GAUTIER, dit Bellair, JOSEPH-NICOLAS, agriculteur, marchand, navigateur, né à Rochefort, France, en 1689, fils de Nicolas-Gabriel Gautier, originaire d’Aix-en-Provence ; épousa à Annapolis Royal, Nouvelle-Écosse, le 4 mars 1715, Marie, fille de Louis Allain (décédé en 1737), riche négociant, et de Marguerite Bourg, décédé le 10 avril 1752 à Port-La-Joie (Fort Amherst, Î-P-É.).

Joseph-Nicolas Gautier, dit Bellair, s’établit apparemment en Acadie en 1710, mais aucun document n’en fournit la date précise. Son importance comme marchand au sein de la communauté acadienne lui vint en grande partie de son mariage et de l’héritage qu’il fit ultérieurement des biens de son beau-père. En 1720, on ne l’avait pas encore accepté comme l’un des six délégués qui représentaient la région d’Annapolis au Conseil de la Nouvelle-Écosse, « n’ayant pas prouvé qu’il était un franc tenancier de cette province ; seulement une personne de passage ». Au cours des années 30, toutefois, il semble avoir pris rang parmi « les plus anciens et les plus riches en terres et en biens » ; en 1732, les autorités d’Annapolis l’avaient accepté comme représentant de sa région.

Il est incontestable que Gautier fut un Acadien exceptionnellement à l’aise. Il amassa une importante fortune en biens-fonds, tant à Bellair, son domaine situé sur la rive sud de la rivière Annapolis, qu’à Annapolis même. Il exploitait une scierie et un moulin à farine et ses navires faisaient le commerce avec la France, les Antilles, la Nouvelle-Angleterre et Louisbourg, île Royale (île du Cap-Breton). Selon la norme acadienne du moins, il était, au dire de A. H. Clark, « un véritable capitaine d’industrie ». Vers 1745, il prétendait que son actif se chiffrait à 85 000#.

Avec la guerre de la Succession d’Autriche qui s’étendit à l’Amérique du Nord en 1744, la France décida de tenter de reprendre l’Acadie aux Anglais. On lança quatre expéditions contre la Nouvelle-Écosse entre 1744 et 1747. Chaque fois, Nicolas Gautier et ses deux fils aînés, Joseph et Pierre, furent du très petit nombre d’Acadiens qui aidèrent activement les tentatives françaises. Le fait que Gautier ait passé sa jeunesse en France influença sans aucun doute sa décision de renoncer à la stricte neutralité observée par la grande majorité des Acadiens au cours des années 40. Il livra des renseignements sur les défenses anglaises et les mouvements de troupes ; il fit le transport de vivres, de matériaux, de munitions et d’hommes ; il pilota les vaisseaux français dans les eaux côtières de la province pour le compte de François Du Pont* Duvivier en 1744, de Paul Marin de La Malgue en 1745, de La Jonquière [Taffanel] en 1746 et de Jean-Baptiste-Nicolas-Roch de Ramezay* au cours de l’hiver de 1746–1747.

La prise de position de Gautier se fit au détriment de sa fortune ; en 1744, les Anglais capturèrent son bateau de 40 tonneaux avec sa cargaison, évalués en tout à 6 000# et, l’année suivante, ils détruisirent sa maison de Bellair qui avait servi de quartier général à Duvivier au cours du siège d’Annapolis Royal. À partir de 1744, sa tête fut mise à prix ; cependant Gautier réussit toujours à rester hors d’atteinte des Anglais. Sa femme et un de ses enfants n’eurent pas la même chance ; ils furent emprisonnés à Annapolis Royal pendant dix mois, « les fers aux pieds », pour finalement réussir à s’échapper au mois de février 1746, en forçant les barreaux de la prison et en escaladant les murs du fort.

