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MURRAY, GEORGE HENRY, instituteur, avocat et homme politique, né le 7 juin 1861 à Grand Narrows, Nouvelle-Écosse, troisième fils de William Murray et de Jane Murray ; le 3 septembre 1889, il épousa à North Sydney, Nouvelle-Écosse, Grace Elizabeth Moore (décédée en 1933), et ils eurent trois fils ; décédé le 6 janvier 1929 à Montréal.
Issu d’une famille de commerçants d’ascendance écossaise, George Henry Murray alla vivre à Sydney Mines peu après la mort de son grand-père en 1864, puis à North Sydney au début des années 1870 après le remariage de sa mère, son père étant mort en 1867. Il fréquenta l’école dans ces deux localités et, encore adolescent, s’essaya à l’enseignement à Reserve Mines pendant un an et à Georges River durant un semestre, dans des postes très probablement obtenus grâce à l’influence de son beau-père, John A. H. Rindress, qui était directeur d’école à Sydney Mines. À 16 ans, il s’installa à Halifax pour étudier le droit ; il revint à North Sydney pour un stage auprès de James H. Hearn entre septembre 1878 et mai 1882, puis auprès de Stephen Lowrey Purves jusqu’en janvier 1883. Ses études terminées à l’école de droit de la Boston University, il fut admis au barreau de la Nouvelle-Écosse à la fin de 1883. Il aurait un cabinet d’avocat à North Sydney avec Daniel Duncan McKenzie jusqu’en 1896.
Aspirant à une carrière politique, Murray se présenta comme candidat libéral dans la circonscription du Cap-Breton aux élections provinciales de 1886, malgré son désaccord avec l’abrogation de la Confédération préconisée par le premier ministre William Stevens Fielding. En rien démonté par la défaite, il fit l’année suivante la première de trois tentatives infructueuses pour se faire élire à la Chambre des communes. Il fut battu par David MacKeen*. Les électeurs du Cap-Breton avaient tendance à appuyer les tories, car la politique de protectionnisme du premier ministre sir John Alexander Macdonald* leur paraissait avantageuse pour la mise en marché du charbon de l’île. La majorité conservatrice locale pouvait compter sur le pasteur presbytérien de North Sydney, Isaac Murray*, qui n’hésitait pas à défendre ses idées politiques en chaire. George Henry Murray raconterait plus tard qu’il avait été le seul libéral de sa congrégation à avoir continué à fréquenter l’église de ce chef spirituel partisan, mais qu’il avait pu savourer sa revanche en 1891 au baptême de son fils aîné : il avait délibérément choisi pour lui le plus libéral des noms, Wilfrid Laurier, et s’était bien amusé du malaise qui gagnait le pasteur en prononçant ce nom au-dessus de l’enfant.
L’establishment libéral, qui n’avait pas été sans remarquer le cran dont, malgré ses défaites électorales, Murray faisait preuve, fonda des espoirs sur lui. En mars 1889, Fielding le nomma au Conseil législatif. Peu après sa deuxième défaite aux élections fédérales, en mars 1891, Murray fut de nouveau nommé à la chambre haute de la Nouvelle-Écosse et entra au Conseil exécutif comme ministre sans portefeuille et au Conseil législatif comme leader du gouvernement. En tant que membre du cabinet de Fielding, il travailla à dénoncer les faiblesses de la Politique nationale des conservateurs, peu favorable aux familles de mineurs, et joua un rôle capital dans les négociations menant à la création en 1893 de la Dominion Coal Company Limited, fruit de la fusion de la plupart des entreprises minières qui se faisaient concurrence au Cap-Breton [V. Benjamin Franklin Pearson*].
