GRIFFIN, JANE (Franklin, lady Franklin), globe-trotter, organisatrice de plusieurs expéditions dans l’arctique, née en 1792 à Londres, une des trois filles de John Griffin et de Mary Guillemard, tous deux d’ascendance huguenote, décédée à Londres le 18 juillet 1875.

Jane Griffin fit une partie de ses études dans sa famille et fréquenta également un petit pensionnat de Chelsea. Elle fut l’amie intime de la poétesse, Eleanor Anne Porden, la première femme de John Franklin*, qui mourut en 1825, six jours à peine après que Franklin eut quitté l’Angleterre afin d’entreprendre sa deuxième exploration de l’arctique par voie de terre. À son retour en 1827, Franklin reprit contact avec la famille Griffin et, en novembre 1828, il épousa Jane dans la plus stricte intimité. Cinq mois plus tard, il fut créé chevalier.

Jane avait voyagé, durant ses jeunes années, dans toute l’Angleterre ; elle avait souvent parcouru l’Europe avec son père, riche industriel de la soierie devenu veuf, avec ses sœurs ou avec des amis. Devenue lady Franklin, elle continua ses pérégrinations et relata les événements qui marquaient une vie bien remplie, dans un volumineux journal et dans de longues lettres. De 1830 à 1833, période durant laquelle Franklin commanda une frégate en station en Méditerranée, elle visita de nombreuses régions d’Afrique du Nord, la Syrie et l’Asie Mineure. De 1836 à 1843, alors que Franklin était lieutenant-gouverneur de la Terre de Van Diemen (Tasmanie), elle parcourut l’île tout entière et s’intéressa vivement à promouvoir la vie culturelle et sociale de la nouvelle colonie. On dit qu’elle fut la première femme à se rendre, par les terres, de Melbourne à Sydney, en Australie ; elle visita également une grande partie de la Nouvelle-Zélande.

Lors de son retour en Angleterre en 1844, Franklin, en dépit de son âge (il approchait de la soixantaine), demanda et obtint le commandement d’une expédition qui se préparait à partir à la découverte d’un passage au nord-ouest. En mai 1845, il partit avec l’Erebus et le Terror, qui avaient à leur bord l’équipement et les provisions nécessaires pour trois ans. Lorsqu’en 1848 on était toujours sans nouvelles des explorateurs, cinq expéditions de secours partirent à leur recherche. D’autres suivirent chaque année, jusqu’en 1854. Cette année-là, des Esquimaux de la région située près de l’île du Roi-Guillaume donnèrent au médecin John Rae* des détails sur la fin tragique de l’expédition.

Lady Franklin joua un rôle important dans l’organisation des expéditions de recherche. De 1850 à 1857, elle arma cinq navires entièrement à ses frais, ou presque, et amena d’autres personnes et d’autres pays à contribuer généreusement à sa cause. Cela lui permit de nouer des relations avec un grand nombre de personnalités de l’époque. Elle connut bientôt la géographie de l’arctique aussi bien que n’importe quel spécialiste du temps. Étudiant sans se lasser les ordres que l’amirauté avait donnés à son mari et se fiant au rigoureux sens du devoir qu’elle lui connaissait, elle parvint à reconstituer avec plus de précision que quiconque, sauf peut-être le médecin Richard King, le chemin suivi par Franklin, comme les événements le prouvèrent par la suite, et à déterminer la région dans laquelle il fallait poursuivre la recherche des navires.

En 1857, elle chargea le yacht Fox (capitaine Francis Leopold Mc’Clintock*) de faire, à ses frais, une dernière tentative pour retrouver les survivants, pour recueillir les observations qui auraient pu être notées et tout ce qui pouvait permettre de découvrir ce qui était arrivé. M’Clintock revint, trois ans plus tard, avec de nombreux vestiges de l’expédition, entre autres un récit qui signalait la découverte d’un passage au nord-ouest, mentionnait la mort de Franklin en 1847, d’autres décès, l’abandon des navires en 1848, et l’intention qu’avaient les survivants de se diriger vers la rivière Back. Ce fut probablement au cours de ce voyage que les derniers périrent, comme le révélèrent des recherches subséquentes.

