Désespérant de son avenir à ses débuts, l’avocat Isaac Allen Jack (1843–1903) connut un certain succès professionnel en étant nommé solicitor de Saint-Jean, sa ville natale, et en participant à la fondation de la Saint John Law School. On le connaît surtout pour ses écrits, notamment le journal remarquable qu’il tint en 1870–1871. Celui-ci révèle qu’il était romantique en matière de religion et faisait preuve de don-quichottisme en politique. Il exprima ses opinions à l’occasion de deux polémiques dénonçant la corruption, ainsi que dans plusieurs ouvrages historiques et dans un article sur l’esclavage au Nouveau-Brunswick, basé sur un malentendu ironique.

JACK, ISAAC ALLEN, avocat et auteur, né le 26 juin 1843 à Saint-Jean, Nouveau-Brunswick, fils de William Jack, avocat, et d’Emma Carleton Kenah ; décédé célibataire dans cette ville le 5 avril 1903.

Isaac Allen Jack était d’ascendance loyaliste par son père et sa mère, et était l’homonyme de l’un des premiers juges du Nouveau-Brunswick, Isaac Allen. Il fréquenta la Fredericton Collegiate School, puis commença ses études supérieures en 1861 à la University of New Brunswick, à Fredericton, qui venait d’être sécularisée. Peu après, cependant, il convainquit plusieurs de ses condisciples – eux aussi fils de la gentry anglicane – de déposer avec lui, contre le premier recteur laïque et non anglican de l’université, Joseph R. Hea, des accusations de conduite indigne d’un gentleman envers les étudiants et le personnel. Pour bien des gens, le procès de Hea, qui se tint devant le lieutenant-gouverneur John Henry Thomas Manners-Sutton*, inspecteur de l’université, n’était rien de plus qu’une offensive tory contre le gouvernement smasher (c’est-à-dire réformiste) de Charles Fisher*, qui avait nommé Hea. L’avocat de la poursuite était William Jack ; on jugea les accusations fondées, et Hea fut congédié. Néanmoins, Isaac Allen Jack alla poursuivre ses études dans un établissement plus sélect, le King’s College, à Windsor, en Nouvelle-Écosse, où il obtint une licence ès arts en 1863.

Après son retour à Saint-Jean, Jack fit son stage de droit au cabinet de son père, où il demeura pendant quelques années ; il fut admis comme attorney en 1866, reçu au barreau en 1867, puis devint associé en second. Comme bien des jeunes avocats, il désespérait souvent de son avenir. Résolu à affronter sa condition de « crève-la-faim de bonne famille » en se « vêt[ant] comme un gentleman et [en] arbor[ant] le sourire », il envisagea néanmoins d’émigrer. Sa profession ne lui rapporta que 500 $ en 1869 et 800 $ l’année suivante. En 1869, à la Cour suprême du Nouveau-Brunswick, il fut avocat-conseil à la première audition en appel d’une affaire dont l’enjeu était la constitutionnalité de l’examen, par les tribunaux, des lois adoptées au Canada sous le régime de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Il soutenait qu’au lieu de demander aux tribunaux de trancher les questions relatives à la répartition des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les provinces, il fallait laisser le gouvernement fédéral exercer son droit d’annuler une loi provinciale en refusant de la reconnaître ; son point de vue ne fut pas retenu. En 1885, Jack fut nommé au poste prestigieux de recorder (solicitor) de sa ville natale. C’est dans son bureau, le 18 août 1892, que fut mise sur pied la Saint John Law School (aujourd’hui la faculté de droit de la University of New Brunswick), où il enseigna le droit romain pendant trois ans. En 1894, son état de santé s’altéra brusquement ; à compter de l’année suivante, confiné à sa chambre, il consacra ce qui lui restait d’énergies à écrire.

Pendant 21 mois, en 1870–1871, Jack avait tenu son journal. De tous les journaux qui subsistent des avocats néo-brunswickois de la fin du xixe siècle, le sien est le plus substantiel. C’est un document remarquable, qui fait état des vicissitudes de la pratique du droit et rend compte dans le détail de certains des enthousiasmes littéraires, scientifiques et religieux de l’époque ; il fait même mention des visites occasionnelles de l’auteur dans des maisons closes. On y apprend que Jack donnait souvent des conférences au Mechanics’ Institute, qu’il était membre actif de la Natural History Society of New Brunswick, important organisme de Saint-Jean, et qu’il adorait aller au concert. Outre le droit, le principal sujet du journal est la religion.

