Peintre, graveur, dessinateur et illustrateur, Clarence Gagnon (1881–1942), dont la brillante carrière rayonne à Paris, Londres, New York, Toronto et Montréal, doit son succès aux œuvres que lui inspirent les villages paysans blottis dans la neige des montagnes de Charlevoix. La sauvegarde des traditions artisanales est pour lui un cheval de bataille qu’il mène sur plusieurs fronts : association avec des artisans paysans de Charlevoix pour concevoir des cartons de tapis crochetés et des modèles de ceintures fléchées, diffusion de leurs produits, broyage de pigments et mise au point de ses propres couleurs. Gagnon crée les 54 illustrations du roman Maria Chapdelaine de Louis Hémon, qui connaît un succès immédiat en France et au Canada.
Titre original :  Clarence Gagnon, [Vers 1925], BAnQ Québec, Collection Centre d'archives de Québec, (03Q,P1000,S4,D83,PG4), Photographe non identifié.

Provenance : Lien

GAGNON, CLARENCE (baptisé Clarence-Alphonse, il signait souvent Clarence-A. Gagnon), peintre, graveur, dessinateur et illustrateur, né le 11 novembre 1881 dans la paroisse Saint-Jacques, Montréal, fils d’Alphonse-Edmond Gagnon, marchand, et de Sarah Ann Willford ; le 2 décembre 1907, il épousa à Paris Katherine Irwin (décédée de la grippe espagnole le 14 avril 1919), et ils n’eurent pas d’enfants, puis le 10 juin 1919, dans la paroisse Saint-Léon-Premier, Westmount, Québec, Lucile Rodier, et le couple n’eut pas d’enfants ; décédé le 5 janvier 1942 à Montréal et inhumé trois jours plus tard au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, dans la même ville.

Succès

« [J]e suis constamment plongé dans mes souvenirs de la Baie St.Paul, je dirais meme les plus heureux de ma vie, car les jours que j’y ai coulés porteront jusque dans mes oeuvres une empreinte qui j’espère vivra bien longtemps après que les vers auront nettoyé ce qui resters de moi. » Lorsqu’il écrivit ces mots à son ami proche, le médecin Euloge Tremblay, le 8 novembre 1931, quelques jours avant ses 50 ans, Clarence Gagnon menait, depuis le début du siècle à Paris, une brillante carrière qui rayonnait à Londres, New York, Montréal et Toronto. Évoluant dans la Ville lumière à l’époque révolutionnaire des avant-gardes artistiques, le Canadien devait son succès aux œuvres que lui inspirèrent les villages paysans blottis dans la neige des montagnes charlevoisiennes : exotisme nordique recherché dans la capitale des arts, certes, mais aussi vestiges d’un autre temps à l’heure de l’industrialisation et de la modernisation.

Enfance, famille et études

Cinquième d’une famille de neuf enfants, Gagnon connut une jeunesse aisée qui se déroula à Montréal et à Sainte-Rose (Laval), municipalité située à l’île Jésus, sur les bords de la rivière des Mille Îles. Son père, Alphonse-Edmond, homme d’affaires, contribua à faire de Sainte-Rose et ses environs un lieu de villégiature apprécié pendant la belle saison par les riches anglophones de Montréal. Des artistes s’y installèrent : c’est le cas du sculpteur Louis-Philippe Hébert* et de sa famille, ou encore du peintre et caricaturiste Henri Julien* avec qui Clarence allait pêcher, loisir qu’il pratiquerait, comme la chasse, passionnément toute sa vie. La mort en bas âge de deux frères et de deux sœurs vint troubler cette enfance dorée, assombrie de nouveau par la perte de sa mère Sarah Ann avant ses dix ans. Celle-ci lui avait prodigué une éducation dans la langue de Shakespeare, qu’il maniait aussi bien que le français.

