LE CLERCQ, CHRESTIEN, prêtre, récollet, missionnaire chez les Micmacs de la Gaspésie, historiographe, né en 1641, probablement à Bapaume (Pas-de-Calais, France), vivait encore en France en 1700.

En 1668, il entra chez les Récollets à Saint-Antoine-de-Padoue, en Artois, et fut le premier novice et le premier profès de cette province, comme il nous l’apprend lui-même. Il reçut le nom de Chrestien à sa prise d’habit. Deux membres de sa parenté firent partie du même ordre et le suivirent en Nouvelle-France : le père Zénobe Membré, son cousin, et le père Maxime Le Clercq, son frère ou son cousin. Tous deux, missionnaires et compagnons de Cavelier de La Salle au Mississipi, furent massacrés au fort Saint-Louis-des-Illinois en 1689 par les Amérindiens de cette région.

Le père Le Clercq eut comme maître des novices, à Béthune, le père Gabriel de La Ribourde qui, au printemps de 1670, s’embarqua pour Québec afin d’y rétablir les Récollets en Nouvelle-France. Cet ordre avait été la première communauté de missionnaires permanents en ce pays où ils avaient travaillé de 1615 à 1629. Il était une branche réformée de l’ordre de Saint-François qui s’était développée en Espagne, puis en France à partir de 1592. Les religieux portaient un habit gris et une corde blanche.

Nous ne possédons aucun détail sur les activités du père Le Clercq entre les années 1670 et 1675 ; peut-être poursuivait-il pendant ce temps ses études préparatoires au sacerdoce, qu’il dut recevoir peu de temps avant son départ pour le Canada.

Le 15 mars 1675, le père Le Clercq fut nommé aux missions du Canada. Avant de s’embarquer, il passa par son village, Bapaume, où il fit une recrue pour le noviciat des Récollets, Emmanuel Jumeau, qui devint sept ans plus tard son compagnon d’apostolat en Gaspésie. Le père Le Clercq partit de La Rochelle au mois de juin en compagnie des pères Louis Hennepin*, Luc Buisset et Zénobe Membré ; sur le même bateau avaient pris place Mgr de Laval*, nouvellement nommé évêque titulaire de Québec, Cavelier de La Salle et l’intendant Duchesneau. Le groupe débarqua à Québec deux mois plus tard. À la mi-octobre, le père Le Clercq partit pour les missions de la Gaspésie ; il atteignit Percé le 27 octobre après avoir essuyé une violente tempête dans le golfe du Saint-Laurent. Le poste de Percé, qui servait de refuge aux pêcheurs français, avait été desservi depuis 1672 par les pères Hilarion Guénin et Exupère Dethunes. Il semble que Le Clercq fut le premier missionnaire de ce groupe à être affecté spécialement aux missions des Micmacs, qu’il appelait Gaspésiens. En effet, si les deux récollets précédents avaient fait du ministère auprès de ces Micmacs, ils lui auraient conseillé « l’étude des prières gaspésiennes » au lieu des écrits en langue algonquine que les indigènes ne comprenaient presque pas.

Le Clercq apprit rapidement le dialecte des Gaspésiens et put leur enseigner la religion grâce à un système de caractères figuratifs qu’il inventa. Cette écriture hiéroglyphique demeura en usage par la suite et servit de base à l’écriture actuelle. Le récollet composa aussi un dictionnaire pour les futurs apôtres de ces peuplades.

Au printemps de 1676, il visita les Amérindiens de Gaspé ; il passa l’été chez les Micmacs de Ristigouche et, en septembre, se rendit à Nipisiguit (Bathurst, N.-B.). En janvier 1677, il alla à Miramichi (près du Chatham actuel) ; faisant chemin avec un Français et deux Amérindiens, il s’égara et crut mourir de froid et de faim quand un Amérindien, passant par hasard, le secourut. Les Micmacs de cet endroit furent pour le missionnaire un sujet de grande et agréable consolation par l’habitude qu’ils avaient de porter la croix « dessus leur chair et dessus leurs habits ». Cette coutume, assez paradoxale dans une tribu non encore pénétrée par le christianisme, fournit au récollet le thème d’une longue dissertation sur l’origine, l’étendue et le sens de cette pratique chez ces Micmacs ; en cet honneur, il leur donna le nom de Porte-Croix.

