Titre original :  Sir (John) Douglas Hazen. Walter Stoneman negative, 1917. © National Portrait Gallery, London. Given by Walter Stoneman, 1951. 
Photographs Collection. Used under a Creative Commons license.

Provenance : Lien

HAZEN, sir JOHN DOUGLAS, avocat, administrateur universitaire, homme politique et juge, né le 5 juin 1860 à Oromocto, Nouveau-Brunswick, fils de James King Hazen et d’Elizabeth Marian Beckwith, petit-fils de John Adolphus Beckwith* ; le 22 septembre 1884, il épousa à Fredericton Ada Caroline Tibbits, et ils eurent deux fils et trois filles ; décédé le 27 décembre 1937 à Saint-Jean, Nouveau-Brunswick.

John Douglas Hazen, qui n’utilisa jamais son premier prénom, était un descendant des Hazen de Sunbury, branche cadette d’une des plus éminentes familles patriciennes du Nouveau-Brunswick [V. Robert Leonard Hazen* ; William Hazen*]. Le mariage arrangé de ses parents fut malheureux et de courte durée. Selon une tradition familiale jamais démentie, le grand-père maternel de Hazen, John Adolphus, enleva sa fille et ses deux enfants, et les emmena chez lui à Fredericton peu après la naissance de Douglas. Le père de Douglas, James King, mourut en 1878 à 42 ans ; sa mère, Elizabeth Marian, vivrait jusqu’à 97 ans et ne se remarierait jamais.

Le jeune Hazen fit ses études à la Collegiate School de Fredericton et à la University of New Brunswick, où il obtint une licence ès arts en 1879. Peu après, il entreprit l’étude du droit dans le prestigieux cabinet où exerçaient le premier ministre John James Fraser*, Edward Ludlow Wetmore* et Edward Byron Winslow, à Fredericton. Admis au titre d’attorney en 1882, il fut reçu au barreau l’année suivante. De 1882 à 1890, il assuma principalement les fonctions de registraire et de trésorier de la University of New Brunswick, et ne pratiqua pas le droit de manière soutenue. Son véritable intérêt portait sur la politique conservatrice, à laquelle il s’initia en participant à la campagne de Fraser dans toute la circonscription d’York durant les élections fédérales de 1882. Trois ans plus tard, Frederick Pemberton Thompson, député provincial d’York, accéda au Conseil législatif ; Hazen eut ainsi la possibilité de se présenter pour la première fois. Candidat conservateur à l’élection partielle qui s’ensuivit, il essuya une cuisante défaite au profit de son adversaire libéral.

Après avoir attrapé le virus de la politique, Hazen ne s’en débarrassa jamais. Frustré au provincial, il se tourna vers le conseil municipal de Fredericton, où il devint conseiller en 1885, puis maire en 1888. Même s’il abritait le siège du gouvernement, les cours supérieures et la seule université de la province, Fredericton restait un coin reculé, comparativement à la ville portuaire de Saint-Jean, capitale du droit et du commerce du Nouveau-Brunswick. Saint-Jean était aussi le centre historique des activités de la branche principale de la famille Hazen, et les circonstances appelèrent bientôt Douglas à l’endroit où il passerait le reste de sa vie. En 1888, son riche oncle Francis Brinley Hazen mourut prématurément et sans enfants. On fit venir Douglas pour administrer ses biens ; deux ans plus tard, il renonça à ses postes à l’université et quitta Fredericton pour Saint-Jean, où il reprit la pratique du droit et commença à étudier le paysage politique.

Aux élections fédérales du 5 mars 1891, Hazen, comptant principalement sur le nom de sa famille, remporta la victoire dans Saint John City and County, et se joignit au gouvernement conservateur de sir John Alexander Macdonald* à Ottawa. À 30 ans, Hazen était peut-être le plus jeune député anglophone jamais élu. Néanmoins, quand le Parlement se réunit en avril, il eut l’honneur de présenter l’adresse en réponse au discours du trône. Son éloquence empreinte de maturité et de raffinement fit bonne impression et, pendant les cinq années suivantes, Hazen siégea comme simple député occupé et bien informé, qui prenait fréquemment la parole sur des questions d’intérêt local et régional. À l’automne de 1895, il avait assez d’assurance pour risquer de s’opposer à la politique de son propre gouvernement. À cette époque, Portland, dans le Maine, était le port d’hiver du Canada pour l’expédition du courrier outre-mer, et le gouvernement fédéral subventionnait le service. La Compagnie de commerce maritime du Canada (Beaver Line) proposa de donner ce service à partir de Saint-Jean moyennant une subvention annuelle de 25 000 $. Comme aucune réponse satisfaisante ne venait, Hazen et John Alexander Chesley, collègue conservateur, lui aussi député dans Saint John City and County, envoyèrent un télégramme à Ottawa, pendant que le Parlement était hors session, annonçant que, si le versement de la somme n’arrivait pas dans les 24 heures, ils démissionneraient de leurs sièges. Le stratagème réussit, et le gouvernement fournit rapidement les fonds nécessaires. (La subvention était sujette à changements selon les circonstances plutôt que permanente.) Hazen ne manquait manifestement ni de conviction ni de courage politique, mais, sans la bonne relation qu’il entretenait avec le premier ministre, sir Mackenzie Bowell*, son style de franc-tireur aurait pu lui attirer des problèmes.

