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MOODY, RICHARD CLEMENT, soldat, administrateur colonial et fonctionnaire, né le 13 février 1813 à St Ann’s Garrison, Barbades, Antilles, second fils de Thomas Moody, du génie royal ; en 1852, il épousa à Newcastle upon Tyne, Angleterre, Mary Susannah, fille de Joseph Hawks, juge de paix et banquier, et ils eurent 11 enfants ; décédé le 31 mars 1887 à Bournemouth, Angleterre.
Le père de Richard Clement Moody, qui avait été secrétaire privé de plusieurs hauts fonctionnaires des Antilles, fut détaché auprès du ministère des Colonies en 1824, à cause de sa connaissance des îles. Richard Clement fit ses études en Angleterre, sous la direction d’un précepteur et dans des écoles privées. Il entra à l’âge de 14 ans à la Royal Military Academy de Woolwich (maintenant partie de Londres) et en sortit en décembre 1829 pour recevoir la formation de l’Ordnance Survey de Grande-Bretagne. Nommé lieutenant en second dans le génie royal, le 5 novembre 1830, il fut affecté à l’Ordnance Survey d’Irlande en 1832. L’année suivante, il fut envoyé à Saint-Vincent, Antilles (il fut promu lieutenant en premier le 23 janvier 1835), et, de juillet 1838 à octobre 1841, il enseigna l’art des fortifications à Woolwich. C’est entre ces deux affectations qu’il contracta deux des maladies graves qui devaient marquer sa carrière militaire.
En 1841, Moody devint lieutenant-gouverneur des îles Falkland, région considérée comme ayant une certaine importance à cause de l’intérêt que suscitait l’Antarctique. Son rapport sur la topographie des îles lui valut des félicitations, et il fut nommé en 1843 premier gouverneur et commandant en chef des îles et de leurs dépendances. Le gouvernement britannique n’étant pas prêt à y engager des fonds, Moody fit appel à la petite garnison des îles pour ériger des bâtiments. Il gouvernait avec l’aide d’un conseil exécutif et d’un conseil législatif. Bien qu’attachés à lui, les colons trouvaient qu’il ne faisait pas grand-chose pour mettre les îles en valeur : il ne procéda pas à l’arpentage des terres et n’établit aucun régime foncier.
De retour en Angleterre, Moody fut promu capitaine en premier, en août 1849. Détaché quelque temps, en mission spéciale, au ministère des Colonies, il rejoignit ensuite le génie royal, en novembre. Après avoir occupé le poste de commandant de Newcastle upon Tyne, il servit à l’île de Malte, où il obtint le grade de lieutenant-colonel en janvier 1855. Il se distingua quelque peu à titre de commandant du génie royal à Edimbourg et ses dons de dessinateur, dont témoigne un plan de restauration du château d’Édimbourg, attirèrent l’attention du ministre de la Guerre ; il fut promu colonel honoraire, le 28 avril 1858.
Quelques mois plus tard, le 23 août, le colonel Moody accepta le poste de commissaire principal des Terres et des Travaux publics et de lieutenant-gouverneur de la Colombie-Britannique, au salaire annuel de £1 200. Le ministère de la Guerre le nomma aussi commandant du British Columbia Detachment, une unité du génie royal qui allait être envoyée dans la nouvelle colonie créée par un acte du parlement le 2 août.
