BRÛLÉ, ÉTIENNE, interprète en langue huronne (huronne-wendate), probablement le premier Européen à avoir pénétré en Huronie et en Pennsylvanie, et à avoir vu les lacs des Hurons, Ontario, Supérieur et Érié, né vers 1592 vraisemblablement à Champigny-sur-Marne (près de Paris), tué par les Hurons vers juin 1633.

Étienne Brûlé n’a malheureusement laissé de description personnelle ni de son existence parmi les Autochtones ni de ses explorations. Le fil de sa vie doit être cherché dans les écrits de Samuel de Champlain, Gabriel Sagard et Jean de Brébeuf où, encore, il ne se retrace que confusément. Échappant à toute poursuite systématique, l’image de l’explorateur, comme dans une forêt parsemée d’éclaircies, y apparaît et disparaît tour à tour, énigmatique et fascinante.

Nous ne savons presque rien de ses origines. L’année de son arrivée au Canada fut longtemps l’objet de diverses conjectures, puisque Champlain n’identifie clairement Étienne Brûlé qu’en 1618. À cette date, Champlain le nomme par son nom, tout en précisant que Brûlé vit depuis huit ans parmi les Autochtones. Or, en 1610, un « jeune garçon qui avoit desia yverné deux ans à Quebecq » demandait à Champlain la permission d’aller habiter avec les Algonquins pour apprendre leur langue. Ce garçon fut le premier Européen, et le seul cette année-là, à tenter une telle aventure. Ce recoupement nous permet de croire que le « jeune garçon » dont parle Champlain avant 1618 est bien Étienne Brûlé, et qu’il se trouvait à Québec depuis 1608.

Brûlé avait-il participé aux deux premiers combats livrés par Champlain aux Iroquois (Haudenosaunee) ? Rien ne l’indique. Il est possible, cependant, qu’il ait pris part au moins à celui de l’été 1610, puisque c’est le lendemain même de cette bataille qu’il exprima à Champlain son désir d’aller vivre auprès des Autochtones. Champlain, qui avait déjà conçu le projet de former des interprètes, accepta volontiers et confia Brûlé au chef algonquin Iroquet, accueillant en échange un jeune Huron, nommé Savignon, qui devait l’accompagner en France.

Aucune trace documentaire n’est restée de cette première expérience de vie d’un Français chez les nations autochtones du Canada, ni du trajet que Brûlé a pu suivre avec les Algonquins et plus précisément avec la communauté dirigée par Iroquet. La forêt engloutit le jeune aventurier et nous le perdons de vue. Il a dû hiverner avec Iroquet, mais où ? Le chef algonquin a aussi bien pu passer cet hiver en Huronie que rester dans son village, dans la vallée de la rivière des Outaouais (Ottawa). Tout ce que Champlain écrit sur l’exploit du jeune homme est qu’il fut le premier Européen à traverser en canot le saut Saint-Louis (les rapides de Lachine, près de Montréal). Lorsque plus tard Champlain, à son tour, s’aventure sur ces rapides avec l’aide de guides autochtones, il admet en effet ne l’avoir encore jamais fait lui-même « ny autre Chretien, hormis mondit garçon [Étienne Brûlé] ».

Le retour de Brûlé et des Algonquins s’effectua, tel que prévu, un an après leur départ, vers le 13 juin 1611, événement mémorable que Champlain décrit avec une certaine émotion : « Aussi je vis mon garçon qui vint habillé à la sauvage, qui se loua du traictement des sauvages, selon leur pays, & me fit entendre tout ce qu’il avoit veu en son yvernement, & ce qu’il avoir apris desdicts sauvages. [...] Mon garçon [...] avoit fort bien apris leur langue ». Un personnage nouveau était né : le « truchement » ou interprète, appelé à jouer un rôle important dans les débuts de la colonie. Vivant parmi les Algonquins, à leur manière, il semblait être accepté d’eux comme l’un des leurs. Il constituait désormais un agent de liaison entre les colonisateurs et les Autochtones.

