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WILLISON, sir JOHN STEPHEN, journaliste, auteur et homme d’affaires, né le 9 novembre 1856 près de Hills Green, Haut-Canada, troisième enfant de Stephen Willison, forgeron, et de Jane Abram ; le 3 juin 1885, il épousa à Tiverton, Ontario, Rachel Wood Turner (décédée le 19 janvier 1925), et ils eurent deux fils, puis le 10 avril 1926, à Toronto, Marjory Jardine Ramsay MacMurchy*; décédé le 27 mai 1927 dans cette ville.
Sorti de l’école à l’âge de 15 ans, John Stephen Willison travailla comme journalier à Hills Green, puis dans la région de Whitby, près de Greenwood, où le maître de poste le trouva « plein d’ambition ». Le Globe de Toronto, la politique libérale et la bibliothèque de l’Institut des artisans de Greenwood le fascinaient. Encore adolescent, il assista l’instituteur à l’école locale. Il fut commis dans des magasins de Stanton et de Tiverton et fit paraître de la poésie et de la prose dans des journaux. Puis il se tourna vers le journalisme : entré en 1881 à l’Advertiser de London, il suivit le rédacteur en chef John Cameron* au Globe en 1883. La qualité de son travail de courriériste à l’Assemblée législative de l’Ontario lui permit d’être promu en mars 1886 à la tribune de la presse du Parlement d’Ottawa, où l’étoile montante des libéraux de la province de Québec, Wilfrid Laurier*, lui fit grande impression. Ces deux passionnés de politique et de littérature se lièrent d’amitié. En juin 1887, Edward Blake* abandonna la direction du Parti libéral et Willison soutint hardiment Laurier. Ce fut le début d’une alliance puissante. Willison dit à Laurier qu’il rendrait « n’importe quel service » pour aider le parti à conquérir l’Ontario. En 1889, au cours du virulent débat sur la question des biens des jésuites, Willison – malgré son mépris pour Honoré Mercier*, premier ministre de la province de Québec et chef du Parti national, qui appuyait les libéraux – assura les lecteurs du Globe, dans un article vedette, que Laurier le catholique était « libéral jusqu’à la moelle ».
À l’occasion d’une restructuration organisée par Robert Jaffray*, président du Globe, Willison, avec le soutien de Laurier, remplaça Cameron au poste de rédacteur en chef en 1890. Toutefois, la direction de la page éditoriale alla à un journaliste plus chevronné, l’impulsif Edward Farrer*. Pendant la campagne électorale de 1891, le premier ministre du pays, sir John Alexander Macdonald*, eut l’occasion, grâce à une fuite, de prendre connaissance d’un opuscule attribué à Farrer et portant sur les moyens susceptibles de pousser le Canada à s’unir aux États-Unis, et il se fit une joie de dénoncer la présence d’une « trahison voilée » au Globe. Entre-temps, Willison empêcha la condamnation de la politique de réciprocité totale de Laurier par Blake d’être publiée avant les élections. Les libéraux subirent la défaite (sans pour autant mordre la poussière), Farrer quitta son poste en juillet 1892 et l’ascendant de Willison au Globe se confirma.