À la demande du caucus libéral de l’île, Murray brigua les suffrages à la Chambre des communes à l’élection partielle du 4 février 1896, cette fois contre le secrétaire d’État sir Charles Tupper*. Il le faisait à contrecœur et la lutte ne fut pas rancunière. L’année précédente, le fils de Tupper, sir Charles Hibbert, alors ministre de la Justice, lui avait offert au nom du gouvernement fédéral le titre de conseiller de la reine, soulignant par là ses mérites, au moins comme avocat. À cause de la méfiance des libéraux locaux à l’égard des récompenses accordées par les tories, Murray avait refusé cette marque d’estime, mais en vain. Quoi qu’il en soit, la victoire de Charles Tupper ne surprit personne. Deux présages allaient s’avérer justes : celle de Murray, selon laquelle le développement d’industries locales assurerait des débouchés pour le charbon du Cap-Breton, et celle de Tupper, selon laquelle son valeureux adversaire était promis à « un brillant avenir ». En juillet 1896, après la défaite des conservateurs et l’entrée de Fielding au cabinet de Wilfrid Laurier*, Murray succéda à son mentor au poste de premier ministre ; il remplit aussi les fonctions de secrétaire de la province, ce qui en faisait le grand responsable des finances de la Nouvelle-Écosse. Il agirait également en qualité d’imprimeur de la reine et de superviseur des constitutions en société et des statistiques, et assurerait la liaison entre le cabinet et les départements de l’Agriculture, de la Santé, de l’Éducation ainsi que de l’Industrie et de l’Immigration, auxquels s’ajouteraient plus tard des commissions telles que celles de la régie des alcools, de la gestion des services publics et des accidents du travail. La succession de 1896 avait contrarié James Wilberforce Longley, libéral de longue date, mais Murray, conciliant de nature, le garda au cabinet et, admettant sa propre inexpérience, s’en remit maintes fois au jugement de cet ancien procureur général. Il put occuper son siège à la Chambre d’assemblée après avoir remporté sans opposition l’élection partielle du 8 août dans la circonscription de Victoria, au Cap-Breton, sans député depuis le départ du conservateur John Lemuel Bethune à la Chambre des communes. Les premières élections de Murray tandis qu’il était premier ministre, le 20 avril 1897, marquerait également sa première victoire personnelle aux urnes.
Selon le politologue J. Murray Beck, « jamais premier ministre n’entra en poste sous d’aussi heureux auspices » que Murray ; celui-ci bénéficiait en effet de l’organisation du parti léguée par Fielding et, jusqu’à la Première Guerre mondiale, profita d’une conjoncture économique généralement favorable dans la province. Lui qui n’avait guère été plus qu’un adjoint de Fielding pendant dix ans demeurerait premier ministre jusqu’à sa retraite en 1923 et conserverait son siège de Victoria dans cinq autres élections (1901, 1906, 1911, 1916 et 1920). Ces 26 ans et demi de service continu lui valurent la distinction d’être le chef de gouvernement le plus longtemps en poste dans un parlement de style britannique. Cependant, Murray n’eut pas toujours la vie facile. Après l’élection de 1901, il sombra dans une dépression nerveuse, maladie caractérisée par « de l’abattement, un profond pessimisme et un manque de confiance en soi » ; ensuite, sa convalescence aux États-Unis lui fit rater la plus grande partie de la session de 1902. Au printemps de 1910, juste avant la clôture des travaux de la session, l’amputation de la jambe au-dessus du genou, nécessitée par la présence d’un caillot, lui porta un dur coup. À la rentrée en 1911, un député conservateur lança avec désinvolture : « Même s’il lui manque des morceaux, il lui en reste assez pour que la session soit intéressante pour nous. » Murray surmonta son handicap en ayant recours à une canne, à une jambe artificielle et aux services d’un chauffeur privé.
On attribuait les défaites répétées des conservateurs provinciaux davantage aux faiblesses du Parti tory qu’aux talents du premier ministre, mais l’aversion notoire de Murray pour la chicane politique et le fait qu’il n’ait été impliqué dans aucun scandale ont peut-être contribué à maintenir les libéraux au pouvoir. Ce pouvoir reposait aussi sur la composition des circonscriptions, découpées de telle manière qu’avec 41,7 % du vote populaire en 1901, les conservateurs ne remportèrent que 2 sièges sur 38, et avec 48,8 % du vote en 1916, que 13 sièges sur 43. Il n’était pas non plus étranger au terne leadership des conservateurs, surtout après la mort de Charles Smith Wilcox* en 1909. Murray lui-même n’était pas homme particulièrement dynamique mais, comme l’écrirait un journal conservateur en 1916, il savait « comment jouer le jeu ».