Aux élections fédérales du 23 juin 1896, Hazen perdit par 191 votes contre Joseph John Tucker, libéral nouveau venu en politique dont le « principal atout politique, selon l’historien John Irvine Little, semble avoir été sa fortune ». La défaite de Hazen est difficile à expliquer. Les électeurs voulurent peut-être punir le gouvernement pour son traitement du principal enjeu de la campagne, la question des écoles du Manitoba [V. Thomas Greenway*], qui avait divisé le Parti conservateur tant au Parlement que dans tout le pays. Si un problème local influença le résultat, ce fut l’échec des gouvernements conservateurs successifs à soutenir la revendication de Saint-Jean de constituer le port d’hiver du Canada et le terminus de la ligne rapide de vapeurs postaux de l’Atlantique Nord. Des années plus tard, en qualité de ministre fédéral de la Marine et des Pêcheries, Hazen détiendrait l’autorité nécessaire pour dévier à la fois les lignes de vapeurs et les navires individuels de Halifax vers Saint-Jean, ce qu’il n’hésiterait pas à faire.

À la recherche d’un autre terrain d’activité politique, Hazen devint en 1896 secrétaire-trésorier du Parti conservateur provincial, formé alors d’une coalition peu structurée et mal définie d’opposants aux libéraux au pouvoir. Aux élections provinciales du 18 février 1899, Hazen se présenta dans Sunbury, son comté natal, et l’emporta par 20 voix. Il n’aurait pu risquer de défier les libéraux, solidement établis à Saint-Jean, où le chef de son parti, Alfred Augustus Stockton*, subit la défaite. L’opposition ne parvint à élire que 4 députés, dont Hazen, contre 40 pour le gouvernement. Stockton renonça à la direction du parti et Hazen, invité à lui succéder, releva énergiquement le défi. Il avait du pain sur la planche, car les libéraux détenaient le pouvoir depuis 1883 et avaient prospéré sous le règne de premiers ministres forts tels Andrew George Blair*, James Mitchell* et Henry Robert Emmerson*. De leur côté, les conservateurs avaient un sérieux problème de crédibilité. On ne savait pas clairement à quoi ils s’opposaient, sinon au succès des libéraux. Ils traînaient également comme un boulet le Parti conservateur fédéral, sur lequel ils s’étaient habituellement alignés, et qui connaissait des temps difficiles sous le leadership usé de sir Charles Tupper*, presque octogénaire.

Malgré la fragmentation et l’indétermination de l’opposition, Hazen choisit avec optimisme de la considérer comme un gouvernement en devenir. Son dynamisme contribua à évincer Emmerson de la politique provinciale. Hazen avait fait campagne contre sa mauvaise gestion des contrats quand il était ministre des Travaux publics et il persista une fois entré à l’Assemblée législative, allant jusqu’à accuser le premier ministre de malhonnêteté. En 1900, le gouvernement commanda une enquête publique dont le rapport exonéra Emmerson, mais celui-ci démissionna au mois d’août. Sept ans plus tard, ce dernier, devenu député fédéral, poursuivrait pour diffamation le propriétaire et rédacteur en chef du journal conservateur de Fredericton, le Daily Gleaner, et Hazen agirait à titre de conseiller principal de l’accusé, James Harvie Crocket*, son allié politique et associé. Malgré les talents juridiques libéraux déployés dans cette cause [V. Albert Scott White], la poursuite fut suspendue.