Dès 1895 environ, Willison avait réuni une équipe d’éditorialistes et de rédacteurs très compétents où l’on trouvait entre autres le radical pro-ouvrier John Lewis, le spécialiste des affaires municipales Thomas Stewart Lyon et l’analyste économique Samuel Thomas Wood*. En décembre 1895, un tory convaincu, Thomas Charles Patteson, rédacteur en chef du Mail de Toronto dans les années 1870, dit à Willison : « [le Globe] est sans nul doute, en ce moment, le meilleur journal […] jamais publié au Canada. Tempéré dans ses commentaires et dynamique dans tous les secteurs. » Patteson était certain que « le style de commentaires du Globe produi[sait] dix fois plus de convertis ou d’indécis […] que le vieux style polémique ». La réputation de Willison monterait en flèche pendant la campagne électorale de 1896, où les libéraux se donneraient des bases sûres en défendant la protection du commerce et en prônant les droits provinciaux dans la controverse sur l’abolition par le gouvernement manitobain du financement public des écoles catholiques [V. Thomas Greenway*]. Willison s’opposait à toute intervention fédérale en cette matière. Laurier, inquiet des réactions de la province de Québec catholique, se plaignit auprès de lui, en 1895, de ses éditoriaux « somme toute […] trop catégoriques ». Willison répliqua que l’Ontario « anéantira[it] tout parti qui tentera[it] une intervention arbitraire au Manitoba ». Lorsque, au début de 1896, le gouvernement conservateur, sous l’autorité du vieillissant sir Charles Tupper*, essaya de restaurer les droits scolaires des catholiques, le Globe préconisa, comme Laurier, un compromis négocié. Aux élections de juin, les libéraux remportèrent la victoire et, en Ontario, arrivèrent à égalité avec les conservateurs. Le tirage du Globe atteignit des sommets.
De plus en plus, Willison défendait un nationalisme impérialiste. En 1888, il avait dit à Laurier être « résolument pour le Canada avant tout » et avait même amené le Young Men’s Liberal Club de Toronto, dont il était président, à voter pour l’indépendance du Canada. Toutefois, en tant que rédacteur en chef du Globe, il évoluait dans les hautes sphères intellectuelles et parmi le gratin de la société – lieux où, en général, on était impérialiste. Dans ses mémoires, il rappellerait que « personne ne [lui] donna de plus sages conseils » que le directeur du Queen’s College de Kingston, George Monro Grant*. Celui-ci, pour reprendre les termes du Globe, prônait « cette tournure d’esprit » qui consistait à voir le Canada comme un « facteur », un pays qui était en mesure de jouer un rôle dans le monde en restant dans l’Empire britannique. Quant à l’amitié entre Willison et George Taylor Denison, président de la section canadienne de la British Empire League, elle fut favorisée par leur communauté de pensée au sujet de la corruption et par la nouvelle orientation qui avait été donnée en 1893 au programme libéral en matière de commerce – à savoir des échanges « plus libres » avec la Grande-Bretagne et les États-Unis. En 1896, les pressions tarifaires des États-Unis amenèrent Willison à conclure, dans un discours devant le National Club, que le Canada devrait « compter sur [ses] relations impériales ». Puis vinrent l’habile budget libéral qui contenait un tarif préférentiel impérial [V. William Stevens Fielding] et, au cours de l’été de 1897, le triomphe remporté par Laurier aux fêtes du soixantième anniversaire du règne de la reine Victoria. De Londres, Willison dit au Globe, en octobre, que le Canada était « enfin l’enfant chéri de l’Empire », ce qui ne l’empêcherait pas, l’année suivante, de s’émerveiller du « climat de solide confiance en soi » d’une nation en devenir. Néanmoins, l’impérialisme ne tarda pas à montrer qu’il pouvait semer la discorde. En octobre 1899, la guerre éclata en Afrique du Sud entre les Boers et la Grande-Bretagne. Envoyer des soldats, fit valoir le Globe, serait « une manière pour la nation de proclamer son engagement envers l’Empire britannique ». En privé, Willison dit au premier ministre que, à sa place, « soit [il] enverrai[t] des troupes, soit [il] quitterai[it] son poste ». Un contingent s’embarqua. Dans la province de Québec, on reprocha à Laurier d’être trop impérialiste et, en Ontario, de n’être « pas assez Britannique ».