À l’âge des études, Clarence fréquenta d’abord la petite école de Sainte-Rose. Il suivit ensuite les traces de son frère Willford-Arthur, futur architecte de renom avec qui il développerait une complicité durable, fraternelle et professionnelle. À partir de 1892, probablement, il reçut une formation à l’académie du Plateau, le plus vieil établissement d’enseignement laïc pour garçons de Montréal [V. Urgel-Eugène Archambeault*]. Le peintre Ludger Larose, ancien élève de Jean-Paul Laurens et de Gustave Moreau à Paris, l’y initia au dessin. En juin 1898, au terme de ses études, que couronnèrent une mention spéciale, un prix d’excellence, et une médaille de bronze pour ses succès en langue anglaise, le diplômé refusa d’embrasser la carrière commerciale à laquelle le destinait son père. Privé de ressources financières, mais déterminé à devenir artiste, il s’inscrivit aux cours du soir gratuits du Conseil des arts et manufactures de la province de Québec, logé au Monument national, rue Saint-Laurent. De 1898 à 1899, il fut de la première cohorte d’élèves à vivre la nouvelle orientation académique française qu’Edmond Dyonnet insufflait aux cours d’art, jusque-là calqués sur le modèle britannique. Vers 1899, la formation de Gagnon se prolongea dans une veine similaire à l’école de l’Association des arts de Montréal (AAM), où il poursuivit ses apprentissages jusqu’en 1903, grâce à l’aide financière d’une tante. William Brymner*, réputé pour sa pédagogie et son écoute, y prodiguait un enseignement rigoureux basé sur l’étude de moulages en plâtre et de sujets vivants, la copie de tableaux de maîtres dans les musées et la peinture en plein air. Gagnon appréciait la relation de confiance que le professeur établissait avec ses élèves, les engageant à être attentifs à l’expressivité du motif, à laisser cours à leur vision individuelle tout en admettant certaines innovations plastiques. Il tira aussi parti des expositions et des conférences offertes par la dynamique AAM : il fut séduit par l’art japonais dont le raffinement imprégnerait bientôt ses œuvres. Il fit également une rencontre décisive en janvier 1900 avec le peintre Horatio Walker*, que l’historien de l’art David Karel surnommerait le « chantre de l’île d’Orléans » ; ses toiles, qui perpétuaient l’esprit de l’école de Barbizon en représentant des paysages inspirés des mondes paysan et animal et par la nature, étaient prisées sur le marché de New York.

Séjours sur la Côte-de-Beaupré et dans Charlevoix

Pendant l’été de 1900, Gagnon se rendit à Sainte-Pétronille, sur l’île d’Orléans, pour visiter Walker. Il peignit en plein air sur la Côte-de-Beaupré, comme s’y prêtait depuis 1896 une colonie d’artistes composée de ses professeurs Dyonnet et Brymner, aux côtés de Maurice Galbraith Cullen*, de James Wilson Morrice* et d’Edmund Montague Morris*. Venus de Montréal et de Toronto, été comme hiver, les artistes de « la petite bande de Beaupré », tels que les désignerait l’historienne de l’art Madeleine Landry, recherchaient le caractère originel et authentique du pays, dont les traces disparaissaient des grandes villes avec la modernisation. En revanche, ces traces étaient encore palpables à Québec et davantage dans les villages rustiques aux allures de la vieille France, qui s’égrainaient le long de l’étroite ceinture de terre longeant la rive nord du Saint-Laurent. Ce premier séjour de l’artiste fut suivi de deux autres, en 1901 et en 1902. De ses excursions, qu’il poussa jusqu’à Baie-Saint-Paul dans la région de Charlevoix, Gagnon rapporta des pochades et des tableaux paysagers qu’il présenta à Montréal dans le cadre des expositions annuelles de l’AAM et de l’Académie royale des arts du Canada. Ses scènes paysannes – troupeaux de moutons, gardiennes d’oies, travaux de labourage – et ses paysages retinrent l’attention du marchand et amateur d’art James Morgan, du magasin Henry Morgan and Company [V. Henry Morgan*]. Gagnon signa un contrat avec lui en décembre 1903, qui lui permit de financer son premier voyage en France. Pour Bœufs au labour (1903), une des œuvres remises à Morgan, Gagnon reçut une médaille de bronze en 1904 à l’Exposition universelle de Saint Louis, dans le Missouri. L’association entre Gagnon et Morgan se terminerait un peu plus de cinq ans plus tard.