Aux élections provinciales du 28 février 1903, le nombre de députés de l’opposition passa de quatre à dix. Selon le politologue Calvin A. Woodward, « les efforts de Hazen portèrent sur la mobilisation d’une coalition réunissant tous les partis pour gagner l’élection contre le gouvernement ». Prenant personnellement ses distances du parti fédéral, impopulaire, il considérait tous les insatisfaits des libéraux au pouvoir comme des électeurs conservateurs potentiels. Grâce à Hazen, son premier leader efficace, le Parti conservateur du Nouveau-Brunswick cessa de simplement incarner l’opposition et se donna enfin un but positif : la réforme politique. Les libéraux remportèrent facilement l’élection, mais Hazen avait correctement vu que la voie d’avenir consistait à adhérer à une ligne de parti stricte et à une politique partisane vigoureuse, et à distinguer clairement le parti provincial de sa contrepartie fédérale. En ce sens, on peut lui attribuer le mérite d’avoir inventé la politique moderne du Nouveau-Brunswick.

Malgré son engagement actif dans les affaires provinciales, Hazen ne perdit pas son intérêt pour la politique fédérale à Saint-Jean, où il vivait et exerçait le droit. En décembre 1903, la retraite de Blair, qui avait défait George Eulas Foster aux élections générales du 7 novembre 1900, rendit nécessaire une élection complémentaire dans la circonscription de Saint John City. Les conservateurs mirent en nomination l’ancien maire, John Waterhouse Daniel, car Foster vivait désormais en Ontario, tandis que les libéraux présentèrent Harrison Andrew McKeown, député provincial de Saint John City et solliciteur général dans le gouvernement de Lemuel John Tweedie*. Hazen, alors président de l’association conservatrice de la circonscription, fit directement appel au président de l’exécutif libéral local pour que les deux partis s’engagent officiellement à mener une campagne libre de corruption. Les libéraux acceptèrent en principe, mais refusèrent d’aller plus loin. Nul ne saura jamais si l’initiative de Hazen eut un écho auprès des électeurs, mais le jour de l’élection complémentaire, le 16 février 1904, la majorité précédente de Blair, de près de 1 000 voix, se changea en majorité de 269 voix pour Daniel, adversaire conservateur de McKeown. Daniel obtint facilement la victoire aux élections générales, neuf mois plus tard.

Les libéraux provinciaux attendirent aussi longtemps qu’ils le pouvaient, jusqu’en 1908, avant de déclencher de nouvelles élections. À ce moment, ils étaient poursuivis par des allégations de corruption systémique et dirigés par Clifford William Robinson, chef aimé et respecté, mais faible. Hazen soutint que les libéraux étaient inefficaces, incompétents et gaspilleurs, et qu’ils devaient peut-être leur long séjour au pouvoir à la corruption. Il précisa également que son parti, ainsi que tous ceux qui s’y joignaient, militait pour mener une campagne électorale propre et d’une parfaite intégrité. Comme l’indiquerait Calvin A. Woodward, 1908 était une année d’élection fédérale au Canada, d’élections à la présidence et au congrès des États-Unis, et la « pureté » représentait un enjeu.

Ce n’était pas le seul, cependant, ni même le plus important. Depuis des années, Hazen avait fustigé le gouvernement pour son irresponsabilité fiscale ; il faisait valoir qu’on avait laissé la dette publique s’accumuler sans réserve et prétendait que les libéraux géraient mal l’intérêt public. Comparativement à ses adversaires, Hazen parlait comme un responsable des finances moderne déterminé à ramener la dette provinciale à un niveau viable. Il soutenait que quiconque s’opposait à ce gouvernement inepte était conservateur, et cette stratégie réussit. Les électeurs désertèrent les libéraux en grand nombre le 3 mars 1908 et portèrent au pouvoir 31 conservateurs contre 12 libéraux. Hazen devint premier ministre et procureur général du nouveau gouvernement.

Après avoir occupé la fonction de chef de l’opposition pendant neuf ans, Hazen ne serait premier ministre que pendant trois ans. Dès son arrivée, il nomma Pierre-Amand Landry*, juge de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick et ancien député conservateur, à la présidence d’une commission d’enquête sur les relations entre les précédents gouvernements libéraux et la Central Railway Company, entreprise en difficulté dans laquelle la province avait investi au point d’en prendre le contrôle. Exercice futile de vengeance politique, la commission produisit un rapport accablant qui provoqua une levée de boucliers. Pour avoir fait ce que le gouvernement attendait de lui, Landry serait récompensé par une promotion au poste de juge en chef de la Cour du banc du roi, à l’occasion de la restructuration de la Cour suprême, en 1913.

