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SAINT-JEAN, IDOLA (baptisée Marie-Yvonne-Rose-Idola), professeure de diction, comédienne, militante féministe, auteure, conférencière et journaliste, née le 19 mai 1879 dans la paroisse Notre-Dame, à Montréal, fille d’Edmond-Napoléon Saint-Jean, étudiant en droit, et de Marie-Élizabeth-Emma Lemoine ; décédée célibataire le 6 avril 1945 à Montréal et inhumée trois jours plus tard au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, dans la même ville.
Enfant unique, Idola Saint-Jean grandit à Montréal dans une famille aisée. Elle étudie d’abord avec des professeurs privés, puis, de façon irrégulière entre 1888 et 1895, dans une école que sa mère a fréquentée, le pensionnat Villa-Maria des religieuses de la Congrégation de Notre-Dame, qui offre un enseignement bilingue. Pendant les deux années suivantes, elle étudie à l’académie Saint-Urbain, qui lui remet une médaille d’or de fin d’études en 1897. Elle atteint ainsi le plus haut niveau de scolarité alors accessible aux filles en milieu francophone catholique. Son père, Edmond-Napoléon Saint-Jean, a présidé en 1887–1888 le Club national, pépinière de politiciens libéraux. Avocat, il s’associe en 1888 à l’homme politique libéral Raymond Préfontaine* pour former un bureau très en vue à Montréal ; d’autres libéraux influents, comme Lomer Gouin* et Joseph-Emery Robidoux, les rejoindront. Bon orateur, il prononce des discours lors de campagnes électorales ; toutefois, il ne fait pas le saut en politique active.
Une fois ses études terminées, plutôt que de se préparer au mariage en menant la vie mondaine des jeunes filles de la petite bourgeoisie de son époque, Idola Saint-Jean suit des cours de théâtre et de mise en scène auprès de Julie Benoît, dite Julia Bennati, comédienne française établie à Montréal. Elle rêve de monter sur les planches au moment où le théâtre à Montréal vit en quelque sorte un âge d’or. En 1898, le tout nouveau Monument national, projet de l’Association Saint-Jean-Baptiste de Montréal, lance, sous la direction d’Elzéar Roy, des cours de diction et d’élocution, qu’il confie dès lors à Idola Saint-Jean, et une troupe de théâtre. Idola Saint-Jean amorce une carrière de comédienne qui s’annonce prometteuse. Elle joue notamment à la salle Karn à Montréal, à la salle Tara à Québec, ainsi qu’au Monument national. Cependant, le décès subit de son père, le 23 avril 1900 à l’âge de 43 ans, les entraîne, sa mère et elle, dans une situation financière difficile. Peu après, sa mère fait des pressions pour qu’elle puisse enseigner la diction dans les établissements des religieuses de la Congrégation de Notre-Dame. Au cours des années suivantes, elle sera professeure de diction dans plusieurs écoles et couvents. Elle s’occupe des affaires de sa mère, qui habitera avec elle jusqu’à sa mort en 1915, et développe ainsi de solides connaissances qu’elle met à profit dans la gestion de ses biens.
Idola Saint-Jean mène parallèlement ses carrières d’enseignante et de comédienne jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale. Elle produit des soirées musicales et littéraires, dans lesquelles elle tient le rôle principal, et on l’invite à réciter des poèmes lors d’événements divers. En 1905, Idola Saint-Jean étudie la diction à Paris pendant six mois avec les célèbres acteurs Constant Coquelin, dit Coquelin aîné, et Renée-Marie-Louise-Thérèse-Marthe Seveno, dite Renée Du Minil. Dans une lettre rédigée le 5 juin à l’intention de l’archevêque de Montréal, Mgr Paul Bruchési*, pour lui demander son appui avant son départ, elle explique vouloir suivre cette formation pour « donner des cours aux Anglais, ce qui sera pour [elle] beaucoup plus rémunératif ». En 1906, de retour à Montréal, elle prend en charge le cours de diction française au McGill Conservatorium of Music pendant au moins un an. En 1922, elle devient professeure d’élocution française à la McGill University et directrice de ce cours à l’École française d’été du même établissement. Elle y travaille même si la direction de l’université privilégie l’embauche de professeurs d’origine française pour l’école. À la McGill University, elle côtoie des féministes anglophones telle la professeure de botanique Carrie Matilda Derick. Ainsi, pendant la majorité de sa carrière, elle partage son enseignement entre deux établissements phares des deux communautés linguistiques. En effet, elle donnera des cours de diction française à la McGill University et à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal (désignation de l’Association Saint-Jean-Baptiste de Montréal depuis 1912) jusqu’à quelques semaines avant sa mort en 1945.