Willison ne cessait d’acquérir du prestige. En mars 1900, il fut élu à la présidence de la Canadian Press Association ; en mai, il entra à la Société royale du Canada. En 1903, il publia, à Toronto, Sir Wilfrid Laurier and the Liberal party : a political history. Dans ce livre parfois brillant mais dépourvu d’analyse critique, composé à partir du hansard et des journaux, il étalait, avec l’admiration d’un courtisan, son intime connaissance du libéralisme. Il y vantait Laurier pour sa « patiente et courageuse résistance aux tendances dénationalisantes du racisme, du sectarisme et du provincialisme ». Les recensions furent élogieuses ; selon le Canadian Magazine de Toronto, il s’agissait de « la plus grande biographie jamais produite au pays ». En 1903, Willison fut élu au conseil d’administration de la Canadian Society of Authors. Trois ans plus tard, le Queen’s College lui décerna un doctorat honorifique en droit.
Cependant, le journalisme partisan avait commencé à être une source de frustration pour Willison. En 1897, il se trouva dans l’embarras : on associait son appui éditorial au prolongement du chemin de fer canadien du Pacifique avec les démarches de Jaffray et de George Albertus Cox*, propriétaires du Globe, en vue de profiter de transactions sur des terres ferroviaires en Colombie-Britannique. L’année suivante, le premier ministre libéral de l’Ontario, Arthur Sturgis Hardy*, le rabroua pour l’impartialité avec laquelle il parlait des élections. En janvier 1900, dans un manifeste, le Globe préconisa la création d’une commission indépendante sur les chemins de fer, une réforme du Sénat et de la fonction publique et une redistribution judiciaire des sièges à la Chambre des communes – propositions dans lesquelles Laurier, mécontent, vit du « radicalisme avancé ». Willison rappellerait que, « dès 1897, [le premier ministre lui] disait : “J’aimerais que le Globe cesse de réclamer des réformes. Les réformes sont pour les oppositions. La mission des gouvernements est de rester en poste.” » Blâmé par les libéraux pour avoir traité équitablement les conservateurs aux élections de 1900, Willison exprima sa colère dans une lettre au ministre Clifford Sifton : « Personnellement, je déteste que tout homme politique libéral tienne pour acquis que je suis à son service. »
Pour Willison, le salut vint à l’été de 1902 : le charcutier et financier torontois Joseph Wesley Flavelle* promit de financer un journal dans lequel il pourrait s’exprimer en toute liberté. Flavelle mit la main sur l’Evening News de Toronto et, le 28 novembre, Willison quitta le Globe. Son premier éditorial, paru le 19 janvier 1903, annonçait que le journal suivrait « une voie indépendante en politique », mais cet objectif se révéla difficile à atteindre. En mars, Willison admonesta les libéraux ontariens parce qu’ils avaient versé un pot-de-vin à un député provincial de l’opposition pour le convaincre de joindre leurs rangs. Dès le début de 1905, en partie à cause de Willison, ils ne seraient plus au pouvoir. Sur la scène fédérale, le News soutint le chef conservateur Robert Laird Borden* en 1904 parce qu’il préconisait, contrairement à Laurier, que le deuxième chemin de fer transcontinental appartienne à l’État, et non à l’entreprise privée. L’année suivante, Laurier déclencha une controverse religieuse en révélant son intention de garantir le droit des catholiques à des écoles confessionnelles dans les nouvelles provinces qui seraient créées à partir des Territoires du Nord-Ouest. Pour sa part, Willison voulait une totale autonomie provinciale et il l’avait dit à Laurier en juin 1904 : « [telle] était ma position sur la question manitobaine et je ne vois pas comment on peut adopter une position différente à propos des Territoires ». En mars 1905, le News déclara que les projets de loi créant l’Alberta et la Saskatchewan constituaient « une grande trahison des principes libéraux ». Bon nombre de libéraux étaient d’accord, ce qui força le premier ministre Laurier à accepter un compromis. Seule l’instruction religieuse dans des écoles essentiellement publiques – arrangement déjà instauré par des ordonnances territoriales – serait tolérée dans les nouvelles provinces. Willison n’était pas satisfait. S’il avait écrit son livre sur Laurier, expliqua-t-il à un ami, c’était en bonne partie pour célébrer « l’attachement [du chef] au principe fédéral et sa résistance énergique à l’ingérence du clergé en éducation ». La « volte-face » de Laurier l’avait forcé à protester ; autrement, dit-il, « j’aurais été la risée [de tous], d’un bout à l’autre du pays ».
