SHEHYN (Sheehy), JOSEPH, homme d’affaires et homme politique, né le 9 novembre 1829 à Québec, fils d’Edmond Sheehy (aussi connu sous le nom d’Edward Shehyn), scieur de long d’origine irlandaise, et de Marie (Flavie) Parent, de Québec ; le 16 août 1858, il épousa à Notre-Dame de Québec Virginie Verret (décédée le 16 juillet 1892), et ils eurent 13 enfants, dont 6 atteignirent l’âge adulte, puis le 22 septembre 1902, à Saint-Jacques de Montréal, Joséphine Béliveau (décédée le 23 mai 1941), et le couple eut un fils ; décédé le 14 juillet 1918 à Québec.
Fils d’un immigrant irlandais, artisan dans l’industrie du bois, Joseph Shehyn se retrouve très jeune orphelin de mère. Il est alors pris en charge par la famille de son oncle maternel, François Huot, dit Saint-Laurent. Il entre vers l’âge de 15 ans au service de la A. Laurie and Company de Québec, commerçants en gros de nouveautés, en particulier de textiles et de vêtements. Il y fait l’apprentissage des affaires jusqu’en 1855, moment où il est admis dans la firme comme associé, en compagnie de John McCall fils. Il se joint alors à Archibald Laurie, de Québec, à son frère James Laurie, de Glasgow, et à John Stirling, de Montréal. Le décès de James Laurie en 1857 puis la retraite de son frère Archibald en 1861 amènent la dissolution de la société le 28 février 1861. John Stirling continue de gérer la firme montréalaise, sous la désignation de Stirling, McCall and Company, tandis que Shehyn et McCall, qui n’ont pas 35 ans, poursuivent les affaires à Québec, à partir du 1er mars 1861, sous la raison sociale de McCall, Shehyn and Company. McCall agit comme acheteur, notamment aux États-Unis mais surtout en Angleterre, où il semble s’établir vers 1867, et laisse à Shehyn la conduite des affaires à Québec. De simple commis, Shehyn réussit donc à devenir le principal gestionnaire de la firme.
Située depuis 1861 rue Saint-Pierre, dans la basse ville commerciale de Québec, la McCall, Shehyn and Company semble s’établir solidement au cours des années 1870 : son chiffre d’affaires passe de 250 000 $ à 300 000 $ en 1871, puis atteint les 500 000 $ en 1874. Par la suite, la firme paraît connaître la stabilité. Elle approvisionne de nombreux marchands généraux, qu’ils soient de Portneuf, de la Gaspésie, du Lac-Saint-Jean ou des Bois-Francs, à des conditions de paiement ne dépassant guère un an, moyennant le plus souvent des garanties hypothécaires. Lorsque les clients sont dans l’embarras, elle leur permet de rembourser à tempérament ou récupère les propriétés mises en garantie. Dans les années 1870, Shehyn agit aussi, occasionnellement, comme syndic dans des affaires d’arrangements commerciaux et de faillites. En 1891, quand McCall se retire, Shehyn devient seul propriétaire de l’entreprise, dont il conserve la raison sociale.
Les succès de Shehyn en affaires lui permettent graduellement de s’établir. Après avoir vécu dans différents logements, il peut enfin acheter en 1873, de Timothy Hibbard Dunn*, une maison avec dépendances, rue Saint-Georges (rue Hébert), pour 10 000 $. En 1877–1878, il se fait construire, d’après les plans de l’architecte Joseph-Ferdinand Peachy*, une belle maison cossue, Bandon Lodge, en face du futur Parlement provincial (terminé en 1883), sur des terrains sis au sud de la Grande Allée. Cette maison remarquable lui permettra de recevoir tout au long de sa carrière hommes politiques et hommes d’affaires prestigieux, tant nationaux qu’étrangers.
L’ascension de Shehyn dans le monde des affaires de Québec le prépare fort bien à la politique. Il y fait le saut en 1875 sous la bannière libérale en se présentant dans la circonscription de Québec-Est, où il remporte une victoire décisive sur le député conservateur sortant Pierre-Vincent Valin*. Son élection, contestée sans succès par deux constructeurs navals de Québec, Jean-Élie Gingras et Narcisse Rosa, est confirmée par la Cour supérieure le 19 novembre 1875. À l’Assemblée législative, Shehyn défend les intérêts économiques de la ville de Québec, à l’encontre même des positions de son parti. Président du Bureau de commerce de Québec, de 1877 à 1879 et de 1883 à 1887, et membre de la Commission du havre de Québec à la fin des années 1870, il intervient vigoureusement à partir de 1878 dans les débats autour de la construction, de la gestion par le gouvernement et de la vente éventuelle du chemin de fer de Québec, Montréal, Ottawa et Occidental, sur la rive nord du Saint-Laurent. Il veut s’assurer que la ville de Québec, qui a investi un million de dollars dans sa construction, bénéficiera complètement des retombées prévues.
