de billard et une allée de quilles. Dans son testament, Forget prévut des sommes importantes pour l’entretien du domaine afin que sa famille puisse continuer à y passer l’été. Un incendie détruisit la villa en 1965.

Tout comme sa famille, Forget était catholique. Il fonda à Saint-Irénée une école qu’il confia à une communauté de religieuses enseignantes françaises, les Sœurs de la charité de Saint-Louis. Ce couvent, dont Forget assumait tous les frais, exista durant presque dix ans ; plusieurs centaines d’élèves le fréquentèrent. Cette initiative de Forget déplaisait particulièrement aux autorités religieuses et au curé. À cause de leur opposition, l’école finit par fermer et les religieuses s’en allèrent.

Forget eut une fille de son premier mariage, Marguerite. Après la mort de sa première femme, Alexandra Tourville, il épousa Blanche McDonald, fille d’Alexander Roderick McDonald, surintendant de district de l’Intercolonial. Le couple eut trois fils, Gilles, Maurice et Jacques, et une fille, Thérèse*, féministe et femme politique bien connue. Comme son mari, lady Forget participait à des activités philanthropiques. Elle appartint au conseil d’administration de la Montreal Day Nursery et de l’hôpital Notre-Dame, et fut présidente de l’Institution des sourdes-muettes de Montréal.

L’influence de sir Rodolphe Forget sur la scène politique et dans les milieux d’affaires canadiens de l’époque demeure inestimable. Il mourut le 19 février 1919, à l’âge de 57 ans, en laissant derrière lui un héritage extraordinaire.

Jack Jedwab

AC, Montréal, Cour supérieure, Déclarations de sociétés, 15, no 470 (1890) ; 27, nos 23 (1907), 603 (1907), 616 (1907), 617 (1907) ; Rivière-du-Loup, État civil, Catholiques, Saint-Patrice, 3 avril 1894.— ANQ-M, CE1-33, 12 oct. 1885 ; CE1-51, 16 févr. 1891 ; CE6-24, 10 déc. 1861.— Gazette (Montréal), 20 févr. 1919.— Montreal Daily Star, 20 févr. 1919.— Le Soleil, 30 oct.–30 déc. 1912.— J. C. A., « Rodolphe Forget : merger specialist and crackerjack financier », Saturday Night, 26 nov. 1910 : 19.— W. H. Atherton, Montreal, 1534–1914 (3 vol., Montréal, 1914).— R. C. Brown et Ramsay Cook, Canada, 1896–1921 : a nation transformed (Toronto, 1974).— Canada, Chambre des communes, Débats, 1904–1917.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1898 et 1912).— CPG, 1904–1917.— Thérèse F[orget] Casgrain, A woman in a man’s world, Joyce Marshall, trad. (Toronto, 1972).— [Jacqueline] Francœur, Trente ans rue St-François-Xavier et ailleurs (Montréal, 1928).— Denis Goulet et al., Histoire de l’Hôpital Notre-Dame de Montréal, 1880–1980 (Montréal, 1993).— Roger Graham, « The cabinet of 1911 », dans Cabinet formation and bicultural relations : seven case studies, F. W. Gibson, édit. (Ottawa, 1970), 44–62.— Clarence Hogue et al., Québec : un siècle d’électricité (Montréal, 1979).— Elisabeth Naud, « la Villa de Rodolphe Forget, Gil’Mont à Saint-Irénée-les-Bains », Cap-aux-Diamants (Québec), n33 (printemps 1993) : 29–32.— Newspaper reference book.— Rumilly, Hist. de la prov. de Québec.— Pierre Savard, le Consulat général de France à Québec et à Montréal de 1859 à 1914 (Québec, 1970).— Standard dict. of Canadian biog. (Roberts et Tunnell).— The storied province of Quebec ; past and present, William Wood et al., édit. (5 vol., Toronto, 1931–1932).

Bibliographie générale

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Jack Jedwab, « FORGET, sir RODOLPHE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 18 mars 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/forget_rodolphe_14F.html.

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Auteur de l'article:    Jack Jedwab
Titre de l'article:    FORGET, sir RODOLPHE
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
Année de la révision:    1998
Date de consultation:    18 mars 2024