Le News commença à avoir des ennuis lorsque le tirage du journal populiste torontois Daily Star égala le sien, en 1905, puis le dépassa, ce qui lui fit perdre beaucoup de publicité. En 1907, Flavelle investit encore 50 000 $ dans le News, mais les marchés financiers s’effondrèrent, et il conclut à la nécessité de vendre. Willison ne put trouver aucun autre bailleur de fonds. Ses attaques contre la Toronto Railway Company de William Mackenzie et sa répugnance à laisser tomber l’entreprise privée dans le débat sur la nationalisation de l’électricité en Ontario [V. sir Adam Beck] ne firent que discréditer le News. Willison discuta avec Laurier de la possibilité d’un retour au Globe, sans que la chose puisse s’arranger. En 1908, le premier ministre de l’Ontario, James Pliny Whitney*, orchestra l’achat du News par un consortium conservateur sous la direction de Francis Cochrane*. Willison serait président et rédacteur en chef, mais le pouvoir réel serait entre les mains du consortium. Les économies de bout de chandelle de Flavelle puis la soumission au parti exigée par les propriétaires contribuèrent sûrement – avec la tendance de Willison à espérer, en dépit de tout, une amélioration de la situation – à faire du News un journal faible et platement moralisateur. On peut penser aussi que le News eut plus de difficulté à rassembler du capital à cause de la guerre. « Je ne peux plus continuer comme je le fais depuis douze ans », dit Willison à John Dowsley Reid en 1916. « Nous avons englouti des dizaines de milliers de dollars dans la production d’un journal médiocre. »
Il restait quand même à Willison quelques tribunes où s’exprimer en toute indépendance. On sollicitait encore cet orateur très bien informé sur les affaires publiques. Invité en 1905 à être correspondant du Morning Post de Londres au Canada, Willison exerçait toujours cette fonction. Sur la recommandation du gouverneur général lord Grey* et de Laurier, il devint en 1908 le correspondant canadien du célèbre Times de Londres. Il s’abstiendrait, promit-il à Laurier, d’y tenir des propos susceptibles d’« interprétation partisane ».
Survenue en janvier 1911 à l’issue de négociations canado-américaines, l’annonce subite au Parlement d’un accord global de réciprocité commerciale déclencha une crise nationale. Willison, qui avait défendu un protectionnisme modéré, rapporta dans le Times du 28 janvier l’existence d’« un courant de mécontentement et d’agitation dans les cercles financiers et les milieux d’affaires » torontois. Quelques jours plus tard, le News exposait l’essentiel des arguments contre l’entente. Pour des marchés peut-être illusoires, que les États-Unis pourraient emporter, le Canada allait, en minant ses réseaux ferroviaires et financiers est-ouest, son commerce transcontinental et transatlantique et ses investissements britanniques, « mettre en péril toute l’expérience [qu’il tentait] en tant que nation ». « Dans les faits […], poursuivait le News, nous procédons à l’annexion commerciale de l’Ouest canadien aux États-Unis », sans même protéger le secteur manufacturier. Bref, ajoutait-on, « nous renforçons toutes les influences qui concourent à l’intégration continentale et risquons de sacrifier à la fois une jeune nation et un vieil empire ». Selon ce que Flavelle dirait à Willison, les autres adversaires de l’entente ne feraient que développer les arguments du News. En février, Willison fit appel à son réseau exceptionnel d’amis libéraux – il travailla surtout avec Clifford Sifton et le banquier sir Byron Edmund Walker – afin de rassembler les « dix-huit de Toronto ». Ensuite, avec l’un de ces influents hommes d’affaires farouchement opposés à l’entente, Zebulon Aiton Lash*, il alla à Ottawa rencontrer Sifton et Robert Laird Borden en vue d’établir (pour reprendre ses propres termes) « une base de coopération » avec les conservateurs. L’entente de réciprocité se buta à des manœuvres d’obstruction aux Communes, et Laurier convoqua des élections pour septembre. Avec Sifton, Willison rédigea le manifeste électoral de Borden, où il utilisa l’expression « à la croisée des chemins ». Borden récolta la majorité des sièges. À Toronto, des milliers de manifestants enthousiastes se massèrent autour de l’édifice du News en criant « Willison, Willison ». Jamais sa renommée n’avait été aussi grande qu’en cette fin de 1911. Sur la liste des distinctions publiée au jour de l’An 1913, il y aurait un titre de chevalier pour lui.
