DORLAND, THOMAS, fonctionnaire, juge de paix, homme politique, officier de milice et homme d’affaires, né en 1759 à Beekmans Precinet, New York, fils de Samuel Dorland ; il épousa Alley Gow, et ils eurent deux fils et trois filles ; décédé le 5 mars 1832 à Adolphustown, Haut-Canada.

Thomas Dorland descendait de quakers hollandais qui immigrèrent en Amérique du Nord au milieu du xviie siècle et qui s’établirent à l’île Long, dans la colonie de New York. Bien que sa famille se soit montrée loyale pendant la Révolution américaine, seul Thomas s’affranchit des doctrines de nonviolence des quakers et prit les armes. Selon la légende, il fut fait prisonnier par les rebelles mais s’échappa, et ses esclaves refusèrent, malgré les menaces, de révéler sa cachette. Dorland fut l’un des nombreux réfugiés loyalistes qui se rendirent à New York, où il se joignit aux Associated Loyalists. Il servit jusqu’en septembre 1783 et partit alors pour la province de Québec au sein d’une compagnie commandée par Peter Van Alstine. Après avoir passé l’hiver à Sorel [V. Michael Grass*], le groupe se remit en route et, en juin 1784, il arriva dans le canton no 4 (canton d’Adolphustown) situé dans la baie de Quinte (Ontario). Un rapport daté du 5 octobre disait que Dorland et une femme, probablement son épouse, « logeaient sur leur terre ». Ils consacrèrent les quelques années qui suivirent aux tâches traditionnelles de cultiver la terre et d’élever une famille.

Philip, frère de Thomas, était l’une des figures dominantes du canton. Il siégea au premier Parlement du Haut-Canada mais, étant quaker, il refusa de prêter le serment exigé. Quant à Thomas, la Société des Amis le désavoua parce qu’il avait pris les armes, et sa carrière publique ne connut pas les mêmes obstacles. À partir de 1793, diverses fonctions municipales lui furent confiées : inspecteur des grands chemins, cotiseur et percepteur. En 1797, il remplissait aussi de toute évidence la charge de juge de paix du district de Midland. La demande qu’il fit la même année à titre de magistrat pour obtenir une concession de 1 200 acres de terre fut acceptée par le Conseil exécutif. Dorland participa régulièrement aux séances de la Cour des sessions trimestrielles en tant que juge de paix.

En 1804, Dorland fut élu à la chambre d’Assemblée pour représenter la circonscription de Lennox and Addington. Le moment était bien choisi. Quand Dorland arriva à York (Toronto), les réformes administratives du lieutenant-gouverneur Peter Hunter* suscitaient une opposition qui gagnait fortement l’attention du Parlement. Sous la direction de David McGregor Rogers et, après 1805, de William Weekes*, un petit groupe fluctuant de députés se servait de la chambre pour exposer les griefs de la population. Bien qu’il n’ait jamais été une figure importante de l’Assemblée, Dorland se montra actif pendant toute la session de 1805. Il appuya les tentatives visant à réviser l’Assessment Act de 1803, à étendre aux non-conformistes tous les droits civils et religieux, et à limiter le traitement des fonctionnaires. L’opposition prit sa place durant le bref mandat d’Alexander Grant* et, sous la direction de Robert Thorpe* puis de Joseph Willcocks*, elle se solidifia jusqu’à la guerre de 1812. Qualifié par ses détracteurs de « parti », terme qui était alors synonyme de faction, le groupe était en fait une vague association d’intérêts qui se rejoignaient parfois, souvent pour des raisons disparates, sur des questions perçues comme des causes communes.

Bon nombre des réformes faites par Hunter éveillèrent un profond sentiment d’injustice chez les loyalistes, qui s’indignaient surtout des restrictions imposées sur les concessions de terre dont eux-mêmes ou leurs descendants auraient pu bénéficier. Aussi, en 1807, Dorland et Allan MacLean* présentèrent-ils une requête au Conseil exécutif au nom des enfants des loyalistes de la communauté. Thorpe espérait faire cause commune avec les loyalistes et, selon Richard Cartwright*, il courtisa assidûment les députés loyalistes, tels que Dorland et Ebenezer Washburn. Ces démarches s’avérèrent fructueuses : une proposition soumise par Thorpe et demandant que l’on étudie les réclamations formulées par des loyalistes et des militaires en vue d’obtenir des terres fut rejetée en mars 1807 par une majorité d’une seule voix. Cartwright considérait des hommes du type de Dorland comme « des gens simples » qui étaient les « dupes de M. Thorpe dans ses efforts pour semer la confusion ».