Sir Edward Bulwer-Lytton, ministre des Colonies, avait choisi le génie royal à cause de sa « discipline et de son intelligence supérieures ». Alarmé par la menace de la mainmise américaine sur les sables aurifères du fleuve Fraser et sachant que la côte n’était protégée que par une petite unité du génie royal, qui procédait à l’arpentage des terres bordant la frontière, et par les troupes de marine du Plumper et du Satellite, qui effectuaient les levés hydrographiques des eaux frontalières, Bulwer-Lytton alla au-devant de la demande d’aide envoyée par le gouverneur de l’Île-de-Vancouver, James Douglas*. Le ministère des Colonies demanda au ministère de la Guerre de recommander un officier supérieur qui assurerait le commandement d’un corps de 150 (par la suite 172) sapeurs et mineurs ; il voulait « un homme au jugement sûr, ayant une bonne connaissance des hommes ». Le ministère de la Guerre porta son choix sur Moody ; vu qu’il s’agissait d’un poste à la fois militaire et civil, ses bons états de service dans l’armée, son expérience en tant que gouverneur colonial ainsi que la réputation de son père jouèrent en sa faveur. Moody était nommé pour un an, à compter de son arrivée dans la colonie, avec possibilité de prolongation s’il faisait part d’une telle nécessité au gouvernement britannique. Moody et Douglas, qui prêta serment en tant que gouverneur de la Colombie-Britannique en novembre 1858, furent tous deux avisés que le gouvernement impérial ne paierait que le salaire du gouverneur, que la colonie devrait se suffire à elle-même et que le coût du maintien de l’unité du génie royal devrait être couvert par la vente de terrains.
L’unité que commandait Moody comptait trois capitaines (Robert Mann Parsons, John Marshall Grant et Henry Reynolds Luard), deux lieutenants et un chirurgien. Il prit comme officier d’intendance le capitaine William Driscoll Gosset, membre du génie royal à la retraite, qui avait obtenu un poste de trésorier dans la fonction publique. Gosset se révéla aussi incapable que Moody de tenir un compte de dépenses et causa d’énormes difficultés à Douglas par sa mauvaise administration du bureau d’essai des métaux précieux. Les hommes du British Columbia Detachment recevaient de la colonie une solde qui allait de 1 à 5 shillings par jour, ce qui était supérieur aux 3 shillings accordés aux Royal Marines qui vinrent s’ajouter aux hommes de Moody en 1859. Les sapeurs et les mineurs se virent aussi promettre une concession de 30 acres de terre au bout de six ans de service ininterrompu. En 1862, le coût du maintien du génie royal en Colombie-Britannique atteignait £22 325.
On savait si peu de chose à Londres de cette colonie éloignée que les tâches assignées à l’unité étaient légion. On demanda par exemple à Moody, qui ne devait pas perdre de vue les considérations militaires, de choisir, avec l’approbation du gouverneur, l’emplacement d’une capitale et d’une ville maritime où on pourrait percevoir les droits de douane. Il devait aussi choisir comme sites des futures villes des endroits offrant un intérêt stratégique. Le génie royal devait exécuter des travaux publics – il avait été envoyé, déclara Bulwer-Lytton, pour une mission scientifique et pratique et « non pas seulement à des fins militaires ». En plus d’effectuer l’arpentage des villes et des campagnes, de dresser les plans et de surveiller la construction des routes, il avait la tâche d’inspecter les ports. Moody devait envoyer des rapports sur les richesses minières, les pêcheries et autres ressources de la colonie. L’importante tâche de la police était exclue de ses fonctions, mais le colonel Moody ne tarda pas à s’y intéresser de son propre chef.
Au ministère des Colonies, on craignait quelque peu que Moody ne témoignât pas suffisamment de respect à l’égard de Douglas, l’habile gouverneur de l’Île-de-Vancouver, qui avait passé sa vie dans le commerce des fourrures. Bulwer-Lytton rencontra plusieurs fois Moody afin de bien lui faire comprendre l’autorité dont jouissait Douglas et il lui donna des instructions détaillées par écrit. Des fonctionnaires du ministère des Colonies admirent par la suite que les fonctions de Moody n’avaient pas été bien définies. On peut aussi penser, d’après la façon dont il agit ensuite, que Moody exagéra la teneur d’une lettre de Herman Merivale, sous-ministre des Colonies, qui parlait du caractère « spécial » de sa fonction et lui promettait que son action serait libre de toute ingérence, « sauf en cas de nécessité absolue ». Des années plus tard, Moody imputa ses difficultés au fait qu’il s’était retrouvé dans « une situation fausse, non parce qu’[il] l’avai[t] cherché, mais sur les instances pressantes du ministre ».