Dans les limites prescrites par la prudence et le conservatisme fiscal du premier ministre, reconnus tant par ses contemporains que par les spécialistes plus tard, le gouvernement Murray fit avancer les choses dans quatre grands domaines de compétence provinciale : les transports et communications, la formation pratique, le développement économique et la politique sociale. La liaison entre les provinces étant déjà assurée par le chemin de fer Intercolonial, il développa le réseau de transport à l’intérieur de la Nouvelle-Écosse et, pendant sa première décennie au pouvoir, le nombre de milles de voie ferrée fit plus que tripler, passant de 169 à 617. En 1901, Murray se flattait d’avoir obtenu des libéraux fédéraux la subvention de 671 000 $ pour des lignes secondaires que l’ancien gouvernement conservateur avait refusé de verser. La même année, il négocia une entente avec William Mackenzie et Donald Mann* pour la construction du Halifax and South Western Railway, qui faisait partie des projets de liaison transcontinentale tant vantés par ces deux hommes [V. Thomas Robertson*]. Seule la côte Est n’était pas desservie par chemin de fer. (La Halifax and Eastern Railway, constituée juridiquement en 1906, construisit une ligne allant à l’intérieur des terres, qui n’ouvrirait qu’en 1916 et s’arrêterait à Upper Musquodoboit.) Les trains parcouraient la province, transportant les passagers en vacances, en quête de travail ou en voyage d’affaires, ainsi que les marchandises destinées aux marchés régionaux, remplaçant ainsi le transport incertain sur les cours d’eau et les chemins peu carrossables. Jusqu’à l’apparition des automobiles et des autoroutes, ces voies ferrées demeurèrent des liens vitaux.
Bien que les chemins de fer aient reçu plus d’attention que les routes, le gouvernement Murray encouragea aussi la construction d’infrastructures telles que des ponts et des caniveaux en béton armé et autres matériaux « durables ». En 1907, il nomma un commissaire de la voirie et, au cours des dix années suivantes, multiplia par plus que trois les dépenses pour les routes, quoique, selon la coutume, ces dépenses aient été davantage déterminées par le désir de remercier les amis du régime que par les besoins réels. Une importante étape dans la modernisation fut franchie en 1917 avec l’abolition de la corvée pour l’entretien des chemins et la création du premier bureau provincial de la voirie au Canada, chargé de superviser la construction des routes de campagne. Officiellement bipartite et relevant du département de la Voirie créé en 1918, le Provincial Highway Board se trouva dans une situation embarrassante en 1920 à la suite de dépassements de coûts et de manipulations politiques. Murray confia l’enquête sur ce qui serait le seul scandale public de son administration à une commission royale, qui finit par camoufler les nombreuses preuves de partisannerie qu’elle avait recueillies. Pour apaiser la grogne populaire, il réorganisa le Provincial Highway Board ; celui-ci, présidé par Alexander Stirling MacMillan* et composé d’ingénieurs, adopta par la suite une approche plus professionnelle pour la construction des routes. Les progrès techniques permirent aussi l’expansion du réseau téléphonique afin que toutes les collectivités rurales puissent profiter de ce mode moderne de communication ainsi que l’installation de systèmes de réfrigération pour le transport des produits frais de la ferme et de la mer.
La première décennie du xxe siècle fut marquée par des progrès considérables dans la mise en place d’établissements d’enseignement pratique, période pendant laquelle les agents de développement de la Nouvelle-Écosse s’efforcèrent de donner un avantage concurrentiel aux ressources de la province. Murray fit adopter en 1899 et en 1907 des lois qui menèrent à la création du Nova Scotia Agricultural College de Truro, afin de promouvoir l’application de méthodes plus scientifiques en agriculture, et du Nova Scotia Technical College de Halifax, afin de soutenir l’économie industrielle et de mettre un terme à la rivalité des établissements pour l’obtention de programmes de génie. L’éducation des adultes comptait beaucoup dans ces études pratiques ; dans toute la province, on offrit, le soir, des cours de perfectionnement technique et de génie ainsi qu’un programme de formation des mineurs, qui remplaçait les écoles des mines. Dès la veille de la guerre, on avait ajouté des cours d’économie domestique et de tenue de bureau pour les femmes, reconnu l’importance des transports par des cours sur l’entretien des automobiles et inauguré une école de navigation à Halifax. Quoique le réseau d’écoles secondaires professionnelles ne se soit pas concrétisé comme prévu, les contemporains de Murray virent dans son soutien à la formation technique l’une de ses plus importantes contributions. Le député libéral d’arrière-ban Ernest Howard Armstrong* souligna en 1908 que Joseph Howe* avait donné à la province le gouvernement constitutionnel, Charles Tupper, la gratuité scolaire, et Murray, l’enseignement technique.
