THAVENET, JEAN-BAPTISTE, sulpicien, né le 2 septembre 1763 à Bourges, France ; décédé le 16 décembre 1844 à Rome.

Jean-Baptiste Thavenet entre au séminaire de Bourges en 1782, puis est ordonné prêtre en 1789. Il avait été admis dans la Compagnie de Saint-Sulpice en mai 1785 pour faire sa solitude (noviciat) à Paris. Dans le sillage de la Révolution française, les sulpiciens, comme bien des membres de communautés religieuses, connaissent certaines difficultés puisqu’ils refusent de prêter serment à la Constitution civile du clergé. Les seuls choix possibles pour les prêtres réfractaires sont la clandestinité ou l’exil ; Thavenet choisit de se réfugier à Londres. Devant l’afflux de prêtres français sur son territoire, la Grande-Bretagne accepte d’autoriser le passage d’un certain nombre vers le Canada ; elle change alors temporairement l’attitude qu’elle avait adoptée depuis la Conquête. Ainsi le 4 juin 1794, en compagnie de dix autres sulpiciens, Thavenet s’embarque à Portsmouth pour le Bas-Canada [V. Jean-Henry-Auguste Roux*].

Après une traversée sans histoires, le groupe parvient à Montréal le 12 septembre. L’arrivée de ces nouveaux membres au séminaire de Saint-Sulpice stimule la communauté, mais crée aussi des tensions qui marqueront très certainement Thavenet. Le séminaire est en voie de canadianisation, puisque, pour combler les vides, on a dû accepter des candidats canadiens qui forment alors la majorité. Un certain nombre d’entre eux voient d’un mauvais œil l’arrivée en force des Français. Ces derniers se méfient des Canadiens et veulent garder la main haute sur l’orientation de la communauté et préserver les liens avec la maison mère à Paris. C’est dans ce climat que Thavenet fait ses premières armes à Montréal.

Dès octobre 1794, Thavenet enseigne au collège Saint-Raphaël (qui deviendra le petit séminaire de Montréal en 1806), mais il s’entend mal avec le directeur de l’établissement, Jean-Baptiste Marchand* En 1797, l’évêque de Québec, Mgr Pierre Denaut*, le nomme vicaire de la paroisse Saint-Denis, sur le Richelieu, où il assiste le curé François Cherrier*. La même année, il devient vicaire dans la paroisse Notre-Dame à Montréal. Puis on l’envoie à titre de missionnaire à Lac-des-Deux-Montagnes (Oka) en 1800. Thavenet y apprend suffisamment l’algonquin pour être en mesure de traduire des ouvrages dans cette langue et de préparer un dictionnaire algonquin-français, qui restera à l’état de manuscrit. Il est de nouveau professeur au petit séminaire de Montréal en 1809, et au mois d’octobre 1815 il s’embarque pour Paris.

Thavenet commence alors sa carrière européenne de représentant financier de plusieurs communautés religieuses et de lobbyiste pour le séminaire de Saint-Sulpice à Montréal. Cette carrière connaît deux phases : de 1815 à 1831, Thavenet travaille en France et en Angleterre et s’occupe beaucoup de questions de recouvrement de créances ; de 1831 à 1844, il est installé à Rome, où il s’assure que le point de vue du séminaire de Montréal soit bien représenté auprès de la curie. Il prend une part active au conflit qui oppose les évêques du Bas-Canada au séminaire de Saint-Sulpice à Montréal et dont les péripéties aboutissent régulièrement à Rome [V. Joseph-Vincent Quiblier*].