Idola Saint-Jean a publié en 1917 Récitations enfantines et, en 1918, Morceaux à dire. Parus à Montréal, ces recueils de poésie recevront en 1928 l’approbation du comité catholique du Conseil de l’instruction publique. Distribués dans les écoles, ils connaissent de nombreuses rééditions. Dans Morceaux à dire, on trouve le poème le Vaisseau d’or d’Émile Nelligan, qu’Idola Saint-Jean connaît bien car leurs familles sont voisines à Montréal et ont l’habitude de passer les vacances d’été à Cacouna. Les deux jeunes gens ont le même âge et un lien de parenté. Nelligan parle d’elle comme de son amie de toujours et dit la compter parmi ses amis les plus chers. Une grande connivence s’établit entre le poète et sa cousine par alliance. Édouard Montpetit*, connaissance de jeunesse d’Idola Saint-Jean, signe la préface de Morceaux à dire. Il y livre un vibrant plaidoyer pour la langue française, qu’il décrit comme « l’expression de notre résistance, et comme notre vivante patrie ». Idola Saint-Jean a partagé la scène avec lui en 1901 au Monument national dans le Drapeau de Carillon : drame historique en trois actes et deux tableaux, pièce de Laurent-Olivier David*, aux côtés de Camillien Houde* et Louis-Athanase David*. Les routes d’Idola Saint-Jean et de Montpetit se croiseront très souvent au cours de leurs carrières.
Engagée dans la promotion et dans la valorisation du français, Idola Saint-Jean effectue une tournée en Nouvelle-Angleterre en 1921 pour parler du rôle de la femme et de la langue française. Celle que Myrto [Anne-Marie Gleason] a surnommée en 1920, dans la Revue moderne, la « gardienne de la langue française », est faite chevalière de la Société du bon parler français, organisme montréalais, en 1929.
En marge de cette vie professionnelle exceptionnelle, Idola Saint-Jean devient militante sociale et féministe. Elle a participé au congrès de fondation de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste (FNSJB) en 1907. Au congrès de 1909, elle présente le rapport d’activités de l’Association artistique des dames canadiennes, organisme de promotion et de défense des artistes féminines qu’elle a formé l’année précédente, ce qui constitue son premier engagement social connu. À la FNSJB, au contact de féministes francophones, elle se familiarise avec l’action sociale et politique. C’est ainsi qu’elle manifeste en 1915, entre autres avec Marie Gérin-Lajoie [Lacoste] et Carrie Matilda Derick, contre un jugement de la Cour supérieure interdisant l’admission d’Annie Langstaff [Macdonald*] au Barreau de la province de Québec [V. Samuel William Jacobs*]. La même année, par le biais des associations des Gouttes de lait [V. Séverin Lachapelle*] affiliées à la FNSJB, elle donne des conférences sur la tuberculose, l’hygiène et la mortalité infantile à des mères résidant dans des quartiers populaires montréalais.
En 1918, pendant l’épidémie de grippe espagnole, Idola Saint-Jean dirige et coordonne l’équipe de bénévoles de la section française d’un bureau de secours lié au Uptown Emergency Health Bureau. Elle recueille une fillette dont les parents ont succombé au virus. Elle s’occupera de cette jeune fille jusqu’à sa mort, qui surviendra quelques années plus tard.
Sensible au sort des délinquants mineurs, Idola Saint-Jean a été active vers 1914 à la Société d’aide à l’enfance [V. François-Xavier Choquet*]. De 1924 à au moins 1925, elle est secrétaire de la nouvelle Société de l’aide aux enfants catholiques de Montréal, qui a pour but de venir en aide aux jeunes traduits en justice.