Le parcours de Brûlé durant les quatre années qui suivirent son retour demeure obscur. Certains faits nous permettent de présumer qu’il séjourna en Huronie – où, par la suite, il établira son domicile – pendant au moins une partie de cette période. En conséquence, il est probable qu’il ait été le premier Européen à voir cette contrée et à parcourir le long trajet qui y conduit par les rivières des Outaouais et Mattawa, le lac Nipissing, la rivière des Français et la baie Georgienne. Son exploration de la Huronie – en admettant qu’elle eut lieu – fut la première des nombreuses pérégrinations que l’interprète devait encore accomplir entre 1615 et 1626.

En 1615, Brûlé se lançait dans une expédition qui devait le rendre célèbre. Entreprenant leur troisième campagne contre les Iroquois, Champlain et les Hurons, en route cette année-là vers le village des Onontagués (Onondagas) situé non loin de la future ville de Syracuse, N. Y., décidèrent d’envoyer une délégation aux Andastes (Susquehannah), alliés des Hurons, pour solliciter leur appui pour le combat projeté. Les Andastes habitaient au sud des Cinq-Nations iroquoises (dans ce qui deviendrait le comté de Tioga, N. Y., probablement entre Elmira et Binghamton). Pour y parvenir rapidement, la délégation devait traverser le territoire ennemi ; 12 des meilleurs guerriers hurons furent désignés. Brûlé demanda à Champlain la permission de les suivre, « ce que facillement je luy accorday, écrit ce dernier, puisque de sa volonté il y estoit porté, & par ce moyen verroit leur pays, & pourroit recognoistre les peuples qui y habitent ». La délégation se sépara de Champlain sur le lac Simcoe, l’armée huronne poursuivant son chemin par le Nord, Brûlé et les 12 guerriers partant en direction du Sud. Comme toujours lorsqu’il s’agit de Brûlé, aucun rapport précis n’a été fait du trajet de ce voyage. Toutefois, les historiens et historiennes s’accordent en général pour dire que la troupe dut suivre la rivière Humber jusqu’à son embouchure (où serait établie la ville de Toronto), longer le lac Ontario en direction de l’Ouest, puis mettre pied à terre quelque part sur la rive sud, peut-être entre les rivières Niagara et Genessee, pour ensuite continuer vers Carantouan, capitale des Andastes. La mission des Hurons et de Brûlé ne fut pas couronnée de succès. Bien qu’ils aient réussi à lever une armée andaste, celle-ci parvint au rendez-vous convenu avec Champlain avec deux jours de retard, alors que l’armée huronne, déjà défaite par les Iroquois, avait quitté les lieux. Après cet échec, Brûlé retourna avec les Andastes à Carantouan pour continuer son exploration.

Dans le récit que Brûlé fit plus tard à Champlain de ses aventures au pays des Andastes, il affirma avoir passé l’automne et l’hiver à explorer les nations et régions voisines, en « se pourmenant le long d’une riviere qui se descharge du costé de la Floride », et avoir continué « son chemin le long de ladicte riviere jusques à la Mer, par des isles, & les terres proches d’icelles ». Ne possédant probablement pas la science nécessaire pour dresser une carte ou déterminer les coordonnées, Brûlé ne donne qu’une description vague de la région visitée. Considérant la situation géographique de Carantouan, il est néanmoins permis de croire qu’il s’agit de la rivière Susquehanna que Brûlé aurait descendue en commençant par l’un de ses bras qui prend sa source dans ce qui deviendrait le comté d’Otsego, N. Y., jusqu’à la baie Chesapeake qui, en effet, est remplie d’îles, et se rendit à l’océan. Notons que la baie elle-même avait déjà été parcourue par le capitaine John Smith en 1608. Ce dernier n’avait pu toutefois remonter la rivière à cause des obstacles. Étienne Brûlé, premier Européen à voir le lac Ontario, serait donc aussi le premier à avoir foulé le sol de la future Pennsylvanie. Mais, selon le récit de Brûlé, le voyage n’était pas encore fini. Sur le chemin du retour, il se serait égaré et serait tombé entre les mains des Tsonnontouans (Sénécas). Ces Iroquois auraient eu le temps de lui faire subir le début du supplice réservé aux prisonniers, ajoutant à ses exploits le triste privilège d’être le premier Blanc à avoir eu l’expérience de leurs tortures. Toutefois, Brûlé aurait réussi, par ruse – en interprétant, déclara-t-il, l’apparition soudaine d’un orage comme une intervention du ciel en sa faveur – à les convaincre de le relâcher. Lui ayant rendu sa liberté, ils l’accueillirent dans leur communauté, l’invitant même à participer à leurs festins. Lhistorien A. G. Zeller met toutefois en doute la véracité de la partie du récit de Brûlé concernant le miracle. Les Tsonnontouans, désireux de conclure la paix et de commercer avec les Blancs, auraient relâché Brûlé sur sa promesse « de les mettre d’accord avec les François, & leurs ennemis, & leur faire jurer amitié les uns envers les autres ». Comprenant que la conclusion d’une paix franco-iroquoise compromettrait les intérêts de ses amis les Hurons, Brûlé aurait inventé l’intervention céleste pour expliquer à Champlain l’hospitalité ennemie.