Deux groupes du génie royal arrivèrent à Victoria en octobre et novembre 1858. Le gros de la troupe atteignit la colonie le 12 avril 1859, deux mois après que 139 membres des Royal Marines furent arrivés de la station de Chine. Moody, sa femme et leurs quatre enfants avaient quitté Liverpool le 30 octobre 1858, puis emprunté le canal de Panama ; ils débarquèrent à Victoria le 25 décembre. Durant le voyage, ils avaient fait la connaissance de jeunes gens de leur rang qui partaient à l’aventure, à la recherche d’or ou d’un emploi. Ils arrivèrent donc déjà dotés d’un cercle d’amis dont la fréquentation les éloigna de Douglas. Deux jours plus tard, Moody envoya la première des nombreuses lettres personnelles qu’il fera parvenir au ministère des Colonies. Il avait, selon lui, complètement désarmé « toute jalousie » de la part de Douglas. « Je lui ai assuré que je comprends bien mes instructions, que je suis entièrement à ses ordres et qu’il pourra compter sur mon appui loyal. » Les fonctionnaires du ministère des Colonies allaient voir d’un œil sévère ces lettres de Moody, qu’ils considéraient comme une « pratique répréhensible et déloyale », leur devoir étant « de veiller à ce que personne ne se trouv[ât] à avoir l’avantage sur le gouverneur d’une colonie ».
Le 4 janvier 1859, Moody prêta serment à titre de commissaire principal des Terres et des Travaux publics et comme lieutenant-gouverneur de la Colombie-Britannique. Douglas comptait le nommer au conseil exécutif dont il avait l’intention de doter la colonie, mais il apprit en avril que la commission de Moody le nommant lieutenant-gouverneur était un mandat en blanc, qui ne prenait effet « qu’en cas de décès ou d’absence du gouverneur ». Son propre mandat lui conférant de vastes pouvoirs, Douglas décida de remettre à plus tard la mise sur pied d’un conseil et de gouverner par voie de proclamations. Moody s’offensa d’être ainsi exclu du processus législatif, alors qu’il avait le pouvoir de gouverner durant les absences fréquentes du gouverneur de la colonie de l’or, mais il s’inclina devant la volonté de ce dernier et renonça à assumer ces fonctions en son absence.
Avant de quitter l’Angleterre, Moody en était venu à la conclusion, d’après des cartes, que la hauteur de la rive nord du Fraser présentait un intérêt stratégique et qu’il fallait établir des réserves militaires près de l’embouchure. Douglas lui avait parlé d’un endroit, au nord de l’île Annacis, qui conviendrait probablement à l’établissement du port de mer. Alors que Moody remontait le Fraser au début du mois de janvier 1859, son attention fut retenue par un emplacement des environs qui lui sembla un endroit idéal pour la capitale. Mais en arrivant au fort Langley (Fort Langley), le 6 janvier, il apprit que des troubles étaient survenus parmi les mineurs de Hills Bar. Avec une « promptitude admirable », selon les mots de Douglas, Moody partit sur-le-champ pour Yale, accompagné du juge Matthew Baillie Begbie*, lieutenant de vaisseau sur le Plumper, et des 22 soldats de son avant-garde, qui se trouvaient déjà au fort Langley. Arrivé à Yale, Moody se rendit sans armes au camp des mineurs, qui le saluèrent. Sachant que Moody était appuyé par des troupes, le célèbre hors-la-loi californien Ned McGowan se rendit ; il fut jugé par Begbie et condamné à une amende. L’ordre revint. « Après avoir gagné les honneurs, il ne reste plus qu’à payer la note pas mal salée de $10 000 », devait écrire Amor De Cosmos* dans le British Colonist. « La Colombie-Britannique doit être fière de sa première guerre, [dont elle se tire] à si peu de frais, tout ça pour rien. » Moody avait augmenté le coût de la guerre en faisant venir du fort Langley à Hope 30 membres des Royal Marines du Plumper, ainsi que deux pièces d’artillerie.
