Titre original :  James Edward Hervey MacDonald, Mauricius Hutton, 1925, oil on board. 152.4 x 121.28 cm. University College Collection UC302, commissioned from the artist, 1924. Courtesy Art Museum at the University of Toronto.

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HUTTON, MAURICE, érudit et professeur, né le 8 octobre 1856 à Manchester, Angleterre, fils du révérend Joseph Henry Hutton et de Mary Mottram ; le 2 juillet 1885, il épousa à Toronto Annie Margaret McCaul (1849–1923) ; décédé le 5 avril 1940 dans cette ville.

Diplômé de la University of London, le père de Maurice Hutton, d’abord ministre unitarien, adhéra plus tard à l’Église d’Angleterre. L’un des oncles de Maurice, Richard Holt Hutton, propriétaire et corédacteur en chef du Spectator de Londres à partir de 1861, figurait parmi les intellectuels britanniques bien en vue au xixe siècle. Après ses études à la Magdalen College School à Oxford, Maurice s’inscrivit à l’université au même endroit. Il reçut sa licence en humanités, avec mention très bien, du Worcester College en 1879 (et une maîtrise en 1882), obtint une bourse de recherche au Merton College, puis enseigna pendant un an à la future University of Sheffield.

En 1880, on nomma Hutton professeur titulaire de la chaire en études classiques au University College de Toronto, établi en 1853 par la University of Toronto. Cette chaire d’études classiques était considérée comme la plus importante de l’université, et le titulaire précédent, John McCaul*, avait aussi présidé le collège. Incapable de trouver une autre personne qualifiée pour occuper les deux postes, le gouvernement ontarien avait nommé Daniel Wilson* à la présidence. L’engagement de Hutton, un Anglais de 23 ans, à la chaire d’études classiques, à un salaire d’emblée meilleur que celui des autres professeurs, suscita des protestations chauvines. Toutefois, Hutton acquit rapidement un grand prestige pour son érudition, son enseignement et sa personnalité, ainsi que pour sa mise en scène, en 1882, d’Antigone, de Sophocle, où il joua lui-même le rôle-titre. La production, en grec ancien, était la troisième en son genre dans le monde anglophone et eut un important retentissement. Des étudiants et des membres du corps enseignant de l’université figuraient dans la distribution comme acteurs, choristes et musiciens, et de nombreux étudiants se souviendraient longtemps de ce moment fort de leur expérience universitaire. Trois ans plus tard, Hutton se maria avec la fille de son prédécesseur, Annie Margaret McCaul. Ils eurent trois enfants : Guy Maurice, qui étudierait au collège militaire royal du Canada à Kingston puis se joindrait à la cavalerie indienne, Ruth Marjorie, universitaire brillante dont la mort prématurée d’une pneumonie, en 1929, infligerait un coup dévastateur, et Mary Joyce, qui épouserait en 1922 le futur diplomate Humphrey Hume Wrong*, fils du collègue de son père, l’historien George MacKinnon Wrong*.

En 1929, sir Robert Alexander Falconer* écrirait : « Une époque, dans les universités, est souvent caractérisée par une ou plusieurs personnes qui ont vécu et travaillé assez longtemps pour laisser leur marque sur la période. Des personnes comme celles-ci, Toronto en a notamment connu une, Maurice Hutton. » Hutton présida la chaire d’études classiques au University College pendant sept ans, puis devint professeur de grec (1887–1928) et principal du collège (1901–1928). Ayant précisé qu’il ne souhaitait pas occuper le poste de président de l’université de façon permanente, on le nomma, à la suite de la démission de James Loudon*, président intérimaire pour 1906–1907. Pendant son mandat furent créées les facultés de foresterie, sous la direction de Bernhard Eduard Fernow*, d’éducation, sous celle de William Pakenham*, et d’économie domestique [V. Lillian Frances Massey*]. La School of Practical Science, vaguement affiliée à l’université, se vit transformée en faculté de génie. Hutton collabora aussi avec le père Henry Carr* pour intégrer à l’université le St Michael’s College en tant que collège fédéré, processus achevé en 1910. Reconnaissant son adroite diplomatie et son leadership paisible, beaucoup espéraient qu’on rende la nomination de Hutton permanente, mais il retourna avec dignité au University College en appuyant fermement le successeur de Loudon, le président Falconer.

Homme discret, doté d’un puissant charisme, Hutton inspira des générations d’étudiants qui deviendraient les meneurs d’un pays en plein essor (même si son aptitude à traduire Lewis Carroll en versification grecque, selon son collègue David Reid Keys, ajouta « de nouvelles terreurs aux examens »). En reconnaissance de sa contribution à la communauté, il reçut des doctorats honorifiques en droit des universités de Toronto (1902), Queen’s (1903), McGill (1918) et McMaster (1923). Élu membre de la Société royale du Canada en 1913, il en présida la section ii en 1918–1919. Hors du monde universitaire, il appartenait à des organisations, telles l’Ontario Educational Association et la section torontoise de la League of the Empire, et il gagna un large public grâce à des conférences et des articles populaires, dont il rassembla un bon nombre dans Many minds (1927), All the rivers run into the sea ([1928]) et The sisters Jest and Earnest (1930). Secoué par la mort de sa fille, il développa en 1930 une névralgie pleurale qui l’invalida pour les dix dernières années de sa vie.