Fidèle à une promesse qu’il avait faite à Champlain, Brûlé entreprit ensuite une expédition qui devait le mener au lac Supérieur. L’historien C. W. Butterfield, qui a étudié ses déplacements, fixe à 1621–1623 la date de ce voyage. Malgré le défaut de sources écrites, il en reconstitue assez vraisemblablement le parcours. Avec un dénommé Grenolle, Brûlé serait parti de Toanché, village huron du clan de l’Ours où il avait établi sa résidence. Les deux aventuriers seraient montés en canot vers le Nord, en longeant la côte de la baie Georgienne, jusqu’aux mines de cuivre exploitées par des Autochtones dans la partie de la côte nord qui serait plus tard connue sous le nom de « the North Channel ». En effet, Sagard relate qu’à « environ 80. ou 100. lieuës des Hurons, il y a une mine de cuyvre rouge, de laquelle le Truchement Bruslé me monstra un lingot au retour d’un voyage qu’il fit à la Nation voisine avec un nommé Grenolle ». Les deux compagnons seraient ensuite passés par la rivière Sainte-Marie jusqu’au lac Supérieur. Butterfield suppose encore que Brûlé et Grenolle auraient continué leur trajet en longeant la côte nord du lac Supérieur jusqu’à la rivière Saint-Louis, à l’endroit où seraient établies les villes de Duluth et Superior. Il n’y a toutefois aucune preuve démontrant que Brûlé ait effectivement traversé le lac, quoique Sagard semble l’affirmer implicitement : « Le Truchement Bruslé avec quelques Sauvages nous ont asseuré qu’au delà de la mer douce [lac des Hurons], il y a un autre grandissime lac, qui se descharge dans icelle par une cheute d’eau que l’on a surnommé le Saut de Gaston [saut Sainte-Marie], ayant prés de deux lieuës de large, lequel lac avec la mer douce contiennent environ trente journées de canots selon le rapport des Sauvages, & du truchement quatre cens lieuës de longueur. » Le fait que Brûlé ait une opinion différente de celle des Autochtones indiquerait qu’il avait fait le trajet et en donnait une évaluation personnelle. Brûlé aurait donc précédé les explorations de Daniel Greysolon* Dulhut et de Nicolas Perrot* dans cette région.

Aux territoires parcourus par Brûlé, il faut probablement ajouter le pays des Neutres. Selon Butterfield, il s’y serait trouvé vers 1625. Quoique très probable, cette hypothèse ne repose sur aucune preuve documentaire. Nous ne pouvons nous baser que sur une phrase dans laquelle le père Joseph de La Roche Daillon manifeste en 1626 le désir d’aller au pays des Neutres dont, dit-il, l’interprète Brûlé raconte des merveilles. La nation huronne et la nation neutre entretenaient d’ailleurs des relations amicales et continues, circonstance qui rend encore plus plausible le voyage de Brûlé, si l’on tient compte du nombre d’années que ce dernier avait passées en Huronie. Si Brûlé est allé au pays des Neutres, il a dû voir le lac Érié. Ainsi, il serait le premier Européen a avoir atteint quatre des Grands Lacs.

Quelques auteurs accordent à Brûlé le mérite additionnel d’avoir participé à la rédaction du dictionnaire de la langue huronne du frère Sagard. Ce n’est qu’une supposition, bien que l’on soit certain que l’interprète ait, au début, aidé Sagard à apprendre cette langue. On a aussi soutenu que Brûlé rendit le même service à Brébeuf, qui vécut trois ans à Toanché, de 1626 à 1629. Nous ne croyons toutefois pas que ce fut le cas, les relations entre Brûlé et Brébeuf n’ayant jamais été bonnes. De plus, Sagard sest plaint de ce que les interprètes se soient ligués par la suite pour refuser d’apprendre aux missionnaires les langues autochtones.