Le Plumper, envoyé à l’aide au fort Langley, prit Moody à son bord afin de poursuivre l’exploration des abords du fleuve. Douglas avait demandé à Joseph Despard Pemberton, l’arpenteur colonial de l’Île-de-Vancouver, de faire l’arpentage d’un village projeté de 900 acres, appelé Derby, à proximité de la réserve que la Hudson’s Bay Company possédait au fort Langley, sur la rive sud du Fraser. La vente de lots aux enchères à Victoria, le 25 novembre 1858, avait rapporté la somme de £13 000. On pensait généralement que ce serait la capitale de la colonie, mais Moody vit tout de suite que Derby était trop proche de la frontière américaine. En descendant le fleuve, il estima que l’emplacement qu’il avait remarqué plus tôt, sur la rive nord, « ferait le bonheur d’un militaire » et convenait à la fois à l’établissement d’une capitale et d’un port. Il le recommanda donc à Douglas le 28 janvier, « avec tout le respect dû à [son] chef ».
Le 1er février, le gouverneur ordonna de procéder immédiatement à l’arpentage et, le 4 février, il faisait parvenir au ministère des Colonies le rapport de Moody, accompagné de son approbation ; le lendemain, il demanda à la reine Victoria de choisir un nom pour l’emplacement que les hommes du génie royal avaient baptisé Queenborough. Le 14 février, Douglas annonça par proclamation que la capitale serait édifiée à cet endroit et avertit ceux qui avaient acheté des lots près du fort Langley qu’ils pourraient les restituer et se servir de l’argent pour en acheter d’autres dans la future capitale. Le 17 février, il approuva le projet de construction d’une résidence destinée au lieutenant-gouverneur, de casernes, d’une petite église, de bureaux et d’un bureau de douane. On peut dire, rétrospectivement, qu’il agit avec promptitude, mais les Moody le traitèrent de « lambin » pour ne pas avoir fait plus tôt cette proclamation. À Londres, Merivale apprit avec soulagement qu’on était arrivé à une entente sur l’emplacement de la capitale, mais à partir de ce moment-là les relations entre Douglas et Moody furent rarement harmonieuses.
L’endroit choisi par Moody se trouvait sur un versant escarpé, recouvert d’une épaisse forêt de cèdres, de sapins, d’épinettes et de pruches. Le sous-bois était impénétrable. Pemberton trouvait l’endroit trop boisé, trop élevé et trop cher à aménager ; c’était peut-être une place imprenable – d’ailleurs, « si [...] cela en rend[ait] l’accès impossible pour les navires marchands du Pacifique et pour le commerce du Puget Sound, quel intérêt un ennemi aurait-il à l’attaquer ? » Il fallut trois mois aux hommes du génie, aidés de membres des Royal Marines et de civils, pour abattre les arbres et transformer le versant en « champ de souches impérial ». Les rues n’étaient pas encore tout à fait tracées au moment de la vente des lots, qui rapporta la somme de £89 170. Pendant ce temps, à un mille de là, à « Sapperton » le camp du génie royal prenait forme, avec la construction d’une caserne, d’un corps de garde et d’une prison, de magasins et d’une poudrière.