Comme premier ministre, Hazen compte à son actif plusieurs mesures constructives. L’interdiction d’exporter du bois à pâte provenant des terres de la couronne provinciale, proposée en 1909, entra en vigueur deux années plus tard ; cette mesure clairvoyante de conservation des forêts rendit possible le développement d’une industrie papetière locale. Une nouvelle loi sur le système judiciaire qui scindait la Cour suprême en deux divisions distinctes avait remplacé en 1906 un projet de loi préalablement adopté, mais non promulgué. Le Board of Public Utility Commissioners vit le jour en 1910, le Bureau du travail prit de l’expansion, et le Bureau de santé acquit le pouvoir de nommer des agents de santé de district. Un projet de loi sur la construction du Saint John Valley Railway fut adopté. Comme l’imputabilité constituait le thème principal de la carrière de Hazen, il mit sur pied un conseil du Trésor et nomma un vérificateur général indépendant pour assurer une administration intègre des finances de la province.

L’un des premiers défenseurs de la coopération économique et politique régionale, le premier ministre Hazen prédit et lança le mouvement de défense des droits des Maritimes. En août 1908, il avait représenté le Nouveau-Brunswick à la célébration du cent-cinquantième anniversaire de la Chambre d’assemblée de la Nouvelle-Écosse. Il y prononça un discours qui appelait à la solidarité des Maritimes pour faire rempart contre l’envahissement du pouvoir central canadien. Il fit preuve d’une perspicacité remarquable quant au besoin d’un front uni et donna le ton des relations fédérales-provinciales dans l’est du Canada pour tout le siècle suivant. L’historien Colin Desmond Howell ferait observer que sa manière de « marier des propositions de réformes progressives et la défense des intérêts régionaux au sein de la Confédération devint une formule courante de succès politique dans les trois provinces ».

En qualité de premier ministre, Hazen dut composer avec un enjeu d’importance nationale : le suffrage féminin. En juin 1895, il avait adopté une position de principe sur la question en votant pour la résolution privée du député conservateur Nicholas Flood Davin*, qui aurait permis aux femmes de voter aux élections fédérales selon les mêmes conditions que les hommes. La résolution fut défaite. Cependant, une fois devenu premier ministre, Hazen se prononça contre le suffrage féminin [V. Mabel Phoebe Peters*]. Il ne semble pas avoir manifesté un sentiment très ferme sur le sujet, et sa volte-face représentait un acte d’opportunisme politique plutôt que le résultat d’un revirement d’opinion personnel. Le droit de vote au provincial ne serait accordé aux femmes du Nouveau-Brunswick qu’en 1919, quand le gouvernement libéral de Walter Edward Foster* le promulguerait.

Le retour de Hazen dans l’arène fédérale, en 1911, découla de la victoire conservatrice aux élections surprises déclenchées trois ans seulement après le début du quatrième mandat du premier ministre sir Wilfrid Laurier*. L’enjeu capital de la campagne fut la réciprocité avec les États-Unis [V. sir Byron Edmund Walker*]. La question avait constitué une préoccupation importante aux élections de 1891, après que les conservateurs eurent affirmé qu’un tel traité affaiblirait les relations avec la Grande-Bretagne, allégation qu’ils répétèrent 20 ans plus tard. Hazen lui-même hésitait. Au début, il aurait préféré une réciprocité limitée et avait déclaré en 1891 : « Je crois que si un traité de réciprocité équitable peut être mis en place sur le modèle du vieux traité de 1854, il serait extrêmement bénéfique pour les deux pays et tous les partis dans le dominion du Canada l’accueilleraient de manière favorable. » Ce ne fut que tardivement, en 1911, et à contrecœur, qu’il fit voter une résolution contre la réciprocité à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick. Malgré les tensions politiques grandissantes à Ottawa, Hazen partit pour l’Angleterre cet été-là pour assister au couronnement du roi George V à titre de représentant officiel de sa province, et pour défendre, avec succès, une cause en appel devant le comité judiciaire du Conseil privé.

Le jour des élections, le 21 septembre 1911, les libéraux perdirent du terrain au Nouveau-Brunswick, mais conservèrent la province avec huit sièges contre cinq. À l’échelle du pays, les conservateurs remportèrent une victoire décisive. Les quatre premiers ministres provinciaux tories – Hazen et Rodmond Palen Roblin, du Manitoba, sir James Pliny Whitney*, de l’Ontario, et Richard McBride*, de la Colombie-Britannique – furent invités à faire partie du cabinet par le premier ministre, Robert Laird Borden ; tous déclinèrent l’offre, sauf Hazen, qui devint ministre de la Marine et des Pêcheries, et ministre du Service de la marine. Il fallut lui trouver un siège, et Daniel, qui représentait alors la circonscription regroupant la ville et le comté de Saint-Jean, lui céda obligeamment le sien en échange d’une nomination au Sénat. Hazen fut élu sans opposition, car les libéraux, qui avaient obtenu de mauvais résultats contre Daniel au cours de quatre élections consécutives, s’abstinrent de présenter un candidat.

