OUTOUTAGAN (Outoutaga, Otoutagon, Ottoutagan, mieux connu sous le nom de Jean Le Blanc ou Jean Le Bland, nom qu’on lui avait donné à cause du teint pâle de sa mère), fils de Le Talon, chef éminent chez les Outaouais du Sable, il joua un rôle important dans la querelle qui s’éleva entre les Outaouais et les Miamis à Détroit en 1706 ; circa 1698–1712.

Les Outaouais, qui étaient les plus anciens alliés des Français dans l’Ouest, eurent beaucoup à souffrir de l’expansion de la colonie française dans cette région. Les Outaouais étaient un peuple commerçant et leur route de commerce entre les lacs supérieurs et Montréal empruntait la rivière qui porte encore aujourd’hui leur nom. Ils avaient supplanté les Hurons comme principaux intermédiaires indiens pour la traite des fourrures dans l’Ouest mais, dès la fin du xviie siècle, les traiteurs français les remplaçaient à leur tour. Outoutagan s’efforça de maintenir l’alliance que son père, le chef Le Talon, avait conclue avec les Français, tout en continuant de défendre les intérêts commerciaux de son peuple.

La réaction d’Outoutagan devant l’établissement d’un nouveau poste à Détroit donne la mesure de sa loyauté envers les Français. Cadillac [Laumet] avait fait de Détroit l’entrepôt central du commerce des fourrures dans l’Ouest, ce qui eut pour résultat de miner peu à peu l’importance du poste de Michillimakinac autour duquel habitaient la plupart des Outaouais, de réduire le rôle de ceux-ci comme intermédiaires et de faire dévier la route du commerce vers Montréal loin de celle des Outaouais. Malgré tout, en 1701, Outoutagan promit à Callière que, pour se conformer à la demande de ce dernier, il amènerait son peuple à Détroit. La majorité des Outaouais tinrent promesse après 1702, en dépit de l’appréhension que leur inspirait ce changement.

Au début de juin 1706, la méfiance mutuelle qui régnait entre les Outaouais et les Miamis de Détroit éclata au grand jour avec l’affaire Le Pesant. D’après son frère, Miscouaky, Outoutagan s’était opposé à ce que Le Pesant attaquât les Miamis. Il n’avait aucune part de responsabilité dans la mort de Constantin Delhalle qu’il avait lui-même libéré en lui disant : « mon pere vaten au fort et dit aux françois quils ne tirent point Sur nous et que je’n’en pas a eux que nous en voulons ». Et c’était encore Outoutagan qui avait pénétré dans le fort sous la protection d’un drapeau blanc, dans un vain effort pour restaurer la paix. Un mois ou deux plus tard, on l’entraîna à une prétendue conférence de paix et il fut blessé par une balle juste au moment où il acceptait de serrer la main du chef huron Michipichy* Quarante Sols.

Le meurtre du missionnaire et d’un soldat par les Outaouais mit Rigaud de Vaudreuil dans une telle colère que plus tard, au cours d’une conférence qui eut lieu à Montréal le 18 juin 1707, Outoutagan offrit sa propre personne pour apaiser le gouverneur. Vaudreuil refusa son acte de soumission et l’offre de deux esclaves outaouais, mais exigea à la place la tête de Le Pesant que l’on tenait pour responsable de toute l’affaire. Vaudreuil croyait qu’Outoutagan était leseul Outaouais capable de renverser Le Pesant, le chef suprême, qui était lui aussi membre de la tribu des Outaouais du Sable. Outoutagan ne voulut consentir qu’à la répudiation de Le Pesant comme chef. On lui répondit alors de se rendre à Détroit en passant par le pays des Iroquois, d’aller présenter les deux esclaves à Cadillac et de laisser celui-ci décider sous quelle forme il pourrait offrir plus ample réparation.

À Détroit, Cadillac exigea qu’on lui livrât Le Pesant sans condition, mais Outoutagan protesta : « Il est mon frère, mon propre frère ». La famine sévissait chez les Outaouais et il leur fallait absolument recommencer à faire du commerce pour obtenir des vivres. L’idée de la reprise des hostilités leur eût déplu tout autant qu’aux Français. Avant de présenter la requête de Cadillac au conseil des Outaouais à Michillimakinac, Outoutagan attendit le départ de leurs alliés qui s’y trouvaient rassemblés pour éviter qu’ils ne s’opposent à la demande. Le conseil décida que Le Pesant serait mis à mort s’il refusait de se rendre à Détroit. Kinongé ainsi que d’autres Outaouais aidèrent les Français à l’arrêter et le donnèrent à Cadillac comme esclave, mais son peuple fit appel à la clémence de Cadillac pour qu’il lui laissât la vie.