Moody avait reçu l’ordre en Angleterre de ne pas faire appel à des arpenteurs civils, mais il le fit quand même, jusqu’à ce que le gouverneur, irrité par le coût et par les méthodes utilisées, les congédiât, le 27 juin. En août, lorsque la réquisition de dépenses de Moody atteignit les £25 000, on retira les membres des Royal Marines. « Il n’a le droit d’employer personne, écrivit Mme Moody dans une lettre à sa mère. En fait, il n’a plus maintenant aucun civil à ses ordres, et il suffit qu’il parle en bien de qui que ce soit au gouverneur pour que celui-ci décide d’agir dans le sens opposé ! »
Le 22 juillet 1859, Douglas proclama que la ville s’appellerait New Westminster, nom choisi par la reine. Il en fit un port d’entrée et établit des droits de douane. Les marchands qui étaient déjà arrivés s’affligeaient autant que lui de la lenteur des travaux. « On ne saurait trop déconseiller des plans établis à la va-vite dans un domaine aussi important que l’aménagement de la capitale d’un pays », devait déclarer Moody au gouverneur, en décembre. « Je vous conseillerais de laisser la colonie se développer et s’enrichir avant que nous puissions entreprendre des travaux somptueux, lui répondit Douglas ; on ne peut faire avec une ville qui vient juste d’être mise en chantier et n’est pas encore sortie de la forêt vierge la même chose qu’avec une grande ville qui existe depuis des siècles. »
Au cours de la première année que Moody passa dans la colonie, il y eut peu de progrès du point de vue de la construction de routes et de l’arpentage de l’arrière-pays, qui constituaient les priorités de Douglas. Les mineurs affluaient à l’intérieur, et il devenait urgent d’améliorer les moyens de communication. En mai et juin 1859, le génie royal avait arpenté et amélioré la piste de 123 milles allant de Harrison à Lillooet, que Douglas avait ouverte avec l’aide de travailleurs volontaires au cours de l’hiver de 1858–1859. Mais un certain nombre de ceux-ci durent abandonner les travaux visant à transformer la piste en chemin carrossable, car on les envoya refaire l’arpentage de Port Douglas (Douglas), de Yale et de Hope. Une piste de six milles de long avait été construite, à un coût de £60 à £70 le mille, pour relier, à des fins militaires, New Westminster à l’inlet Burrard (la North Road), et on avait procédé à la reconnaissance d’une route entre Hope et Lytton. Le Times de Londres écrivait le 30 janvier 1860 : « On ne peut demander à des soldats d’exécuter ce genre de travail. Leurs impedimenta, le coût élevé des provisions de bouche et du transport, la perte de temps que représentent les exercices ainsi que l’entraînement, le récurage et le nettoyage [des bagages et des véhicules], tout cela en fait la main-d’œuvre la plus coûteuse. » Les commerçants de New Westminster affirmaient que le manque de routes réduisait leurs chances d’approvisionner les mines. Ils réclamaient l’accélération des travaux publics ainsi que le droit d’avoir leur mot à dire dans le gouvernement. Douglas céda en partie à leurs demandes, le 16 juillet 1860, en permettant l’avènement d’un gouvernement local autonome par l’érection de la ville en municipalité ; il se déchargeait ainsi du coût des travaux municipaux sur le dos des citoyens. L’augmentation des taxes suscita des plaintes, les gens accusant Douglas d’entraver le développement de la ville comme centre commercial.