Voyages en Europe

À 22 ans, le 9 janvier 1904, Gagnon s’embarqua à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, à destination de Liverpool, en Angleterre, avec, dans ses bagages, quelques pochades et du matériel de gravure, art qu’il avait commencé à exercer sous les conseils de son maître Brymner. À la New Gallery de Londres, il vit l’exposition de l’International Society of Sculptors, Painters and Gravers, qui venait de perdre son réputé président, James Abbott McNeill Whistler, décédé six mois plus tôt. Marqué par l’œuvre gravé de Whistler, Gagnon fut également sensible à sa façon inédite de présenter des œuvres dans une exposition, en intégrant l’ensemble des composantes de l’espace et en faisant voisiner, sans hiérarchie, tableaux, dessins et études. Parmi les peintres de toutes nationalités qui exposaient à la New Gallery, Gagnon retrouva son compatriote Morrice qui présentait des scènes parisiennes et des plages bretonnes. Quelques mois après, au terme de ses visites dans les salons parisiens, il conclurait que seuls Whistler et Morrice ne l’avaient pas déçu.

Installé à Paris en février 1904, dans le quartier Montparnasse, avec les artistes montréalais Edward Finlay Boyd, William Henry Clapp et Henri Hébert, Gagnon s’inscrivit sans tarder à l’académie Julian, et y fréquenta l’atelier de Jean-Paul Laurens jusqu’en avril 1905. Son tempérament nomade prit rapidement le dessus : dès ses sessions d’études terminées, il se mit à voyager, en Espagne et au Maroc, le plus souvent en France (en Bretagne et en Normandie), et en Italie (à Rome et à Venise). Il se nourrit des maîtres vénitiens, lesquels, écrivit-il à Morgan, « vous appren[nent] de bien meilleures leçons que la vieille formation académique traditionnelle donnée aux étudiants à l’école de nos jours, qui est tout juste bonne à noyer le peu d’individualité que vous possédiez ».

Gagnon avait un caractère exubérant et bohème. Fin causeur, curieux de nature, vaillant et perfectionniste, cet homme énergique accueillait les gens et les événements simplement, au gré de ses vagabondages. Il avait un esprit indépendant, persévérant, voire obstiné. À la faveur d’une personnalité avenante et d’un premier mariage au sein de la société aisée montréalaise, qui lui autoriserait une vie bohème à Paris, il vivrait de son art en s’entourant habilement de marchands compétents en Europe et au Canada.

Graveur

À Paris, les Américains constituaient le plus gros contingent d’étudiants étrangers, ce qui avait justifié la création, en 1890, de l’American Art Association of Paris (AAAP). Gagnon se mêla au groupe en 1904 et s’initia à l’eau-forte avec Donald Shaw MacLaughlan, graveur étasunien d’origine canadienne. En 1906, sa participation à deux expositions, l’une au Salon de la Société des artistes français et l’autre à l’AAAP, fut soulignée. Gagnon reçut une mention honorable pour la première, puis cette appréciation pour la seconde : « [P]armi ces nouveaux pratiquants de l’eau-forte, le mieux doué et le plus foncièrement artiste semble, pour l’instant, M. Clarence Gagnon. » Ces mots de l’influent Roger Marx publiés en mars dans la Gazette des beaux-arts de Paris lancèrent sa carrière de graveur. Dans son article « Une exposition d’aquafortistes américains », qu’il choisit d’illustrer avec une Vue de Rouen (1905) de Gagnon, le critique louangea la notation précieuse de ses impressions rapides et son souci constant de composition. Le mouvement du renouveau de l’eau-forte originale, qui s’épanouissait depuis la seconde moitié du xixe siècle en France, trouva en Gagnon un illustre représentant canadien. Sa réussite se mesure à sa trentaine de participations au sein des expositions d’estampe qui circulaient alors en Europe et en Amérique du Nord de même qu’au vif intérêt que lui portèrent les plus prestigieux collectionneurs, privés et publics.