Ces grandes initiatives en matière d’éducation devaient aider à la mise en valeur des ressources et à l’industrialisation. De plus, le gouvernement Murray intervint directement, et peut-être naïvement, pour défendre les intérêts des capitalistes à une époque où les activités de ceux-ci se fondaient davantage sur l’exploitation des travailleurs, la dilution de capital, le trafic d’influence, les fusions forcées, la mainmise étrangère et la spéculation individuelle que sur le souci du développement local. Nulle part ce phénomène ne fut plus évident qu’au Cap-Breton, région que Murray souhaitait ardemment voir mise en valeur. En 1899, son gouvernement autorisa la location à bail (appelée Big Lease) de terres dans la partie nord de l’île à un consortium de la Nouvelle-Angleterre qui bénéficia de conditions très favorables pour la coupe de bois à pâte et qui, en retour, appuya Murray. Pour aider le financier de Boston Henry Melville Whitney à produire du fer et de l’acier au Cap-Breton, il approuva la même année une réduction de 50 % des redevances sur le charbon payables à la province par la Dominion Coal Company. La Dominion Iron and Steel Company Limited, contrôlée par le groupe même qui avait aidé à former la Dominion Coal Company, développa une industrie tout à fait appropriée, mais elle achetait le charbon à si bas prix qu’elle nuisait à l’industrie minière. De plus, l’inexpérience de ses administrateurs lui fit perdre d’énormes montants d’argent dans la construction de son aciérie de Sydney. Après que Whitney eut vendu ses actions en 1901, les deux compagnies passèrent aux mains d’un consortium dirigé par le financier montréalais James Ross*. Scindées deux ans plus tard, elles furent fusionnées dans la Dominion Steel Corporation en 1910 ; dès 1913, plus de la moitié du charbon vendu en Nouvelle-Écosse servait à la production d’acier.
Étant donné l’importance des redevances sur le charbon – en 1902, les impôts miniers dépassèrent pour la première fois la subvention fédérale comme principale source de revenu de la Nouvelle-Écosse –, il n’est pas surprenant que Murray ait consenti à l’intervention de l’armée pendant les grèves des mineurs. Il se souciait habituellement de protéger la ressource plutôt que le bien-être des hommes. Il vota contre le projet de loi sur la reconnaissance syndicale déposé par l’opposition pendant la grève des mineurs de 1909–1910 et appuyé, avec d’autres mesures favorables aux travailleurs, par le membre le plus progressiste de son gouvernement, le député Arthur Samuel Kendall*. Pendant la grève de 1922 au Cap-Breton, il ne laissa tomber son hostilité envers les ouvriers qu’après avoir négocié le retour des employés d’entretien dans les mines pour empêcher que celles-ci ne soient détruites par des inondations. Malgré l’intérêt que Murray semblait porter au développement économique, la plupart des historiens soutiendraient maintenant que, sous son gouvernement, les ressources houillères de la province furent largement sous-exploitées et les chances d’industrialisation, gaspillées. L’ingénieur minier Francis William Gray avait fait remarquer en 1917 qu’au lieu de devenir « une métropole industrielle », la Nouvelle-Écosse avait « atteint le statut de camp de mineurs ». Poussé par l’urgence de nourrir la population ouvrière en pleine croissance, Murray avait néanmoins mis de l’avant une politique d’immigration visant surtout à attirer des fermiers, politique qui avait eu quelque succès en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas.
