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ROUX, JEAN-HENRY-AUGUSTE, prêtre, sulpicien, administrateur scolaire et vicaire général, né le 5 février 1760 à Marseille, France, fils de Jean-Baptiste Roux, médecin, et de Françoise-Élizabeth Durand ; décédé le 7 avril 1831 à Montréal.
Jean-Henry-Auguste Roux connut peu son père qui résidait habituellement à la Martinique, dans la ville de Fort-Royal (Fort-de-France), où il possédait de vastes plantations. Le 20 octobre 1779, après de brillantes études classiques à Corrèze, en France, il entra au séminaire d’Avignon où il fut ordonné prêtre le 5 juin 1784. Agrégé aussitôt à la Compagnie de Saint-Sulpice, il enseigna la théologie morale au séminaire de Saint-Sulpice à Paris et donna plusieurs conférences qui le firent remarquer. Au début de 1791, il poursuivit sa carrière de professeur au séminaire du Puy en même temps qu’il devenait, le 15 janvier, vicaire général de l’évêque du lieu, Mgr Marie-Joseph de Galard.
À l’été de 1791, au moment où l’Assemblée nationale constituante créait une Église d’État nettement schismatique, Roux se réfugia dans le canton de Valais, en Suisse, avec son évêque qui avait refusé de prêter le serment de fidélité à la Constitution civile du clergé. À cette occasion, Roux avait prévenu son père qui l’avait aussitôt invité, le 26 novembre 1791, à s’établir à la Martinique auprès de sa famille. Sans doute pourrait-il obtenir dans cette colonie lointaine une cure, voire être nommé préfet apostolique. L’année suivante, au moment du décès du docteur Roux, Jean-Henry-Auguste résistait à l’invitation de son frère aîné, principal héritier, à venir le rejoindre.
L’année 1794 marqua le début de la carrière canadienne de Roux. L’année précédente, profitant des bonnes dispositions de Londres qui ne s’opposait plus à l’entrée des sulpiciens français dans la colonie, le supérieur du séminaire de Saint-Sulpice à Montréal, Gabriel-Jean Brassier*, demanda des recrues pour renflouer les effectifs de l’établissement. L’assistant de Jacques-André Émery, supérieur général de Saint-Sulpice qui se trouvait alors en détention, acquiesça à cette requête et envoya quatre anciens directeurs et huit jeunes prêtres. Le vicaire général Roux était à leur tête et l’assistant du supérieur lui remit un règlement de vie à suivre pendant le voyage. Parti de Suisse à la fin d’avril 1794, le groupe des 11 sulpiciens – l’un d’entre eux avait dû déclarer forfait à la suite d’une maladie – parvenait à Montréal le 12 septembre 1794.
Grâce à ses vastes connaissances et à son ascendant naturel, Roux ne tarda pas à s’imposer à ses confrères. Nommé à son arrivée procureur du séminaire, il rétablit rapidement la situation financière de la maison, qui se trouvait dans un état précaire. Puis en octobre 1798, il succéda à Brassier à titre de supérieur. Auparavant, le 6 septembre 1797, Mgr Pierre Denaut*, qui tenait en grande estime celui qu’il se plaisait à appeler son « oracle ordinaire », l’avait nommé vicaire général du district de Montréal. Dès lors, Roux devint rapidement le « conseiller universel de toute la colonie ». « Chaque jour, on voyait s’acheminer vers le séminaire une foule intéressante de consulteurs de toutes les classes qui venaient implorer le secours gratuit de ses lumières bienfaisantes. » Mgr Denaut puis Mgr Joseph-Octave Plessis, tous deux anciens élèves des sulpiciens, recoururent plus d’une fois à ses judicieux conseils. C’est Roux, au reste, qui devait le 15 mai 1812 rédiger à l’intention du gouverneur sir George Prévost* un mémoire remarquable sur le traitement à accorder à l’évêque de Québec. Il y faisait état de la situation privilégiée de ce dernier sous le Régime français. Il ajoutait, en conclusion, : « L’épiscopat a donc besoin en ce pays d’être visiblement reconnu avec le titre d’évêque », et il demandait que les autorités civiles reconnaissent Plessis.