Après le coup d’État de Luc Letellier* de Saint-Just et l’arrivée au pouvoir des libéraux dirigés par Henri-Gustave Joly*, en mars 1878, Shehyn se présente comme libéral indépendant aux élections qui suivent. Il l’emporte par une très forte majorité sur le conservateur Charles-Ignace Samson. Généralement favorable au gouvernement libéral, Shehyn s’en sépare occasionnellement sur des questions importantes. Ainsi, le 12 août 1879, il s’oppose à la construction du chemin de fer de ceinture du Québec, Montréal, Ottawa et Occidental à Trois-Rivières parce que ce projet va à l’encontre des intérêts économiques de la ville de Québec. Le 29 octobre 1879, au moment du vote crucial sur la question de l’abolition du Conseil législatif, vote qui provoque la chute du gouvernement Joly par la défection de cinq députés libéraux, Shehyn appuie le gouvernement, même si son indépendance a fait craindre le contraire.
De retour dans l’opposition, Shehyn reprend ses interventions à l’Assemblée et sur la place publique. Ainsi, le 3 avril 1882, il prend position contre la vente en deux sections du Québec, Montréal, Ottawa et Occidental selon les modalités acceptées par le gouvernement de Joseph-Adolphe Chapleau* ; il considère cette décision nuisible aux intérêts commerciaux de la ville de Québec, qui cherche à maintenir la vocation océanique de son port. Cette position reflète aussi celle du Bureau de commerce, dont il est alors président, et s’appuie sur une analyse serrée des propositions d’achat reçues. Une fois la vente réalisée, il se fait, en 1884, avec le maire de Québec François Langelier, le promoteur de l’achat par la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique de la section Montréal-Québec, avec l’espoir que la ville de Québec en devienne le terminus. Il travaille aussi en faveur de la construction d’un pont sur le Saint-Laurent, à la hauteur de Québec, et d’un raccord avec l’Intercolonial sur la rive sud. Il tente d’infléchir le gouvernement de sir John Alexander Macdonald* par une lettre, puis par une rencontre au début de 1885, mais sans succès. Il reviendra sur ces questions à plusieurs reprises par la suite. Pour défendre les intérêts du Parti libéral, il a aussi participé, en 1880, à la fondation du journal l’Électeur [V. Ernest Pacaud*].
Graduellement, les interventions de Shehyn sur les chemins de fer touchent aux problèmes financiers qu’ils posent : l’endettement du gouvernement, et la nécessité de trouver des revenus et de contrôler les dépenses. À partir de 1884, Shehyn prononce des discours importants sur l’état des finances publiques, fortement critiques de la gestion financière du gouvernement conservateur. À chaque débat sur le budget, il prend une place grandissante dans l’équipe libérale, de sorte qu’en 1886 il répond le premier au discours du budget du trésorier Joseph Gibb Robertson*. Il n’est donc pas surprenant qu’Honoré Mercier* l’invite à faire partie du cabinet libéral-national qu’il forme le 29 janvier 1887, à titre de trésorier provincial. La probité de Shehyn, son indépendance, sa connaissance des affaires et sa position dans les associations d’affaires de Québec le préparent fort bien à occuper ce poste, généralement réservé à des anglophones liés aux marchés financiers britannique et canadien.
Dans son premier discours du budget du 12 avril 1887, Shehyn se livre à une analyse approfondie de la situation financière du gouvernement provincial et conclut que ce dernier se retrouve devant un endettement considérable à court terme, à cause des déficits accumulés. Pour consolider à long terme cette dette, Mercier et Shehyn font adopter, le 12 mai, une loi qui permet au gouvernement d’emprunter 3 500 000 $ à des conditions flexibles. Le premier ministre et le trésorier mènent dans les mois qui suivent des négociations avec de multiples syndicats financiers. Finalement, le 3 janvier 1888, une grande banque française, le Crédit lyonnais, accepte de lancer une émission de 3 500 000 $ à un taux de 4 %. Mercier a ainsi réussi à contourner la Banque de Montréal et les autres établissements financiers canadiens, qu’il sait hostiles à ses positions et à sa politique, pour reprendre une filière française déjà utilisée en 1880 par Chapleau, qui lui donne accès à la fois aux marchés financiers français et britannique.
Devant le succès de l’opération, Mercier et Shehyn envisagent de racheter les obligations que le gouvernement a émises depuis 1874 à 5 et 4 1/2 % d’intérêt annuel et de les remplacer par de nouvelles à un taux d’intérêt réduit, ce qui diminuerait le coût annuel de la dette. Ils réussissent, en dépit de la vive opposition de la Banque de Montréal et des conservateurs provinciaux et fédéraux, à faire adopter, le 12 juillet 1888, une loi qui contient une clause donnant implicitement au gouvernement le pouvoir de forcer la conversion. Cette clause soulève les hauts cris et entrave sérieusement les négociations subséquentes, de sorte que le projet est abandonné temporairement. Ce dernier réapparaît toutefois, à la fin de 1890, conjointement avec un projet de loi autorisant un emprunt de 10 000 000 $, par suite de l’augmentation très importante des dépenses du gouvernement Mercier. Shehyn et Mercier se rendent encore en France, où ils mènent des négociations complexes dans un marché déprimé. Un syndicat, composé du Crédit lyonnais et de la Banque de Paris et des Pays-Bas, assume finalement une émission de 3 860 000 $ à 4 % d’intérêt le 15 juillet 1891, pour deux ans.