En dépit du fait que Le Pesant se fût échappé plus tard du fort Pontchartrain, on avait infligé une humiliation aux Outaouais pour maintenir le système d’alliance entre Français et Indiens dans l’Ouest ; en outre, les Outaouais n’avaient reçu aucune réponse à leurs griefs contre les Miamis. Cependant, la réconciliation avec leurs alliés leur valut deux avantages : le commerce reprit tandis que les Iroquois, qui désiraient détruire les Outaouais, se virent privés d’une belle occasion de s’interposer entre les tribus de l’Ouest. Une fois la paix restaurée, quelques Outaouais retournèrent à Détroit. En 1712, le père Joseph-Jacques Marest signalait qu’un perpétuel sentiment d’insécurité avait amené la plupart d’entre eux, y compris la femme d’Outoutagan, à retourner à Michillimakinac. Quant à Outoutagan, il resta à Détroit.

Deux anecdotes apocryphes nous restent au sujet d’Outoutagan qui avait, dit-on, la langue bien déliée. Clairambault d’Aigremont raconte qu’un jour le chef indien avait dit à Buade* de Frontenac « que c’estoit un malingre qui n’estoit propre a rien puisqu’il falloit qu’un cheval le portasse ». Et dans une autre entrevue, relatée par Charlevoix* cette fois, Frontenac ayant demandé à Outoutagan, « mauvais Chrétien & grand Yvrogne », de quoi selon lui était composée l’eau-de-vie, l’Outaouais aurait répondu que « c’étoit un extrait de langues & de cœurs : car, ajouta-t-il, quand j’en ai bû je ne crains rien, & je parle à merveille ». Cette dernière anecdote est sans doute fausse. À la conférence de paix tenue à Montréal en 1701, Outoutagan s’opposa à la vente d’eau-de-vie aux jeunes Indiens qui venaient à la ville et il supplia, sans succès d’ailleurs, qu’on mît fin au trafic de l’eau-de-vie chez les Indiens alliés des Français car, dit-il, « C’est une boisson qui nous gâte l’esprit ».

Les différentes descriptions que l’on a de son caractère nous laissent supposer qu’Outoutagan joua un rôle d’une certaine importance dans l’orientation de la politique française envers les Indiens. Cadillac dépeint Outoutagan comme un traître hypocrite, et sa femme, Mme Techenet [Elizabeth Couc*], comme une coureuse bigame qui, par surcroît, marquait de la sympathie pour les Anglais. Le témoignage que la sœur d’Outoutagan avait porté sur les agissements de Cadillac et de Radisson [Volant] à Détroit était peut-être en partie à l’origine de cette attitude hostile. D’un autre côté, Vaudreuil parlait de « la maniere soumisse, et selon les apparences scinçere avec la qu’elle il m’a toujours parlé, joins a laveugle obeissance qu’il a eû a mes ordres et a faire ma Volonté ». C’est peut-être Charlevoix qui a porté le meilleur jugement quand il a écrit : « Ce sauvage avoit beaucoup d’esprit, & quoique fort affectionné à la Nation Françoise, il voyait plus clair qu’il n’eût été à désirer dans une affaire de cette conséquence [le traité de paix] où il falloit passer bien des choses, & laisser beaucoup à faire au terris & aux conjonctures ». Outoutagan ne pouvait faire grand-chose, toutefois, pour freiner la régression du commerce outaouais et sa dévotion envers les Français ne lui apporta guère de compensation. Il n’hérita pas de l’autorité de Le Pesant et il est évident que, dès 1712, son influence n’atteignait que bien peu des siens.

Peter N. Moogk

[Les sources manuscrites sont très nombreuses, mais les plus importantes sont AN, Col., C11A, 19, p.82 ; 24, pp.27–30 ; 28, p. 144 ; 29, pp.26–101 ; 30, pp.82–88 ; 33, pp.71–79 ; 39, ff.44, 50v., 52v.— Correspondance de Vaudreuil, RAPQ, 1938–39 : 10–179 ; 1939–40 : 355–463 ; 1942–43 : 399–443 ; 1946–47 : 371–460 ; 1947–48 : 137–339— Charlevoix, Histoire de la N.-F., II : 276, passim ; III : 306, passim ; History (Shea), V : 144, passim.— La Potherie, Histoire (1722), IV : 258, passim.— Michigan Pioneer Coll., XXXIII : 328s., 333, passim.— On trouvera aussi des extraits fragmentaires tirés de la série C11A dans les NYCD (O’Callaghan et Fernow), IX, et dans la Wis. State Hist. Soc. Coll., XVI, mais ces ouvrages sont beaucoup moins utiles et complets que ne le sont les Michigan Pioneer Coll. et les RAPQ. p. n. m.]

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Peter N. Moogk, « OUTOUTAGAN (Outoutaga, Otoutagon, Ottoutagan) (Jean Le Blanc, Jean Le Bland) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/outoutagan_2F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1969
Année de la révision:    1991
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