La réciprocité disparut du programme politique après les élections de 1911, et la politique navale devint le thème du jour. Comme la plupart des autres conservateurs de haut rang, Hazen penchait pour la contribution : pour lui, le service naval du Canada ne consistait pas à créer une flotte canadienne autonome, mais à fournir des fonds ou des navires à la marine royale britannique pour aider à contrer la menace grandissante de l’Allemagne. On annula les appels d’offres pour la construction des bateaux de la toute nouvelle Marine royale du Canada, tandis que les conservateurs tentèrent de remplacer la Loi concernant le Service de la marine du Canada de Laurier et d’élaborer leur propre politique. Le 5 décembre 1912, Borden présenta le projet de loi d’aide à la marine, qui promettait 35 millions de dollars pour la construction de trois cuirassés britanniques de type dreadnought. Le projet de loi, piloté par Borden et Hazen à la Chambre des communes, suscita des débats houleux : les libéraux organisèrent une obstruction systématique, conduite par William Pugsley*, et, le 9 avril 1913, le gouvernement utilisa, pour la première fois dans l’histoire canadienne, la clôture afin de couper court aux délibérations. Le projet de loi fut adopté par la Chambre des communes un mois plus tard, mais le Sénat, à majorité libérale [V. sir James Alexander Lougheed*], le rejeta, et Borden renonça à le présenter de nouveau.

Hazen avait hérité d’un ministère, dirigé juste avant lui par Rodolphe Lemieux, encore désorganisé et déstabilisé par les dures conclusions d’une enquête de 1908 qui avait démontré son inefficacité pendant le mandat du prédécesseur de Lemieux, Louis-Philippe Brodeur*. Avec l’aide de hauts fonctionnaires comme George Joseph Louis Desbarats*, Hazen poursuivit et acheva la reconstruction du ministère de la Marine et des Pêcheries, de loin la partie la plus exigeante de son double portefeuille, jusqu’à l’éclatement de la guerre en août 1914. Ses responsabilités étaient aussi étendues que variées, et incluaient la conservation des pêches, les phares, les ports, ainsi que le transport et le fret maritimes. Entre autres réalisations, il mit sur pied le Conseil de biologie du Canada en 1912 et, la même année, il accéda à la présidence de la North American Fish and Game Protective Association, témoignage de sa réputation internationale de défenseur de l’environnement. En 1912–1913, il réorganisa la division des Pêcheries afin d’assurer une relation plus étroite du ministre et du ministère avec les industries régionales de la pêche. En qualité de ministre du Service de la marine, il était responsable de la défense des côtes, de la radiotélégraphie et du service hydrographique ; en juin 1913, il annonça que le Royal Naval College of Canada, à Halifax, menacé de fermeture, resterait ouvert. Hazen supervisa la modification de la Loi de la protection des douanes et des pêcheries en 1913, ainsi que la promulgation de la Loi pourvoyant à l’inspection et au marquage du poisson mariné de 1914 ; il se rendit aussi à Washington en mars 1913 pour rendre visite au président Woodrow Wilson et le presser d’engager les États-Unis à faire respecter plus vigoureusement les réglementations internationales sur les pêches.

En 1914, Hazen était considéré dans les cercles du parti comme l’un des collaborateurs indispensables du premier ministre. Selon un éditorial publié au début de l’année dans l’Ottawa Citizen, d’allégeance conservatrice : « Au Parlement, le premier ministre Borden n’a pas de lieutenant plus honorable et compétent. Avec sa personnalité franche et cordiale, l’honorable M. Hazen peut être immédiatement repéré comme un leader. » Hazen comptait parmi les membres du gouvernement les plus efficaces et énergiques, et il était déjà perçu comme héritier possible de Borden à la direction du parti. Le déclenchement de la Première Guerre mondiale, au mois d’août, ne fit que souligner l’importance de Hazen, dont la rigueur contrastait avec l’irresponsabilité et l’incompétence du ministre de la Milice et de la Défense, sir Samuel Hughes*, que Borden limogerait en novembre 1916. Les tâches de Hazen à titre de responsable du domaine de la marine, qui comprenaient la protection des pêches, le transport maritime, la défense navale [V. sir Charles Edmund Kingsmill], ainsi que le renseignement naval, s’étaient accrues à cause de l’effort de guerre. En 1917, il accompagna Borden en Angleterre en tant que délégué à la Conférence impériale de guerre et devint membre du cabinet de guerre impérial. Il se trouvait à Londres à la naissance de son premier petit-fils, nommé, comme lui, John Douglas Hazen, et, en France, il visita la tombe de son fils cadet, James Murray Hazen, officier d’artillerie, mort l’année précédente des blessures reçues au combat près d’Ypres (Ieper), en Belgique [V. sir Arthur William Currie].