Au printemps de 1861, les habitants de New Westminster préparèrent un mémoire à l’intention du duc de Newcastle, alors ministre des Colonies, dans lequel ils se plaignaient de l’argent « dépensé à tort et à travers », des contrats de route accordés sans avis public, des terres publiques mal administrées et des réserves gouvernementales mises de côté pour les fonctionnaires du gouvernement. Irrité par ces accusations, Douglas demanda à Moody, commissaire principal des Terres et des Travaux publics, de lui rapporter tous les cas de fonctionnaires qui avaient acquis des terres autrement qu’aux enchères ou qui avaient obtenu un droit de préemption. Les registres révélèrent que Moody et ses associés avaient eux-mêmes acquis des terres, et on obtint davantage de détails par la voie des journaux. Le British Colonist avait rapporté, le 4 octobre 1860, que Moody avait mis un papier sur un arbre à Red Earth Fork (Princeton) pour avoir droit de préemption sur une terre de 200 acres, et le British Columbian de New Westminster publia, en février 1861, une lettre signée Un agriculteur et accusant Moody de s’accaparer des terres. Finalement, le 29 août 1861, Moody annonça son intention de vendre ses terres à la campagne à de vrais colons ; mais il conservait un vaste lot, acheté en 1859 avec la permission de Douglas, dans la banlieue de New Westminster, et dont il fit par la suite sa ferme modèle, Mayfield. En 1873, il possédait encore 3 049 acres de terre. Dans une lettre adressée à Douglas en juin 1861, il avait tenté de jeter le blâme de toute irrégularité qui serait intervenue dans la cession des terres de la couronne sur les magistrats de district, qui étaient chargés de « toutes les questions touchant les terres non arpentées, c’est-à-dire sujettes à préemption ». Et à l’accusation selon laquelle le génie royal aurait agi de façon « décousue » dans l’arpentage des terres, il répondit que cela était dû au fait qu’on l’avait trop souvent requis pour d’autres tâches.
Le gouverneur pensait que la Colombie-Britannique ne pourrait jamais grandir ou devenir prospère sans un réseau routier ; il fallait absolument que l’on fournisse des vivres aux mineurs autrement qu’à des prix inabordables. C’est donc sur son incitation que les officiers consacrèrent le gros de leurs efforts à la construction d’un réseau routier. Le capitaine John Marshall Grant termina la route Douglas-Lillooet en 1860, et, en 1861, il construisit un tronçon de 25 milles du chemin carrossable reliant Hope aux mines d’or de la rivière Similkameen et de Rock Creek. On procéda à l’arpentage de la route Yale-Lytton, le long du Fraser, en 1861 et, en 1862, Douglas ordonna la mise en branle de son projet, à savoir la construction d’une route carrossable de 400 milles entre Yale et la région de Cariboo. C’est lui qui avait eu l’idée de la Great North Road. En octobre 1861, on avait demandé à Moody de faire un plan, mais il avait refusé en donnant pour raison qu’il ne connaissait pas bien la région. Douglas lui adressa une réponse cinglante, dans laquelle il le blâmait de ne pas avoir cherché à mieux connaître l’intérieur de la colonie. En mars 1862, Moody présenta un plan pour la construction de deux routes qui s’ajouteraient à la voie routière du Fraser. Mais le gouverneur n’avait « aucun désir d’encourager ces projets » et, en mai 1862, le capitaine Grant entreprit, sous ses ordres, avec une équipe de 53 sapeurs, la construction de la Great North Road. Ils percèrent à même la paroi de roche solide le premier tronçon de six milles, qui partait de Yale vers le nord. Puis ils construisirent un tronçon tout aussi difficile de neuf milles, longeant la rivière Thompson à partir de Spence’s Bridge. Pour le reste, la plus grande partie des travaux fut confiée par contrat à des entrepreneurs civils, payés en obligations ou en espèces, ou à qui on donna le droit de percevoir un péage. Trois officiers, les capitaines Grant et Luard et le lieutenant Henry Spencer Palmer, jouèrent un rôle inestimable, soit dans la construction d’une partie de la route, soit dans la surveillance des travaux effectués par les entrepreneurs. Et, en octobre 1863, à Yale, le corps du génie royal dirigea la cérémonie d’inauguration de la voie routière.
Mais l’intérêt de Moody portait avant tout sur les projets militaires et non sur les routes. Lorsque la querelle à propos de l’île San Juan atteignit son point culminant en 1859, lors de l’occupation militaire de l’île, à la fois par les Britanniques et par les Américains, le souci majeur de Moody fut la défense de New Westminster, qui bénéficiait de « très bons moyens de communication par eau, ainsi que vers l’intérieur, par les futurs grands réseaux de chemin de fer ». Le gouvernement impérial n’était pas d’accord avec l’établissement d’un poste frontière militaire sur la rive sud du Fraser, en face de New Westminster, mais il approuva le choix de réserves navales sur l’inlet Burrard. Moody fit construire une route reliant New Westminster à Port Moody et à l’inlet Burrard, site de la future ville de Vancouver.