Au cours de l’été 1678, le père Le Clercq se rendit à Québec pour y refaire ses forces spirituelles et rendre visite à son supérieur. Durant l’hiver suivant, il fut assailli par un découragement provoqué par les piètres résultats de son zèle auprès des Amérindiens. Il eut l’idée d’abandonner son poste ; aux mois d’avril et de mai 1679, il écrivit à son supérieur, le père Valentin Leroux*, pour lui manifester ses difficultés. Ce dernier lui envoya une longue lettre dans laquelle il l’invitait à ne pas quitter son travail ; et, effectivement, le missionnaire resta encore huit ans chez les Micmacs. Il profita cependant de la permission que son supérieur lui laissait de venir hiverner à Québec. Le 30 octobre 1679, il bénit, à la côte de Beaupré, le mariage de Catherine Pelletier, sœur du frère Didace Pelletier, récollet ; puis il fit un baptême, le 2 février 1680, à la côte Saint-Ange (Cap-Rouge), où il rédigea l’acte qui demeure le seul autographe que nous ayons de lui.

Avant de retourner à Percé, Le Clercq fut envoyé en France avec le père Dethunes afin d’obtenir les permissions nécessaires à la fondation d’un hospice à Québec et d’une maison à Montréal. Sitôt arrivé, il transmit au père Allart, provincial de Paris, les documents de sa requête et alla visiter ses parents à Bapaume. Après un repos, il s’embarqua à La Rochelle à l’été de 1681, avec le père François Masson, et arriva à Québec 30 jours plus tard. Il accompagna ensuite le gouverneur de Buade de Frontenac à Montréal en qualité d’aumônier. Là, il reçut de M. Dollier* de Casson, supérieur des Sulpiciens, une concession de quatre arpents de terre près du fleuve, comme en témoigne le contrat signé le 26 octobre 1681. De retour à Québec, Le Clercq ne semble pas avoir continué son chemin tout de suite vers les missions de Percé ; il aurait même passé l’hiver à Québec, puisqu’il a fait un baptême le 23 janvier 1682 à l’île d’Orléans, comme l’indiquent les registres de Saint-Laurent.

Après cette date, les allées et venues du père Le Clercq nous échappent presque totalement ; il nous dit être retourné chez ses Gaspésiens où il fut reçu « avec tout le bon accueil qu’il leur fut possible ». Nous le retrouvons à Québec les 7 octobre et 5 novembre 1684.

Il dut séjourner à Percé durant l’été de 1685. Le 2 décembre suivant, il était à Sorel où il passa l’hiver comme curé suppléant. C’est durant l’été de 1686 qu’il faudrait placer la bénédiction de l’église de Percé, qu’il présida lui-même. Puis il fit ses adieux aux Micmacs et rentra en France. En février 1687, il rendit visite à Mgr de Saint-Vallier [La Croix*], qui se trouvait de passage à Paris. En 1690, il était gardien du couvent de Lens, dans le Pas-de-Calais. À la demande du maire et des échevins, il prêcha l’Avent de 1697 à Saint-Pol. Selon le père Hennepin, il était définiteur de la province d’Artois en 1698, puis nous le retrouvons une dernière fois gardien des Récollets de Saint-Omer en 1700.

Le père Le Clercq est surtout connu dans l’histoire par les deux précieux volumes qu’il publia pour raconter son apostolat et celui des Récollets au Canada.

La Nouvelle Relation de la Gaspésie parut à Paris en 1691 et à Lyon l’année suivante, sans nom d’auteur cette fois. Les Récollets avaient pris l’habitude dès 1615 d’envoyer des relations ou lettres annuelles à leur supérieur, leurs parents ou amis ; les Relations des Jésuites leur sont postérieures.