À titre de professeur, Hutton joua, avec son collaborateur William Dale*, un rôle essentiel dans la conception du programme de spécialisation en études classiques à luniversité. Il remplaça la manière d’aborder la littérature classique selon la tradition des belles-lettres (qu’avait adoptée son beau-père) par la méthode oxfordienne axée sur le contenu historique et philosophique des grandes œuvres de l’Antiquité (les écrits de Platon, croyait-il, « annonçaient toutes les idées dominantes ou latentes dans notre propre civilisation »). On encourageait les étudiants à explorer un important corpus de littérature, à en approfondir la signification, et à développer un jugement critique ainsi que des connaissances et de la culture. Cette démarche façonna l’enseignement des humanités à Toronto jusque dans les années 1960 et se répandit partout au Canada anglais. L’accent était mis sur l’éducation et non sur la recherche : « Toute personne qui pense par elle-même est un chercheur, disait Hutton, même si ce qu’elle découvre pour elle-même est vieux comme le monde et a été découvert avant elle par ses ancêtres, dans chaque génération. » Sa traduction d’Agricola et de Germania de Tacite pour la Loeb Classical Library (1914), publiée en un seul volume, avec la traduction du Dialogus de William Peterson*, reçut des éloges pour son élégance ; on lui reprocha cependant de ne pas avoir tenu compte des récentes sources. Son ouvrage le plus important, The Greek point of view, paru en 1925, mérita une recension poétique dans le Punch de Londres (« beaucoup plus vivant / Que la plupart des romans de son temps »), mais les érudits nord-américains l’accueillirent moins bien.

Hutton voyait les Grecs de l’Antiquité comme un peuple cultivant l’intellect à l’exclusion du caractère et de l’instinct, et dont les concepts de vertu, de politique et de société reposaient entièrement sur l’intérêt personnel éclairé. Leurs philosophes, artistes et scientifiques produisirent des réalisations inégalées ; leur froide logique pouvait cependant s’accommoder du meurtre d’étrangers ou de l’euthanasie de personnes inaptes. Ils ne purent jamais mettre en place un système politique au delà de la cité-État ni mener des affaires honnêtement. Agités et puérils, heureux dans leur jeunesse, malheureux dans leur vieillesse, ils se délectaient de mots, de débats, d’art et de nouveauté. Par contraste, les Romains, dont l’austère gravitas se fondait sur l’intuition plutôt que sur la raison, possédaient les habiletés à conquérir, construire, organiser et gouverner, mais se laissèrent facilement corrompre par les Grecs, plus brillants. Selon Hutton, la stérilité du monde antique trouva sa rédemption dans le christianisme, qui ajouta à l’intellect et à l’instinct la promesse du salut en retour de l’effort, de même qu’une foi, une espérance et une charité enracinées dans un engagement émotionnel envers l’enseignement et l’exemple du Christ. Le christianisme absorba le meilleur de la culture classique et en perfectionna les assises, sur lesquelles il posa une civilisation.

« La vie, écrivit Hutton, est un équilibre et un compromis qui ne peuvent être résolus par des fanatiques. » Une personne saine, croyait-il, doit combiner des contraires : intellect et instinct, masculin et féminin, libéralisme et conservatisme, la Grèce et Rome, christianisme et culture classique, science et humanisme. Les nations aussi ont besoin d’équilibre. L’Empire britannique avait conjugué l’esprit pratique à la romaine des Anglais, la finesse d’esprit et le sens des affaires des Écossais, et la poésie et l’intellect des Irlandais avec le christianisme évangélique, le zèle et la science, et avait ajouté à ces qualités la démocratie, l’optimisme et l’énergie des dominions pour devenir le plus grand instrument de civilisation jamais connu au monde. Or, l’industrialisme, le modernisme et l’égalitarisme menaçaient de renverser cet équilibre et de remplacer la vraie démocratie – celle dirigée par les meilleurs hommes, les meilleurs instincts et les meilleurs attributs, que Hutton appelait la « qualité » – par l’« égalité », c’est-à-dire la domination des masses urbaines entraînées par l’esprit du moment et ne classant aucun individu, idéal ou attribut au-dessus d’un autre. Dans une société démocratique, la grande mission de l’enseignement supérieur consistait à préparer des leaders possédant intelligence et caractère, bonnes manières et morale, maîtrise de soi, jugement, humanisme et humilité, en d’autres mots, selon son disciple William Stafford Milner, l’objectif visait à faire « de tous des citoyens […] et de quelques-uns des leaders sensés et nobles ». L’éducation classique s’avérait la plus appropriée pour réaliser tout cela, car elle combinait la discipline, voire le labeur, nécessaire pour maîtriser les langues anciennes au développement d’une intelligence critique issue d’une profonde immersion dans les grandes idées qui nourrissent la civilisation occidentale.

