LAMBERVILLE, JEAN DE, missionnaire jésuite chez les Onontagués, qui joua aussi un rôle de négociateur, né à Rouen le 27 décembre 1633, mort à Paris le 10 février 1714.
Lamberville étudia la littérature et la philosophie au collège des Jésuites de Rouen et, le 3 mars 1656, entra au noviciat de Paris, à l’âge de 23 ans. Il y enseigna la grammaire et les humanités et, en même temps, y termina ses études en théologie. Il vint en Nouvelle-France en 1669 et fut immédiatement affecté aux missions des Jésuites. Il y resta jusqu’à l’expulsion de tous les missionnaires de la confédération des Cinq-Nations en 1687, à la suite de la revendication des territoires par les autorités de New York.
Lamberville rencontra pour la première fois les Onontagués dans leur village à la mission de Saint-Jean-Baptiste. En 1672 et 1673, il émit l’opinion que seuls les Indiens d’un type supérieur pourraient un jour être convertis et que même dans ces cas-là il faudrait offrir de généreux cadeaux et employer la force, c’est-à-dire : « deux bras, l’un d’or et l’autre de fer ». Pourtant, deux ans après, il pouvait invoquer une certaine réussite, dont il était en partie redevable au chef converti Garakontié*, qui soutenait son œuvre d’évangélisation. Il commença aussi d’employer à bon escient les médicaments qu’on lui envoyait de France et devint particulièrement adroit dans la manière de faire les saignées et d’extraire les dents. Il assurait que, des 72 Indiens qu’il avait gagnés à la religion en un an, environ 40 étaient morts depuis.
En 1676, il baptisa quelques prisonniers, Indiens de la tribu des Loups, que les Iroquois torturaient avec cruauté, mais il ne put obtenir leur libération. Il fut lui-même plusieurs fois en danger, mais fit preuve d’un grand courage malgré les menaces de tortures, de coups et même de mort. D’après lui, c’était les « jongleurs » qui suscitaient l’animosité autour de lui, car l’autorité que leurs pratiques magiques leur conféraient se trouvait à présent sapée par la nouvelle religion et la nouvelle médecine. Lamberville obtint finalement d’être confronté avec ses adversaires les plus acharnés et les anciens de la tribu lui donnèrent le droit de catéchiser et de baptiser tous les prisonniers destinés au bûcher. À quelque temps de là, on lui amena deux captives pour qu’il les baptise avant qu’elles ne fussent brûlées à petit feu, puis dévorées par les Indiens. À cette époque, c’était surtout les grands malades qui acceptaient la nouvelle religion, de sorte qu’il restait peu de convertis : au cours de l’année, il baptisa sept adultes, dont aucun ne survécut et, sur les 45 enfants qui furent également baptisés, 40 moururent peu après avoir reçu ce sacrement. Ses adversaires n’eurent alors aucun mal à soutenir que le baptême provoquait la mort. Il faisait pourtant preuve d’un dévouement sans borne, et il lui arriva même de parcourir 20 lieues à pied pour aller baptiser un enfant à la demande des parents. Selon lui, c’était parce que les Indiens « sont Incapables de raisonner comme font Les Chinois et autres peuples policés » que leur évangélisation et leur francisation progressaient si lentement. C’était là un point de vue en complète contradiction avec les idées optimistes que l’on entretenait auparavant au sujet de « l’homme naturel ».
En 1677, Lamberville fut nommé supérieur des missions qui se trouvaient Parmi les Cinq-Nations, mais il fut en butte à l’hostilité et aux persécutions fomentées, en grande partie, par les commerçants hollandais et anglais. Ces derniers surtout prenaient ombrage de l’ascendant spirituel des Jésuites au sein des tribus iroquoises et ils craignaient la portée politique et les conséquences économiques que pouvait avoir une telle influence. Lamberville entretint toujours, avec ses voisins du Sud, des relations cordiales, mais de pure bienséance. Il lui arriva de renvoyer à son propriétaire, Jeremiah Van Rensselaer, un fusil et une boîte de poudre qui lui avaient été dérobés mais, dans la lettre d’envoi, il lui disait qu’un sentiment d’humanité l’empêchait de renvoyer à Albany l’esclave en rupture de ban, qu’il avait pris sous sa protection.