Les communautés religieuses du Bas-Canada possédaient un certain capital en France, particulièrement sous forme de rentes. Pendant la Révolution et les guerres napoléoniennes, non seulement on cesse de leur verser les intérêts, mais en plus on remet en question la propriété de ces rentes. À la Restauration, les communautés tentent de récupérer ces divers placements. Thavenet agit plus spécifiquement pour le compte du séminaire de Québec, des ursulines, de l’Hôtel-Dieu de Montréal, de la Congrégation de Notre-Dame et de l’Hôpital Général de Montréal. Le recouvrement des créances est un travail long, mais finalement l’argent est versé. On estime à 1 800 000 francs la somme que reçoivent les trois communautés féminines de Montréal. D’après l’historien Robert Lahaise, cette injection de capital donne le signal d’une prospérité financière qui se traduit par une poussée de constructions conventuelles à Montréal et permet aux communautés de moderniser et d’agrandir leurs installations. Le succès de Thavenet incite même des familles à faire appel à ses services. Ainsi en 1826 Barthélemy Joliette et ses beaux-frères lui demandent de récupérer l’héritage d’un lointain parent dont on avait vendu les avoirs comme biens nationaux.

Cependant, en dépit des résultats positifs de son travail et du dévouement dont il a fait preuve, Thavenet voit ses qualités de gestionnaire mises en doute. Tous s’entendent sur sa façon inadéquate de tenir des livres ; Wilfrid-H. Paradis, qui a examiné ses dossiers à Paris, trouve que ces derniers manquent de clarté et de précision. De plus, Thavenet aurait été victime de la faillite de certains de ses agents et probablement de malversations de leur part. En 1833–1834, l’abbé Thomas Maguire* passe plusieurs mois avec lui pour tenter en vain de comprendre ses comptes ; il pense néanmoins que 150 000 à 160 000 francs ont été perdus à cause de faillites. L’archevêque de Québec, Mgr Joseph Signay, somme Thavenet de faire une reddition de ses comptes, mais ce dernier tergiverse ; il ne réussit pas à convaincre les représentants que l’archevêque lui envoie à plusieurs reprises, fait imprimer en 1836 une réponse aux objections du comité qui a examiné ses comptes, et semble persuadé qu’il est victime de persécution à cause de son travail auprès des autorités romaines en faveur du séminaire de Saint-Sulpice à Montréal. Finalement, en 1840, l’archevêque lui retire ses pouvoirs d’agent, mais les autorités ecclésiastiques romaines ne saisiront ses papiers que quelques mois avant sa mort.

Thavenet joue aussi un rôle de premier plan à titre de défenseur des intérêts du séminaire de Saint-Sulpice à Montréal. Rapidement, il en devient le principal lobbyiste et, bien placé à Rome, il s’avère un intervenant redoutable pour les adversaires des sulpiciens. Pendant la première moitié du xixe siècle, ces derniers font face à deux problèmes majeurs. Le premier date de la Conquête et concerne le droit de propriété du séminaire de Saint-Sulpice à Montréal sur la seigneurie de l’Île-de-Montréal : le séminaire de Saint-Sulpice à Paris, qui avait reçu la seigneurie, en a transféré la propriété en 1764 au séminaire de Saint-Sulpice à Montréal, mais le gouvernement ne reconnaît pas formellement ce transfert. Cette situation précaire rend les sulpiciens prudents dans la gestion de leurs biens et encourage leur loyalisme vis-à-vis les autorités coloniales. Ce n’est qu’en 1841 qu’on reconnaît finalement leurs droits. Le second problème, beaucoup plus compliqué, est celui des relations entre le séminaire de Saint-Sulpice et la hiérarchie ecclésiastique bas-canadienne. La croissance de Montréal et de sa région va entraîner la création d’un nouveau diocèse en 1836 et une restructuration du pouvoir clérical. Les sulpiciens, habitués à leur prééminence de fait dans l’île et dans la ville, sont perdants au départ et ne voient pas d’un bon œil ce développement d’autant plus qu’ils craignent que tout nouvel évêque convoite leurs biens. Cette rivalité se double très rapidement d’évidentes frictions ethniques.