Depuis la cession par le séminaire de Paris au séminaire de Montréal de tous ses biens au Canada, en avril 1764, l’établissement canadien jouissait de sa pleine autonomie financière. Sur le plan spirituel, cependant, Montréal relevait toujours de Paris. De 1792 à 1815, les hostilités entre la Grande-Bretagne et la France rendirent extrêmement difficiles les communications entre les deux séminaires. Rétablies en février 1815, elles ne devaient plus être interrompues sous le supériorat de Roux. Connaissant bien les talents d’administrateur de ce dernier, le supérieur général de Saint-Sulpice, Antoine de Pouget Duclaux, projeta en 1817 au 1818 de le faire figurer au nombre de ses 12 assistants. Jugeant indispensable sa présence au Bas-Canada, à un moment où la position du séminaire était contestée par Londres, Roux déclina l’invitation. Il n’en demeura pas moins l’un des conseillers du supérieur général les plus écoutés. Au même moment, le séminaire de Montréal apportait un appui financier important à ceux de Paris et de Baltimore.
La défense des biens de Saint-Sulpice contre les prétentions du gouvernement britannique demeura toujours l’une des préoccupations majeures de Roux. Depuis la Conquête, les titres de propriété des sulpiciens étaient régulièrement mis en doute tant par les autorités civiles que par un certain nombre de juristes réputés qui soutenaient que ces biens constituaient des biens publics. Au printemps de 1819, la question était de nouveau soulevée au Conseil législatif et longuement commentée dans les journaux. Engagé en outre depuis 1816 dans des procès pour droits seigneuriaux avec les marchands montréalais John Fleming et Thomas Porteous, Roux dut soumettre le différend au gouverneur, le duc de Richmond [Lennox*]. Il fit part à Jean-Baptiste Thavenet*, agent des sulpiciens à Rome, de la réponse de Richmond, datée de juillet 1819. Selon Roux, le gouverneur jugeait « qu’il était inutile d’agiter de nouveau une affaire déjà décidée par les officiers de la Couronne (en 1789 et en 1811) », et il offrait de verser aux sulpiciens une pension à perpétuité contre la renonciation de leurs droits. À cette occasion, Roux rédigea à l’intention du gouverneur un mémoire qui fit « grande sensation dans le pays » puis il décida de déléguer le sulpicien Jean-Jacques Lartigue* à Londres pour clarifier la situation. La mission de ce dernier ne donna pas les résultats attendus. Pourtant, la fermeté dont fit preuve le supérieur du séminaire dans cette cause avait contraint le gouvernement britannique à renoncer à son projet. En juin 1826, Roux partit pour l’Europe avec le sulpicien Jackson John Richards* afin de négocier avec le gouvernement britannique une solution définitive au sujet des biens du séminaire. En octobre 1827, les discussions entre Roux et lord Bathurst, secrétaire d’État à la Guerre et aux Colonies, aboutirent à un accord selon lequel les sulpiciens céderaient une partie de leurs droits seigneuriaux en retour d’une rente fixe et perpétuelle. Cette entente suscita une réaction très vive des Canadiens et de l’épiscopat qui voyaient dans cette solution une véritable spoliation du patrimoine. Toutefois, en mars 1830, les cardinaux de la Propagande suspendirent temporairement la permission déjà accordée aux sulpiciens d’aliéner leurs biens seigneuriaux. Rome avait ce droit de regard puisque les biens appartenaient initialement à l’Église.
La position délicate, voire précaire, du séminaire de Montréal quant à la reconnaissance de ses droits influa fortement sur les sentiments de loyauté que Roux ne manqua jamais de manifester ouvertement aux autorités britanniques. En juillet 1812, lors des émeutes qui marquèrent la crise anticonscriptionniste à Lachine et à Pointe-Claire, il protesta énergiquement de son attachement à la couronne. Cette attitude demeura constante chez le supérieur de Saint-Sulpice, fort bien vu d’ailleurs du gouvernement britannique qui considérait le séminaire comme le « quartier général » et « le boulevard de la loyauté ». Ce comportement ne fut pas sans susciter du mécontentement et de l’amertume parmi le peuple et la presse canadienne.