Dans toutes ces questions financières, Shehyn se montre un associé idéal pour Mercier, efficace, responsable et irréprochable. Il n’en est pas de même de l’entourage plus politique de Mercier, comme en témoigne l’affaire du chemin de fer de la baie des Chaleurs [V. Mercier ; Ernest Pacaud] qui les attend à leur retour d’Europe à la mi juillet 1891. Alors qu’en plus de Mercier plusieurs ministres sont atteints par cette affaire, Shehyn en sort indemne. Le gouvernement Mercier est démis par le lieutenant-gouverneur Auguste-Réal Angers le 16 décembre 1891, et les libéraux, dont Shehyn, se retrouvent dans l’opposition. Aux élections du 8 mars 1892, Shehyn réussit, au milieu d’une déroute libérale, à conserver son siège avec une majorité respectable. L’expérience est amère pour lui et il reste silencieux à la session de 1892 ; le rôle de critique libéral du budget est assumé par Félix-Gabriel Marchand*. Par la suite, il participe uniquement aux débats sur les budgets. Quand Marchand devient premier ministre en 1897, Shehyn est nommé ministre sans portefeuille. Il finira sa carrière politique comme sénateur pour la division des Laurentides à compter de 1900.
À partir de 1892 ; Shehyn, dont la carrière politique est moins prenante, peut consacrer plus de temps à ses affaires et à sa famille. La mort de sa femme, en juillet, le laisse seul pour s’occuper des six enfants qui lui restent et qui ne sont pas tous établis. Deux de ses filles, Joséphine et Hectorine, ont fait des mariages avantageux : la première a épousé, en 1886, Benjamin Alexander Scott*, marchand de bois de Roberval, et la seconde, en 1889, Napoléon-Antoine Belcourt*, avocat d’Ottawa, futur député fédéral et sénateur. Shehyn décide, dans les années 1890, d’associer ses fils Joseph-Aurélien et Auguste-Réal à son entreprise, d’abord comme commis. Le premier devient graduellement son homme de confiance, surtout après le départ d’Ernest Giguère, son premier commis et demi-frère, en 1906. Il assume dans les faits la direction de l’entreprise, et son père lui en reconnaît bientôt la compétence. Contrairement à son aîné, Auguste-Réal se met constamment dans de mauvaises situations financières, comme le fait aussi son frère Raoul, et c’est leur père qui doit les tirer d’embarras, en anticipant sur leur part d’héritage. Auguste-Réal reçoit une pension alimentaire de la firme McCall, Shehyn and Company à partir de 1893. Shehyn lui trouvera finalement, en 1910, un emploi au département fédéral des Travaux publics, dans le bureau de l’architecte en chef. Quant à Raoul, il tente un apprentissage de 1893 à 1896 chez un maître relieur, puis se lance dans toutes sortes d’affaires avec plus ou moins de succès à Notre-Dame-de-Lorette (Loretteville), qui aboutissent à la prise en charge de ses dettes par son père. Au moins à partir de 1908, Shehyn envisage de transformer son entreprise en société par actions afin d’en assurer la survie après son décès et de permettre à des membres de sa famille d’en devenir actionnaires. Le 14 janvier 1913, la McCall, Shehyn and Son Limited est constituée juridiquement. Shehyn est président de la société et son fils Joseph-Aurélien, puis Raoul en 1915, sont actionnaires. L’entreprise emploie à ce moment-là plus d’une trentaine de commis.
En 1902, à l’âge de 72 ans, Joseph Shehyn s’est remarié à Joséphine Béliveau, de Montréal, âgée de 37 ans et veuve de Napoléon Leduc. Ils ont un fils, Henri, l’année suivante. Malade à partir de 1914, Shehyn abandonne la direction de la firme à son fils Joseph-Aurélien. Il meurt le 14 juillet 1918 à l’âge de 88 ans, laissant une fortune de plus de 100 000 $ en actions et dépôts dans son entreprise ainsi que sa maison évaluée à quelque 40 000 $. Des obsèques imposantes rassemblent, à la basilique Notre-Dame de Québec, l’élite politique et commerciale de Québec.
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Marc Vallières, « SHEHYN (Sheehy), JOSEPH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 5 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/shehyn_joseph_14F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/shehyn_joseph_14F.html |
Auteur de l'article: | Marc Vallières |
Titre de l'article: | SHEHYN (Sheehy), JOSEPH |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 5 nov. 2024 |