Toutefois, la vérité n’était pas si simple. Dorland était un homme de nature indépendante. Il soutint énergiquement les efforts déployés en vue de revendiquer les droits de l’Assemblée et d’utiliser les pouvoirs de cette institution pour réparer les injustices. Néanmoins, il ne voulut pas appuyer la motion présentée le 1er mars 1805 par Weekes et Rogers et proposant que l’on discute du « malaise qui sévissait] dans la province [et qui était dû à] l’administration de la fonction publique ». Dorland était un modéré et ses critiques envers le gouvernement ne furent jamais aussi globales que celles de Weekes ou de ses successeurs. Son opposition laissait clairement transparaître son régionalisme et reflétait les inquiétudes des petits fermiers et des loyalistes. Par exemple, il s’opposa sans relâche au District School Act de 1807. Selon lui, cette loi « n’était pas utile au district en général ». Les pétitions qu’il présenta à la chambre éclaircissent le sens de cette remarque. Les pétitionnaires se plaignaient que « quelques riches habitants de la région et les citoyens de la ville de Kingston récolt[aient] exclusivement les bénéfices [de l’école de district...] L’établissement, au lieu d’aider la classe moyenne et la plus démunie [...] laiss[ait] l’argent tomber dans les mains des riches. » Quand la chambre tenta en 1808 de refaire l’ordre du jour afin de permettre la troisième lecture d’un amendement à la loi, Dorland, Rogers et Peter Howard* quittèrent la chambre afin d’empêcher qu’il y ait quorum. Le lieutenant-gouverneur Francis Gore*, décrivant leur conduite comme « extraordinaire » et leur geste comme « sans précédent », leur enleva leur charge. Dorland fut exclu de la liste des juges de paix et ne retrouva son poste qu’en 1814. Toutefois, cela ne le déconcerta nullement. Réélu en 1808, il suivit à peu près la même ligne de conduite qu’auparavant. Néanmoins, il mit un frein à ses activités, probablement pour des raisons de santé. Au cours des années 1811 et 1812, il appuya fréquemment les initiatives de Willcocks dirigées contre le gouvernement, mais se détacha de l’opposition chaque fois qu’il le jugea à propos. On ne sait si Dorland se présenta dans sa circonscription aux élections de 1812.

Officier depuis longtemps du 1 st Lennox Militia, il y fut capitaine pendant la guerre de 1812 et, à ce titre, il siégea au tribunal qui condamna Joseph Seely*. À défaut d’autres résultats, cette guerre démontra clairement à la bureaucratie d’York la distinction à faire entre mécontents et dissidents. Dorland se classait nettement dans la première catégorie. Le 24 mars 1814, il fut nommé commissaire chargé d’enquêter sur les cas de haute trahison.

Pendant les années d’après-guerre et même jusqu’à sa mort, Dorland fut l’exemple même du citoyen dévoué au bien public. Il fut, avec John Macaulay*, John Kirby* et Thomas Markland*, l’un des juges de paix les plus en vue du district de Midland. Il fit régulièrement partie du jury d’accusation, souvent à titre de président, ce qui le fit connaître encore davantage de la population. Dans les dernières années de sa vie, il fut toujours choisi comme juge assesseur de la Cour d’assises du district. Il fut membre de la Midland District Agricultural Society, souscripteur pour le monument de Brock et agent du Kingston Chronicle à Adolphustown. En 1823, il accéda au grade de major dans la milice. De 1802 à 1824, il exploita un traversier qui faisait la navette entre Adolphustown et le comté de Prince Edward.

On a dit de Thomas Dorland qu’il avait possédé jusqu’à 20 esclaves. Apparemment surnommé « Devil Tom », il était bien connu pour ses « tours bizarres et hasardeux ». C’était, semble-t-il, un homme sans grandes convictions religieuses. Bien que ses enfants aient été mariés par le pasteur presbytérien Robert McDowall*, et hormis sa jeunesse passée parmi les quakers, Dorland n’adhéra officiellement à la religion que vers la fin de sa vie, lorsqu’il devint membre de l’Église d’Angleterre. Gore et Cartwright se scandalisèrent du comportement de Dorland sur la scène politique, mais John Beverley Robinson* et Macaulay gardèrent de lui un souvenir différent. Commentant une adresse de Macaulay au jury d’accusation à Adolphustown après la mort de Dorland, Robinson s’exprima en ces termes : « Vous dites que notre vieil ami respecté Thomas Dorland a laissé un « vide » qui ne sera pas facile à combler. C’est littéralement vrai, car les temps présents ne semblent pas produire des hommes de cette trempe. »