Au King’s College, Jack avait subi le « magnétisme » de son camarade de classe anglo-catholique George Wright Hodgson [V. Hibbert Binney*]. À Saint-Jean, il fréquentait l’église St Paul (Valley), située dans la paroisse la moins « libérale des environs ». Membre assidu de la chorale, où l’on portait le surplis, il rencontrait fréquemment l’évêque John Medley* et son influent fils Charles Steinkopff, pour qui la beauté de la musique, de l’architecture et du mobilier d’église favorisait la foi. On peut suivre, au fil de la lecture du journal de Jack, l’évolution de son goût pour les attributs esthétiques de l’anglo-catholicisme. En 1882, avec un certain nombre d’autres notables de St Paul, il se désaffilia de cette paroisse pour soutenir l’établissement âprement controversé d’une chapelle ritualiste, la chapelle Mission.

Romantique en matière de religion, Jack faisait preuve de don-quichottisme en matière de politique. Tory et anticonfédérateur comme son père, il s’opposait tant au libéral Samuel Leonard Tilley* qu’au Parti conservateur fédéral, auquel Tilley finit par se joindre. En d’autres termes, il était conservateur au provincial, mais libéral au fédéral. La politique lui inspira deux textes polémiques remarquables. Dans « Canadian aristocracy », paru en 1874, il dénonça la corruption politique et la dégénérescence sociale qui avaient accompagné la montée du gouvernement responsable et de l’égalitarisme, et se répandit en lamentations sur la disparition de l’élite juridico-militaire, raffinée et anglicane, du Nouveau-Brunswick. Puis, abattu par le retour au pouvoir des conservateurs de sir John Alexander Macdonald* en 1878 et l’adoption de la Politique nationale – « sujet[s] des plus désolants » –, il publia en 1880, sous le couvert de l’anonymat, Memoirs of a Canadian secretary. L’action de ce court roman se situe en 1928. On ne fait plus de commerce au Nouveau-Brunswick ; les habitants en sont réduits à ramasser des algues pour se nourrir. Les Français du Saint-Laurent ont conquis la province, qui est gouvernée par un « intendant ». L’église anglicane de Saint-Jean où l’on professe l’évangélisme le plus ardent porte le nom de « chapelle Notre-Dame ». Seuls de vieux excentriques se souviennent de la fête des loyalistes (le 18 mai). Cependant, comme Jack tenait Tilley responsable du retour des conservateurs fédéraux au pouvoir à cause de ses manœuvres de favoritisme, c’est à lui qu’il réserve ses critiques les plus féroces. Dans la dernière scène des Memoirs, le « marquis de Gagetown » (Tilley) se fait assassiner.

Des années 1860 aux années 1880, Isaac Allen Jack écrivit de la prose et de la poésie sur des sujets divers pour un grand nombre de journaux et de magazines. Toutefois, la partie de sa production écrite qui a le mieux survécu à l’oubli porte sur l’histoire et date de ses longues années de retraite. Membre fondateur de la New Brunswick Historical Society et de la New Brunswick Loyalist Society, Jack sentait le besoin de stimuler l’intérêt pour l’histoire des Maritimes en jouant sur la « fierté familiale bien ordonnée » qui provenait d’une ascendance loyaliste. Biographical review [...] of leading citizens of the province of New Brunswick, paru à Boston en 1900, contient de longues et élogieuses notices sur 360 Néo-Brunswickois, pour la plupart contemporains de Jack, et met l’accent sur la pureté de leurs origines. History of St. Andrew’s Society of St. John, N.B., Canada, 1798 to 1903, publié à Saint-Jean en 1903, se présente sous forme d’annales, mais c’est un ouvrage de meilleure qualité que le précédent. Ironiquement, la publication historique la plus connue de Jack repose sur un malentendu. Joseph Wilson Lawrence* lui avait remis un long exposé rédigé par Ward Chipman* père pour un procès type qui s’était tenu en 1800. Ce document était un plaidoyer sur l’illégalité de l’esclavage. Jack en fit l’élément central d’un article qu’il publia en 1898 : « The loyalists and slavery in New Brunswick ». Depuis, des recherches ont révélé que c’était Samuel Denny Street* qui avait pris l’initiative de ce procès type et que, dans des procès ultérieurs, Chipman avait représenté des propriétaires d’esclaves. Malgré cela, le portrait élogieux que Jack brossa de Chipman domine encore l’historiographie.