En 1919, la journaliste Madeleine [Gleason] a fondé la Revue moderne, ancêtre du périodique montréalais Châtelaine. Dès le premier numéro, Idola Saint-Jean écrit une chronique sur l’esthétisme féminin, où elle discute entre autres d’hygiène, de santé, d’exercice physique et de saine alimentation. Sa collaboration sur ce sujet se limite à trois textes. Dans un article révélateur de ses valeurs et de sa philosophie de vie, elle traduit un texte de Christian Daa Larson, un des piliers du mouvement Nouvelle pensée.
En 1923, Idola Saint-Jean entretient une correspondance sur la psychologie et la théosophie (conservée, au xxie siècle, par la Section des archives de la ville de Montréal) avec Armand Pêche, un veuf vivant aux États-Unis. Pêche lui propose de l’épouser et d’unir sa vie à la sienne dans « une union plus spirituelle que charnelle », ce qu’elle refuse. Dépité, l’amoureux éconduit lui écrit qu’il comprend sa volonté de poursuivre sa vie et sa carrière à Montréal. Il conclut sa lettre par un poème de sa main, dont les deux premiers vers évoquent la liberté si chère à son amoureuse : « Aucune circonstance ne peut m’asservir, / Aucun pouvoir ne peut emprisonner mon âme et mon corps. »
En 1918, les Canadiennes, à l’exception des femmes autochtones détenant le statut d’Indienne, ont obtenu le droit de vote au fédéral. Elles votent pour la première fois pendant le scrutin général de 1921. Reconnue comme une conférencière hors pair, Idola Saint-Jean est recrutée par le Parti libéral pour faire des discours et inciter les femmes à se rendre aux urnes. Ainsi, elle rencontre des milliers de femmes, dont 600 à Sainte-Agathe-des-Monts et 500 à Terrebonne. Elle développe sa passion pour la politique probablement à cette occasion.
La campagne électorale fédérale suivante, en 1925, permet à Idola Saint-Jean de faire ses premières armes à la radio, nouveau moyen de communication, alors qu’on lui offre les ondes de CKAC pour joindre les électrices. En 1928, Idola Saint-Jean prononce un discours à la radio sur les démarches des féministes à Québec. Grâce à sa maîtrise de l’art de dire, elle prend régulièrement la barre d’émissions. Elle anime en 1930 les Droits des femmes à CFCF et, de 1933 à 1940, l’Actualité féminine, diffusée d’abord à CHLP, puis à CKAC. Elle y aborde autant des sujets politiques que sociaux.
Impressionnée par le travail accompli par des femmes dans différentes circonscriptions lors de la campagne électorale fédérale de 1921, Idola Saint-Jean a contesté leur exclusion de la scène politique provinciale au Québec. À la suite de la prise de conscience déterminante de ce paradoxe, elle s’investit résolument dans la cause du suffrage féminin, qui devient pour elle un enjeu démocratique.
Peu après le scrutin de 1921, Idola Saint-Jean collabore, notamment avec Marie Gérin-Lajoie, à la création du Comité provincial pour le suffrage féminin, qui a pour but de relancer la lutte au provincial. Marie Gérin-Lajoie et Anna Marks Lyman coprésident ce comité, dont la réunion de fondation se déroule le 14 janvier 1922. Le sénateur libéral Raoul Dandurand, partisan reconnu du suffrage féminin, est alors le seul homme présent. Idola Saint-Jean devient la secrétaire francophone du comité. Le 9 février, une délégation composée d’environ 500 femmes rencontre les parlementaires à Québec ; les porte-parole francophones, Idola Saint-Jean, Marie Gérin-Lajoie et Thérèse Casgrain [Forget*], font valoir les arguments en faveur du droit de voter au provincial. Mais le premier ministre libéral Louis-Alexandre Taschereau* « souffl[e] sur les beaux espoirs de ces dames », comme le rapporte le Devoir le jour suivant.