En 1677 et 1678, il baptisa 36 enfants et 23 adultes, dont seulement 12 survécurent aux épidémies qui ravagèrent les villages. La mort de Daniel Garakontié fut pour Lamberville une perte particulièrement cruelle : il assista le chef indien dans ses derniers moments, construisit son cercueil de ses propres mains et l’enterra en lui rendant les honneurs et en lui témoignant toute l’amitié dont il pouvait faire preuve au milieu d’une population hostile. Les Européens avaient non seulement augmenté la concurrence économique et les rivalités entre les différentes tribus, mais ils avaient aussi amené avec eux des maladies qui maintenant dégénéraient en épidémies.
À partir de 1682, à force de bonté et de patience, Jean de Lamberville parvint chaque année à enseigner le catéchisme à une cinquantaine d’enfants et à les baptiser, sans pouvoir, hélas ! arriver aux mêmes résultats avec les adultes. Mais si l’animosité qui s’était manifestée contre l’élément social et spirituel qu’il représentait persistait, il lui semblait qu’à son égard, les Iroquois entretenaient de meilleurs sentiments. En 1683, le supérieur des Jésuites, le père Beschefer, parlait de la « grande réputation » dont jouissaient Jean de Lamberville et son frère Jacques parmi les Onontagués et attribuait l’amélioration de leur situation à la sympathie et à la compréhension qu’ils montraient pour la culture iroquoise et à l’usage judicieux des médicaments envoyés par le maréchal de Bellefonds.
Dans ses lettres, Lamberville trace un tableau précieux et très vivant de la vie quotidienne des Onontagués. Il raconte les méfaits du trafic de l’eau-de-vie et donne un aperçu des moyens de persuasion et des pénitences auxquels les missionnaires avaient recours pour faire respecter l’ordre dans la communauté. Il a écrit qu’au cours d’une expédition contre les Illinois, les Iroquois dévorèrent 600 prisonniers, ce qui ne lui fit perdre ni la patience ni la sympathie qu’il avait toujours témoignées aux membres de la tribu auprès de laquelle il vivait et se dévouait.
Les représentants de l’autorité royale commencèrent à considérer Lamberville comme un ambassadeur influent et un habile négociateur. Cavelier* de La Salle se rendit chez les Onontagués pour lui demander conseil au sujet de la construction d’un fort à Cataracoui. Buade* de Frontenac vint ensuite inspecter ce nouveau fort, auquel on avait donné le nom de fort Frontenac (Kingston, Ont.), et profita de l’occasion pour faire lui-même un sermon aux Iroquois. Lamberville écrivit à son supérieur qu’il espérait que la force des exhortations du gouverneur, « animées de quantité de présens », inciterait à de nombreuses conversions.