Dans les premières années du gouvernement Borden, Willison craignit que les hésitations du Canada en matière de défense navale et les retards de la Grande-Bretagne à accorder des tarifs préférentiels n’entravent tout progrès réel vers une conciliation du rêve national et du rêve impérial. Au cours de la panique provoquée en 1909 par la menace que l’Allemagne faisait peser sur la suprématie maritime de la Grande-Bretagne, il avait soutenu des propositions communes des deux partis en faveur de la création « accélérée » d’une marine canadienne, même si auparavant, comme d’autres impérialistes, il avait voulu que le Canada apporte une contribution spéciale à la marine britannique sous la forme de deux cuirassés de type dreadnought. À la fin de 1912, Borden reporta à plus tard l’organisation d’une marine canadienne et proposa trois cuirassés, mais le Sénat, dominé par les libéraux, refusa. Willison déplorerait la partialité des deux camps. En parlant de la résistance des Britanniques à la préférence impériale, il exprima dans le Times, en 1913, la « vive préoccupation » du Canada. Il fit de même dans le Round Table, périodique impérialiste de Londres.
Une fois l’Empire entré en guerre en août 1914, Willison se battit sur plusieurs fronts. Avec les autres membres canadiens du mouvement Round Table [V. Edward Joseph Kylie*], il réclama que la Grande-Bretagne décide de la politique de défense et de la politique étrangère de concert avec les dominions parvenus à maturité – ce qui allait à l’encontre des prescriptions plus centralisatrices du leader londonien du mouvement, Lionel George Curtis. Au Canada, les pressions en faveur de la formation d’un gouvernement d’union ou de coalition s’intensifièrent : la victoire militaire était incertaine en 1916 et l’enrôlement des volontaires s’essoufflait. Durant des mois, le News accusa Laurier d’être à la merci des nationalistes de la province de Québec et déconseilla fortement à Borden d’accepter cette idée d’union. Cependant, après une rencontre avec Borden en février 1917, Willison laissa entendre dans le News que, en fin de compte, une coalition s’imposait peut-être. Puis, en mai, Borden opta pour la conscription. Bon nombre de libéraux canadiens-anglais, dont le chef ontarien Newton Wesley Rowell*, pressèrent Laurier de s’associer à Borden. Laurier refusa, mais Rowell, lui, accepta, en partie sur les instances de Willison, qui agissait au nom de Borden et avait démissionné en juin du News, dont la caisse ne pouvait plus être renflouée. L’arrivée de libéraux de l’Ouest [V. Arthur Lewis Watkins Sifton] permit de bâtir la coalition. Le gouvernement d’union sollicita alors un mandat. Avec sir Clifford Sifton, Willison rédigea le discours électoral prononcé par Borden le 12 novembre. Il fut coordonnateur en chef de la publicité dans la campagne qui se solda par une victoire décisive de la coalition en décembre.