Gagnon revenait de ses multiples voyages avec des projets de gravure ; il mettait notamment à profit des modèles de cartes postales pour raviver sa mémoire. Il exécutait et imprimait ses œuvres au 9, rue Falguière, où il avait établi son atelier à partir de décembre 1907 jusqu’à son départ définitif de Paris en 1936 (il ferait cinq séjours en France au cours de sa carrière). Délicates vues de Venise, descriptions pittoresques des vieilles rues de Bretagne et de Normandie, scènes picardes aux effets dramatiques sont autant de compositions qui attirèrent la convoitise des grands musées, notamment le South Kensington Museum à Londres en 1906 et la Library of Congress à Washington en 1908 (Rue des Cordeliers, Dinan, Paris, 1907–1908). Les échos de sa réussite stimulèrent le marché de l’estampe au Canada, plus particulièrement à Montréal, où il prospéra tout au long du xxe siècle. Or, après une ascension fulgurante, l’artiste se désintéressa de la pointe d’acier et de l’encre. Dans une lettre au marchand Frederick Cleveland Morgan*, fils de James, il expliqua, le 23 février 1908 : « [J]e préfère être connu en tant que peintre plutôt que graveur et j’aimerais évidemment être reconnu au Canada, où je vivrai probablement un jour. » Gagnon traça son dernier cuivre en 1917, Jardins du grand séminaire, Montréal (Montréal). Il poursuivrait cependant l’impression d’anciennes planches jusqu’en 1925 pour répondre à la demande du marché nord-américain.

Style et principes de sa production picturale

Depuis son arrivée à Paris, Gagnon avait privilégié en peinture les sujets européens, comme il l’avait fait en gravure, quoique sa production picturale s’en distinguât par une gamme plus variée, incluant des portraits de paysans et des scènes de plages bretonnes. Brise d’été à Dinard (Dinard, France, 1907) témoigne de l’intérêt qu’il portait à l’impressionnisme, apte à rendre l’atmosphère et la luminosité liées à cette thématique des plages du nord, alors très populaire dans les salons. Il faut dire que la palette du peintre s’était éclaircie pendant son séjour en France et, quand il revint au Canada pour la première fois, de juillet 1908 à décembre 1909, Gagnon prit la mesure du pouvoir expressif que les couleurs franches et vives insufflaient aux paysages laurentiens, éminemment attractifs lorsqu’ils évoquaient l’hiver. Il était bien au fait du succès que remportaient à Paris les compositions impressionnistes animées des effets changeants de la lumière sur la neige ou sur les glaces de ses aînés, Cullen, Morrice et Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté*. Un temps sensible aux impressions fugitives de la lumière sur la neige, Gagnon traduisit bientôt les effets de l’hiver « par les sensations contradictoires d’une chaude lumière flambant sur un sol de neige », comme s’en émerveilla le critique Léon de Saint-Valéry dans la Revue des beaux-arts de Paris en mai 1912, au sujet de Paysage d’hiver au Canada, œuvre exposée au Salon de la Société nationale des beaux-arts. D’une part, sa peinture évolua de la captation des effets atmosphériques vers un synthétisme qui témoigna de sa connaissance du travail de Paul Gauguin. Elle évolua aussi vers une stabilité décorative qui privilégia les jeux d’arabesques et les lignes serpentines sur des surfaces lisses, tout en opposant les couleurs chaudes aux couleurs froides (la Croix de chemin en hiver, 1916 ou 1917). D’autre part, son art exalta de fortes valeurs identitaires, s’accordant à la vague du régionalisme qui, au Canada comme aux États-Unis et en Europe, glorifiait la vie traditionnelle des communautés rurales, menacée de dissolution par la révolution industrielle et l’urbanisation. Son unique exposition solo de son vivant – la première de cette importance pour un artiste de la province de Québec à Paris – cristallisa ces principes. Présentée du 27 novembre au 16 décembre 1913 à la galerie A. M. Reitlinger, dans le 8e arrondissement, et intitulée « Paysages d’hiver dans les montagnes des Laurentides au Canada », elle réunit 75 peintures et études à l’huile, dont la majorité traitait en effet de l’hiver canadien. Les visiteurs, nombreux, eurent droit à une expérience esthétique globale, dans la foulée des présentations que Whistler avait instaurées à la fin du xixe siècle. En témoignaient, par exemple, les encadrements des œuvres faits main et décorés par l’artiste au moyen de motifs animaliers évoquant la région de Charlevoix.