Épuisée par les événements tragiques de ces 12 dernières années, lady Franklin trouva une diversion dans sa passion des voyages à l’étranger. Accompagnée de sa secrétaire et dame de compagnie, Sophia Cracroft, qui était sa nièce par alliance, elle accepta une invitation de longue date et rendit visite à un riche marchand de New York, Henry Grinnell, qui avait personnellement financé deux des expéditions envoyées à la recherche de Franklin. Lady Franklin s’était déjà rendue en Amérique du Nord en 1846 et elle était impatiente d’y retourner. Au mois d’août 1860, après avoir été reçues avec enthousiasme à New York, Sophia et elle allèrent jusqu’à Montréal, où on leur réserva une réception presque aussi royale que celle qu’avait eue le jeune prince de Galles, qui voyageait alors au Canada. Les deux femmes visitèrent Québec, remontèrent la rivière Saguenay et, avant de rentrer à New York, elles firent halte à Ottawa, à Kingston, à Toronto et à Hamilton. De New York, elles s’embarquèrent pour San Francisco, en passant par le cap Horn.

Elles arrivèrent en Californie au début de 1861, et continuèrent leur route vers le nord, jusqu’en Colombie-Britannique ; elles atteignirent Esquimalt le 24 février et furent ravies, d’après Sophia, « de se retrouver uniquement au milieu des leurs, après des mois passés en la seule compagnie d’Américains ». Lady Franklin n’aimait guère les Américains et détestait tout particulièrement leur accent. Elles passèrent un mois à Victoria, interrompant leur séjour pour se rendre sur le continent afin de remonter le fleuve Fraser, d’abord sur un navire marchand jusqu’à Yale, ensuite en canot, avec douze rameurs indiens, jusqu’aux premières chutes du Fraser. À leur retour, elles aperçurent, flottant au-dessus d’un étroit cañon, une bannière blanche qui portait cette inscription : « Défilé de lady Franklin ». C’était là un tribut que leur rendaient les habitants de Yale, mais l’endroit ne conserva pas ce nom. Après un bref séjour en Californie, les voyageuses poursuivirent leur périple, passant par les îles Sandwich (Hawaii), le Japon et les Indes. Au cours des années qui suivirent, lady Franklin parcourut fréquemment l’Europe et fit un long voyage aux Indes.

En octobre 1865, elle entendit dire, pour la première fois, que Charles Francis Hall pensait, sur la foi des rapports des Esquimaux, qu’il pourrait y avoir quelques survivants de l’expédition de Franklin. Elle voulut l’interroger personnellement et, lorsqu’elle apprit en septembre 1869 qu’il était revenu de l’île du Roi-Guillaume avec de nombreux vestiges de l’expédition, elle se mit en route, accompagnée de Sophia, et après un long détour alla le rejoindre aux États-Unis.

Elles passèrent le cap Horn une fois encore et arrêtèrent à nouveau à San Francisco puis, à la fin du mois d’avril de 1870, continuèrent leur route vers le nord à bord du vapeur Newborn. Après quelques jours passés en compagnie de vieux amis à Victoria, elles remontèrent la côte ouest vers l’Alaska. Le 10 mai, elles faisaient halte à Tongass et, deux jours plus tard, arrivaient à Sitka, où elles passèrent un mois. Une lettre de 16 pages, écrite par Sophia à sa famille, et son journal agrémenté de dessins sur leur séjour à Sitka, constituent une précieuse description de l’Alaska qui vivait ses premières années sous la juridiction américaine. En juillet, elles se rendirent par chemin de fer de San Francisco à Salt Lake City où elles firent halte afin d’exprimer sur place leur désapprobation des Mormons. Brigham Young lui-même leur rendit visite, ce qui amena Sophia à présumer que « c’était, sans doute, la première fois de sa vie que le président [Young] faisait une visite de courtoisie à une femme ou lui présentait ses hommages ». À Cincinnati, dans l’Ohio, et plus tard à New York, elles purent enfin voir Hall, ce qui était le grand but de leur voyage. Il ne demeure malheureusement aucune trace des propos qui furent échangés à ces occasions. À l’époque de leurs rencontres, Hall avait déjà formé le projet de se rendre au pôle Nord, mais il est évident qu’il accepta de reprendre, plus tard, des recherches afin d’essayer de retrouver des survivants de l’expédition Franklin sur l’île du Roi-Guillaume ou dans les parages.