Après cet échec, le Comité provincial pour le suffrage féminin ralentit son rythme. De son côté, Idola Saint-Jean demeure active et se rapproche des milieux ouvriers, ce qui est remis en question par certaines membres. Pour avoir les mains libres, elle fonde l’Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec, qui tient sa première réunion le 3 février 1927. Dès lors, cette nouvelle association organise, souvent en collaboration avec la Ligue des droits de la femme présidée par Thérèse Casgrain, des pèlerinages pour appuyer les 14 projets de loi présentés sur le vote des femmes jusqu’en 1940. Elle déploie alors tout l’attirail des moyens de pression et de communication, autant en français qu’en anglais, pour défendre sa cause dans des émissions de radio, des conférences publiques et des articles de journaux. Chaque fois, la majorité des membres du clergé et des hommes politiques torpille le projet de loi. Les talents de comédienne d’Idola Saint-Jean en font une grande oratrice et sa maîtrise de la langue française, une communicatrice qui rejoint le public par ses écrits et par sa parole. En 1931, l’Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec a publié Album souvenir 1931, qui devient deux années plus tard une revue annuelle bilingue, la Sphère féminine (Westmount). Par ce titre singulier, le périodique veut essentiellement démontrer que la sphère féminine, beaucoup plus large que le foyer domestique, englobe tous les aspects de la vie en société. Le dernier numéro, majoritairement écrit par Idola Saint-Jean, paraîtra l’année suivant sa mort.
Peu après l’obtention du droit de vote au fédéral, des associations féminines de partout au Canada ont exercé des pressions pour que des femmes soient admises au Sénat. Selon l’article 24 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, seules les « personnes qualifiées » peuvent accéder à la Chambre haute. Or, d’un point de vue juridique, l’interprétation du terme « personnes » ne désigne que les hommes. À la suite de la requête présentée par cinq Albertaines – Henrietta Louise Edwards [Muir*], Mary Irene Parlby [Marryat*], Helen Letitia McClung [Mooney*], Louise McKinney [Crummy*] et Emily Gowan Murphy [Ferguson*] –, la Cour suprême du Canada déclare le 24 avril 1928 que les femmes ne sont pas des « personnes qualifiées » [V. Francis Alexander Anglin*]. Les appelantes se tournent vers le comité judiciaire du Conseil privé. Idola Saint-Jean mène alors une campagne pour que le gouvernement de la province de Québec retire ses objections. Le 18 octobre 1929, le comité judiciaire du Conseil privé annule la décision de la Cour suprême du Canada. À cause de l’important travail d’Idola Saint-Jean dans ce dossier, des voix, dont celles de femmes libérales, s’élèvent pour qu’elle devienne sénatrice. En février 1930, à la grande déception d’Idola Saint-Jean, le gouvernement choisit plutôt Cairine Reay Wilson [Mackay*], résidente de l’Ontario, comme première sénatrice canadienne.
Selon le Code civil du Bas-Canada, les femmes célibataires, comme Idola Saint-Jean, ont les mêmes droits que les hommes. Les femmes mariées ont, pour leur part, une capacité légale équivalente à celle des mineurs ou des personnes interdites pour cause d’aliénation mentale. Idola Saint-Jean, sensibilisée jeune à l’importance du droit dans la vie quotidienne en s’occupant de la succession de son père, endosse les revendications de Marie Gérin-Lajoie, qui milite depuis le début du siècle pour la réforme du Code civil. En 1929, le gouvernement provincial a finalement créé la commission des droits civils de la femme, présidée par le juge Charles-Édouard Dorion [V. Joseph Sirois]. Idola Saint-Jean y présente un mémoire dans lequel elle demande notamment que l’âge du mariage, alors de 14 ans pour les garçons et de 12 ans pour les filles, soit porté à 16 ans. La commission recommande que l’âge du mariage soit porté à 16 ans pour les garçons et à 14 ans pour les filles. Par contre, les commissaires refusent sa demande d’abolir le double standard en matière d’adultère : une femme ne peut demander la séparation de corps que si son mari loge sa concubine dans la maison familiale alors que celui-ci n’a qu’à invoquer l’adultère de son épouse pour l’obtenir.
