JONES, JOHN, homme d’affaires, propriétaire foncier, officier de milice et homme politique, né vers 1752 ; décédé le 3 août 1818 à Québec.
John Jones arriva à Québec en 1777. Une annonce publiée en février 1780 révèle qu’il vendait dans la basse ville des spiritueux importés. Par la suite, il s’occupa, du moins en partie, d’un commerce de gros logé dans une « spacieuse maison » de la rue Saint-Pierre, avec celliers et entrepôt. Comme il avait eu largement recours au crédit pour ses affaires, tant pour ses achats que pour ses ventes, il fut l’une des nombreuses victimes du marasme économique que connut la province de Québec à la fin de la Révolution américaine. Le 2 juin 1786, il céda tous ses biens à James Tod, syndic de ses créanciers ; ses débiteurs lui devaient £5 363, mais ses propres dettes se chiffraient à £12 420, dont £11 000 à des marchands londoniens. En février 1788, sa maison était mise en vente par le biais d’une annonce.
En même temps que ses affaires périclitaient, Jones fut mêlé à une dispute suscitée par la formation du Quebec Battalion of British Militia. À une époque où le grade d’officier de milice était un signe de réussite sociale, Jones ainsi que deux autres marchands furent indignés de n’avoir pas obtenu de brevet et négligèrent leur devoir de simples miliciens. Lorsque Henry Caldwell, commandant du bataillon, s’adressa à la cour pour faire respecter le service obligatoire, il fut ridiculisé dans une série de lettres parues dans le Quebec Herald, Miscellany and Advertiser au cours des mois de juillet et d’août 1790. Il intenta un procès en diffamation aux marchands en question et à l’imprimeur du journal, William Moore*, mais le procès n’eut pas lieu, le jury ayant refusé de retenir les chefs d’accusation. Ajoutant l’outrage à l’insulte, les accusés publièrent le plaidoyer qu’ils avaient préparé et qui reprenait un vieux grief formulé par la communauté des marchands, selon lequel les militaires abusaient de leur autorité à l’endroit des civils [V. George Allsopp].
En mai 1789, Jones ressurgit dans le monde des affaires, cette fois comme encanteur et courtier. Il semblait vouloir tirer profit de sa propre expérience en matière de faillite, puisque l’une des principales tâches des encanteurs et des courtiers de l’époque était l’administration et la liquidation de l’actif des faillites personnelles et commerciales. En 1804 par exemple, il annonçait la vente à l’encan de l’entreprise de pêche du phoque et du saumon que la société Lymburner and Crawford, en faillite, avait exploitée au Labrador avec William Grant (1744–1805), marchand de Québec. Une partie importante de l’activité de Jones consistait probablement à vendre à l’encan les biens des personnes décédées. Dans la province de Québec, et plus tard dans le Bas-Canada, on avait l’habitude de faire dresser un inventaire après décès par un notaire. Au moment de la vente à l’encan des biens du défunt par l’exécuteur testamentaire, la famille se voyait accorder le premier choix pour réclamer ce qu’elle voulait garder. Jones agit aussi à titre de curateur de nombreuses successions, notamment celle du marchand Edward Harrison*, en 1795, lequel était peut-être son beau-père, puisqu’il avait été l’un des témoins lors du mariage de Jones (qui était veuf) avec Margaret Harrison, à Québec, le 14 mai 1794. Il s’occupa aussi des biens des personnes qui retournaient en Grande-Bretagne, comme Thomas Grant, dont il vendit les livres en 1801, après avoir fait imprimer 200 exemplaires d’un catalogue qui en contenait la liste. Il vendit également à l’encan des navires et des cargaisons. S’ils étaient neufs, les navires étaient vendus à la demande des constructeurs ; s’ils étaient échoués ou avariés, c’était à la demande des propriétaires ou du capitaine. Il semble que Jones importait lui-même certaines cargaisons de marchandises, tandis que d’autres, endommagées au cours de la traversée, étaient vendues au profit des assureurs.