Malgré son souci pour les richesses naturelles, Murray n’était pas d’accord avec l’étatisation des compagnies qui les exploitaient. Toutefois, en 1909, son collègue du cabinet William Thomas Pipes* fit adopter une loi instituant un conseil des services publics, chargé de la tarification de l’énergie, de l’éclairage et de l’eau, et, en 1910, Alexander Kenneth Maclean* renforça la politique des terres de la couronne, secteur sévèrement critiqué par Wilcox. Mais dans le domaine litigieux de l’hydroélectricité, où le nouveau chef de l’opposition, Charles Elliott Tanner, faisait campagne pour l’étatisation, Murray, impatient de favoriser le développement, mit sa confiance dans le secteur privé. En 1914, il déclara à l’Assemblée qu’« il serait heureux de voir des compagnies développer les ressources hydrauliques si le législateur veillait à ce qu’elles n’agissent pas à l’encontre de l’intérêt public ». Cependant, l’intérêt public fut parfois pris bien à la légère. L’appui du gouvernement Murray à la fusion menant cette année-là à la formation de la Nova Scotia Tramways and Power Company Limited, soustraite à l’autorité du conseil des services publics, lui aliéna la population de Halifax qui craignait, avec raison, qu’une entreprise corrompue n’augmente inutilement le prix de l’électricité et des tickets de tramway. Le gouvernement finit par créer la Nova Scotia Power Commission en 1919 pour superviser la mise en valeur de l’énergie hydraulique.
Sur le plan social, certaines des lois adoptées et des mesures mises à l’étude par le gouvernement Murray découlaient de l’expansion industrielle de l’avant-guerre. Le privilège foncier accordé aux fournisseurs, le versement bimensuel et en argent liquide des salaires aux mineurs, l’arbitrage pour les travailleurs des mines et le rétablissement des sociétés de secours des mineurs, toutes des mesures instaurées en 1899–1900, visaient à améliorer la situation des ouvriers et de leur famille. En 1910, un projet de loi sur les accidents du travail, modelé sur la loi britannique, fut présenté. La même année, après avoir convenu avec une commission royale que la journée de huit heures serait préjudiciable à l’industrie, Murray fit adopter une loi stipulant que la semaine de travail ne devait pas dépasser 60 heures ; il n’accepta la journée de huit heures qu’en 1912, pour les « jeunes » employés. Certaines de ces mesures protectrices ne résistèrent cependant pas à l’usage. Les lois mêmes qui obligeaient à payer les mineurs en argent permettaient de prélever à la source les sommes nécessaires au remboursement de leurs dettes, ce qui, selon l’auteur Paul MacEwan, eut pour effet pervers d’étendre l’abominable système du troc aux houillères, où il n’avait pas été appliqué. En 1922, Murray refusa d’accorder l’assurance-chômage et se dit satisfait de la feuille de route de son gouvernement : « Nous avons donné aux travailleurs de cette province la première loi sur l’arbitrage du continent. Nous leur avons donné les sociétés de secours ; nous avons aboli le système du troc ; nous avons aboli le salaire mensuel et l’avons remplacé par le salaire aux deux semaines ; nous leur avons donné une loi moderne sur les accidents du travail et nous avons présenté la loi accordant un privilège foncier aux fournisseurs. »
Le secteur de la santé ne fut pas négligé. En particulier, à une époque où la tuberculose était encore un fléau, le gouvernement adopta en 1900 une loi créant un sanatorium, et celui-ci fut ouvert à Kentville en 1904. La volonté de protéger à la fois la santé et la morale donna de la vigueur au mouvement en faveur de la tempérance, qui obtint le Nova Scotia Temperance Act en 1910. Plus sévère que l’Acte de tempérance du Canada, cette loi s’appliquait dans toutes les régions de la province qui ne se pliaient pas volontairement aux dispositions fédérales, sauf dans la ville de Halifax, qui ne fut forcée de s’y conformer qu’en 1916. Murray, qui aimait bien prendre un verre, n’était pas prohibitionniste et avait toujours souhaité une solution fédérale à la litigieuse question des alcools, mais il était disposé à tenir compte de l’opinion publique. L’historien E. R. Forbes a néanmoins attribué l’opposition de Murray à la prohibition avant 1910 à un obstructionnisme délibéré plutôt qu’à l’étapisme pragmatique dont le premier ministre se targuait. Avec la guerre, la règle fédérale s’imposa et la prohibition s’étendit à l’ensemble du pays ; plébiscitée en 1920, soit un an après le relâchement de l’intervention fédérale draconienne, la population de la province se prononça en faveur du maintien de la prohibition, et la Nouvelle-Écosse continuerait d’interdire la vente d’alcools jusqu’à la fin des années 1920.