Après 1917, Willison connut à la fois des réussites et des déceptions. Président de la commission ontarienne sur le chômage de 1914 à 1916, il fut nommé en 1918 à la tête de l’Ontario Housing Committee, qui réclama de toute urgence, mais en vain, des fonds fédéraux. Sur l’invitation de leaders du monde des affaires, il occupa de 1918 à 1922 la présidence de la Canadian Reconstruction Association, sans parvenir à apaiser les dissensions entre gens d’affaires, ouvriers et agriculteurs. Membre de la commission royale d’enquête de l’Ontario sur les finances des universités en 1920–1921, il trouva le nouveau gouvernement des Fermiers unis peu enclin à la générosité. Lui-même fut l’un des administrateurs de la Queen’s University et appartint au conseil d’administration de la University of Toronto et à celui de l’Upper Canada College. Sur la scène nationale, il fut, de 1918 à 1920, en désaccord avec Borden, qui penchait pour l’autonomie du Canada, et, dans les années 1920, avec le nouveau chef libéral, William Lyon Mackenzie King*, lui aussi opposé aux politiques impériales. Willison le nationaliste impérialiste se plaignit en ces termes à un ami : « apparemment, on a laissé tomber ceux qui partagent mon point de vue ». En 1919, à Toronto, il publia Reminiscences, political and personal. Dans ce livre où il donne libre cours à ses opinions sur le journalisme et la politique, surtout à propos de la période antérieure à 1900, il consacre un dernier chapitre (« Laurier et l’Empire ») à ses méditations impérialistes. « Aucun de ceux qui connaissaient Laurier ne pouvait le croire impérialiste », affirmait-il. Cependant, il soulignait que le défunt premier ministre n’avait jamais eu de différend avec la Grande-Bretagne et qu’il avait travaillé à l’établissement de la préférence impériale, envoyé des troupes en Afrique du Sud et défendu l’« obligation [du Canada] en matière de défense navale ». Bien sûr, l’autobiographie de Willison n’était pas aussi actuelle que ses discours et ses publications pour la Reconstruction Association. Probablement Augustus Bridle exprimait-il une opinion courante en disant dans The masques of Ottawa, publié à Toronto en 1921, que Willison devrait « cesser de rédiger des bulletins pour la Reconstruction [Association] et faire quelque chose de mieux pour le pays afin que ne disparaisse pas tout à fait l’enthousiasme des hommes qui ont vu en lui le plus grand rédacteur en chef du Canada ». En 1923, Willison entreprit une biographie de sir George Robert Parkin et, en 1925, il ajouta quelques chapitres à sa biographie de Laurier. Enfin, il lança la même année à Toronto le Willisons Monthly. Comme il mourut en 1927, on ne put voir quelle influence cet élégant magazine d’actualités aurait eue à long terme sous sa direction.
Autant il est facile de retracer les activités publiques de Willison, autant les renseignements personnels sur lui-même et sa famille sont minces. Il aimait à fréquenter les clubs et à jouer aux boules sur gazon. Il était prohibitionniste ; d’abord méthodiste, il se convertit à l’anglicanisme. En dehors du monde journalistique, il participa à plusieurs entreprises dans les années 1920 : il fut président de la Municipal Bankers’ Corporation Limited, de la Mortgage, Discount and Finance Limited et de la Canadian Rail and Harbour Terminals Limited, cofondateur de la société de financement Willison-Neeley Corporation (avec le courtier en obligations Thomas A. Neeley) et membre du conseil d’administration de la Western Canada Colonization Association. Sa première femme, Rachel Wood Turner, avait pris part en 1904 à la fondation du Toronto Ladies’ Club, avait été conseillère à l’Imperial Order Daughters of the Empire et avait occupé, pendant la guerre, la présidence de la Canadian National Ladies’ Guild for British and Foreign Sailors. Leurs fils jumeaux devinrent journalistes ; l’un d’eux, William Taylor, fut tué en France en 1916. Un an après avoir épousé Marjory Jardine Ramsay MacMurchy – ex-directrice littéraire au News et écrivaine accomplie –, Willison succomba à un cancer. Il avait 70 ans.