Souvent, la vente aux enchères se tenait à l’endroit où se trouvait la marchandise – sur les lieux pour la vente des biens d’une succession et sur divers quais dans le cas des cargaisons de navires – ou dans les établissements fréquentés par les marchands, comme le Café des marchands et l’hôtel de l’Union. En 1789, Jones utilisait aussi des magasins qu’il avait loués sur le quai du Roi et, en 1792, des magasins loués rue Saint-Pierre, face au fleuve. En juillet 1802, il acheta de Robert Lester un lot sur lequel se trouvaient une maison de pierre à deux étages et des magasins, au 7 de la rue Saint-Pierre, qu’il occupait depuis 1799 au moins, et qu’il paya £1 000, donnant £250 comptant et le reste en moins de trois ans. En plus de servir pour des ventes aux enchères, ses magasins étaient utilisés pour des ventes ordinaires « privées », où l’on vendait au détail et peut-être en gros, souvent contre de « l’argent comptant seulement ». Jones y offrait des marchandises sèches, des jambons, des fromages et des rouleaux de tabac. Toutefois, il tendait à se spécialiser dans la vente des spiritueux importés, soit du rhum, des vins, du gin, du brandy, du porter et de l’ale, ainsi que de la mélasse, de l’essence d’épinette, de la farine, du sucre, du sel et du thé.
Les affaires de Jones ne se limitaient pas à la vente au détail et en gros. En 1794, il était copropriétaire, avec William Vondenvelden, de la Nouvelle Imprimerie, située au 21 de la rue de la Montagne. Jones avait acheté d’Alexander Young, de Londres, une presse et de l’équipement, et avait engagé un compagnon imprimeur de Grande-Bretagne. En août 1794, Jones et Vondenvelden publièrent le premier numéro régulier d’un journal bilingue, le Cours du tems/Times. Le rôle de Jones semble avoir été surtout d’ordre financier et administratif. En mai 1795, prévoyant peut-être une faillite imminente, il vendit sa part de l’entreprise à Vondenvelden pour £342 ; la dernière édition du journal parut à la fin de juillet de la même année.
Au cours de la première décennie du xixe siècle, Jones s’engagea dans de nombreuses affaires de spéculation foncière portant particulièrement sur les terres en friche des cantons du Bas-Canada. En avril 1800, en tant que chef d’un groupe de 20 associés, il obtint une concession de 21 600 acres dans le canton de Hunterstown et, en juin de la même année, il acheta pour une somme dérisoire les actions des autres membres du groupe selon le système des chefs et associés de canton [V. James Caldwell]. En septembre 1801, il vendit 10 000 acres de terre à James McGill pour la somme de £185. En 1803, Jones et John Munro, marchand de Québec, achetèrent de Joseph Bouchette* 2 200 acres de terre dans le canton de Tring. Jones acheta, pour son propre compte, 1 800 acres additionnelles. Trois ans plus tôt, il avait acquis de Thomas Dunn, pour la somme de £550, une maison située dans la basse ville de Québec. En 1806 peut-être, il était un des actionnaires de la Compagnie de l’Union de Québec, propriétaire de l’hôtel de l’Union et du Café des marchands. La même année, il fut élu président administratif du Café des marchands, où les membres pouvaient lire journaux et périodiques.
Après 1789, à titre de membre de plus en plus prospère de la communauté marchande de Québec, Jones s’intéressa à ses institutions sociales et professionnelles. En 1797, il obtint finalement sa commission d’enseigne dans le Québec Battalion of British Militia et, en 1812, il fut promu au grade de capitaine. Toutefois, il fut plus actif dans la Société du feu de Québec [V. John Purss] dont il était membre depuis 1790. Il en fut élu secrétaire en 1791 et 1797, puis président en 1803. Cette année-là, la direction de la société dut faire face à des accusations de négligence, que Jones parvint apparemment à réfuter de manière satisfaisante, puisqu’il accéda de nouveau à la présidence en 1806. En décembre 1808, il fut l’un des principaux organisateurs d’un mouvement de pression des marchands de la basse ville de Québec pour obliger la Phoenix Assurance Company à renouveler aux clients de ce secteur leurs polices d’assurance contre l’incendie ; le représentant de cette compagnie, Alexander Auldjo*, avait déclaré que le secteur était un nid à incendie impossible à assurer. Deux mois plus tard, Jones fut mandaté par la communauté des marchands pour faire partie d’un comité, présidé par James Irvine*, qui avait pour tâche d’étudier la proposition du Committee of Trade de Halifax visant à mettre sur pied une organisation analogue à Québec. On voulait que ces deux comités unissent leurs efforts pour faire pression sur la Grande-Bretagne afin qu’elle accordât à ses colonies de l’Amérique du Nord de meilleures conditions pour leur commerce avec les Antilles et plus de protection contre la concurrence américaine. La proposition du comité de Halifax fut acceptée, et le Committee of Trade de Québec fut créé au cours de l’année 1809.