Sous la direction de Moody, le génie royal installa à New Westminster le premier observatoire de la colonie, publia la Government Gazette, for the Colonies of Vancouver Island and British Columbia, ainsi que des cartes établies à partir de reconnaissances du terrain et de levés topographiques ; il construisit aussi les premières églises et dessina le premier timbre-poste et les armoiries de la colonie. Il avait un grand sens civique : il aida à fonder l’hôpital et à mettre sur pied l’exposition industrielle de New Westminster, et sa bibliothèque servit de base à la bibliothèque publique de la ville. Malgré le fait qu’il était plutôt malingre et que le surmenage l’avait « vieilli et rendu tout gris », les habitants de New Westminster le trouvaient sympathique et même enjoué, « gai luron », selon sa femme. John Robson*, l’impétueux directeur du British Columbian, était sous son charme et voulait qu’il devienne gouverneur de la Colombie-Britannique.
Le ministère des Colonies se rendit compte dès janvier 1860 que cela avait été une erreur de confier une fonction civile à Moody, de même que d’envoyer le corps du génie royal : « l’emploi des hommes du génie comme arpenteurs n’est ni économique ni adapté à un pays où ce qui compte avant tout, c’est la rapidité dans le travail ». Le différend relatif à San Juan leur évita d’être rappelés, et Newcastle remit sa décision à son retour d’un voyage au Canada, où il avait accompagné le prince de Galles. Les preuves de l’inaptitude de Moody s’accumulaient : ses « méthodes inadéquates de concéder des terres publiques », sa manie d’envoyer des lettres et ses extravagances. Fidèle à son habitude, Douglas minimisait ses difficultés. Il informa le ministère des Colonies que lui et Moody étaient « en très bons termes et [avaient] des rapports francs et amicaux », et il vantait Moody pour « sa gentillesse, son esprit conciliant et ses bonnes manières ». Mais, dès 1862, il se rendit compte que Moody était en train de nuire à sa propre réputation et il en vint à perdre patience. Il était désormais obligé, comme il le fit savoir à Newcastle, de donner les instructions les plus précises en matière de finances et d’administration. Lorsque les autorités impériales demandèrent à la colonie d’assumer la moitié de tous les frais d’entretien du corps du génie royal, Douglas répondit au ministère des Colonies qu’il s’agissait là d’un « ornement coûteux », qui représentait pour la Colombie-Britannique ce que « le vieux marin était pour Sindbād », c’est-à-dire un objet encombrant.
Voyant que Moody n’avait pas demandé une prolongation de mandat et que la colonie ne pouvait pas payer les frais d’entretien des soldats du génie royal, Newcastle décida de rappeler le corps, en avril 1863. La population de mineurs de la région de Cariboo atteignant 4 000 personnes, le moment était mal choisi pour retirer le commissaire principal des Terres et des Travaux publics, mais on ne pouvait pas laisser Moody en Colombie-Britannique « sans autre chose qu’un emploi civil subalterne ». Douglas espérait retenir les services du capitaine Luard, mais Moody fit savoir au ministère des Colonies que Luard n’avait pas les capacités voulues pour lui succéder au poste de commissaire. On nomma à sa place Chartres Brew*.
Le 6 novembre, les gens de New Westminster se réunirent pour un dîner d’adieu donné en l’honneur du colonel Moody et de ses officiers. Les Moody et leurs sept enfants quittèrent la colonie, accompagnés de 22 officiers et soldats, de huit femmes et de 17 enfants. Ils laissaient derrière eux 130 sapeurs et mineurs, qui avaient choisi de rester.