Les années Murray furent aussi celles où l’État commença à intervenir dans le domaine de l’aide à l’enfance, avec la création en 1912 d’un poste de surintendant à la protection de l’enfance et d’un tribunal de la jeunesse. Pour les femmes, il y eut plus de promesses que de gestes concrets, mais certains progrès furent néanmoins réalisés au chapitre de leurs droits de citoyennes. En 1913 et à d’autres moments, certains membres de l’Assemblée législative se prononcèrent en faveur de leur admissibilité aux fonctions de commissaire d’école, sans toutefois adopter de loi à cette fin. En 1917, le projet de loi provincial sur le suffrage féminin fut également défait, avec la bénédiction de Murray, qui proclamait cependant le droit de vote des femmes inévitable. Cette année-là, les femmes devinrent admissibles au barreau et en 1918, elles obtinrent le droit de vote, cette fois avec le soutien de Murray. En 1919, les premières femmes furent nommées commissaires à l’assermentation. La protection sociale des femmes figurait aussi au programme des libéraux. En 1912, les sièges étaient devenus obligatoires pour les jeunes travailleuses des usines et l’on avait instauré des pensions (quoique maigres) pour les instituteurs, dont la très grande majorité étaient des femmes. Après la guerre, une commission royale formée en 1920 pour étudier les salaires, les heures et les conditions de travail des femmes employées dans l’industrie recommanda la création d’une commission du salaire minimum. Un an plus tard, la même commission, dont une femme était membre, fut invitée à se pencher sur la nécessité de verser des allocations aux mères. Ces mesures ne seraient cependant pas mises en vigueur pendant les turbulentes années 1920.
Pour Murray, la Grande Guerre, durant laquelle deux de ses fils servirent à l’étranger, marqua à bien des égards un tournant. La Nouvelle-Écosse cessa sa progression ordonnée pour se lancer dans une gigantesque opération caractérisée par un enrôlement volontaire massif, l’aide à la Belgique et à la Grande-Bretagne, et l’implantation d’industries de guerre. En 1917, elle eut également à se remettre de l’explosion qui ravagea Halifax [V. Edna May Williston Best]. Malgré des budgets de fonctionnement déficitaires entre 1913 et 1915 – si déficitaires que pour faire cadeau de charbon d’une valeur de 100 000 $ aux Britanniques, le gouvernement dut emprunter à une banque anglaise –, la guerre apporta la prospérité à bien des gens grâce à la création d’usines de munitions dans les villes où l’on produisait de l’acier, à l’essor de la construction à Halifax et à l’augmentation de la production agricole pour aider à nourrir les alliés. Le gouvernement provincial, qui tentait depuis 1901 d’encourager la construction de navires en acier, y parvint finalement en 1916 avec l’ouverture d’un chantier naval à Trenton, auquel s’ajouteraient des installations à Halifax deux ans plus tard. Au fédéral, le gouvernement conservateur de Robert Laird Borden* s’était déjà dit d’accord pour rendre le port de Halifax plus efficace et avait promis 36 millions de dollars en 1913 pour des améliorations, notamment de nouvelles gares maritimes, un accès à l’extrémité sud par chemin de fer, ainsi que des entrepôts de fret et un élévateur à grain. Néanmoins, les recettes provinciales provenant des redevances sur le charbon, des droits successoraux et de la subvention fédérale se révélaient insuffisantes dès avant la guerre. Cette situation força le gouvernement Murray à prélever des impôts sur les sociétés, les services publics, les propriétés foncières et le revenu des particuliers, et à taxer les billets de théâtre et les automobiles. C’est avec beaucoup d’angoisse que Murray décida d’appuyer en 1917 le gouvernement d’unité nationale de Borden, rompant ainsi avec son grand ami sir Wilfrid Laurier. Cet appui fut d’abord mitigé – il refusa apparemment un poste au cabinet de Borden – mais dès octobre, il souscrivait fermement à la coalition, y compris à la candidature de A. K. Maclean dans Halifax. Dans le domaine des relations fédérales-provinciales, il défendit résolument durant toute sa carrière le droit des Maritimes à un dédommagement pour leur part d’intérêt dans les terres publiques des provinces du Centre et de l’Ouest, campagne reprise en 1919 par le député libéral provincial James Cranswick Tory et annonçant le mouvement en faveur des droits des Maritimes.