La Nouvelle Relation est entièrement consacrée aux Micmacs, chez qui l’auteur exerça son apostolat pendant 12 ans. Le livre débute par une description de la Gaspésie (le père Le Clercq a été le premier à employer ce nom). Les chapitres suivants étudient dans un ordre logique tout ce qui concerne les Gaspésiens : origine, naissance, habillement et parures, habitation, alimentation, langue, religion, croyances et superstitions, gouvernement, lois, mariage, guerre, chasse, festins et danses, maladies et mort. L’auteur fait mention, incidemment, de ses travaux apostoliques et de ceux des Récollets qui ont vécu dans cette région. Ces renseignements, quoique d’intérêt local, sont très importants. Le Clercq rapporte les faits tels qu’il les a observés, et comme il connaissait la langue et jouissait d’une grande considération parmi les Amérindiens, son exposé prend valeur d’un témoignage authentique. Lui-même nous avertit, au cours du livre, qu’il s’est proposé uniquement, dans cette histoire, d’écrire les choses comme il les a connues. Toutefois, quelques inexactitudes s’y sont glissées et sa propre chronologie, à partir de 1679 surtout, est assez confuse ; quant au culte rendu à la croix par les Amérindiens de Miramichi, les historiens d’aujourd’hui, sans nier le fait, ont cru voir en cette croix la figure stylisée du totem de la tribu, qui était primitivement un oiseau aux ailes déployées.

Certains auteurs ont minimisé la valeur ou l’utilité de ce document. Le père de Charlevoix*, jésuite, déclare avec hauteur que « ce n’est pas de quoi remplir un volume de 600 pages de choses fort intéressantes ». Séraphin Marion se fait plus mordant ; il dit que le chapitre qui concerne la naissance des Gaspésiens est rempli « de médiocres détails sur la vie et les usages familiers de la peuplade ». Par contre, Ganong, qui a traduit et analysé l’œuvre du père Le Clercq, soutient que la Nouvelle Relation constitue l’une des plus belles pages sur les indigènes du Canada, et il fait cette remarque pertinente en parlant du chapitre cinquième : « Nulle part notre littérature n’offre peinture plus belle de la vie familiale des Indiens ».

L’autre ouvrage du père Le Clercq, intitulé Premier établissement de la Foy dans la Nouvelle-France, paru en 1691, connut une réimpression la même année sous le titre d’Établissement de la Foy. En 1692, une seconde édition parut à Lyon, intitulée Histoire des Colonies françaises.

L’auteur a divisé son ouvrage en trois parties : la première va de 1615 à 1629 et raconte le premier établissement de la foi en Nouvelle-France par les Récollets ; la seconde, de 1632 à 1663, mentionne les efforts faits par ces religieux pour revenir dans leurs anciennes missions ; la dernière, qui s’étend de 1663 à 1691, parle du retour des Récollets au pays, des découvertes de Cavelier de La Salle et des victoires de Frontenac sur les Amérindiens et les Anglais.

Dans ce livre, contrairement à la Nouvelle Relation, l’auteur se présente en historien plutôt qu’en témoin ; il n’a été spectateur des faits que pour un bref épisode de la troisième partie de l’ouvrage. Il a dû forcément se documenter et recourir à des sources écrites ou orales. Son témoignage vaudra ce que valent les documents consultés. Mais le père Le Clercq nous avertit qu’il fonde son récit uniquement sur la vérité : « Comme la vérité est l’âme et la propre essence de l’histoire, celle-ci n’a pas besoin d’être soutenue et authorisée par un autre endroit. » Personne n’a sérieusement mis en doute la bonne foi de Le Clercq ; les critiques impartiaux sont de l’avis de Ganong : « À n’en point douter, cet auteur a toujours eu, d’après moi, l’intention de dire l’exacte vérité ». Toutefois, on ne peut s’empêcher, à l’aide des documents actuels, de relever ça et là quelques erreurs plus ou moins importantes : Le Clercq assigne l’année 1635 à la fondation de Trois-Rivières, et 1636 à celle de Montréal ; il métamorphose en Huron le compagnon français du père Nicolas Viel à la rivière des Prairies ; il se trompe sur le successeur et la fin du mandat du père Leroux à Québec. Mais, en somme, cela n’est pas grave. La grande faute que certains reprochent au père Le Clercq est d’avoir critiqué les Relations des Jésuites et d’avoir soupçonné ces religieux d’avoir entravé le retour des Récollets en Nouvelle-France après 1632. Jusqu’à quel point Le Clercq a-t-il raison ? La question n’est pas facile à trancher. Ce qui est sûr, c’est que Le Clercq a pris trop à la lettre certaines affirmations des Relations, et il s’empresse de faire une mise au point comme celle-ci : « Plût à Dieu que toutes ces églises des Relations fussent aussi réelles que le pays les reconnaît chimériques ». On sait aujourd’hui que les Relations, composées pour une bonne part dans une optique de propagande, laissaient voir ça et là de pieuses exagérations.