En 1746, lorsque Ramezay et son détachement se retirèrent au nord de la rivière Missaguash, Gautier abandonna tout ce qu’il possédait encore dans la région d’Annapolis et chercha refuge avec sa famille à Beaubassin (près d’Amherst, N.É.). Le gouvernement français lui accorda, semble-t-il, une compensation pour la perte de son domaine ; en avril 1748, Maurepas, ministre de la Marine, mentionna « une nouvelle gratification extrare de 500ª pour le mettre en estat d’aller former son establissement [en territoire français] ». Il n’était certes pas dans le dénuement : en septembre 1749, il s’engagea par contrat à fournir 16 têtes de bétail aux réfugiés acadiens qui venaient d’arriver à Port-Toulouse (St. Peters, N.-É.).

Gautier et d’autres collaborateurs acadiens décidèrent, en 1749, de s’établir à l’île Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard). François Bigot*, commissaire ordonnateur à Louisbourg, rapporte que pour les encourager, il les a « fort caressés et leur a fait donner tout ce qu’ils ont demandé tant pour leurs bâtiments de mer et de terre que pour leur subsistance et ils seront aidés dans ce qu’ils pouront entreprendre ». Cet appui de la part des autorités n’était pas seulement dicté par l’altruisme. Plus tôt, Maurepas avait émis l’opinion que l’influence et le prestige dont jouissait Gautier auprès des Acadiens inciteraient ceux-ci à émigrer en nombre encore plus grand à l’île Royale et à l’île Saint-Jean.

La famille Gautier s’établit à l’île Saint-Jean, sur les bords de la rivière du Nord-Est (Hillsborough), à l’endroit où se trouve aujourd’hui Scotchfort, près de la capitale administrative de l’île, Port-La-Joie. En août 1751, l’ingénieur Louis Franquet leur rendit visite et fut favorablement impressionné par leurs réalisations ; il était d’avis qu’ils ne devraient pas tarder à trouver « de quoi se dédommager des biens qu’ils [avaient] abandonnés [en Acadie] ». L’année suivante, Gautier était toutefois encore bien loin de la prospérité qu’il avait connue dix ans plus tôt ; il ne pouvait déclarer comme sa propriété que 18 bêtes à cornes, 4 agneaux, 80 volailles et une terre de 7 arpents sur 40. Il mourut le 10 avril 1752 et il fut inhumé le lendemain à Bellair, comme il avait nostalgiquement rebaptisé sa nouvelle propriété. Au moins deux de ses fils restèrent attachés à la cause française après 1760. Joseph-Nicolas, qui épousa la fille de Joseph Leblanc, dit Le Maigre, un autre infortuné partisan de la France au cours des années 40, alla finalement s’établir à l’île Miquelon, de même que son frère Pierre.

Bernard Pothier

AN, Col., B, 89, f.229 ; Col., C11B, 28, ff.12v.–13, 124, 359–366 ; Col., E, 169, f.3 (Journal de Du Pont Duvivier, 1744) ; 200 (dossiers Nicolas Gautier, Pierre Gautier) ; Section Outre-Mer, G1, 411/2, p.27 ; 413/A, pp. 60, 65 ; 466/1, pp. 169–206, 215–231 (rencensements de l’Acadie, 1671–1752) (copies aux APC) ; Section Outre-Mer, G2, 212, dossier 560 ; Section Outre-Mer, G3, 2 046 (26 juil. 1737).— N.S. Archives, I, 24–25 ; II, 59–85 ; III, 7, 156, 261 ; IV, 65, 68s., 94, 98.— RAC, 1905, II, ie partie, 85.— Le voyage de Franquet aux îles Royale et Saint-Jean, RAPQ, 1923–1924, 117.— Arsenault, Hist. et généal. des Acadiens, I ; 335.— Brebner, New England’s outpost.— Clark, Acadia.— [F.-E.] Rameau de Saint-Père, Une colonie féodale en Amérique : l’Acadie (1604–1881) (2 vol., Paris et Montréal, 1889), II : 79–81.

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Bernard Pothier, « GAUTIER, dit Bellair, JOSEPH-NICOLAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 8 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/gautier_joseph_nicolas_3F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1974
Année de la révision:    1974
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