Après la guerre, l’émergence de puissants groupes de pression et regroupements d’entreprises, jusque-là inconnus ou inefficaces, vinrent bouleverser le monde « sensé, stable [et] sûr » défendu par Murray. Les fermiers, pour se faire entendre sur la scène politique, formèrent la United Farmers of Nova Scotia en 1920. Le United Mine Workers of America, après avoir été reconnu comme seul syndicat des mineurs en 1917–1918, s’en prenait déjà ouvertement en 1919 à la politique minière du gouvernement et préconisait l’action politique [V. Robert Drummond]. Il y avait aussi les capitalistes ; dépendants pour une bonne part d’intérêts étrangers, ils constituèrent la British Empire Steel Corporation Limited – la Besco – en société à charte provinciale en 1920, y fusionnant pêle-mêle les compagnies de charbon et d’acier de la province, la Halifax Shipyards Limited et d’autres entreprises. La récession économique ne permettait cependant pas d’amasser les énormes profits nécessités par la fusion de la Besco (terminée en 1921) sans réduire les salaires des mineurs. Le gouvernement était surveillé jusqu’à l’Assemblée législative. En 1922, des chômeurs rassemblés dans les tribunes huèrent Murray quand celui-ci, incapable de faire face à la crise, annonça que le salut de la Nouvelle-Écosse se trouvait dans la diversité économique. « Nous n’avons pas [mis] tous nos œufs dans le même panier », soutenait-il. Dans les villages et localités rurales de la province, des groupes de citoyens, stimulés par le mouvement en faveur de l’amélioration des chemins, exigeaient que l’on s’occupe des routes, en particulier celles, « cabossées », du Cap-Breton.
Tout cela augurait mal. Murray adopta donc deux stratégies pour garder les libéraux au pouvoir. Premièrement, il déclencha ses dernières élections un an plus tôt, en juin 1920, pour profiter de ce qui restait du patriotisme de la guerre et couper l’herbe sous le pied aux tiers partis naissants. Grâce à cette tactique-surprise, les libéraux furent réélus, avec 29 des 43 sièges, mais l’opposition était maintenant assurée par une vague alliance des sept députés des United Farmers et des quatre députés ouvriers plutôt que par les seuls conservateurs, qui n’avaient remporté que trois sièges. Deuxièmement, affaibli de nouveau par une maladie débilitante, Murray prépara sa sortie en se cherchant un successeur. On voyait bien qu’il ralentissait. Il assista irrégulièrement aux séances de l’Assemblée en 1920. En 1921, il était trop malade pour s’y rendre – il se présenta seulement, et en retard, à son assermentation – et fit un séjour dans un sanatorium de Battle Creek, au Michigan. Son départ de la politique étant imminent, une loi fut votée en 1921 afin que des prestations annuelles de retraite lui soient versées en reconnaissance de ses longues années de service. Au grand étonnement de tous, il revint pour la session de 1922 et ne démissionna de son poste de premier ministre qu’en janvier 1923 ; il quitta son siège de député le mois suivant. Le choix de son successeur n’alla pas sans difficulté. Le candidat favori à la direction du parti, E. H. Armstrong, alors commissaire des travaux publics et des mines, exprima sa préférence pour une nomination à la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse. Le deuxième en lice, le ministre J. C. Tory, voulait du temps pour se dégager de ses engagements à la Compagnie canadienne d’assurance sur la vie, dite du Soleil, à Montréal. Au lieu d’attendre Tory, qui était le plus intéressé des deux, Murray fit pression auprès d’Armstrong et réussit à le convaincre. Tory fut nommé lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse en 1925, peut-être en guise de consolation. S’il eut quelque rancune envers Murray sur la question, la brouille ne dura pas longtemps, car les Murray habitèrent dans la maison de Tory à Westmount après s’être installés à Montréal pour se rapprocher de leur famille. En 1929, Murray mourut d’une pneumonie chez son fils Wilfrid Laurier. Son corps fut inhumé selon le rite de l’Église unie au cimetière Lakeside de North Sydney.