Avant 1808, Jones n’avait pas manifesté grand intérêt pour les questions politiques, se limitant à la signature de pétitions qui toutes, sauf une, se rapportaient à ses affaires. La seule qui fit exception et à laquelle il donna son appui fut rédigée en 1787 par les Canadiens demandant que le collège des jésuites, qui servait alors de caserne, fût de nouveau réservé à l’éducation des Canadiens. En mai 1808, peut-être parce qu’il était préoccupé de l’écart croissant entre la position des Canadiens et celle des Britanniques vis-à-vis de la politique coloniale [V. sir James Henry Craig], Jones se porta candidat aux élections de la chambre d’Assemblée dans la circonscription de la Basse-Ville et il fut élu sans opposition en même temps que Pierre-Stanislas Bédard*, un des chefs du part : canadien. Au cours de l’éphémère cinquième législature de 1809, Jones s’efforça de rester indépendant, entre la majorité formée de Canadiens et le petit parti des bureaucrates. Il appuya trois fois les premiers et deux fois les seconds. En octobre 1809, le gouverneur Craig, courroucé par une assemblée récalcitrante, décida de la dissoudre. Aux élections qui suivirent, Jones se présenta de nouveau comme le candidat de la conciliation et de la dernière chance pour les électeurs britanniques de la circonscription de la Basse-Ville qui, du moins l’affirmait-il, étaient menacés d’être exclus de la représentation à l’Assemblée par un groupe qu’il ne nomma pas. La campagne, selon la Gazette de Québec, fut « vivement contestée » mais elle « avoit été conduit[e] tout le tems sans aucune marque d’animosité entre les individus des deux partis ; circonstance qui [fit] beaucoup d’honneur à la Basse Ville ». Bédard et Jones furent réélus par 340 et 270 voix, respectivement, contre 220 pour James Irvine et 118 pour Ignace-Michel-Louis-Antoine d’Irumberry* de Salaberry. Dans son discours de remerciement, Jones fustigea le parti gouvernemental pour avoir imposé Salaberry, candidat de l’extérieur de la basse ville, dans le but de lui ravir l’appui des électeurs canadiens modérés et pour avoir mis en doute sa loyauté. Toutefois, en 1810, peut-être après en avoir conclu qu’il était impossible de demeurer neutre, il fut amené de gré ou de force à se ranger, à l’Assemblée, du côté du gouvernement. À sept reprises, il appuya le parti minoritaire des bureaucrates et une seule fois le parti canadien. L’Assemblée fut de nouveau dissoute par Craig et, à l’élection de 1810, Jones se désista dans la circonscription de la Basse-Ville en faveur du marchand John Mure*.
Entre-temps, Jones avait poursuivi son activité d’encanteur. En décembre 1810, il annonça la tenue de ventes à l’encan tous les jeudis et vendredis dans sa maison de la rue Saint-Pierre, en plus de celles qui avaient lieu de façon irrégulière et qui étaient annoncées. Mais au fil des années, la concurrence était devenue plus vive : en 1809, Québec comptait 19 encanteurs autorisés, regroupés dans 7 ou 8 firmes. En juillet 1811, Jones annonça son association avec une « vieille connaissance et fidèle ami », John Munro. Toutefois, il semble que leur association se termina avant décembre 1812, puisque au cours des mois de septembre et de novembre précédents Jones avait annoncé seul qu’il offrait en vente des poêles, des socs de charrue, des barres de fer et d’autres produits de la Compagnie des forges de Batiscan. En juin 1815, il ne tenait plus chez lui qu’une seule vente aux enchères par semaine et, en mai 1816, il annonça sa retraite partielle et son intention de diriger des ventes en plein air, sur les terrains de ses amis qui voudraient bien faire appel à ses services. Il avertissait sans ménagement « ceux qui n’ [avaient] pas payé leurs vieux comptes de ne pas se présenter à ses ventes à l’encan ».
Après 1810, Jones poursuivit ses transactions et ses spéculations foncières. En janvier 1813, il offrit en vente ou en location trois excellentes propriétés à Québec, situées au 9 de la rue de la Montagne, au 7 de la rue Saint-Pierre et au 51 de la rue du Sault-au-Matelot, où lui-même habitait. Les deux premières furent louées au début de 1814 ; c’est une société de marchands qui loua celle de la rue Saint-Pierre, pour £250 par année. Pour sa part, Jones loua en avril une maison sur le cap Diamant pour £90 par année. En mars 1817, Jones et Munro se partagèrent en parts égales les terrains qu’ils possédaient dans le canton de Tring et, en décembre, Jones acheta de Munro 400 acres supplémentaires. En juin de la même année, il avait vendu environ 3 000 acres de terre de ce même canton à James Godfrey Hanna* pour la somme de £337.