Peu avant le début des audiences de la commission, le 4 novembre 1929, le Montreal Herald a nommé Idola Saint-Jean éditorialiste. Ce journal anglophone lance une vigoureuse campagne contre le statut juridique inférieur des femmes mariées au Québec. Chaque jour, Idola Saint-Jean y tient une page bilingue d’actualité féministe et écrit un éditorial. Au moment où se déroulent les séances de la commission à Montréal, le quotidien publie une série de caricatures sur la condition juridique des femmes au Québec, intitulée « les Femmes sont-elles des personnes ? », qu’il accompagne d’éditoriaux bilingues rédigés par Idola Saint-Jean sur chacune des revendications des femmes. Le succès de l’opération est tel que le Montreal Herald réédite les caricatures dans une brochure, en français et en anglais. Les interventions médiatiques d’Idola Saint-Jean contrastent alors fortement avec le ton mesuré de Marie Gérin-Lajoie et de Thérèse Casgrain qui témoignent, elles aussi, devant la commission Dorion. Idola Saint-Jean suscite une vive polémique. Certains journaux, comme le Soleil, y voient une insulte coordonnée par les milieux anglophones contre les traditions canadiennes-françaises. Malgré une mobilisation sans précédent des associations féministes, la condition juridique des femmes mariées n’est que légèrement modifiée au cours des années suivantes ; en 1931, les femmes mariées acquièrent le droit de conserver leurs salaires et les femmes séparées de corps de leurs maris obtiennent les mêmes droits que les femmes veuves ou célibataires.
Infatigable, Idola Saint-Jean décide, à la demande d’un groupe d’électrices libérales, de se présenter à Montréal comme candidate libérale indépendante dans la circonscription de Saint-Denis aux élections fédérales de 1930. Cette candidature déplaît à l’establishment du Parti libéral, qui n’en appuie qu’une seule, celle de la docteure Octavia Grace England [Ritchie] – partisane de la première heure du suffrage féminin et présidente du Club libéral des femmes de Montréal – dans la circonscription de Mont-Royal. Idola Saint-Jean diffuse un tract électoral résolument féministe. Même si elle sait qu’elle ne sera pas élue, elle veut tirer profit de la campagne électorale pour faire connaître les revendications des femmes. Première Canadienne française à se présenter aux élections fédérales, elle obtient 1 732 votes (4 % des voix) le 28 juillet. Cet événement marque sa rupture définitive avec le Parti libéral, de même qu’avec les clubs politiques féminins. Sa volonté de conserver son indépendance vis-à-vis de certaines questions, particulièrement celles des femmes, est manifeste. Son passage au Montreal Herald comme éditorialiste se termine peu après le scrutin, le 19 août.
Comme elle l’exprime dans une lettre reproduite dans l’édition de 1938–1939 de la Sphère féminine, Idola Saint-Jean défend une « émancipation politique [...] basée sur la logique et la justice. Les femmes du Québec ont les mêmes obligations que les hommes et ne jouissent d’aucun droit ». Dans un texte phare paru à Montréal le 28 janvier 1928 dans le Monde ouvrier, elle a établi les fondements conceptuels de sa vision de la démocratie et du féminisme : « L’homme[,] après avoir supprimé les privilèges de rangs, de castes et de naissance, abolira la dernière aristocratie survivante, l’aristocratie des sexes […] Dès que le Gouvernement n’est plus l’apanage de quelques privilèges, et du jour oü la volonté générale a remplacée la volonté monarchique, la démocratie étant née, […] la logique veut que la souveraineté provenant de tous appartiennent à tous. » Selon elle, les hommes et les femmes, issus du même corps social, doivent travailler ensemble. Cette approche considère les hommes non pas comme des ennemis, mais plutôt comme des alliés. Pour elle, le libéralisme comprend, selon le sens complet du terme, l’émancipation féminine. En 1935, avec le même sens de la justice, elle s’oppose fermement au projet de loi présenté par le député libéral provincial Joseph-Achille Francœur visant à interdire aux femmes de travailler, à l’exception de celles qui ont l’obligation de subvenir à leurs besoins ou à ceux de leurs familles, sous prétexte qu’elles exerceraient des emplois qui reviendraient aux hommes. Le premier ministre Taschereau et la majorité des députés le rejettent.