D. G. Bell

L’article d’Isaac Allen Jack intitulé « Canadian aristocracy » figure dans Maritime Monthly (Saint-Jean, N.-B.), 4 (1874), no 1 : 65–77, et celui sur l’esclavage au Nouveau-Brunswick, dans SRC Trans., 2e sér., 4 (1898), sect.ii : 137–185. The memoirs of a Canadian secretary : a posthumous paper a paru sous l’édition fictive « Ephraim Davis », « Toronto, 1928 », mais a été en réalité publié par Dawson Brothers à Montréal en juillet 1880. Rien dans le volume n’indique les détails réels concernant la publication, mais on peut les établir à partir d’une analyse des journaux suivants de l’époque : le London Advertiser, de London, Ontario, 20 juill. 1880 ; le Saint John Globe (Saint-Jean), 24 juill. 1880 ; le Daily Sun (Saint-Jean), 26 juill. 1880 ; le Montreal Herald and Daily Commercial Gazette, 22 juill. 1880 ; et le Morning Chronicle (Québec), 29 juill. 1880.

En plus des ouvrages mentionnés dans le texte, les publications de Jack comprennent Our wild flowers (Saint-Jean, 1896), George A. Schofield ([Toronto ?, 1901 ?] ; exemplaire au Musée du N.-B.), et « A sculptured stone found in St. George, New Brunswick », Smithsonian Institution, Annual report (Washington), 1881 : 665–671. Il est aussi l’auteur de deux récits autobiographiques : « King’s College in the early sixties », King’s College Record (Windsor, N.-É.), 19 (1896–1897) : 19–21, 40–12, 55–59, 75–77, 94–94, et « Old times in Victoria Ward », New Brunswick Magazine (Saint-Jean), 2 (janv.–juin 1899) : 64–72, 132–140, 195–204.

Les papiers de Jack conservés au Musée du N.-B. comprennent son journal intime (A20), un album de coupures de journaux (C36) où figurent ses articles anonymes, les manuscrits de huit conférences diverses (A246–250 et A294–296), et la bible de la famille (B182a).  [d. g. b.]

APNB, RS32, C.— Musée du N.-B., Loyalist Soc. papers.— Univ. of King’s College Library (Halifax), Univ. of King’s College, Board of governors, minutes and proc., 6 sept. 1892 (mfm aux PANS).— Colonial Empire (Saint-Jean), 14–28 mars 1861.— Daily Tribune (Saint-Jean), 15, 17 janv. 1872.— Nation (Toronto), 6 août 1874.— Saint John Globe (Saint-Jean), 24 sept. 1875, 11 janv. 1895.— St. John Daily Telegraph and Morning Journal (Saint-Jean), 1er sept. 1873.— St. John Morning Telegraph (Saint-Jean), 27 oct. 1868.— D. G. Bell, « Slavery and the judges of loyalist New Brunswick », Univ. of New Brunswick Law Journal (Saint-Jean), 31 (1982) : 9–42.— History of the Mission Church of S. John Baptist, Saint John, N.B., 1882–1932, [J. V. Young, compil.] (Saint-Jean, 1932), 10.— D. R. Jack, « The late Isaac Allen Jack », Acadiensis (Saint-Jean), 3 (1903) : 151–154.— New Brunswick Reports (Fredericton et Saint-Jean), 12 (1867–1869) : 556.— M. B. Taylor, Promoters, patriots, and partisans : historiography in nineteenth-century English Canada (Toronto, 1989).— Univ. of King’s College, Windsor, School of Law (Saint-Jean), Calendar (Halifax), 1892–1896 (exemplaire à la UNBL, Law Library).

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D. G. Bell, « JACK, ISAAC ALLEN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 7 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/jack_isaac_allen_13F.html.

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Auteur de l'article:    D. G. Bell
Titre de l'article:    JACK, ISAAC ALLEN
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    1994
Date de consultation:    7 nov. 2024