Moody fut nommé colonel de régiment le 8 décembre et, en mars 1864, il reçut le commandement du corps du génie royal du district de Chatham, en Angleterre. Promu major général le 25 janvier 1866, il quitta l’armée avec pleine solde. Il vécut une retraite tranquille à Lyme Regis, dans le comté de Dorset, espérant toujours retourner en Colombie-Britannique, jusqu’à ce qu’il fût emporté par une attaque d’apoplexie au cours d’un voyage à Bournemouth.
Le Daily British Colonist n’était pas loin de la vérité lorsqu’il écrivit en mars 1863 que le corps du génie royal avait été une entrave pour le pouvoir exécutif. Si Moody avait été plus disposé à reconnaître les talents de Douglas, son expérience et sa connaissance du pays, le gouverneur l’aurait consulté plus souvent et aurait agi de façon moins arbitraire. Il se servit de la réputation de son père au ministère des Colonies pour abuser de la confiance de Douglas, et ses plaintes constantes finirent par lasser Newcastle, qui décida non seulement de licencier le British Columbia Detachment, mais également de relever prématurément Douglas de ses fonctions de gouverneur.
Richard Clement Moody est l’auteur de « First impressions letter [...] to Arthur Blackwood, February 1, 1859 », W. E. Ireland, édit., BCHQ, 15 (1951) : 85–107.
PABC, Add. mss 60 ; B.C., Colonial secretary, Corr. outward, janv. 1859–sept. 1863 ; B.C., Dept. of Lands and Works, Corr., 1859–1863 ; B.C., Royal Engineers, Corr outward, 1859–1863 ; Colonial corr., R. C. Moody corr. ; Crease coll., Moody corr.— PRO, CO 60/3–17.— G.-B., Parl., Command paper, 1859 (1re session), XVII, [2 476] : 15–108, British Columbia : papers relative to the affairs of British Columbia, part i ; 1859 (2e session), XXII, [2 578] : 297–408, British Columbia : papers relative to the affairs of British Columbia, part ii.— [M. S. Moody], « Mrs Moody’s first impressions of British Columbia », Jacqueline Gresko, édit., British Columbia Hist. News (Victoria), 11 (1977–1978), nos 3–4 : 6–9.— British Columbian, 1861–1863.— Daily British Colonist, 1858–1863.— Times (Londres), 6 avril 1887.— Victoria Gazette, 1859–1860.— DNB.— M. C. L. Cope, « Colonel Moody and the Royal Engineers in British Columbia » (thèse de m.a., Univ. of British Columbia, Vancouver, 1940).— F. W. Howay, The work of the Royal Engineers in British Columbia, 1858 to 1863 [...] (Victoria, 1910).— Dorothy Blakey Smith, « The first capital of British Columbia : Langley or New Westminster ? », BCHQ, 21 (1957–1958) : 15–50.— K. S. Weeks, « The Royal Engineers, Columbia detachment – their work in helping to establish British Columbia », Canadian Geographical Journal (Montréal), 27 (juill.–déc. 1943) : 30–45.— Madge Wolfenden, « Pathfinders and roadbuilders : Richard Clement Moody, R.E. », British Columbia Public Works : Journal of the Department of Public Works (Victoria), avril 1938 : 3s.— F. M. Woodward, « The influence of the Royal Engineers on the development of British Columbia », BC Studies, 24 (hiver 1974–1975) : 3–51 ; « Very dear soldiers » or « very dear laborers » : the Royal Engineers in British Columbia, April 1860 », British Columbia Hist. News, 12 (1978–1979), no 1 : 8–15.
Margaret A. Ormsby, « MOODY, RICHARD CLEMENT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/moody_richard_clement_11F.html.
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Auteur de l'article: | Margaret A. Ormsby |
Titre de l'article: | MOODY, RICHARD CLEMENT |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1982 |
Année de la révision: | 1982 |
Date de consultation: | 11 déc. 2024 |