Depuis leur arrivée à Montréal en 1657, les sulpiciens jouissaient d’un prestige et d’une autorité jamais contestés par les évêques de Québec. L’accueil réservé au groupe des 11 en 1794 par Jean-François Hubert*, évêque de Québec, et son futur coadjuteur, Mgr Denaut, n’avait fait que confirmer l’estime dont jouissait en haut lieu le séminaire de Saint-Sulpice. Quant à Mgr Plessis, même si Thavenet lui prêtait le dessein de « s’emparer du Séminaire de Montréal » depuis qu’il avait cherché à y introduire en 1807 son coadjuteur, Bernard-Claude Panet, il avait pour le séminaire et son supérieur un attachement sincère. Toutefois, la décision de Plessis d’établir à Montréal au début de 1821 un évêque auxiliaire, Lartigue, qu’il avait pourtant pris soin de choisir parmi les sulpiciens, devait l’opposer directement à Roux. Jaloux des prérogatives de sa maison, ce dernier n’accepta jamais la présence à Montréal d’un évêque auxiliaire qui ne pouvait que diminuer « l’influence du Séminaire et celle de son supérieur qui auparavant gouvernait le district ». Il ne supportait pas non plus que cet évêque soit un Canadien qui ne manquerait pas de faire pression sur l’établissement montréalais pour l’amener à s’adapter davantage à la réalité canadienne.
C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre l’exclusion de Lartigue du séminaire de Montréal en 1821 et les différends qui opposeront l’évêque auxiliaire à Roux, notamment lors de la construction de la nouvelle église paroissiale. Les tentatives de Roux en vue de recruter en France des prêtres français au moment de son voyage en Europe en 1826, de même que la discrimination dont les sulpiciens canadiens étaient constamment l’objet à l’intérieur du séminaire, s’inspirent de cette même volonté de conserver à Saint-Sulpice son caractère à dominance française. La nomination en 1829 du sulpicien américain Richard, puis du sulpicien français Claude Fay à la cure de Notre-Dame de Montréal en remplacement de Candide-Michel Le Saulnier, malade, puis l’élection du Français Joseph-Vincent Quiblier* en 1830 comme vice-supérieur du séminaire pour succéder à Roux, incapable d’exercer sa charge, témoignent de la ferme intention de Saint-Sulpice d’écarter les Canadiens des postes importants de la maison.
Jean-Henry-Auguste Roux mourut le 7 avril 1831 à la suite d’une hémorragie cérébrale. Depuis un an, il avait « subi plusieurs attaques qui s’étaient porté à la tête et avaient tellement affaibli son esprit qu’il ne disait plus rien de suivi ». Ses obsèques eurent lieu le 11 avril en présence d’une foule nombreuse. Joseph Papineau* lui rendit ce témoignage : « Le très illustre Messire Roux était doué d’un savoir profond, universel, aussi fort en droit civil qu’en droit canonique dont les lumières furent telles que tant quil vécut il fut consulté de toutes les parties du Canada, par les laïques comme par le clergé et avec les plus grands avantages. » Roux devait, d’ailleurs, laisser plusieurs écrits touchant le droit et la spiritualité. Enfin, selon le supérieur général de Saint-Sulpice à Paris, Antoine Garnier, Montréal perdait « un grand administrateur, un éloquent prédicateur, un habile théologien, un canoniste et un jurisconsulte renommés ».
Jean-Henry-Auguste Roux est l’auteur de : Mémoire pour le séminaire de Montréal (s.l., 1820).
ACAM, 901.029 ; 901.136 ; 901.137.— ANQ-M, CE1-51, 11 avril 1831.— Arch. de la Compagnie de Saint-Sulpice (Paris), Dossiers 75, nos 1–20 ; 112–114 ;
Gilles Chaussé, « ROUX, JEAN-HENRY-AUGUSTE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 6 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/roux_jean_henry_auguste_6F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/roux_jean_henry_auguste_6F.html |
Auteur de l'article: | Gilles Chaussé |
Titre de l'article: | ROUX, JEAN-HENRY-AUGUSTE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1987 |
Année de la révision: | 1987 |
Date de consultation: | 6 nov. 2024 |