Lamberville passa bientôt pour l’incarnation même de la paix, comme un grand médiateur en qui les Iroquois pouvaient avoir confiance, mais qui était trahi par les Français. Il pouvait difficilement expliquer aux Indiens les méandres de la politique française. Les Iroquois, à qui on avait fait croire qu’ils pouvaient arrêter tous les coureurs de bois non pourvus d’un congé en bonne et due forme, avaient pillé un convoi de fourrures appartenant à des Français. À la suite de cet incident, tout en faisant appel à Lamberville pour négocier les réparations que l’on exigeait habituellement en de telles circonstances, le gouverneur Le Febvre* de La Barre se prépara à l’attaque. Lamberville ne soupçonna nullement la duplicité du gouverneur, mais il le prévint à plusieurs reprises qu’il serait vain d’essayer de semer la division dans la confédération iroquoise. La malencontreuse expédition de La Barre, en 1684, avorta : la maladie avait rendu presque tous les hommes inaptes au combat et le gouverneur et ses troupes finirent par échouer sans ravitaillement, au milieu d’un marais pestilentiel, à la source du Saint-Laurent. La Barre dut accepter une conciliation humiliante et prier Lamberville de faire la paix en son nom. Le père lui fit de nouveau observer qu’il faudrait au moins 1 000 soldats pour conquérir par les armes les territoires iroquois. Il fut une des rares personnes de la colonie qui appuyèrent vigoureusement le gouverneur, lorsque celui-ci décida de pactiser avec les Iroquois,
Après le rappel de La Barre, son successeur, Brisay de Denonville, débarqua en Nouvelle-France avec l’ordre d’écraser les Iroquois et il s’engagea dans cette tâche à l’insu de Lamberville. Ses préparatifs comprenaient notamment la construction d’une flottille de bateaux plats pour le transport des troupes et de l’équipement, des fortifications autour de Montréal et l’emmagasinage d’armes et de munitions. En 1686, Lamberville se trouvait toujours, avec son frère, en territoire onontagué, malgré les insultes et les mauvais traitements dont ils étaient victimes. Au mois de septembre, Jean fut rappelé à Québec par Denonville et, à partir de cette époque, servit inconsciemment les desseins du gouverneur. Ce dernier lui remit de nombreux cadeaux pour les Indiens et le chargea d’inviter des représentants de la confédération à une assemblée au fort Frontenac, et fit mine d’accepter le point de vue conciliant de Lamberville. Denonville écrivit à ce sujet : « Ce pauvre Père ne sait pourtant rien de nos desseins. C’est un homme d’esprit [...] mais, si je le retirais cette année, sans doute qu’aussitôt l’orage tomberait sur nous, car ils s’assureraient de nos desseins par sa retraite. » Lamberville rassembla 40 chefs et parvint, avec peine, à les convaincre d’aller à Cataracoui au cours de l’été de 1687, pour y rencontrer le gouverneur. Entre-temps, Denonville, trahissant la confiance du missionnaire, rassembla une troupe importante à Cataracoui, s’empara des Iroquois qui étaient dans le voisinage et en envoya plus de 30 en France où ils furent mis aux galères en Méditerranée. Lamberville fut informé de ces méthodes belliqueuses par des envoyés anglais de passage à Onondaga, qui avaient été mis au courant par des gens de Montréal avec qui ils faisaient affaire. Ces Anglais insistèrent auprès de Lamberville pour qu’il vînt avec eux se réfugier en toute sécurité à New York, où le gouverneur Dongan, qui était catholique, s’arrangerait pour le faire passer en France sain et sauf. Selon eux il n’y avait pas d’autre issue, car lorsque les Iroquois apprendraient que les Français les avaient trahis, il était presque certain que le père de Lamberville serait massacré. Ce dernier refusa leur aide et, en compagnie de huit délégués iroquois, partit sur-le-champ pour Cataracoui afin de s’assurer de la véracité des faits qu’on lui avait exposés. Il rencontra en chemin plusieurs guerriers indiens qui s’étaient échappés du campement de Denonville. Le fait qu’au cours de cette randonnée Lamberville n’eut à souffrir aucun sévice montre bien l’estime que les Iroquois avaient pour lui. Ils le conduisirent, hors de danger, jusqu’aux abords du campement des Français. Lamberville ne put faire changer d’idée à Denonville, mais il obtint la libération de plusieurs prisonniers iroquois importants.