Willison eut d’influents admirateurs et détracteurs. Beaucoup de libéraux ne lui pardonnèrent jamais d’avoir laissé tomber Laurier. En juillet 1927, King nota dans son journal intime qu’« il affichait le snobisme des conservateurs, mais [qu’]il y avait en lui des qualités qui auraient pu en faire un véritable grand homme ». Dans la Dalhousie Review de Halifax, l’éducateur Arthur Hugh Urquhart Colquhoun* le décrivit comme « un redoutable adversaire et un phare dans la tempête ». « Des hommes de toutes sortes, poursuivait Colquhoun, sollicitaient donc ses conseils en cas d’urgence, confiants en la sûreté de son jugement, en son expérience unique et en son intégrité absolue. » Autodidacte, très porté à se mettre en valeur et admiré par des gens d’horizons très divers – même s’il connut certainement plus la critique, la rivalité et la jalousie que les louanges béates –, Willison parvint, grâce à ses seuls talents, à la position de défenseur de grandes causes nationales et de proche conseiller de Laurier et Borden. En plus, chose stupéfiante, il sut jouer ces rôles durant trois décennies marquées par de rapides changements dans la conjoncture, les sujets de débat et les idées, et en franchissant le clivage entre libéraux et conservateurs.
Sir John Stephen Willison fut l’un des journalistes les plus écoutés du Canada anglais à la fin du xixe et au début du xxe siècle. Il fut aussi un acteur essentiel de trois moments charnières de la vie politique du pays : 1896, 1911 et 1917. Grâce à sa plume acérée et à son raisonnement limpide, le Globe connut un prestige sans précédent. Bien qu’il n’ait pas trouvé les appuis nécessaires pour faire du News un périodique indépendant dont les journalistes auraient été le cœur, il y exprima de grandes idées, durant 14 ans. Pendant deux décennies où les relations canado-britanniques furent fertiles en rebondissements, il expliqua brillamment le Canada aux lecteurs du Times. Il se signala aussi par deux ouvrages marquants : son histoire de Laurier et ses Reminiscences. Sous tous ses aspects, sa carrière influença et refléta tout à la fois, et avec force, l’évolution de la nation canadienne.
Sir John Stephen Willison a détruit, semble-t-il, pratiquement toute sa correspondance personnelle avec sa famille, mais il existe des collections d’autres de ses papiers aux AO (F 1083) et à BAC (MG 30, D29). On trouve aussi aux AO deux manuscrits biographiques : un mémoire rédigé avec perspicacité par lady Willison et une longue lettre adressée à cette dernière par Jesse Edgar Middleton* qui semble être le texte d’un discours (probablement de Middleton) prononcé devant le Canadian Literature Club à Toronto le 1er octobre 1928. La seule biographie publiée est : A. H. U. Colquhoun, Press, politics and people : the life and letters of Sir John Willison, journalist and correspondent of the « Times » (Toronto, 1935). Cet ouvrage n’est pas une analyse objective, mais plutôt un hommage admiratif rédigé par un ami et journaliste contemporain qui a permis à Willison d’être son propre biographe en s’exprimant dans ses lettres. Le journaliste John Wesley Dafoe* a dit qu’il s’agissait d’« un mélange soigné de [notes] biographiques et de citations ».
Les publications de Willison comprennent : Agriculture and industry [...] (Toronto, [1920 ?]) ; Anglo-Saxon amity ([Toronto ?, 1906 ?]) ; The new Canada : a survey of the conditions and problems of the dominion (Londres, [1912]) ; Partners in peace : the dominion, the empire and the republic (Toronto, 1923) ; The railway question in Canada [...] (Toronto, [1897]) ; Sir George Parkin : a biography (Londres, 1929) ; Sir Wilfrid Laurier and the Liberal party : a political history (2 vol., Toronto, 1903) ; et The United States and Canada (New York, 1908).