Cette dimension, qui relève du mouvement Arts and crafts, devint une préoccupation constante pour Gagnon. La sauvegarde des traditions artisanales fut pour lui un cheval de bataille qu’il mena sur plusieurs fronts. De retour au Canada après la Première Guerre mondiale, Gagnon, homme d’action, s’établit dans Charlevoix (1919–1924) et s’associa aux artisans paysans de la région, pour lesquels il conçut des cartons de tapis crochetés et des modèles de ceintures fléchées. Il assura la diffusion de leurs produits auprès de la Corporation canadienne de l’artisanat de Montréal et de la section de Toronto de la Women’s Art Association of Canada. C’est aussi à cette époque qu’il décida de broyer ses pigments et de mettre au point ses propres couleurs, démarche couronnée par le prix Trevor du Salmagundi Club de New York, que Gagnon reçut en 1923 pour son tableau l’Hiver dans les Laurentides, Québec (1922).

Activités sur les scènes nationale et internationale

Au cours des années 1920, Gagnon multiplia ses activités sur les scènes nationale et internationale. Il poursuivit sa progression comme peintre et se révéla un habile émissaire de la peinture canadienne à l’étranger. L’Académie royale des arts du Canada l’élut membre en 1921 ; Gagnon choisit alors l’Étang en octobre (1921) pour morceau de réception. On l’invita à exposer et à prendre part à la préparation des deux éditions de la présentation canadienne aux expositions de l’Empire britannique à Wembley (Londres), en 1924 et en 1925, parrainées par la Galerie nationale du Canada d’Ottawa. Homme d’organisation, Gagnon fut également un pilier de l’« Exposition d’art canadien » au Musée du Jeu de paume, à Paris, en 1927. Le Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, et le Musée des beaux-arts de l’Ontario, à Toronto, s’empresseraient d’acquérir deux de ses œuvres exposées, respectivement Village dans les Laurentides (1925) et Course sur la glace (1927), représentatives du caractère décoratif qui dominait sa période de maturité.

En 1925, Gagnon amorça son dernier séjour en France, le plus long, qui s’échelonna sur plus d’une dizaine d’années. Rythmée par de nombreux voyages en Europe et en Scandinavie, cette période lui réserva de nouvelles expérimentations plastiques, cette fois-ci du côté de l’illustration. En 1925 et en 1926, l’artiste fournit des motifs originaux pour des cartes de Noël de la Canadian Artists Series de la firme Rous and Mann Limited de Toronto. Rompu aux travaux de petits formats dans sa production de pochades et d’estampes, il excellait à capter le pouvoir évocateur du terroir dans de délicates enluminures vouées à être reproduites par milliers, sans altérer l’exquise sensibilité de ses coloris. Dès 1925, il s’était intéressé au monotype en vue d’illustrer des livres commandés par les éditions Mornay à Paris : le Grand Silence blanc (roman vécu d’Alaska) de Louis-Frédéric Rouquette, publié en 1928, et Maria Chapdelaine de Louis Hémon*, paru en 1933. Son tempérament perfectionniste fut mis à rude épreuve pendant les cinq années (1928–1933) qu’exigea la production des 54 illustrations (comme la Récolte […]) du second ouvrage, qui connut un succès immédiat en France et au Canada. Gagnon ne peindrait presque plus après 1933.