John Jones mourut à Québec le 3 août 1818 et ses funérailles eurent lieu deux jours plus tard à la cathédrale Holy Trinity. Bien qu’il ne fût pas l’un des plus importants marchands de Québec, sa carrière offre plus qu’un intérêt passager. Les documents qu’il laissait permettent non seulement de se faire une idée particulièrement précise du rôle de l’encanteur dans la société du Bas-Canada, mais également d’illustrer la stratégie commerciale de la plupart des marchands de l’époque. Malgré qu’ils tendissent tous à se spécialiser, ils étaient obligés, en raison de la fragilité de l’économie coloniale, de diversifier leur activité, souvent par le commerce au détail, les transactions foncières en milieu urbain et la spéculation sur des terres des Cantons de l’Est. Comme la plupart de ses collègues, Jones fit faillite ; cependant, contrairement à beaucoup d’autres, il semble avoir réussi à se relever. À son décès, ses débiteurs lui devaient près de £5 800, et il possédait plus de £750. Il était toujours propriétaire de deux maisons rue Saint-Pierre et de terrains dans le canton de Hunterstown. En 1810, il avait légué tous ses biens à sa fille Elizabeth Vaughan Jones, épouse du marchand James Ross. À ce moment, Jones et sa femme Margaret semblent avoir été séparés depuis un certain temps ; en effet, le testament de Jones ne contient aucune clause à son sujet, et elle n’était pas dans la colonie au moment de la mort de son mari.
Plusieurs John Jones furent actifs à Québec et ailleurs dans le Bas-Canada, de 1780 à 1820, et quelques-uns peuvent facilement être confondus avec l’encanteur québécois. En 1805, un John Jones, ayant le titre de notaire mais n’en exerçant pas la profession, semble-t-il, acheta une maison rue de la Montagne, et il se peut que ce soit le même qui fût arrêté trois fois en 1810 pour « ivresse et nuisance ». En mars 1817, il était décédé. Un autre John Jones, neveu de l’encanteur, devint notaire en 1801 et exerça sa profession jusqu’en 1811 ; il est également possible que ce soit lui qui fût arrêté en 1810. Il vécut dans la basse ville, habitant quelque temps rue de la Montagne, et il spécula dans l’immobilier à Québec et dans plusieurs cantons, dont celui de Tring, où son oncle spéculait également. Après 1811, il devint marchand à Québec et prit la direction de l’entreprise John Jones Jr and Company. Il fut membre de la Société du feu de Québec et fit partie du conseil d’administration de la Banque de Québec. En 1816, il était devenu encanteur, toujours à la tête de l’entreprise John Jones Jr and Company, et possédait des entrepôts sur le quai de la Reine. Un autre John Jones, apparemment sans lien de parenté avec les précédents, arriva à Québec en 1783 et ouvrit une école rue Saint-Pierre. Il habita successivement rue du Sault-au-Matelot (1788), rue de la Montagne (1791) et rue du Parloir (1792) ; dix ans plus tard, il habitait le faubourg Saint-Louis dans une maison appelée Bandon Lodge. Il fit aussi de nombreuses transactions immobilières à Québec, où il possédait des maisons et des lots rue de la Montagne, rue Champlain et rue Saint-Louis, et il fit de la spéculation foncière dans les cantons. Il fut aussi membre de la Société du feu de Québec. Il semble avoir quitté la colonie en 1805 pour le pays de Galles, après avoir donné une procuration à son frère Joseph, encanteur licencié à Québec et associé de la firme Jones and White (Jones, White, and Melvin à partir de 1811). En 1810, John Jones, encanteur et député de la Basse-Ville de Québec, vit arriver à l’Assemblée un autre John Jones, député de Bedford. C’est ce dernier, semble-t-il, qui possédait le fief de Yamaska en 1788 ; quoi qu’il en soit, lui aussi fit de la spéculation foncière dans les cantons, notamment dans celui de Compton. Enfin, un John Jones de Québec fit partie du jury d’accusation qui, en juillet 1797, fit enquête sur les accusations de trahison portées contre David McLane*.
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En collaboration avec Marianna O’Gallagher, « JONES, JOHN (mort en 1818) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/jones_john_1818_5F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/jones_john_1818_5F.html |
Auteur de l'article: | En collaboration avec Marianna O’Gallagher |
Titre de l'article: | JONES, JOHN (mort en 1818) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 11 nov. 2024 |