AO, RG 80-5-0-132, nº 1588 ; RG 80-8-0-982, nº 1347 ; RG 80-8-0-1051, nº 4037.— BAC, MG 26, G ; H ; J13, 17 juill. 1927.— Globe and Mail Library (Toronto), M. O. Hammond, « History of the Globe », H. W. Charlesworth, édit. (manuscrit dactylographié).— QUA, Joseph Flavelle fonds.— Times Arch. (Londres), New Printing House Square papers, Willison file.— Evening News (Toronto), 1902–1917.— Globe, 1883–1902, particulièrement 9 juin 1885, 20, 22 janv. 1925, 10, 12–13 avril 1926.— Morning Post (Londres), 1906–1908.— Times (Londres), 1908–1927.— Toronto Daily Star, 1905, 26 oct. 1935.— Réal Bélanger, Wilfrid Laurier ; quand la politique devient passion (Québec et Montréal, 1986).— Carl Berger, The sense of power ; studies in the ideas of Canadian imperialism, 1867–1914 (Toronto et Buffalo, N.Y., 1970).— Michael Bliss, A Canadian millionaire : the life and business times of Sir Joseph Flavelle, bart., 1858–1939 (Toronto, 1978).— R. C. Brown, Robert Laird Borden : a biography (2 vol., Toronto, 1975–1980).— R. C. Brown et Ramsay Cook, Canada, 1896–1921 : a nation transformed (Toronto, 1974).— Canadian annual rev., 1902–1925/1926.— H. W. Charlesworth, Candid chronicles : leaves from the note book of a Canadian journalist (Toronto, 1925).— R. T. Clippingdale, « J. S. Willison and Canadian nationalism, 1886–1902 », SHC, Communications hist. (1969) : 74–93 ; « J. S. Willison, political journalist : from liberalism to independence, 1881–1905 » (thèse de ph.d., 2 vol., Univ. of Toronto, 1970).— A. H. U. Colquhoun, « Sir John Willison », Dalhousie Rev. (Halifax), 7 (1927–1928) : 159–162.— Ramsay Cook, The politics of John W. Dafoe and the Free Press (Toronto et Buffalo, 1963).— Carman Cumming, Secret craft : the journalism of Edward Farrer (Toronto, 1992).— J. W. Dafoe, Clifford Sifton in relation to his times (Toronto, 1931) ; Laurier ; a study in Canadian politics (Toronto, 1922 ; réimpr., introd. par M. S. Donnelly, 1963).— Domino [Augustus Bridle], « A coat of many colours : Sir John Willison », dans The masques of Ottawa, rédigé par le même auteur (Toronto, 1921), 166–172.— J. E. Kendle, The Round Table movement and imperial union (Toronto et Buffalo, 1975).— J. E. Middleton et Fred Landon, The province of Ontario : a history, 1615–1927 (5 vol., Toronto, 1927–[1928]), 4 : 509s.— H. V. Nelles, The politics of development : forests, mines & hydro-electric power in Ontario, 1849–1941 (Toronto, 1974).— Margaret Prang, N. W. Rowell, Ontario nationalist (Toronto et Buffalo, 1975).— Round Table (Londres), 1910–1916.— Paul Rutherford, A Victorian authority : the daily press in late nineteenth-century Canada (Toronto, 1982).— Joseph Schull, Laurier, H. J. Gagnon, trad. ([Montréal], 1968).— Minko Sotiron, From politics to profits : the commercialization of Canadian daily newspapers, 1890–1920 (Montréal et Kingston, 1997).— P. B. Waite, Canada, 1874–1896 : arduous destiny (Toronto et Montréal, 1971).— Who’s who in Canada, 1922.
Richard T. Clippingdale, « WILLISON, sir JOHN STEPHEN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 6 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/willison_john_stephen_15F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/willison_john_stephen_15F.html |
Auteur de l'article: | Richard T. Clippingdale |
Titre de l'article: | WILLISON, sir JOHN STEPHEN |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 6 déc. 2024 |