Aucun premier ministre n’aurait pu rester aussi longtemps en poste sans être profondément respecté par ses concitoyens. Murray s’était gagné ce respect par des qualités rares chez un homme politique du xxe siècle : l’honnêteté, l’intégrité et la modestie. Lui qu’on a dit rusé lorsqu’il s’agissait de la chose publique n’en était pas moins d’un abord facile, d’une réputation sans tache et d’une grande gentillesse. Sa cordialité était légendaire : il recevait ses amis en fin de soirée au Halifax Hotel, où il habitait pendant la session – sa femme demeurait manifestement à la maison à North Sydney et faisait rarement des apparitions en public – et n’hésitait pas à faire connaissance avec des gens de tous les milieux. Il serait exagéré de dire qu’il était populiste, mais il aimait de toute évidence les contacts humains et pratiquait sur le plan personnel ce libéralisme qu’il décrivit, à un banquet donné en son honneur en 1910, comme « le moyen de protéger les droits des masses contre ceux des classes ». En 1913, William Arnot Craick rappela dans le Maclean’s de Toronto que Murray était réputé pour s’arrêter dans la rue et parler, d’homme à homme, à un terrassier de son travail. Il avait pris la peine de négocier lui-même avec une femme de ménage de Province House le salaire de cette employée, et l’anecdote était passée dans les annales de la famille. Ce genre d’histoires fit dire à son collègue, l’ancien député Edward Mortimer Macdonald*, que Murray « écoutait les simples citoyens qui voulaient lui faire part de leurs affaires personnelles avec la même attention et la même patience tranquille qu’il avait envers les personnages influents ».
Murray se vit offrir bien des honneurs en reconnaissance de ses services. On voulut le faire chevalier en 1911 puis en 1914, mais il refusa, préférant, comme l’écrivit le Morning Chronicle de Halifax, rester « George Murray tout court ». Il accepta cependant des doctorats honorifiques en droit du St Francis Xavier College d’Antigonish en 1905 et de la Dalhousie University de Halifax en 1908. Il fut également décoré par la Belgique (1919) et la France (1921), qui le remerciaient ainsi de l’efficacité avec laquelle il avait dirigé les secours portés durant la guerre. S’il avait eu plus d’ambition et une meilleure santé, il aurait pu prétendre succéder à Laurier à la direction du Parti libéral du Canada, quoique de toute évidence Fielding lui barrait la route et que les deux hommes manquaient d’appuis dans la province de Québec. En tout cas, il fut coprésident du congrès national des libéraux qui, en août 1919, choisit William Lyon Mackenzie King*.
Estimé par à peu près tous, George Henry Murray se contentait d’être un homme politique modérément progressiste, qui gouvernait à distance et laissait l’administration quotidienne aux diverses commissions et aux fonctionnaires. Un premier ministre énergique, imaginatif et interventionniste aurait probablement pu faire davantage pour maintenir l’industrialisation de la Nouvelle-Écosse et assurer de meilleurs débouchés à ses produits. De plus, quand la province se trouva au bord de la faillite après la guerre, il manquait à Murray trois choses essentielles : du poids politique à Ottawa, l’harmonie dans les relations industrielles en Nouvelle-Écosse et, malgré sa très longue expérience, une stratégie pour faire face aux revers provoqués par la désindustrialisation et les politiques fédérales favorisant le centre du pays.
Il semble que George Henry Murray a détruit ses papiers. Le texte qui précède s’appuie principalement sur quatre sources : la Canadian annual rev., 1901–1923 ; une notice biographique de W. A. Craick, « Premier Murray of Nova Scotia : Cape Breton or Pictou are the stamping grounds for leaders of men », Maclean’s (Toronto), 26 (mai–oct. 1913), nº 6 : 5–7, 112 ; le Morning Chronicle (Halifax), 7 juin 1919 ; et J. M. Beck, Politics of Nova Scotia (2 vol., Tantallon, N.-É., 1985–1988), 2. [j. f.]
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Judith Fingard, « MURRAY, GEORGE HENRY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/murray_george_henry_15F.html.
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Auteur de l'article: | Judith Fingard |
Titre de l'article: | MURRAY, GEORGE HENRY |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
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