Le Premier établissement est-il bien l’œuvre du père Le Clercq ? Certains lui en ont refusé la paternité. Le père Hennepin, contemporain de l’auteur, attribue ce livre aux pères Valentin Leroux et Zénobe Membré. Shea soutient que plusieurs ont travaillé à cet ouvrage. Ganong admet que certaines parties du volume ne sont pas de Le Clercq. Guy Frégault, dans Iberville, le conquérant, parle d’un « pseudo-Leclercq ». Toutes ces affirmations ne reposent sur aucune preuve décisive. Par contre, il ressort clairement du texte que le Premier établissement a sûrement pour auteur un récollet ; et, pour qui a lu le livre avec attention, ce récollet ne peut être autre que le père Le Clercq. Celui-ci, dans la page titre, se présente comme le seul auteur, et, tout au long du récit, des allusions brèves mais précises qui le concernent nous obligent à lui attribuer cette œuvre.

La Nouvelle Relation et le Premier établissement demeurent de précieuses sources de renseignements sur l’histoire de notre pays. Les travaux du père Le Clercq se présentent comme une œuvre de grande valeur au point de vue littéraire, social, religieux et historique. La langue est vivante, harmonieuse et correcte comme le voulait le xviie siècle ; les idées, claires et bien ordonnées. Pour l’étude des Micmacs de la Gaspésie, la Nouvelle Relation fournit une documentation précieuse et originale ; pour l’histoire des Récollets et du catholicisme en Amérique du Nord, le Premier établissement demeure un guide compétent et sincère. Aussi le père Chrestien Le Clercq se classe-t-il parmi les grands historiographes de la Nouvelle-France et, à ce titre, il a droit à notre profonde admiration.

G.-M. Dumas

[Jean Cavelier], The Journal of Jean Cavelier. The account of a survivor of La Salles Texas expedition, 1684–1688. Translated and annotated by Jean Delanglez (Chicago, 1938), 9.— Charlevoix, Histoire de la N.-F.— Le Clercq, Premier établissement de la Foy ; First Establishment of the faith (Shea) ; New relation of Gaspesia with the customs and religion of the Gaspesian Indians, tr. and ed. W. F. Ganong (« Champlain Soc. » V, 1910).— Recensement de 1681.— Frégault, Iberville.— Archange Godbout, Leclercq, dans Centenaire de lhistoire du Canada de F.-X. Garneau (Montréal, 1945), 269–290.— Séraphin Marion, Relations des voyageurs français en Nouvelle-France au XVIIe siècle (Paris, 1923), 53–57.— H. A. Scott, Nos anciens historiographes et autres études dhistoire canadienne (Lévis, 1930).— Marc de Villiers du Terrage, LExpédition de Cavelier de la Salle dans le golfe du Mexique, 1684–1687 (Paris, 1931), 196s.

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

G.-M. Dumas, « LE CLERCQ, CHRESTIEN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 8 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/le_clercq_chrestien_1F.html.

Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique


Permalien: https://www.biographi.ca/fr/bio/le_clercq_chrestien_1F.html
Auteur de l'article:    G.-M. Dumas
Titre de l'article:    LE CLERCQ, CHRESTIEN
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1966
Année de la révision:    2017
Date de consultation:    8 oct. 2024