Dernières années

Gagnon revint s’installer définitivement au Canada en 1936, bien qu’il conservât son atelier à Paris. Il partagea son temps entre Westmount et Baie-Saint-Paul. À 55 ans, il avait mené une carrière totalisant une vingtaine d’années en Europe, plus longue que dans son propre pays. Il fut accueilli à Montréal avec tous les honneurs dus à sa réputation et à sa renommée d’illustrateur, comme en témoigna la réception que l’Arts Club of Montreal lui consacra le 6 décembre. En 1938, l’université de Montréal lui décerna un doctorat honorifique.

Passionné par la relance des arts domestiques et paysans et par la protection du patrimoine canadien-français – intérêts qu’il partageait avec l’ethnologue Marius Barbeau* et le directeur de l’École du meuble à Montréal, Jean-Marie Gauvreau* –, Gagnon, inspiré de modèles qu’il avait observés en Norvège et en Suède, s’engagea dans la création d’un musée folklorique pour l’île d’Orléans en 1938, puis, à partir de l’année suivante, pour le mont Royal, à Montréal. Ces projets, qu’il défendit avec l’énergie du désespoir, ne virent jamais le jour. Les temps avaient changé à Montréal. En 1939, témoin inquiet de la montée des forces progressistes de l’art vivant avec la fondation de la Société d’art contemporain à Montréal, notamment, Gagnon mena une charge virulente contre toute innovation plastique dans une conférence qu’il prononça au Pen and Pencil Club, « l’Immense Blague de l’art moderniste ».

Affaibli par la maladie à partir de juin 1941, Clarence Gagnon mourut six mois plus tard, à l’âge de 60 ans, d’un cancer du pancréas. En 1942, une vaste rétrospective préparée et présentée par le Musée de la province à Québec, puis par trois autres musées canadiens, l’AAM, l’Art Gallery of Toronto et la Galerie nationale du Canada, rendit hommage à Gagnon, dont les paysages, empreints d’édénisme du terroir québécois, s’étaient distingués sur les scènes nationales et internationales de l’art. Homme d’action et d’organisation, Gagnon avait servi avec profit son pays pour faire rayonner l’art canadien au delà des frontières.

Michèle Grandbois

En 1965, Lucile Rodier, veuve de Clarence Gagnon, a légué au McCord National Museum de Montréal une abondante correspondance de l’artiste avec plusieurs personnes, dont son frère Willford-Arthur, ses amis canadiens, comme Euloge Tremblay, et ses marchands montréalais, comme Frederick Cleveland Morgan, regroupée dans le fonds d’archives Clarence A. Gagnon (P116).

Le Centre d’arch. de Montréal de Bibliothèque et Arch. nationales du Québec conserve la version originale anglaise de la conférence donnée en 1939 au Pen and Pencil Club, « The Grand Bluff of modernist art », dans le fonds Jean-Marie Gauvreau (MSS2). La traduction française a paru en quatre articles dans l’Amérique française (Montréal), 7 (1948–1949) : « l’Immense Blague de l’art moderniste », no 1 : 60–65 ; « l’Immense Blague de l’art moderniste : deuxième partie », no 2 : 44–48 ; « l’Immense Blague de l’art moderniste (suite) », no 3 : 67–71 ; et « l’Immense Blague de l’art moderniste (suite et conclusion) », no 4 : 30–33.

Nos recherches ne nous ont pas permis de trouver l’acte du premier mariage de Gagnon. L’information provient d’un article publié le 30 décembre 1907 dans le Canada de Montréal et d’une lettre à son marchand James Morgan écrite le 28 août 1907 et conservée dans le fonds d’archives Clarence A. Gagnon.

L’œuvre peint, gravé, illustré et artisanal de Gagnon compte des centaines de réalisations, dont les études à l’huile de petit format – les pochades – constituent la part la plus nombreuse. Même si les grands musées canadiens d’un océan à l’autre du pays possèdent certains de ses tableaux, plusieurs d’entre eux se trouvent encore dans des collections particulières. Le Musée des beaux-arts du Canada (Ottawa) et le Musée national des beaux-arts du Québec (Québec) représentent les principaux détenteurs de l’œuvre gravé (46 estampes) tandis que la Coll. McMichael d’art canadien (Kleinburg, Ontario) conserve les 54 compositions en couleur de Maria Chapdelaine, écrit par Louis Hémon (Paris, 1933).