Le krach boursier de 1929 a plongé le Canada dans un marasme économique sans précédent. En 1933, au Québec, le chômage touche 30 % de la main-d’œuvre. La charité, religieuse ou privée, ne suffit plus. Afin d’explorer de nouveaux modèles, diverses commissions gouvernementales se penchent sur les problèmes sociaux et économiques. Très au courant de la situation des personnes dans le besoin, en particulier des femmes pauvres, Idola Saint-Jean fait entendre leurs voix. Elle présente en 1931 un mémoire à la commission des assurances sociales de Québec, aussi connue sous le nom de commission Montpetit [V. Édouard Montpetit], dans lequel elle demande une allocation pour les mères nécessiteuses, une assurance-maladie pour tous les salariés qui gagnent moins de 2 000 $ par année, une pension pour les vieillards ainsi que la protection des enfants adoptés et illégitimes.
En juillet 1933, le gouvernement fédéral crée la commission royale sur la banque et la monnaie au Canada. Celle-ci, présidée par lord Macmillan, a notamment pour mandat d’examiner le fonctionnement de la loi financière et l’intérêt d’établir une institution bancaire centrale au pays. Idola Saint-Jean présente un mémoire dans lequel elle demande que les femmes puissent déposer plus de 2 000 $ dans un compte de banque sans le consentement de leurs maris. Elle remporte cette victoire : en 1934, entre autres grâce à son intervention, la Loi des banques permet aux institutions financières de recevoir les dépôts de tous les individus, peu importe leur âge, leur état civil ou leur condition.
Enfin, en 1938, dans le cadre de la commission Rowell-Sirois [V. Newton Wesley Rowell ; Joseph Sirois] qui examine les relations entre le dominion et les provinces, Idola Saint-Jean se préoccupe des proches aidants. Ainsi, elle demande que les gens qui prennent soin d’une personne et qui la soutiennent complètement aient droit à une exemption d’impôt de 2 000 $ ou plus, comme les contribuables qui font un don charitable en argent.
Au cours des années 1930, Idola Saint-Jean élargit son champ d’activités et devient membre de l’exécutif de la Ligue internationale des droits égaux, basée à Genève, en Suisse. Elle partage pleinement les revendications de cette association qui milite, entre autres, pour que les femmes mariées soient libres de conserver leurs nationalités ou d’obtenir celles de leurs époux.
La détérioration du climat en Europe, qui laisse présager un nouveau conflit armé, s’accompagne d’un mouvement pacifiste auquel Idola Saint-Jean se joint en acceptant de présider, en 1935, le comité pour la paix de la section montréalaise de la Royal Empire Society. Elle s’implique aussi au sein de la Société canadienne des droits de l’homme en 1938. Son engagement fort pour la paix a fait dire à l’historien Robert Rumilly* qu’elle est « pacifiste autant qu’elle est féministe ».
Après la défaite de l’Union nationale de Maurice Le Noblet Duplessis* en 1939 et l’arrivée au pouvoir du Parti libéral d’Adélard Godbout*, les femmes (à l’exception des Autochtones) obtiennent enfin le droit de voter grâce à la sanction de la Loi accordant aux femmes le droit de vote et d’éligibilité le 25 avril 1940 [V. Le droit de vote aux élections provinciales et territoriales]. Dans les jours qui suivent, le 11 mai, Idola Saint-Jean annonce que l’Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec change de nom pour devenir l’Alliance canadienne des électrices du Québec. Cette organisation, qui se déclare indépendante de tout parti politique, a pour mission d’obtenir pour les femmes de la province des droits égaux à ceux des hommes.
Idola Saint-Jean vote au provincial pour la première fois en 1944. Dans une allocution radiodiffusée, elle invite les femmes à voter, mais elle n’appuie aucun parti. Peu de traces subsistent de sa vie personnelle à cette période, mais son testament révélera qu’elle a un lien tout particulier avec Angelo Amighetti. Cet Italo-Canadien, qui exerce le métier d’agent de commerce ou d’importateur selon les sources, a été emprisonné à Petawawa, en Ontario, au début de la Deuxième Guerre mondiale. Dans son testament, Idola Saint-Jean le désigne non seulement comme son exécuteur testamentaire, mais elle en fait son principal héritier. Elle lui lègue un patrimoine composé notamment de trois résidences acquises entre 1926 et 1939. Après une courte maladie, elle meurt à l’âge de 65 ans le 6 avril 1945. Lors de ses funérailles, neuf femmes, des amies qui ont mené ses luttes avec elle, portent son cercueil.