Thavenet est mêlé à tous ces problèmes. Dès 1819, il s’occupe des droits du séminaire de Saint-Sulpice avec son confrère Jean-Jacques Lartigue, en mission à Londres. Les relations se détériorent rapidement entre le séminaire et la hiérarchie ecclésiastique à partir de 1821. L’élévation de Lartigue à l’épiscopat, le refus de Mgr Bernard-Claude Panet* d’accepter le projet de règlement de 1827 par lequel Saint-Sulpice aurait troqué ses biens contre une rente gouvernementale [V. Jean-Henry-Auguste Roux], la question du pouvoir de l’évêque dans la désignation du curé de la paroisse Notre-Dame de Montréal, l’interdiction faite au séminaire, par l’archevêque de Québec, de recruter des prêtres en France et la création d’un diocèse à Montréal exigent que les sulpiciens interviennent à Rome pour obtenir gain de cause. L’infatigable Thavenet y sera leur porte-parole. Son rôle est central dans ces querelles et, de l’avis de tous les chercheurs, il a lui-même, par ses prises de position, par sa volumineuse correspondance, par ses mémoires, dont certains sont anonymes, et par ses préjugés à l’endroit des Canadiens, contribué à jeter de l’huile sur le feu et à prolonger la dissension. Cependant, le fait que la rivalité entre le séminaire et l’évêque de Montréal se prolonge longtemps après sa mort indique que les enjeux étaient de taille et dépassaient les simples querelles de personnalité ; en réalité, tout le mode d’encadrement de la population catholique était en cause.

Une dernière facette de l’activité de Thavenet doit être soulignée. Pour les sulpiciens et les communautés montréalaises, il joue le rôle d’agent chargé de l’achat des livres, des objets pieux, ainsi que des accessoires qui servent au culte.

La carrière de Jean-Baptiste Thavenet illustre bien les relations qu’entretient le monde religieux bas-canadien avec l’extérieur, notamment avec les trois pôles fondamentaux que sont Londres, Paris et Rome. Elle montre aussi que dans ce domaine un individu peut être amené à jouer un rôle stratégique. Thavenet occupe une place importante dans la vie religieuse du Bas-Canada même s’il n’y a résidé que de 1794 à 1815.

Jean-Claude Robert

Compte tenu de l’importance du rôle de Jean-Baptiste Thavenet, on retrouve de volumineux dossiers sur lui aux ASSM (section 21, nos 17–18) et aux Arch. du séminaire de Saint-Sulpice à Paris. De même, les ACAM et presque toutes les communautés religieuses qui l’ont utilisé comme agent possèdent un dossier de correspondance avec lui. L’article de Wilfrid H. Paradis, « le Nationalisme canadien dans le domaine religieux ; l’affaire de l’abbé Thavenet », RHAF, 7 (1953–1954) : 465–482 ; 8 (1954–1955) : 3–24, donne une bonne idée des sources parisiennes. L’ouvrage de Louis Rousseau, la Prédication à Montréal de 1800 à 1830 : approche religiologique (Montréal, 1976), décrit l’essentiel de la situation du séminaire de Saint-Sulpice au début du xixe siècle. Celui de Brian J. Young, In its corporate capacity ; the Seminary of Montreal as a business institution, 1816–1876 (Kingston, Ontario, et Montréal, 1986), se penche davantage sur les activités économiques. Le livre de Chaussé, Jean-Jacques Lartigue, fait le point sur les tensions entre l’évêque et les sulpiciens.  [j.-c. r.]

Thavenet est l’auteur de : Résumé de la discussion des erreurs qu’a cru voir dans mes comptes le comité qui a été chargé de les examiner (Rome, 1836).

ANQ-M, CN1-295, 15 sept. 1826 ; CN5-25, 10 avril 1826.— ASQ, Fonds Viger-Verreau, Sér. O, 0141 : 134.— BVM-G, Coll. Gagnon, corr., J.-B. Thavenet à Morland and Co., 28 févr. 1831.— Allaire, Dictionnaire.— Dionne, les Ecclésiastiques et les Royalistes français.— Henri Gauthier, Sulpitiana ([2e éd.], Montréal, 1926).— Robert Lahaise, les Édifices conventuels du Vieux Montréal : aspects ethno-historiques (Montréal, 1980).— Pouliot, Mgr Bourget et son temps, 1.— Rumilly, Hist. de Montréal, 2.

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Jean-Claude Robert, « THAVENET, JEAN-BAPTISTE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 3 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/thavenet_jean_baptiste_7F.html.

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Auteur de l'article:    Jean-Claude Robert
Titre de l'article:    THAVENET, JEAN-BAPTISTE
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
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