Pour en savoir davantage sur l’artiste et son œuvre, nous invitons les lecteurs à consulter la monographie d’Hélène Sicotte dans le catalogue d’exposition du Musée national des beaux-arts du Québec, Clarence Gagnon, 1881–1942 : rêver le paysage (Montréal, 2006), qui comprend notre essai sur le peintre-graveur et le catalogue raisonné de l’œuvre gravé (en collaboration avec R. L. Tovell). Le dossier de l’exposition (série : expositions, dossier : Clarence Gagnon : rêver le paysage) ainsi que le fonds documentaire René Boissay, conservés par l’institution muséale, constituent des ressources incontournables sur les chantiers de recherche menés sur Gagnon au cours des dernières décennies. Nous renvoyons aussi les lecteurs aux ouvrages et aux articles suivants : René Boissay, Clarence Gagnon (La Prairie, Québec, 1988) ; F.-M. Gagnon et Andrée Gendreau, Clarence Gagnon, 1881–1942 (catalogue d’exposition du Centre d’exposition de Baie-Saint-Paul, Québec, s.l., [1992]) ; Galerie A. M. Reitlinger, Exposition Clarence A. Gagnon [...] ([Paris, 1913]) et les Peintres de neige : exposition internationale (Paris, 1914) ; J.-M. Gauvreau, « Clarence Gagnon, r.c.a., ll.d., 1881–1942 », Technique : revue industrielle (Montréal), 18 (1943) : 435–442, 458–468 ; Hughes de Jouvancourt, Clarence Gagnon (Montréal, [1970]) ; A. H. Robson, Clarence A. Gagnon, r.c.a., ll.d. (Toronto, 1938) ; I. M. Thom, Maria Chapdelaine : illustrations (catalogue d’exposition, Coll. McMichael d’art canadien, Kleinburg, Ontario, 1987).

Sur le contexte artistique de l’époque, nous suggérons également ces titres : David Karel, André Biéler ou le choc des cultures ([Québec], 2003) ; Madeleine Landry, Beaupré, 1896–1904 : lieu d’inspiration d’une peinture identitaire (Québec, 2014) ; J.-R. Ostiguy, les Esthétiques modernes au Québec de 1916 à 1946 (catalogue d’exposition, Galerie nationale du Canada, Ottawa, 1982) ; le Groupe des Sept : la collection du Musée des beaux-arts du Canada ; le paysage au Québec, 1910–1930 (catalogue d’exposition, Musée du Québec, Québec, 1997) ; et R. L. Tovell, Un nouvel art : l’estampe originale au Canada de 1877 à 1920, Danielle Chaput, trad. (catalogue d’exposition, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa, 1996).

Ancestry.com, « Registres d’état civil et registres paroissiaux (Collection Drouin), Québec, Canada, 1621 à 1968 », Basilique Notre-Dame (Montréal), 17 avril 1919 ; Saint-Léon (Westmount, Québec), 10 juin 1919 : www.ancestry.ca/search/collections/1091/ (consulté le 2 sept. 2022).— Bibliothèque et Arch. nationales du Québec, Centre d’arch. de Montréal, CE601-S33, 12 nov. 1881.— La Presse (Montréal), 7 janv. 1942.— David Karel, Horatio Walker (catalogue d’exposition, Musée du Québec, [Québec], 1986).

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Michèle Grandbois, « GAGNON, CLARENCE (baptisé Clarence-Alphonse) (Clarence-A. Gagnon) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 17, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 10 juin 2025, https://www.biographi.ca/fr/bio/gagnon_clarence_17F.html.

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Auteur de l'article:    Michèle Grandbois
Titre de l'article:    GAGNON, CLARENCE (baptisé Clarence-Alphonse) (Clarence-A. Gagnon)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 17
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2025
Année de la révision:    2025
Date de consultation:    10 juin 2025