Les journaux diffusent de nombreux témoignages posthumes sur Idola Saint-Jean ; ceux-ci soulignent particulièrement son courage exceptionnel dans la lutte pour le droit de vote. La Société du bon parler français rappelle pour sa part son amour de la langue française.
Le gouvernement du Canada reconnaît Idola Saint-Jean comme personnage historique national en 1998 et le gouvernement du Québec la désigne personnage historique en 2019. Le Monument en hommage aux femmes en politique, œuvre de Jules Lasalle érigée en 2012 près de l’Hôtel du Parlement à Québec, place Idola Saint-Jean aux côtés de Marie Gérin-Lajoie, Thérèse Casgrain et Marie-Claire Strover [Kirkland*] dans une chaîne reliant ces quatre pionnières des droits des femmes.
Idola Saint-Jean s’est imposée à une époque où les féministes au Québec naviguaient entre un féminisme frileux, soucieux de ne pas indisposer les élites politiques et religieuses, et un fort courant occidental de modernisation du statut économique, politique et juridique des femmes. Femme moderne, lucide et urbaine, elle a compris que le monde changeait et que l’avenir des femmes passerait par l’acquisition de leurs droits. Célibataire et travailleuse autonome, elle a suscité l’irritation de plusieurs dirigeants religieux et politiques, mais aussi l’admiration des plus vulnérables. Aucun diktat venu du clergé ou des dirigeants politiques ne l’a fait plier. Idola Saint-Jean avait une pensée féministe globale et inclusive. Ses actions ont rejoint autant les anglophones que les francophones. Idola Saint-Jean a contribué à libérer la parole des femmes. Comme elle l’a affirmé dans l’édition de 1936–1937 de la Sphère féminine, le mot d’ordre des féministes devait être : « [l]a femme libre dans un monde libre ». Elle a poursuivi, à propos de l’égalité : « Ne confondons pas égalité avec identité. La conquête de sa liberté ne rendra pas la femme semblable à l’homme – d’ailleurs tel n’est pas son but –, mais elle lui permettra de se conquérir elle-même, de développer sa conscience sociale, de s’exprimer librement. » Son nationalisme ne s’ancrait pas dans une vision du rôle traditionnel de la femme, chargée de la survivance du fait français en Amérique du Nord par la maternité, mais dans l’octroi des droits qui permettraient aux femmes d’être des citoyennes à part entière dans une démocratie moderne et ouverte sur le monde. Idola Saint-Jean croyait fermement que les femmes devaient intervenir dans la sphère publique en vertu de leur appartenance à l’humanité, et non parce qu’elles étaient mères. Elle a ainsi contribué à définir le féminisme qui marquera le Québec à partir des années 1960.
Idola Saint-Jean est aussi l’auteure de Récitations pour les élèves du cours supérieur de diction française (Montréal, 1917).
Arch. de la chancellerie de l’archevêché de Montréal, 901.173.2.11 ; 905-1 (fonds Paul Bruchési [lettre d’Idola Saint-Jean rédigée le 5 juin 1905]).— Arch. de la Congrégation de Notre-Dame (Montréal), AL266 (fonds Académie Saint-Léon (Montréal, Québec)) ; AL459 (fonds École Saint-Urbain (Montréal, Québec)) ; AL480 (fonds Collège Villa Maria (Montréal, Québec)) ; R0046 (fonds Pulchérie Cormier (S.S.-Anaclet)).— Bibliothèque et Arch. nationales du Québec, Centre d’arch. de Montréal, CE601-S51, 20 mai 1879.— Ville de Montréal, Section des arch., BM102.— Le Devoir (Montréal), 1910–1945.— Montreal Herald, 1929–1930.— La Patrie (Montréal), 1889, 1909–1945.— Le Soleil (Québec), 13 déc. 1929.— Annuaire, Montréal.— Denyse Baillargeon, Brève histoire des femmes au Québec ([Montréal], 2012).— C. L. Cleverdon, The woman suffrage movement in Canada, introd. par Ramsay Cook (2e éd., Toronto, 1974).