En 1917, la guerre dans l’ouest de l’Europe tournait mal. Au Canada, le nombre de volontaires et de conscrits des bataillons non encore en service outre-mer ne suffisait pas à assurer le remplacement de tous les morts ou blessés, et le cabinet conclut que la conscription s’imposait pour respecter les engagements en matière de troupes. Reconnaissant le potentiel de division que recelait un tel enjeu politique, Borden offrit à Laurier de former une coalition (comme on l’avait fait à Londres) afin de mener cette mesure à bien. Le chef de l’opposition souhaitait plutôt un référendum sur la question, que le gouvernement, s’il voulait demeurer au pouvoir, ne pouvait risquer de perdre. Par conséquent, Borden chercha alors à former un gouvernement d’union composé de conservateurs et de libéraux favorables à la conscription [V. John Bain ; Newton Wesley Rowell*].

En théorie, la stratégie était bien avisée, car la question divisait profondément le Parti libéral. En pratique, cependant, elle se montra difficile à appliquer, particulièrement au Nouveau-Brunswick, où les libéraux de Laurier étaient forts. Borden voulait faire entrer au cabinet un libéral unioniste du Nouveau-Brunswick. Hazen pensa qu’un nouveau ministre de sa province natale ou d’ailleurs dans les Maritimes se joindrait à lui et ne prendrait pas sa place. Selon le journal personnel de Borden, il fut donc « excité et furieux » d’apprendre, au début d’octobre, qu’il serait exclu du cabinet et remplacé soit par William Pugsley, ancien ministre des Travaux publics de Laurier, soit par Frank Broadstreet Carvell*, surnommé Frank « le batailleur », député libéral le plus détesté par les conservateurs du Nouveau-Brunswick. Carvell eut le champ libre quand Pugsley, vieil ennemi politique de Saint-Jean, dont Hazen réprouvait vivement la nomination, accepta l’invitation de Borden à prendre la succession du regretté Gilbert White Ganong* au poste de lieutenant-gouverneur. Carvell, qui n’avait pas fait partie du cabinet de Laurier, semblait avoir peu de chances dans la circonscription de Victoria and Carleton jusqu’à ce que James Kidd Flemming*, ancien premier ministre en disgrâce et candidat conservateur pressenti, se retire pour permettre l’élection sans opposition de Carvell comme candidat unioniste. Ce dernier devint ministre des Travaux publics, tandis que l’homme d’affaires libéral unioniste de Montréal Charles Colquhoun Ballantyne, néophyte en politique, remplaça Hazen comme ministre de la Marine et des Pêcheries, et ministre du Service de la marine. Aux élections générales du 17 décembre 1917, le gouvernement d’union remporta 7 des 11 sièges du Nouveau-Brunswick et enregistra une victoire écrasante dans l’ensemble du pays. Hazen ne se représenta pas ; les unionistes gagnèrent facilement la circonscription double de Saint John and Albert, qui englobait son ancienne circonscription.

Les responsabilités ministérielles de Hazen se terminèrent à un moment pénible. Le 6 décembre 1917, moins de deux mois après son départ, le Mont blanc, bourré de munitions, explosa dans le port de Halifax. Presque immédiatement commença la chasse aux traîtres et aux boucs émissaires. L’historien de la marine John Griffith Armstrong noterait qu’il y avait une « croyance déjà bien répandue que le gouvernement du Canada, par l’intermédiaire de son ministère du Service de la marine, avait fait preuve de négligence criminelle en contribuant à la collision et, par conséquent, au désastre qui s’ensuivit ». Le nouveau ministre, Ballantyne, manquait d’expérience au Parlement, au gouvernement et dans son ministère. Selon l’histoire officielle de la Marine royale du Canada, Ballantyne « voulait que les hauts fonctionnaires du ministère s’assurent qu’aucune des accusations qui circulaient en relation avec Halifax ne soit dirigée contre lui ». Le premier ministre Borden, pour sa part, tenait à établir les responsabilités, même si cela devait inculper Hazen. En février 1918, Borden lui écrivit pour lui demander si les pilotes du port avaient fait l’objet d’une surveillance ministérielle adéquate. Hazen répondit sèchement en insistant sur le fait qu’il n’avait aucun reproche à se faire. La commission royale sur les districts de pilotage de Miramichi, Sydney, Louisbourg, Halifax, St. John, Montréal et Québec, nommée à la hâte, déposa précipitamment son rapport, où elle ne tira de conclusion ni sur le rôle du ministre en poste ni sur celui de son prédécesseur.