Robert Lochiel Fraser

AO, MS 78, J. B. Robinson à John Macaulay, 25 mars 1833 ; MS 522, memorandum concernant le District School Bill, 5 mars 1808 ; RG 22, sér. 54, 1–2 ; sér. 159, Thomas Dorland, 1833.— APC, RG 1, E3, 27 : 78, 83–85 ; L3, 104 : C13/56 ; 150 : D3/28, 68 ; 152 : D8/46 ; 153 : D9/21 ; 155 : D12/175 ; 555 : leases and licences of occupation, 1798–1838/18 ; RG 5, A1 : 14037–14039 ; RG 8, I (C sér.), 1203 : 16, 31, 40 ; 1717 : 24 ; RG 68, General index, 1651–1841 : 124, 126, 128–129, 406, 411, 424, 432, 436, 441, 452, 467.— BL, Add. mss 21828 : 68 (copie aux APC).— Lennox and Addington County Museum (Napanee, Ontario), Lennox and Addington Hist. Soc. Coll., William Bell papers : 357 ; T. W. Casey papers : 11728–11729 ; Thomas Dorland, deed, 1807 : 31263 ; mortgage, 1831 : 31265.— QUA, Richard Cartwright papers, letter-books (transcriptions aux AO, 63, 252–261, 264–268).— « Early municipal records of the Midland District », Ontario, Bureau of Industries, App. to the report (Toronto), 1897 : 4, 7–8, 13, 35–49, 60, 70–71.— « Journals of Legislative Assembly of U.C. », AO Report, 1911 ; 1912 : 1–97 ; 1914 : 447–449.— « McDowall marriage register », [Robert] McDowall, compil., OH, 1 (1899) : 75, 84.— « Political state of U.C. », APC Report, 1892 : 43.— « U.C. land book C », AO Report, 1931 : 22, 53.— Kingston Chronicle, 4 mai, sept. 1814, 19 févr., 16 avril 1819, 5 mai 1820, 29 août 1823, 22 sept. 1826, 18 mai 1827, 19 juill. 1828, 19 sept., 31 oct. 1829, 10 sept. 1831, 10 mars 1832.— Upper Canada Gazette, 26 févr., 2, 9 mars 1808.— Armstrong, Handbook of Upper Canadian chronology (1967), 42.— Commemorative biographical record of Dutchess County, New York, containing biographical sketches of prominent and representative citizens, and of many of the early settled families (Chicago, 1897), 99–100.— Death notices of Ont. (Reid), 160.— W. D. Reid, The loyaliste in Ontario : the sons and daughters of the American loyalists of Upper Canada (Lambertville, N.J., 1973), 93.— Canniff, Hist. of the settlement of U.C., 210, 449, 453.— Cowdell Gates, Land policies of U. C., 77.— A. G. Dorland, Former days of Quaker ways ([Picton, Ontario], 1965), 6–8 ; A history of the Society of Friends (Quakers) in Canada (Toronto, 1927), 51, 277.— W. S. Herrington, History of the county of Lennox and Addington (Toronto, 1913 ; réimpr., Belleville, Ontario, 1972), 139, 141, 145.— Richard et Janet Lunn, The county : the first hundred years in loyalist Prince Edward (Picton, 1967), 117, 167, 171.— Patterson, « Studies in elections in U.C. », 296, 307, 314, 335.— G. E. Reaman, The trail of the black walnut (Toronto, 1957), 71.— E. R. Stuart, « Jessup’s Rangers as a factor in loyalist settlement », Three hist. theses, 102, 112, 137.— Lennox and Addington Hist. Soc., Papers and Records (Napanee), 5 (1914) : 60.— A. C. Osborne, « Pioneer sketches and family reminiscences », OH, 21 (1924) : 224. Larry Turner, « An early history of the Glenora Ferry », County Magazine (Bloomfield, Ontario), 2 (1980), no 17 : 3237, 5064.

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Robert Lochiel Fraser, « DORLAND, THOMAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/dorland_thomas_6F.html.

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Auteur de l'article:    Robert Lochiel Fraser
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
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Date de consultation:    11 déc. 2024