— Maryse Darsigny, l’Épopée du suffrage féminin au Québec, 1920–1940 ([Montréal], 1990).— Micheline Dumont et al. (le Collectif Clio), l’Histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles (éd. rév., Montréal, 1992).— Magda Fahrni, « “Elles sont partout...” : les femmes et la ville en temps d’épidémie, Montréal, 1918–1920 », Rev. d’hist. de l’Amérique française (Montréal), 58 (2004–2005) : 67–85.— Nicolle Forget, Thérèse Casgrain : la gauchiste en collier de perles ([Montréal], 2013).— Gilles Gallichan, « Idola Saint-Jean : femme de cœur et femme de tête », Bibliothèque de l’Assemblée nationale, Bull. (Québec), 39 (2010), no 1 : 16–23.— Madeleine [A.-M.] Gleason-Huguenin, Portraits de femmes ([Montréal], 1938).— Diane Lamoureux, « Idola Saint-Jean : l’amazone du suffrage », dans Citoyennes ? : femmes, droit de vote et démocratie (Montréal, 1989), 67–88 ; « Idola Saint-Jean et le radicalisme féministe de l’entre-deux-guerres », Recherches féministes (Québec), 4 (1991), no 2 : 45–60.— J.-M. Larrue, le Théâtre à Montréal à la fin du xixe siècle (Montréal, 1981).— Marie Lavigne, « 18 avril 1940, l’adoption du droit de vote des femmes : le résultat d’un long combat », dans Dix journées qui ont fait le Québec, sous la dir. de Pierre Graveline et Myriam D’Arcy (Montréal, 2013), 161–185.— Marie Lavigne et Michèle Stanton-Jean, Idola Saint-Jean, l’insoumise : biographie ([Montréal], 2017).— Andrée Lévesque, Éva Circé-Côté : libre-penseuse, 1871–1949 (Montréal, 2010).— Michel Lévesque, Histoire du Parti libéral du Québec : la nébuleuse politique, 1867–1960 (Québec, [2013]).— P.-A. Linteau, Histoire de Montréal depuis la Confédération (2e éd., Montréal, 2000).— Montreal Herald, le Montreal Herald présente les Femmes sont-elles des personnes ? : un drama émouvant de vie réelle en douze scènes ([Montréal, 1930]).— Myrto [A.-M. Gleason], « Une gardienne de la langue française : mademoiselle Idola Saint-Jean », la Rev. moderne (Montréal), 2 (1920–1921), no 1 : 25.— National reference book on Canadian men and women with other general information for library, newspaper, educational and individual use (6e éd., s.l., 1940), 625.— Hélène Pelletier-Baillargeon, Marie Gérin-Lajoie : de mère en fille, la cause des femmes (Montréal, 1985).— Robert Rumilly, Chefs de file (Montréal, 1934).— Sœur Sainte-Henriette [Marie-Darie-Aurélie Lemire-Marsolais], Histoire de la Congrégation de Notre-Dame de Montréal (11 tomes en 13 vol., Montréal, 1941–1974), vol. 10, tome 1 (1855–1900) [l’auteure des vol. 10–11 est Thérèse Lambert, dite sœur Sainte-Marie-Médiatrice].— Michèle [Stanton-]Jean, « Idola Saint-Jean, féministe (1880–1945) », dans Mon héroïne : les lundis de l’histoire des femmes, an 1, conférences du théâtre expérimental des femmes, Montréal, 1980–81 (Montréal, 1981), 117–147 ; Québecoises du 20e siècle (Montréal, 1974).— Travailleuses et Féministes : les femmes dans la société québécoise, sous la dir. de Marie Lavigne et Yolande Pinard (Montréal, 1983).
Marie Lavigne et Michèle Stanton-Jean, « SAINT-JEAN, IDOLA (baptisée Marie-Yvonne-Rose-Idola) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 17, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 8 févr. 2025, https://www.biographi.ca/fr/bio/saint_jean_idola_17F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/saint_jean_idola_17F.html |
Auteur de l'article: | Marie Lavigne et Michèle Stanton-Jean |
Titre de l'article: | SAINT-JEAN, IDOLA (baptisée Marie-Yvonne-Rose-Idola) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 17 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2025 |
Année de la révision: | 2025 |
Date de consultation: | 8 févr. 2025 |