Entre-temps, Hazen avait été choisi pour diriger la délégation canadienne à la Commission internationale des pêcheries, qui amorça ses séances en 1918 et publia son rapport l’année suivante. Le 6 novembre 1917, il était devenu juge en chef de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick. Borden avait à l’origine l’intention d’en faire le premier « haut-commissaire », comme il disait, du Canada aux États-Unis, mais son plan avait échoué à cause du coût trop élevé, selon les estimations, de la création du poste diplomatique à Washington. Le premier ministre avait alors appris qu’Ezekiel McLeod, qu’il avait nommé juge en chef du Nouveau-Brunswick en 1914, pourrait céder son poste en contrepartie d’une pension et d’un titre de chevalerie. Ce fut ainsi que l’on exclut Hazen du cabinet et que, malgré son inexpérience de la magistrature, on le nomma juge en chef. Accepter un emploi aussi inapproprié et improbable représentait à ses yeux une rétrogradation, une défaite et une affligeante transition du pouvoir à l’impuissance politique. Hazen n’avait eu qu’une pratique limitée du droit et ne possédait ni le tempérament ni les aptitudes pour occuper la fonction de juge. Après une trentaine d’années en politique active, ce politicien accompli, cet homme d’action, encore dans la force de l’âge, se voyait relégué à un poste purement prestigieux.

En mai 1918, Hazen reçut le titre de chevalier commandeur de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges, annoncé dans la liste de distinctions à l’occasion de l’anniversaire du roi. McLeod avait été fait chevalier pour l’amener à renoncer à ses fonctions de juge en chef et Hazen reçut la même récompense pour lui avoir succédé. Il dut apprendre rapidement sur le tas, et sa profonde inexpérience constituait un handicap qui devint bientôt apparent. Les décisions judiciaires de Hazen se révélèrent pour le moins bizarres. Par exemple, en mars 1929, siégeant comme juge de première instance dans la division de la chancellerie de la cour, il restitua à la minorité de presbytériens qui s’étaient séparés de l’Église unie du Canada [V. Samuel Dwight Chown ; Clarence Dunlop Mackinnon ; Ephraim Scott] la propriété de l’ancienne église presbytérienne St James, à Newcastle, qui, depuis 1926, avait fait partie de l’église unie St James et St John. La section d’appel cassa la décision, ce que confirma la Cour suprême du Canada. Hazen était un formaliste juridique de la pire espèce, et ses 17 années comme juge en chef comptent parmi les moins brillantes de toute l’histoire du tribunal.

La possibilité, pour Hazen, de revenir dans le tourbillon de la politique fédérale sembla se présenter en 1919. En août, Borden dut remanier son cabinet à cause du départ à la retraite de son ministre des Finances sir William Thomas White*. Carvell souhaitait partir lui aussi, et après que White eut été remplacé par sir Henry Lumley Drayton*, Carvell prit la place de ce dernier comme président du Conseil des commissaires des chemins de fer. Borden demanda alors à Hazen de reprendre son poste au cabinet à titre de représentant du Nouveau-Brunswick, invitation que déclina Hazen. En décembre, Arthur Lewis Watkins Sifton* quitta son poste de ministre des Travaux publics pour devenir secrétaire d’État, et le premier ministre convoqua Hazen à Ottawa pour lui offrir à nouveau un poste au cabinet. Hazen refusa et expliqua à Borden qu’il appréhendait une élection partielle difficile à gagner dans la circonscription de Sifton ; il éprouvait peut-être encore aussi le ressentiment de son exclusion du cabinet.

En octobre 1921, Arthur Meighen*, qui avait succédé à Borden en qualité de premier ministre l’année précédente, nomma Hazen président de la commission royale sur les demandes d’indemnisation à la suite de la Première Guerre mondiale. Le premier ministre William Lyon Mackenzie King*, qui défit Meighen aux élections générales du 6 décembre 1921, destitua Hazen en mars 1923, avant la remise du rapport de la commission, afin de le remplacer par son vieux rival, Pugsley. En 1924, on proposa à Hazen de succéder à McKeown au poste de doyen de l’école de droit de la University of New Brunswick (qui avait été affiliée à la University of King’s College de la Nouvelle-Écosse sous le nom de Saint John Law School). Malgré ses liens étroits et durables avec la University of New Brunswick à Fredericton – il était membre de son conseil depuis plus de 30 ans –, ses relations avec l’école de droit étaient ténues, sinon inexistantes. Néanmoins, la sélection de Hazen se révéla idéale à bien des égards : il mit à profit le soutien et l’envergure de sa fonction de juge en chef, ainsi que son immense prestige personnel, pour aider l’école de droit à assurer son avenir en tant que partie intégrante de l’université. Il demeurerait doyen jusque peu avant sa mort.