La Première Guerre mondiale rendit Hutton de plus en plus pessimiste. Avant le conflit, il avait défendu l’entraînement militaire comme moyen de combattre la dégénérescence physique et morale propre à la société industrielle en produisant des hommes disciplinés, aux qualités chevaleresques. Après la guerre, il se fit un ardent défenseur de la Société des nations. Son cours d’études classiques bien-aimé avait conservé sa primauté plus longtemps à Toronto qu’ailleurs, mais il ressemblait maintenant (comme il l’avait appréhendé et déploré de nombreuses années auparavant) à « la sœur qui se tient effacée et humble dans des atours dépenaillés, luttant pour redonner vie aux braises anciennes d’un feu qui se meurt, autre Cendrillon, mais sans prince charmant ». Le déclin de l’idéalisme religieux ainsi que l’égalitarisme, le commercialisme et l’hédonisme des années 1920 accrurent sa crainte de voir se reproduire l’échec de l’ancien monde, que seule la découverte d’un nouveau fondement de foi religieuse – qui satisfasse à la fois l’intellect et les émotions – pourrait éviter. Pour lui, la société « viva[i]t un interrègne, attendant le renouveau d’un christianisme plus passionné et plus compréhensible, plus scientifique, plus fidèle à la philosophie de Platon que nous l’avons trouvé ; [attendant] la voix d’un Maître qui doit à nouveau parler avec autorité et justifier les voies de Dieu auprès des hommes ».

L’un des étudiants de Maurice Hutton, Charles Norris Cochrane*, développa pleinement son exploration savante de la tension entre le monde antique et le monde moderne. Selon un collègue, le professeur Arthur Sutherland Pigott Woodhouse, l’ouvrage que Cochrane publia l’année de la mort de Hutton, Christianity and classical culture, traitait le sujet « avec une exhaustivité et un équilibre que Hutton ne s’était jamais efforcé d’atteindre ». La vocation de ce dernier, à titre d’érudit, de professeur et d’intellectuel public, le conduisit à incarner et à exprimer le meilleur de la culture, de la pensée et des valeurs à la fois de l’Antiquité classique et du christianisme victorien, et à s’assurer que des personnes imprégnées de ces idéaux et valeurs dirigent la jeune démocratie de son pays d’adoption. Son cours d’études classiques et ses méthodes d’enseignement contribuèrent considérablement à façonner la formation universitaire en humanités au Canada pendant deux générations. Son legs le plus riche demeure toutefois les milliers d’étudiants qu’il amena à croire, comme l’éducateur Edmund Henry Oliver, que « la mission de Maurice Hutton en ce monde [était] non seulement d’instruire, mais aussi d’inspirer ».

Alan F. Bowker

Les principaux écrits de Maurice Hutton mentionnés dans la biographie ont tous d’abord paru à Londres. Parmi ses nombreux articles figurent particulièrement : « Militarism and anti-militarism », Univ. Magazine (Montréal), 12 (1913) : 179–196, et son discours prononcé à l’occasion du cinquantenaire du Canadian Instit., que l’organisme a publié dans ses Trans. (Toronto), 6 (1899) : 651–654.

A. F. Bowker, « Truly useful men : Maurice Hutton, George Wrong, James Mavor and the University of Toronto, 1880–1927 » (thèse de ph.d., Univ. of Toronto, 1975).— C. N. Cochrane, Christianity and classical culture : a study of thought and action from Augustus to Augustine (Oxford, Angleterre, 1940).— R. A. Falconer, « Maurice Hutton (1856–1940) », SRC, Mémoires, 3e sér., 34 (1940), proc. : 111–114.— A group of classical graduates, Honour classics in the University of Toronto, préface de R. [A.] Falconer ([Toronto], 1929).— D. R. Keys, « Principal Maurice Hutton », Univ. of Toronto Monthly, 28 (1927–1928) : 415–417.— E. H. Oliver, « Principal Hutton », Varsity (Toronto), 29 oct. 1901 : 25–26.— S. E. D. Shortt, The search for an ideal : six Canadian intellectuals and their convictions in an age of transition, 1890–1930 (Toronto et Buffalo, N.Y., 1976), 77–93.— M. W. Wallace, « Principal Maurice Hutton », Univ. of Toronto Monthly, 40 (1939–1940) : suppl. suivant p.172.— A. S. P. Woodhouse, « Staff, 1890–1953 », dans University College : a portrait, 1853–1953, C. T. Bissell, édit. (Toronto, 1953), 51–83.

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Alan F. Bowker, « HUTTON, MAURICE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 4 déc. 2025, https://www.biographi.ca/fr/bio/hutton_maurice_16F.html.

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Auteur de l'article:    Alan F. Bowker
Titre de l'article:    HUTTON, MAURICE
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2025
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Date de consultation:    4 déc. 2025