Auteur d’exploits remarquables, Brûlé a également adopté les mœurs et la culture des Autochtones qu’il a côtoyés, ce qui lui valut des jugements sévères de la part de ses contemporains. « L’on recognoissoit cet homme pour estre fort vicieux, & adonné aux femmes », écrit ainsi Champlain. Aux yeux de ce dernier et des missionnaires, cette assimilation d’un Européen à un état de civilisation jugée inférieure provenait du désir de vivre dans la débauche et constituait un péché qu’ils pouvaient difficilement pardonner. Brûlé était bien jeune lorsque, en 1610, il partit vivre avec les Algonquins, et il n’aurait possédé qu’une éducation religieuse fort sommaire ; un jour, raconte Sagard, s’étant trouvé en danger de mort, pour toute prière, Brûlé ne sut réciter que le Benedicite. Mais Champlain lui gardait encore rancune pour une autre raison : celle de travailler – comme son confrère Nicolas Marsolet, interprète en langues montagnaise et algonquine – au profit des marchands plutôt qu’à celui de la colonisation. Brûlé, en effet, recevait des commerçants un salaire annuel de 100 pistoles pour encourager les Autochtones à venir trafiquer. De surcroît, lors de la prise de Québec en 1629, Brûlé avait accepté, avec trois autres compagnons, d’abandonner Champlain en se mettant au service des frères Kirke. Accusé par Champlain de trahison, il repartit vivre en Huronie.

Les circonstances qui entourent la mort de Brûlé baignent dans une atmosphère de mystère. Pour une raison que l’on ignore, les Hurons, parmi lesquels il avait habité pendant 20 ans, l’ont assassiné et lauraient mangé. Lorsque Brébeuf retourne à Toanché, il trouve le lieu désert, le clan de l’Ours ayant abandonné le village et s’étant divisé. Selon certains, les Ours ne sont pas arrivés à se « purger » de cet assassinat et ont avoué n’avoir « tiré aucune satisfaction » de la mort de l’interprète. Poursuivis par des épidémies, ils auraient attribué la cause de leurs malheurs à la vengeance de l’esprit de la sœur ou du frère du mort qui ont soufflé sur eux la malédiction. Longtemps, les soupçons se sont portés sur leur chef, Aenon, mais ce dernier a réfuté cette accusation. Faute de preuves, l’énigme de l’assassinat de Brûlé demeure irrésolue.

Doué d’un grand esprit d’indépendance, d’initiative et d’un incontestable courage, Étienne Brûlé fut, malgré les critiques, une personnalité fascinante et très colorée. Il constitue notamment un exemple frappant de l’attrait qu’exerçaient la vie et la culture des Autochtones sur la jeunesse française au premier siècle de la colonie.

Olga Jurgens

N.B. : Une nouvelle biographie dÉtienne Brûlé est en cours de préparation.

Champlain, Œuvres (Laverdière), 368–370, 397–404, 408, 507, 523, 590, 621–629, 1 043, 1 045, 1 064–1 065, 1 228s., 1 249–1 251.— JR (Thwaites).— Sagard, Histoire du Canada (Tross), 306, 328, 338, 430–432, 456s., 589, 716s., 752s. ; Long journey (Wrong and Langton).— Morris Bishop, Champlain : the life of fortitude (New York, 1948).— C. W. Butterfield, History of Brulé’s discoveries and explorations, 1610–1626 (Cleveland, 1898).— Benjamin Sulte, Étienne Brûlé, MSRC, I (1907), sect. : 97–126.— J. Tremblay, La Sépulture d’Étienne Brûlé, MSRC, IX (1915), sect. i : 145–164.— A. G. Zeller, The Champlain-Iroquois Battle of 1615 (Oneida, N.Y., [1962 ?]), 19, 22.

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Olga Jurgens, « BRÛLÉ, ÉTIENNE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 4 déc. 2025, https://www.biographi.ca/fr/bio/brule_etienne_1F.html.

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Auteur de l'article:    Olga Jurgens
Titre de l'article:    BRÛLÉ, ÉTIENNE
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1966
Année de la révision:    2025
Date de consultation:    4 déc. 2025