La maladie et la tristesse assombrirent les dernières années de Hazen. Il perdit l’une de ses filles et sa sœur en 1934 ; sa vieille mère mourut l’année suivante. Il vécut suffisamment longtemps pour voir les conservateurs provinciaux, défaits en 1917, revenir au gouvernement en 1925 sous la direction de John Babington Macaulay Baxter*, puis en être évincés en 1935 par les libéraux ragaillardis, dirigés par Albert Allison Dysart*. Il put aussi assister au retour au pouvoir des conservateurs fédéraux, pour une courte période en 1925–1926, puis en 1930. Il vit son fils, Douglas King Hazen, avocat de Saint-Jean, se présenter sans succès dans Saint John and Albert aux élections générales du 14 octobre 1935. En janvier de cette année-là, Hazen avait pris sa retraite avec pension, principalement pour s’assurer que le gouvernement conservateur de Richard Bedford Bennett* nomme son successeur. Comme tout le monde s’y attendait, le nouveau juge en chef fut Baxter, qui avait été nommé juge puîné en 1931, trois mois après avoir perdu son poste de premier ministre. Deux jours après la fête de Noël de 1937, Hazen succomba à une pneumonie, « l’amie du vieil homme », selon le médecin sir William Osler*.

La rivalité entre Borden et Hazen reflétait la tension historique entre Halifax et Saint-Jean, les deux villes où ils menèrent leurs carrières respectives. Mis à part leur profession et leur allégeance politique, ils avaient peu de choses en commun. Plaideur émérite qui dirigeait un cabinet de premier ordre, Borden était, au mieux, un homme politique malgré lui ; Hazen, de son côté, resta un avocat indifférent qui nourrissait une véritable passion pour la vie publique, sans jamais connaître le succès politique de Borden. Hazen possédait la même combativité, la même ambition redoutable et la même détermination que Borden, mais, convaincu d’être indispensable, il accordait à Borden une confiance peut-être plus grande que celle que le premier ministre entretenait à son égard.

À titre de personnalité régionale, l’importance historique de sir John Douglas Hazen ne fait pas de doute ; l’interruption soudaine et prématurée de sa carrière en politique fédérale compromit toutefois irrémédiablement sa place sur la scène nationale. Comme ministre, il était beaucoup plus expérimenté et brillant que Carvell, et, en le sacrifiant à l’opportunisme politique, Borden prit une décision mal avisée et inutile. Le gouvernement d’union aurait très bien pu se maintenir sans un unioniste libéral du Nouveau-Brunswick au rôle purement symbolique. L’exclusion de Hazen affaiblit le cabinet, particulièrement parce que Ballantyne, son successeur à la Marine et aux Pêcheries, parachuté dans un portefeuille d’une importance capitale pour l’effort de guerre, était novice en politique. De 1911 à 1917, Hazen incarna une figure forte du cabinet ; deux ans après son congédiement, Borden eut besoin de lui et souhaitait son retour, semblant enfin reconnaître son imprudence et son manque de vision. En se livrant à des spéculations sur la suite des choses si Hazen avait accepté de revenir au cabinet, on peut émettre l’hypothèse intéressante qu’il serait devenu chef du Parti conservateur et aurait pu changer le cours de la vie politique dans l’ensemble du pays. La carrière de Hazen représente ainsi l’une des grandes occasions ratées de l’histoire politique canadienne.

Barry Cahill

La Univ. of N.B. Library, Arch. & Special Coll. (Fredericton), conserve dans le John Douglas Hazen fonds (MG H13) la grande majorité des papiers de sir John Douglas Hazen qui ont survécu ; s’y trouvent, ainsi qu’à BAC, R1191-0-0 et R112-0-2, certains de ses documents ministériels. Quelques papiers personnels sont déposés dans des fonds de membres de la famille Hazen au Musée du N.-B. de Saint-Jean.

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Barry Cahill, « HAZEN, SIR JOHN DOUGLAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/hazen_john_douglas_16F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2019
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