Pendant la campagne que Denonville mena contre les Tsonnontouans en 1687, Lamberville resta avec son frère au fort Frontenac, où il remplit la fonction d’aumônier de la garnison qui comptait environ 140 hommes, tous affaiblis par le scorbut. Son ministère s’étendait également aux soldats du fort Niagara, où il se rendait parfois. C’est au cours d’un de ces voyages que les Iroquois attaquèrent le bateau sur lequel se trouvait Lamberville et, pendant un combat qui dura trois quarts d’heure, il pria et en même temps poussa les hommes à combattre jusqu’à la mort plutôt que d’être capturés et torturés, puis, joignant le geste à la parole, fit lui-même le coup de feu. En décembre, on lui demanda encore une fois de négocier avec les Onontagués, ce qu’il accepta volontiers, bien qu’il souffrît déjà du scorbut. Il fit cadeau aux chefs indiens de deux colliers, un pour les inciter à bien traiter les prisonniers français et l’autre pour atténuer l’infamie de la campagne contre les Tsonnontouans, mais aussi avec l’intention de disloquer l’alliance des Cinq-Nations. Ces témoignages d’amitié furent plus tard offerts au gouverneur Dongan, qui réussit à raviver la haine des Iroquois contre les Français. Dongan exigea la libération de tous les Iroquois qui avaient été envoyés aux galères, l’abandon des réserves indiennes, le démantèlement des forts de Cataracoui et de Niagara et la remise du butin saisi chez les Tsonnontouans.
Pendant le voyage de retour à Cataracoui, Lamberville était tellement affaibli par le scorbut qu’on dut le transporter en traîneau, plus mort que vif, jusqu’à Montréal où il arriva en février 1688 ; pendant deux ans et demi, il souffrit autant des soins qu’on lui prodigua pour tenter de le guérir que de la maladie elle-même. Il trouva au moins une consolation dans le fait que, ayant contracté la maladie au service de l’armée, il était à la charge de l’État qui, pendant sa maladie, paya ses dépenses et rétribua ceux qui le soignèrent.
Denonville demanda de nouveau à Lamberville, au début de 1688, de s’assurer, pour le moins, de la neutralité des Onontagués dans la guerre imminente contre les Iroquois. Lamberville était lui-même trop malade pour se rendre à Onondaga. Il confia donc cette tâche à l’un des Iroquois qui avaient escorté une mission envoyée par le gouverneur Dongan, et lui remit un message de conciliation. Finalement, une délégation conduite par La Grande Gueule [Otreouti*] vint à Montréal, en juin 1688, où elle fit la trêve avec Denonville, grâce aux efforts de Lamberville qui, malgré ses terribles souffrances, s’était littéralement traîné jusqu’au lieu de la réunion. À cette occasion, Lamberville réussit à modifier toutes les conditions établies par Dongan, sauf le démantèlement du fort Niagara. Le 6 novembre 1688, Denonville, dans une lettre au marquis de Seignelay en France, notera avec juste raison que Lamberville avait « détourné l’orage qui nous menaçait » et fait allusion à la « manière [avec laquelle] il gouverne les esprits de ces sauvages, qui ont plus d’habileté qu’on ne se peut imaginer. » Au mois d’août 1688, une délégation d’Iroquois revint pour demander des conditions définitives de paix. Le chef huron Kondiaronk lui tendit un guet-apens, tua certains de ses membres et dit aux survivants qu’il les avait assaillis sur l’ordre du gouverneur. Pour se venger les Iroquois lancèrent des attaques dans toute la colonie et particulièrement à Lachine, les 4 et 5 août 1689. L’œuvre de Lamberville se trouvait ainsi anéantie.
Son supérieur, voyant sa santé précaire et la cruelle déception qu’il éprouvait à son âge avancé, l’envoya en France, comme procureur de la mission canadienne. Avec le retour de Frontenac en Nouvelle-France et les expéditions en territoire anglais, la diplomatie de Lamberville devenait inutile. Il confia un jour à un ami son désir de « finir le peu de jours qui me restent dans nostre cher Canada » ; les Onontagués demandèrent qu’il revienne dans leurs villages. Leur souhait ne fut jamais exaucé et Lamberville mourut à Paris le 10 février 1714, à l’âge de 81 ans.
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C. J. Jaenen, « LAMBERVILLE, JEAN DE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 9 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/lamberville_jean_de_2F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/lamberville_jean_de_2F.html |
Auteur de l'article: | C. J. Jaenen |
Titre de l'article: | LAMBERVILLE, JEAN DE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1969 |
Année de la révision: | 1991 |
Date de consultation: | 9 déc. 2024 |