Même âgée de plus de 80 ans, lady Franklin continuait de suivre attentivement tout ce qui se passait dans l’arctique et, en 1875, elle prit une part active à la préparation de l’expédition de George Strong Nares au pôle Nord, et, surtout, aux recherches que se proposait de faire Allen Young pour tenter de récupérer les récits de voyage et les documents de Franklin. Au nombre de ses derniers intérêts figurait l’érection, dans l’abbaye de Westminster, d’un monument à la mémoire de son mari, monument qui fut inauguré deux semaines après la mort de lady Franklin. Sur le monument, on peut lire entre autres ces mots : « [...] élevé par sa veuve, Jane, qui, après une longue attente, après avoir envoyé un grand nombre d’hommes à sa recherche, est partie à son tour afin de le rejoindre au royaume de la lumière [...] ». Elle fut inhumée à Kensal Green, dans l’ouest de Londres, auprès de sa sœur, lady Mary Simpkinson.

Lady Franklin ne permit jamais qu’on la photographiât, ne publia pas de livres, et ne fit aucune conférence ; ses campagnes se faisaient en général par le truchement d’autres personnes. Mais, à une époque où l’opinion publique subissait fortement l’influence de la reine Victoria qui ne quitta jamais le deuil de son mari, la fidélité sans défaillance de lady Franklin à la mémoire de son mari et la dignité remarquable dont elle fit preuve dans le malheur impressionnèrent, en dépit de sa réserve, l’imagination du public et surent éveiller sa compassion. Le nom de lady Franklin était connu dans le monde entier.

On a souvent dit que la perte de l’expédition de Franklin avait été plus favorable à l’exploration de l’arctique canadien que ne l’aurait été sa réussite. S’il y a du vrai dans cette généralisation, c’est à lady Franklin qu’en revient le mérite, car elle ne laissa de répit ni à elle-même, ni aux autorités tant qu’on n’eût pas découvert la vérité, ou ce qu’on pouvait en connaître, sur le destin de l’expédition, et tant qu’on n’eût pas rendu l’hommage qui convenait aux exploits de son mari et ses compagnons.

Alan Cooke

SPRI, ms 248/121, 248/122 (journal de Jane Franklin, 2 vol., août – septembre 1860, 1–5 janv. 1861) ; ms 248/160 (journal de Jane Franklin, juill.— août 1846) ; ms 248/163/3 (notes du journal de Jane Franklin, juill.— août 1860) ; ms 248/242 (journal de Sophia Cracroft, à Sitka, 12 mai – 14 juin 1870) ; ms 248/247/73–83 (lettres de Sophia Cracroft, 13 déc. 1860 – 9 juin 1862), ms 248/247/84–96 (lettres de Sophia Cracroft, 23 janv.— 18 juill. 1870) ; ms 695 (recueil de lettres de Sophia Cracroft, février – avril 1861).

      Times (Londres), 19 juill. 1875.— DNB.— Kathleen Fitzpatrick, Sir John Franklin in Tasmania, 1837–1843 (Melbourne, Aust., 1949).— A. L. Korn, The Victorian visitors : an account of the Hawaiian kingdom, 1861–1866, including the journal letters of Sophia Cracroft, extracts from the journals of Lady Franklin, and diaries and letters of Queen Emma of Hawaii (Honolulu, 1958).— F. L. M’Clintock, The voyage of the « Fox » in the Arctic seas : a narrative of the discovery of the fate of Sir John Franklin and his companions (Londres, 1859).— W. F. Rawnsley, The life, diaries, and correspondence of Jane, Lady Franklin, 1792–1875 (Londres, 1923).— F. J. Woodward, Portrait of Jane : a life of Lady Franklin (Londres, 1951).

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Alan Cooke, « GRIFFIN, JANE (Franklin, lady Franklin) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 12 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/griffin_jane_10F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1972
Année de la révision:    1972
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